République Française Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
TROISIEME CHAMBRE
ARRÊT DU 12/ 05/ 2016
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No MINUTE : 16/ 438 No RG : 14/ 04189
Jugement (No 09/ 01960) rendu le 07 Février 2011 par le Tribunal de Grande Instance de BEAUVAIS Arrêt (No160) rendu le 13 mars 2012 par la Cour d'Appel d'AMIENS
REF : BM/ CL
DEMANDEURS A LA DECLARATION DE SAISINE
Madame Dominique X...née le 01 Mai 1956 à PARIS 15ème demeurant ...85530 LA BRUFFIERE
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 591780022014007064 du 15/ 07/ 2014 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de DOUAI)
Monsieur Philippe Y...es qualité de liquidateur judiciaire de Madame Dominique X... demeurant ...60600 CLERMONT
Représentés par Me Roger CONGOS, avocat au barreau de DOUAI Assistés de Me Dominique CHAMBON, avocat au barreau de l'ARDÈCHE
DÉFENDEUR A LA DECLARATION DE SAISINE
Monsieur Jean-Jacques Z...né le 11 Octobre 1951 à ALGER (Algérie) demeurant ...75008 PARIS 8o
Représenté par Me Marie Hélène LAURENT, avocat au barreau de DOUAI Assisté de Me LEMIERE, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ Benoît MORNET, Président de chambre Cécile ANDRE, Conseiller Sara LAMOTTE, Conseiller--------------------- GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne DUFOSSE
DÉBATS à l'audience publique du 24 Mars 2016 Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 12 Mai 2016 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Benoît MORNET, Président, et Fabienne DUFOSSE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 9 février 2016
Exposé du litige
I-Le contexte
M. A..., huissier de justice à Liancourt (60), a cédé son étude à Mme X..., qui lui a succédé le 13 janvier 1993, moyennant un droit de présentation de 2. 500. 000 F et l'achat des murs de l'étude pour un prix de 1. 700. 000 F.
Par jugement rendu le 29 avril 1999 par le tribunal correctionnel de Beauvais, M. A... a notamment été déclaré coupable d'avoir à Liancourt, en 1990, 1991, 1992 et jusqu'au 11 janvier 1993, par l'emploi de manoeuvres frauduleuses, à savoir la présentation d'une prospérité de l'étude résultant partiellement d'actes frustratoires au nombre minimum de 300 à 400 par an, la présentation erronée d'états des produits et de déclarations fiscales reprenant des produits illégaux, la présentation fausse d'une trésorerie positive alors qu'elle était en réalité négative du fait de la sous-évaluation des fonds clients et plus généralement la tenue d'une comptabilité erronée, trompé Mme Dominique X... et l'avoir ainsi déterminée, à son préjudice, à remettre des fonds, valeurs ou bien quelconque et consentir un acte opérant obligation ou décharge.
Sur l'action civile, le tribunal correctionnel a reçu Mme X... en sa constitution de partie civile, a ordonné avant dire droit une expertise comptable et commis pour y procéder M. Z..., avec notamment pour mission d'examiner chaque poste du préjudice matériel allégué par Mme X..., d'en vérifier l'exactitude tant dans son principe que dans son montant, d'y apporter le cas échéant les redressements nécessaires, d'en déterminer très précisément les causes et de fournir à ce sujet tous les éléments permettant au Tribunal de déterminer s'il est la conséquence des infractions commises par M. A....
Le tribunal correctionnel a également condamné M. A... à payer à Mme X... une provision de 1. 050. 000 F à valoir sur la réparation de son préjudice matériel et une somme de 300. 000 F en réparation de son préjudice moral, et a fixé la consignation initiale à 50. 000 F.
Ce jugement a été confirmé par arrêt de la cour d'appel d'Amiens du 30 octobre 2000.
