République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 1
ARRÊT DU 01/12/2016
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N° de MINUTE :16/
N° RG : 15/07334
Jugement (N° 2015002708)
rendu le 18 novembre 2015
par le tribunal de commerce de Boulogne Sur Mer
REF : MLD/KH
APPELANTS
M. [D] [N]
né le [Date naissance 1] 1941 à [Localité 1]
de nationalité française
demeurant [Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Me François Deleforge, avocat au barreau de Douai
assisté de Me Antoine Deguines, avocat au barreau de Boulogne Sur Mer
Mme [Z] [Q] épouse [N]
née le [Date naissance 2] 1945 à [Localité 2]
demeurant [Adresse 2]
[Adresse 1]
représentée par Me François Deleforge, avocat au barreau de Douai
assistée de Me Antoine Deguines, avocat au barreau de Boulogne Sur Mer
INTIMÉE
SARL [Établissement 1]
ayant son siège social [Adresse 3]
[Adresse 1]
représentée par Me Fabrice Chatelain, avocat au barreau de Lille
DÉBATS à l'audience publique du 12 octobre 2016 tenue par Marie-Laure Dallery magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marguerite-Marie Hainaut
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Marie-Annick Prigent, président de chambre
Marie-Laure Dallery, président de chambre
Philippe Brunel, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 01 décembre 2016 après prorogation du délibéré initialement prévu le 17 novembre 2016 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Marie-Annick Prigent, président et Marguerite-Marie Hainaut, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 6 octobre 2016
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Suivant acte authentique du 4 mars 2010, M [D] [N] et Mme [Z] [Q], son épouse ont donné à bail commercial à la société [Établissement 1] à effet du 1er janvier 2011 un immeuble à usage de terrain de camping dénommé « [Établissement 2] » sis [Adresse 1]) comprenant principalement deux bâtiments à usage de sanitaires et douches, avec 96 emplacements d'installation portant les n°1 à 96 avec le terrain en dépendant ainsi que toutes constructions y édifiées.
Suivant arrêté préfectoral du 20 avril 2012, à la demande du gérant de la société [Établissement 1], la dénomination du terrain de camping « [Établissement 2] » exploité par Monsieur [D] [N] est devenue : « Camping [Établissement 1]» exploité par la société [Établissement 1].
De leur côté, les époux [N] ont poursuivi leur exploitation du camping « [Établissement 2] » portant sur 19 emplacements.
Faisant grief aux époux [N] de poursuivre l'exploitation de l'enseigne '[Adresse 4]' à proximité immédiate du 'Camping [Établissement 1]' , la société [Établissement 1] a fait assigner à jour fixe les époux [N] devant le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer, par acte du 29 juin 2015.
Par jugement du 18 novembre 2015, ce tribunal a ordonné aux époux [N] de cesser toute exploitation de camping à l'enseigne « [Établissement 2] » dans ces éléments verbaux et figuratifs dans les huit jours de la signification de la décision, a condamné les époux [N] à déposer ou faire déposer toute signalétique faisant apparaître les termes de '[Adresse 4]' dans les huit jours de la signification de la décision , à déposer ou faire déposer toutes signalétiques faisant apparaître le terme 'Camping' désignant le [Adresse 5] dans les huit jours de la signification de la décision ainsi qu'à déposer ou faire déposer toutes signalétiques laissant apparaître l'élément figuratif représentant une sirène dans les huit jours de la signification de la décision, a ordonné le retrait des panneaux de signalisation routière indiquant la direction du « Camping [Établissement 2] » et a condamné les époux [N] à entreprendre toute démarche en ce sens dans les huit jours de la signification du jugement et à en justifier à la société [Établissement 1], a ordonné aux époux [N] de cesser de pénétrer au sein des locaux loués sans l'autorisation écrite et préalable du gérant de la société [Établissement 1], a assorti ces condamnations d'une astreinte de 1 000 euros par jour de retard et par infraction constatée, a débouté la société [Établissement 1] du surplus de ses demandes, a dit les époux [N] mal fondés en leurs demandes reconventionnelles, les en a déboutés, a ordonné l'exécution provisoire de la décision et mis à la charge des époux [N] une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Appelants de ce jugement, les époux [N], par des conclusions notifiées par voie électronique le 28 août 2016, prient la cour, infirmant le jugement, de débouter la société [Établissement 1] de ses demandes, de condamner celle-ci à réparer leur préjudice par l'allocation de dommages et intérêts pour perte d'exploitation pour la saison 2016 à hauteur de 35'000 euros et remboursement des travaux effectués pour obtenir la troisième étoile loisirs à hauteur de 80'000 euros, outre la somme de 6 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile .
Les époux [N] soutiennent que le bail commercial qu'ils ont consenti à la société [Établissement 1] ne leur interdisait nullement la poursuite d'exploitation de l'enseigne '[Établissement 2]', que l'article 9 qui porte sur la clause de non-concurrence, n'avait pas pour objet de les empêcher de continuer à exploiter leurs parcelles mais seulement de créer de nouvelles parcelles à côté des 19 qu'ils exploitent ce qui explique que cette clause ne soit pas limitée ni dans le temps ni dans l'espace comme doit l'être une clause de non-concurrence ou d'exclusivité dans un bail commercial. Ils s'étonnent que le preneur ait attendu 5 ans avant de saisir le tribunal de commerce et invoquent notamment l'arrêté préfectoral du 20 avril 2012 portant changement d'exploitant et de dénomination du terrain de camping [Établissement 2] qui accordait l'autorisation pour la société [Établissement 1] d'exploiter 96 parcelles précédemment exploitées par eux sur les 115 qu'ils exploitaient sous l'enseigne [Établissement 2] ainsi que l'attestation du notaire rédacteur du bail commercial (pièce 8) . Par ailleurs, ils disent que la preuve du détournement de la clientèle potentielle par le maintien d'une signalisation telle qu'elle existait précédemment, comme celle du démarchage de clients potentiels de cette société n'est nullement établie.
Enfin ils contestent l'existence d'un préjudice alors que le chiffre d'affaires de la société est en constante progression ayant même atteint plus de 74'000 euros en 2014 tandis qu'en se voyant interdire de poursuivre l'exploitation de leurs 19 parcelles avec exécution provisoire, ils ont été privés de leur exploitation pour la saison 2016 subissant ainsi un très important préjudice.
Par des conclusions notifiées par voie électronique le 13 septembre 2016 la société [Établissement 1] demande de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a:
-ordonné aux époux [N] de cesser toute activité de camping caravaning ou hôtellerie de plein air dans l'ensemble immobilier dont font partie les lieux qui lui sont loués,
- ordonné aux époux [N] de cesser toute exploitation de l'enseigne [Établissement 2] dans ces éléments verbaux et figuratifs,
- condamné les époux [N] à déposer ou faire déposer toutes signalétiques laissant apparaître les termes de Camping [Établissement 2],
- condamné les époux [N] à déposer ou faire déposer toutes signalétiques laissant apparaître le terme de camping désignant le [Adresse 5]
- condamné les époux [N] à déposer ou faire déposer toutes signalétiques laissant apparaître l'élément figuratif représentant une sirène,
- ordonné le retrait des panneaux de signalisation routière indiquant la direction du camping [Établissement 2] ,
- condamné les époux [N] à entreprendre toute démarche en ce sens et à lui en justifier,
- ordonné aux époux [N] de cesser de pénétrer au sein des locaux loués sans l'autorisation écrite et préalable de son gérant,
- assorti ces condamnations d'une astreinte de 1 000 euros par jour de retard et par infraction constatée,
Elle demande encore de condamner solidairement les époux [N] à lui verser la somme de 186'230 euros à titre de dommages-intérêts en raison du préjudice subi, de réformer le jugement entrepris sur ce point, de débouter les époux [N] de leurs demandes et de les condamner solidairement à lui verser la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur ce
Sur l'interdiction d'exploitation d'un commerce similaire,
Le bail commercial consenti à la société [Établissement 1], suivant acte authentique du 4 mars 2010 porte principalement sur 96 emplacements d'installation numérotés 1 à 96, sur les 115 emplacements que les époux [N] exploitaient sous l'enseigne '[Établissement 2]'.
Selon l'attestation du 9 novembre 2012 de Maître [L], notaire rédacteur de l'acte (procès-verbal de constat du 27 mai 2015 de Maître [T], huissier de justice,), « cet ensemble immobilier fait partie d'un plus grand ensemble appartenant à Monsieur [N] et Madame [Q] [...] sur lequel est exploité un camping de 19 emplacements actuellement classé « 3 étoiles » antérieurement à la location consentie à l'EARL [Établissement 1] ».
Les parties s'opposent sur l'existence d'une interdiction pour les époux [N] de poursuivre l'exploitation de leurs 19 parcelles sous l'enseigne '[Établissement 2]' au regard de l'article 9 du bail.
Aux termes de l'alinéa 1er de cet article : « Pendant toute la durée du bail et ses renouvellements, le bailleur s'interdit d'exploiter, directement ou indirectement, dans l'immeuble dont font partie les lieux loués, un commerce similaire à celui du preneur. Il s'interdit également de louer à qui que ce soit toute ou partie du même immeuble pour l'exploitation d'un commerce identique à celui du preneur ».