Entre 2001 et 2005, M. Z... a sollicité et obtenu plusieurs ordonnances de prorogation de délai et de consignation complémentaires :- le 1er août 2001 : consignation complémentaire de 100. 000 F ;- le 22 juillet 2002 : prolongation du délai d'un an et consignation complémentaire de 30. 000 euros ;- le 3 décembre 2003 : prolongation de délai jusqu'au 31 mars 2004 ;-19 avril 2004 : prolongation de délai jusqu'au 30 septembre 2004 ;-11 janvier 2005 : prolongation jusqu'au 25 avril 2005 et consignation complémentaire de 17. 600 euros.
Par requête du 21 avril 2005, M. A... déposait une requête en récusation de M. Z....
A l'audience de récusation, M. Z... intervenait par l'intermédiaire de son conseil pour solliciter la condamnation de M. A... à lui payer 1 euros à titre de dommages et intérêts et 1. 794 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
Dans le jugement rendu le 20 juillet 2006, le tribunal correctionnel note : " Dans ses conclusions, M. Z... porte des appréciations sur le comportement du prévenu, Antoine A... comme " Monsieur A..., conscient du risque qu'il encourt au regard du pré-rapport déposé, n'a trouvé que cet argument dilatoire pour retarder l'échéance et l'évolution de ce dossier et vraisemblablement en accroître le coût " ;
Alors qu'une analyse sommaire des arguments avancés initialement par Antoine A... semblait démontrer l'inanité des reproches adressés à Jean-Jacques Z... et paraissait traduire une volonté dilatoire, le comportement très surprenant de l'expert dans la procédure judiciaire, conduit à renverser totalement les conclusions que le tribunal doit tirer de cette demande.
En effet, la juridiction saisie d'un litige doit se montrer impartiale dans l'examen de celui-ci. L'expert n'agit que sur mandat judiciaire. En critiquant violemment l'une des parties, et surtout en lui demandant des dommages et intérêts (sic), l'expert a totalement manqué à son devoir d'impartialité.
Dès lors le tribunal doit faire droit à la demande de récusation et désigner un nouvel expert. "
Par jugement rendu le 11 mai 2010, le tribunal correctionnel de Beauvais a constaté la caducité de l'expertise ordonnée le 29 avril 1999, a donné acte à Mme X... de ce qu'elle ne sollicitait plus d'expertise, et a condamné M. A... à indemniser Mme X... de son préjudice matériel pour 502. 083, 72 euros et son préjudice moral pour 90. 000 euros.
Par arrêt rendu le 30 mars 2011, la cour d'appel d'Amiens a confirmé le jugement sauf à fixer le montant des dommages et intérêts à la somme total de 1. 764. 672, 60 euros se décomposant comme suit :-132. 569, 63 euros, au titre des fonds manquants (compte 47-10),-156. 260, 00 euros au titre de la surévaluation du prix de cession,-20. 001, 28 euros, au titre du droit d'enregistrement excédentaire,-120. 897, 47 euros, au titre des charges financières générées par la surévaluation du prix de cession, (intérêts et assurances),
-121. 178, 00 euros au titre du prêt de comblement de passif,-9. 855, 87 euros, au titre des frais financiers afférents à la mise en place de la caution fiscale, consécutive au redressement fiscal,-36. 435, 32 euros, au titre des frais de recherche et d'analyse des dossiers et comptes clients,-17. 475, 03 euros, au titre des frais de l'audit Mazars et Guérard,-700. 000, 00 euros, au titre de la perte de chance concernant les revenus espérés de l'office,-200. 000, 00 euros, au titre de la perte de chance quant à la perception de retraite,-250. 000, 00 euros, au titre de la perte de l'office proprement dit.
La cour d'Amiens confirme également le jugement en ce qu'il a condamné M. A... à payer à Mme X... des dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral sauf à en fixer le montant à 300. 000 euros.
La cour condamne en conséquence M. A... à payer à Mme X... la somme de 1. 848. 154, 53 euros (déduction faite des provision versées pour un total de 196. 506, 79 euros).
Cet arrêt est définitif sous réserve de la rectification d'erreur matérielle du 8 juin 2011.
Par jugement rendu le 6 février 2007, le tribunal de grande instance de Beauvais a prononcé la liquidation judiciaire de Maître X..., huissier de justice, et désigné Maître Y... en qualité de liquidateur judiciaire.
Ce jugement a été infirmé par la cour d'appel d'Amiens (21 janvier 2010) mais l'arrêt a été cassé par la Cour de cassation (3 mai 2011) ; la cour d'appel de Reims a confirmé la liquidation judiciaire par arrêt du 3 décembre 2013.
Par ordonnance du 11 mai 2007, M. Z... obtenait la taxation de ses honoraires à la somme de 52. 867, 35 euros. Mme X... contestait cette ordonnance de taxe et par ordonnance du 8 juillet 2009, la cour d'appel d'Amiens taxait les honoraires de M. Z... à la somme de 17. 940 euros.
Après cassation, la cour d'appel de Douai a taxé les honoraires de M. Z... à la somme de 17. 940 euros, et ordonné la restitution d'une somme de 34. 927, 35 euros à Maître Y....
II-La procédure
Par acte du 10 novembre 2009, Mme X... et Maître Y... es qualités ont fait assigner M. Z... devant le tribunal de grande instance de Beauvais afin de :- dire et juger M. Z... responsable du préjudice subi par Maître X...,- condamner M. Z... à une somme qui ne saurait être inférieure à 30. 000 euros concernant le préjudice moral de Maître X....- condamner M. Z... à une somme qui ne saurait être inférieure à 200. 000 euros concernant le préjudice économique directe de Maître X....
Par jugement rendu le 7 février 2011, le tribunal de grande instance de Beauvais a condamné M. Z... à payer à Mme X... la somme de 15. 000 euros en réparation de l'ensemble de ses préjudices résultant de l'allongement relatif de la procédure d'indemnisation, outre une indemnité de 1. 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par arrêt rendu le 13 mars 2012, la cour d'appel d'Amiens a notamment :- déclaré Mme X... irrecevable en sa demande de dommages et intérêts par application des dispositions de I'article L 641-9 du code de commerce ;- débouté Maître Y..., agissant en qualité de mandataire liquidateur de Mme X..., de l'ensemble de ses demandes ;
Par arrêt rendu le 4 juin 2014, la Cour de cassation a cassé l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Amiens et renvoyé les parties devant la cour de céans.
III-les prétentions et moyens
Dans leurs dernières conclusions notifiées le 20 juillet 2015, Mme X... et Maître Y... es qualités de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de Maître Dominique X..., demandent à la cour, au visa des articles 237, 239, 564, 565, 566 et suivants du code de procédure civile et des articles 1382 et 1383 du code civil, de :
- infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Beauvais en date du 7 février 2011 en ce qu'il a déclaré que Me X... aurait elle-même contribué à l'allongement de ses procédures d'indemnisation, et le réformer quant au quantum des indemnités allouées ;
- dire que les comportements fautifs de M. Z... sont en lien de causalité direct, certain et actuel avec la maladie, la mise en liquidation judiciaire, l'impossibilité de recouvrer contre M. A... et d'une manière générale avec les préjudices économiques et moraux de Mme X... et que M. Z... sera donc à ce titre condamné in solidum avec M. A... au paiement des causes de l'arrêt du 30 mars 2011 de la cour d'appel d'Amiens et rectifié par l'arrêt du 8 juin 2011 de la même cour ;
- condamner M. Z... in solidum avec M. A... aux causes fixées par la cour d'appel d'Amiens, en son arrêt du 30 mars 2011 rectifié par l'arrêt du 8 juin 2011 de la même cour, et notamment au paiement : de la somme de 700. 000 euros, au titre de la perte de chance sur les revenus de la somme de 200. 000 euros, au titre de la perte de chance sur les retraites de la somme de 250. 000 euros, au titre de la perte de l'Office ; de la somme de 709. 165, 81 euros, au titre des autres créances confondues