Selon les appelants, la clause de non-concurrence n'avait pas pour objet de les empêcher de continuer à exploiter leurs parcelles mais seulement de créer de nouvelles parcelles à côté des 19 qu'ils exploitent. Ils invoquent à cet égard l'arrêté préfectoral du 20 avril 2012 portant changement d'exploitant et de dénomination du terrain de camping [Établissement 2] qui accordait l'autorisation à la société [Établissement 1] d'exploiter 96 parcelles précédemment exploitées par eux sur les 115 qu'ils exploitaient sous l'enseigne '[Établissement 2]' ainsi que l'attestation du notaire rédacteur du bail commercial, Maître [L] du 10 juillet 2015.
Au regard de l'interdiction faite au bailleur d'exploiter 'dans l'immeuble dont font partie les lieux loués' figurant à la clause 9 du bail, il appartient aux époux [N] d'établir que la commune intention des parties était la poursuite de l'exploitation des 19 emplacements supplémentaires par les époux [N].
Or, ni l'attestation du notaire (pièce 9) qui « certifie en outre que ces biens dépendent d'un plus grand ensemble de 115 emplacements d'installation, les 19 emplacements supplémentaires continuant d'être exploités par Monsieur et Madame [D] [N] ainsi que les différentes parcelles à usage de parcours de pêche à la ligne » , ni la mention « le reste sans changement » qui figure à la fin de l'article 1er de l'arrêté préfectoral du 20 avril 2012 portant changement d'exploitant et de dénomination du terrain de camping '[Établissement 2]' en terrain de camping « [Établissement 1] » pour une capacité d'accueil maximal de 96 emplacements d'installation, ne sont de nature à rapporter cette preuve, étant observé que la poursuite de l'exploitation litigieuse pendant plus de quatre ans sans réaction de la société preneuse, constitue à elle seule une circonstance insuffisante.
Dès lors, le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a ordonné aux époux [N] de cesser toute exploitation de camping à l'enseigne « [Établissement 2] » dans ces éléments verbaux et figuratifs dans les huit jours de la signification de la décision, a condamné les époux [N] à déposer ou faire déposer toute signalétique faisant apparaître les termes de '[Adresse 4]' dans les huit jours de la signification de la décision, à déposer ou faire déposer toutes signalétiques faisant apparaître le terme 'Camping' désignant le [Adresse 5] dans les huit jours de la signification de la décision ainsi qu'à déposer ou faire déposer toutes signalétiques laissant apparaître l'élément figuratif représentant une sirène dans les huit jours de la signification de la décision, a ordonné le retrait des panneaux de signalisation routière indiquant la direction du « Camping [Établissement 2] » et a condamné les époux [N] à entreprendre toute démarche en ce sens dans les huit jours de la signification du jugement et à en justifier à la société [Établissement 1] , a ordonné aux époux [N] de cesser de pénétrer au sein des locaux loués sans l'autorisation écrite et préalable du gérant de la société [Établissement 1], a assorti ces condamnations d'une astreinte de 1000 euros par jour de retard et par infraction constatée.
Sur la demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi
La locataire demande réparation de son trouble commercial du 1er janvier 2011, date d'effet du bail au 15 décembre 2015, date d'exécution du jugement, en raison des agissements déloyaux du preneur qu'elle chiffre sur la base des 19 emplacements loués par les époux [N] pendant cinq ans au prix de location de ses parcelles au motif que ces clients auraient selon toute vraisemblance loué un empalement contigu chez elle, soit 136 230 euros, outre 50 000 euros au titre des prestations de services annexes ( vente de repas, jetons de machine à laver, épicerie,...).
Il n'est nullement établi que toute la clientèle des époux [N] dont les 19 parcelles ont obtenu le classement en catégorie 3 étoiles, se serait reportée sur les emplacements classés 2 étoiles du camping [Établissement 1]. En outre, le préjudice subi ne peut correspondre au montant brut des recettes et il doit être tenu compte de l'attitude passive de la société pendant plus de quatre ans à l'égard de cette exploitation.
La cour dispose d'éléments suffisants au vu des pièces produites pour évaluer à 25 000 euros le montant du préjudice subi.
Il convient, infirmant le jugement de ce chef, de condamner in solidum les époux [N] à payer cette somme à la société [Établissement 1] ;
Sur les autres demandes
Compte tenu du sens de l'arrêt, les époux [N] sont déboutés de leur demande
en réparation de leur préjudice pour perte d'exploitation ainsi qu'au titre du remboursement des travaux effectués pour obtenir la troisième étoile loisir, ainsi qu'au titre de l'article 700 du code de procédure civile .
En revanche, les époux [N] sont condamnés in solidum à verser la somme de 3 000 euros à la société [Établissement 1] sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté la société [Établissement 1] de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi ;
Statuant à nouveau de ce chef,
Condamne in solidum les époux [N] à payer à la société [Établissement 1] la somme de 25 000 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi,
Rejette les demandes plus amples ou contraires,
Condamne in solidum les époux [N] aux dépens avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Chatelain, avocat dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile et à payer à la société [Établissement 1] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le GreffierLe Président
M.M. HainautM.A. Prigent