-condamner M. Z... au paiement de la réactualisation de la perte de chance sur les revenus de Mme X..., sur la base d'une somme mensuelle de 3196 €, depuis l'arrêt du 30 mars 2011 jusqu'à la date de l'arrêt à intervenir ;
- condamner M. Z... au paiement du passif réel et exigible de Mme X... dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à son encontre par jugement du 6 février 2007 du tribunal de grande instance de Beauvais et par arrêt de la cour d'appel de Reims en date du 3 décembre 2013 ;
- condamner M. Z... à payer à Mme X... une somme de 600. 000 euros au titre du préjudice moral ;
- Condamner M. Z... aux dépens et au paiement d'une somme de 60. 000 euros à Maître Chambon au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme X... et Maître Y... es qualités soutiennent que la faute de M. Z... est caractérisée par le retard dans l'accomplissement de sa mission d'expertise et par son comportement lors de la procédure de récusation, celui-ci ayant fait obstacle au dépôt du rapport. Ils soutiennent ensuite que ces fautes ont un lien de causalité direct et certain avec la totalité des préjudices dont Mme X... a demandé réparation à M. A....
Dans ses dernières conclusions notifiées le 14 octobre 2015, M. Z... demande à la cour, au visa des articles 1382 du code civil, 70, 347, 351 et 564 du code de procédure civile, 674-2 alinéa 2 du code de procédure pénale, et des articles 6 et 14 de la convention européenne des droits de l'homme, d'infirmer le jugement rendu le 7 février 2011 par le tribunal de grande instance de Beauvais et statuant à nouveau :
- déclarer irrecevable la demande de Maître Y... en cause d'appel tendant à voir déclarer M. Z... tenu de " combler l'entier passif de Mme X... dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à son encontre par jugement du 6 février 2007 du tribunal de grande instance de Beauvais et par arrêt de la cour d'appel de Reims en date du 3 décembre 2013 " ;
- débouter Mme X... et Maître Y... de toutes leurs demandes ;
- condamner in solidum Mme X... et Me Y... à lui payer la somme de 10. 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il soutient d'abord que la demande de Maître Y... tendant à voir déclarer M. Z... tenu de " combler l'entier passif de Mme X... dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à son encontre par jugement du 6 février 2007 du tribunal de grande instance de Beauvais et par arrêt de la cour d'appel de Reims en date du 3 décembre 2013 " est nouvelle pour être formulée pour la première fois en cause d'appel, de sorte qu'en application de l'article 564 du code de procédure civile, elle serait irrecevable.
Subsidiairement sur le fond, il soutient que la date de cessation des paiements a été fixée au 1er décembre 2005 et qu'à cette date, il n'avait pas été statué sur la requête en récusation de sorte qu'aucune faute ne pouvait encore lui être reprochée puisque le non dépôt du rapport n'était que la conséquence de cette requête.
Il conclut en conséquence au débouté de cette demande.
Il soutient ensuite que l'expertise était particulièrement complexe, que les parties ont produit de très nombreuses pièces, et que le magistrat chargé du contrôle des expertises n'a jamais estimé que les demandes de prolongations de délai ou les demandes de consignations complémentaires n'étaient pas justifiées ; il soutient en conséquence qu'aucune faute ne peut résulter des délais et des provisions sollicitées.
S'agissant de son intervention dans le cadre de la requête en récusation, il soutient que le procureur lui ayant demandé ses observations, et que compte tenu de caractère outrancier des termes de la requête, il était justifiée d'intervenir et de faire connaître son avis sur la récusation sollicitée.
Il conteste ensuite le lien de causalité entre la prétendue faute et le préjudice allégué au motif notamment qu'il ne peut être responsable de l'intégralité du préjudice subi par Mme X... alors que l'origine de ce préjudice consiste dans l'escroquerie dont elle a été victime, de l'attitude fautive des deux huissiers successivement désignés pour assurer la suppléance entre 2005 et 2007 et du placement en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I-Sur la responsabilité de M. Z... en sa qualité d'expert judiciaire
Aux termes de l'article 1382 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
1- sur la faute de M. Z...
- sur le moyen tiré des délais impartis
Il résulte de l'article 239 du code de procédure civile que l'expert doit respecter les délais qui lui sont impartis.
En l'espèce, il résulte des pièces produites aux débats que :- le tribunal correctionnel a ordonné l'expertise par jugement du 29 avril 1999, mais compte tenu de l'appel, l'expert a été informé par le greffe du versement de la consignation le 26 mars 2001 et n'a donc commencé ses opérations qu'après cette première consignation ; force est de constater que ce retard de deux années ne lui est aucunement imputable, le délai de 6 mois initialement accordé par le tribunal correctionnel n'a pu courir qu'à compter de la consignation et de la confirmation de la saisine à l'expert.- par courrier du 21 juin 2001, M. Z... informait le magistrat chargé du contrôle des expertises du coût prévisionnel et du délai prévisible pour l'accomplir, à savoir 10 mois à compter de la consignation complémentaire ;- par courrier du 25 septembre 2001, l'expert informait les parties que son intervention serait d'abord centrée sur le préjudice de base et qu'il n'aborderait qu'ensuite les préjudices complémentaires, conséquences du préjudice initial.- le complément de provision n'a été que versé le 16 janvier 2002 et M. Z... a déposé son premier pré-rapport le 9 avril 2002 ;- par courrier du 23 mai 2002, il a sollicité un nouveau délai pour mener à bien ses opérations ;- par ordonnance du 22 juillet 2002, le délai du dépôt du rapport a été prorogé d'un an ;- l'expert a écrit en juin 2003 qu'il ne pourrait pas déposer son rapport avant novembre 2003, ce qui n'était pas un engagement de déposer le rapport à cette date, et par ordonnance du 3 décembre 2003, le délai de dépôt du rapport a été prorogé au 31 mars 2004 ;- par ordonnance du 19 avril 2004, le délai à été prorogé au 30 septembre 2004 ;- en juillet 2004, M. Z... a déposé son deuxième pré-rapport relatif aux préjudices complémentaires, document de 352 pages ; comme le note la cour dans son arrêt du 30 mars 2011, les errements de M. A... à la fois dans la tenue de sa comptabilité professionnelle et dans la disparition de la plupart des documents comptables alors qu'il s'était engagé à les remettre à son successeur, les manipulations informatiques auxquelles il s'est livré à l'insu de Maître X..., étant souligné qu'il avait été l'un des membres fondateurs du groupement ayant diffusé le logiciel INFORMAI, les explications réticentes dépourvues de rigueur et de cohérence qu'il a apportées tout au long de l'information pour expliquer les anomalies comptables, constituaient autant de circonstances objectives qui ont empêché l'organisation utile d'une mesure d'expertise ainsi que l'avait déjà constaté le magistrat instructeur.- par ordonnance du 11 janvier 2005, le magistrat chargé du contrôle des expertises a repoussé le dépôt du rapport définitif au 25 avril 2005 ;- le 21 avril 2005, M. A... a déposé sa requête en récusation, faisant ainsi obstacle au dépôt du rapport prévu quelques jours plus tard.
Ces éléments démontrent que les retards ayant pu exister dans le déroulement des opérations d'expertise ne sont pas imputables à M. Z..., lequel a exécuté sa mission d'expertise dans le respect des délais octroyés par le magistrat chargé du contrôle des expertises, les délais successifs étant aussi justifiés par la complexité des opérations d'expertise et par la difficulté à rassembler les pièces nécessaires pour évaluer les préjudices.
Comme le note M. Z... dans ses conclusions, les ordonnances octroyant les délais complémentaires n'ont d'ailleurs jamais fait l'objet d'observation de la part de Mme X....
Il résulte de ces éléments que contrairement à ce que retient la cour dans son ordonnance de taxe qui n'a pas autorité de chose jugée sur le présent litige, aucune faute ne peut être imputée à M. Z... quant aux délais d'exécution de sa mission d'expertise.
- sur le moyen tiré du coût de l'expertise
Il résulte des articles 269 et 270 du code de procédure civile que c'est la juridiction qui ordonne l'expertise, puis ensuite le juge chargé du contrôle des expertises, qui fixent les consignations.
Il convient en outre de rappeler que la provision à valoir sur la rémunération de l'expert doit toujours être aussi proche de sa rémunération définitive prévisible.
En l'espèce, le magistrat chargé du contrôle des expertises a ordonné plusieurs consignations successives qui n'ont jamais fait l'objet d'observation de la part de Mme X... quant au montant prévisible de la rémunération de l'expert.
La cour retient également que comme le note M. Z... dans ses conclusions, les honoraires de l'expert ne dépendent pas de l'état de fortune du demandeur à l'expertise, mais de la nature et de la complexité des travaux à réaliser par l'expert ; l'existence de difficultés financières de Mme X..., même si M. Z... en avait connaissance, ce qu'il conteste, ne pouvait donc faire obstacle aux demandes de consignation complémentaires.
Mme X... omet d'ailleurs de prendre en compte la provision allouée par le tribunal correctionnel dans son jugement de 1999, à savoir 1. 050. 000 F (160. 071, 47 euros) à valoir sur la réparation du préjudice matériel ; cette somme provisionnelle lui permettait de financer l'expertise ; elle ne peut donc sérieusement prétendre que son surendettement est la conséquence des provisions sollicitées par l'expert et ordonnées par le juge chargé du contrôle des expertises.
Le caractère disproportionné des honoraires sollicités par l'expert n'est d'ailleurs apparu qu'après la requête et la procédure de récusation ; en effet, cette procédure de récusation initiée par M. A... a fait obstacle au dépôt du rapport et le juge taxateur a bien entendu retenu l'absence de dépôt du rapport définitif pour réduire les honoraires de l'expert à la somme de 17. 940 euros.
Il résulte de ces éléments qu'aucune faute ne peut être imputée à M. Z... quant au coût de l'expertise pendant l'exécution de sa mission jusqu'à la requête en récusation déposée en avril 2005.
- sur le moyen tiré de la procédure de récusation
Aux termes de l'article 237 du code de procédure civile, l'expert doit accomplir sa mission avec objectivité et impartialité.
En l'espèce, il résulte du jugement rendu le 20 juillet 2006 par le tribunal correctionnel de Beauvais qu'à l'occasion de la procédure de récusation initiée par M. A... dans sa requête du 21 avril 2005, M. Z... est intervenu à l'audience et a demandé le paiement de dommages et intérêts à l'encontre de M. A....
Le tribunal note encore dans son jugement que : " Dans ses conclusions, M. Z... porte des appréciations sur le comportement du prévenu, Antoine A... comme " Monsieur A..., conscient du risque qu'il encourt au regard du pré-rapport déposé, n'a trouvé que cet argument dilatoire pour retarder l'échéance et l'évolution de ce dossier et vraisemblablement en accroître le coût " ; Alors qu'une analyse sommaire des arguments avancés initialement par Antoine A... semblait démontrer l'inanité des reproches adressés à Jean-Jacques Z... et paraissait traduire une volonté dilatoire, le comportement très surprenant de l'expert dans la procédure judiciaire, conduit à renverser totalement les conclusions que le tribunal doit tirer de cette demande. En effet, la juridiction saisie d'un litige doit se montrer impartiale dans l'examen de celui-ci. L'expert n'agit que sur mandat judiciaire. En critiquant violemment l'une des parties, et surtout en lui demandant des dommages et intérêts (sic), l'expert a totalement manqué à son devoir d'impartialité. Dès lors le tribunal doit faire droit à la demande de récusation et désigner un nouvel expert. "
Même si M. Z... a été désigné à tort comme défendeur par M. A..., et a été invité à formuler des observations par le procureur de la République, l'expert judiciaire n'est pas partie à la procédure de récusation formée à son encontre ; en déposant des conclusions portant une appréciation partisane sur le comportement procédural de M. A..., il a porté atteinte à son devoir d'impartialité, et a ainsi commis une faute professionnelle susceptible d'engager sa responsabilité à l'égard de Mme X....
2- Sur les préjudices subis par Mme X...
a-sur la recevabilité de la demande en paiement du passif réel et exigible de Mme X... dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire
Il résulte de l'article 564 du code de procédure civile que les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions à peine d'irrecevabilité.
En l'espèce, il résulte du jugement rendu le 7 février 2011 par le tribunal de grande instance de Beauvais que Mme X... et M. Y... es qualités demandaient au tribunal de : · dire et juger M. Z... responsable du préjudice subi par Maître X..., · condamner M. Z... à une somme qui ne saurait être inférieure à 30. 000 euros concernant le préjudice moral de Maître X... ; · condamner M. Z... à une somme qui ne saurait être inférieure à 200. 000 euros concernant le préjudice économique directe de Maître X.... · le condamner à une somme de 3. 000 euros en vertu de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Les premiers juges notent dans leur jugement que Mme X... et Maître Y... es qualités indiquent dans leurs conclusions que si l'indemnisation était intervenue plus tôt, l'étude ne se serait pas retrouvée en liquidation judiciaire.
Les termes des conclusions repris dans le jugement démontrent que l'indemnisation des préjudices liés à la liquidation judiciaire apparaît dans les écritures de première instance, de sorte que la demande en paiement du passif réel et exigible de Mme X... apparaît comme une demande d'indemnisation complémentaire et non comme une demande nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile.
Cette demande est en conséquence recevable.
b-sur le lien de causalité entre la faute et les préjudices subis
Il résulte de l'article 1382 du code civil l'indemnisation d'un préjudice nécessite de rapporter la preuve du lien de causalité entre la faute et le dommage.
Mme X... et Maître Y... soutiennent que la faute de M. Z... a un lien de causalité direct et certain avec la maladie, la mise en liquidation judiciaire, l'impossibilité de recouvrer contre M. A... et d'une manière générale avec ses préjudices économiques et moraux.
Il convient de rappeler que pour apprécier le préjudice consécutif à la faute, il faut se placer à la date du fait générateur, constitué en l'espèce par la décision définitive de récusation, à savoir l'arrêt rendu en juin 2007 confirmant le jugement du tribunal correctionnel de Beauvais du 20 juillet 2006 prononçant la récusation de M. Z....
- sur le préjudice moral de Mme X...
Le dommage causé par la faute de M. Z... est d'abord moral en ce que sa récusation a été un obstacle supplémentaire dans les difficultés procédurales dans lesquelles Mme X... était engagée. Pour autant, cette faute ne saurait être à l'origine des difficultés de santé et de la dépression de Mme X..., laquelle s'est manifestée bien avant puisque, selon le certificat médical produit aux débats, elle a été hospitalisée le 2 février 2005, soit 18 mois avant la récusation de M. Z....
De même, Mme X... évoque dans ses conclusions un préjudice moral en rappelant que depuis fin 2003, elle subit une atteinte à sa dignité, à son nom et à son honneur en raison des procédures collectives et disciplinaires et des actions en recouvrement, mais force est de constater que ces procédures sont antérieures au fait dommageable que constitue la faute reprochée à M. Z... et donc sans lien avec elle.
M. Z... rappelle d'ailleurs dans ses conclusions que l'état de cessation des paiements de Mme X... a été fixé au 1er décembre 2005, soit antérieurement au fait dommageable.
Compte tenu de ces éléments, il convient d'indemniser le préjudice moral de Mme X... causé par la faute de M. Z... en lui allouant une somme de 5. 000 euros.
- sur le préjudice patrimonial subi par Mme X...
Le dommage causé par la faute de M. Z... n'a rien de comparable avec le dommage résultant de l'escroquerie commise par M. A... au préjudice de Mme X....
Comme le notent les premiers juges, le lien de causalité entre la faute professionnelle reprochée à M. Z... et la liquidation judiciaire de Mme X... n'est pas démontré puisque la date de cessation des paiements a été fixée au 1er décembre 2005, soit plus de dix-huit mois avant l'arrêt prononçant la récusation.
La liquidation judiciaire ayant été prononcée avant le fait générateur du dommage, Mme X... et Maître Y... ne peuvent donc qu'être déboutés de leurs demandes en paiement du passif de la liquidation judiciaire
La circonstance que M. A... ait pu organiser son insolvabilité, à la supposée établie, ne présente aucun lien de causalité avec la faute commise par M. Z..., cette circonstance relevant de la seule stratégie mise en oeuvre par M. A... pour retarder l'issue de l'indemnisation, stratégie qu'il pouvait mettre en oeuvre à tout moment.
Dès lors, Mme X... et Maître Y... ne peuvent qu'être déboutés de leur demande tendant à ce que M. Z... soit tenu in solidum avec M. A... des condamnations prononcées par l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens du 30 mars 2011, et de leurs demandes de réactualisation de la perte de chance sur les revenus de Mme X....
Le dommage causé par la faute de M. Z... ne consiste donc que dans l'allongement de la procédure d'indemnisation et le préjudice consiste dans la perte de chance d'être indemnisée plus tôt.
Il est incontestable que la récusation de M. Z... a fait obstacle au dépôt du rapport d'expertise et a en conséquence nécessairement fait perdre à Mme X... une chance d'être indemnisée plus tôt.
En l'espèce, il convient de rappeler que la faute de M. Z... a été commise pendant la procédure de récusation à l'occasion de laquelle il a pris parti ; mais la requête en récusation est antérieure à cette faute de sorte que la procédure de récusation, jusqu'à son issue en appel en juin 2007, est indépendante de la faute commise.
La procédure de récusation ne trouvant son issue qu'à cette date, M. Z... ne pouvait, indépendamment de sa faute, commise à l'occasion de la procédure de récusation et non avant, déposer son rapport avant l'été 2007.
Ce n'est donc qu'en juin 2007, lorsque la récusation est définitive, que la faute de M. Z... fait perdre une chance à Mme X... d'être indemnisée plus tôt.
Mme X... a engagé la procédure de liquidation de son préjudice sans nouvelle expertise en octobre 2008 ; elle a donc initié cette procédure sur la base de pièces dont elle disposait déjà à l'été 2007, date à laquelle M. Z... aurait pu déposer son rapport si la procédure de récusation avait échoué.
Il résulte de ces éléments que si la faute de M. Z... a fait perdre à Mme X... une chance d'être indemnisée plus rapidement, cette perte de chance est très faible et sera justement indemnisée à hauteur de 10. 000 euros.
Il convient en conséquence de condamner M. Z... à payer à Mme X... la somme de 5. 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et à Maître Y... es qualités la somme de 10. 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice patrimonial.
II-Sur les dépens et les demandes d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile
M. Z... succombant à l'instance, il en supportera les dépens et sera condamné à payer Maître Y... es qualités de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de Mme X... une indemnité de 1. 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs,
La cour,
Infirme le jugement rendu le 7 février 2011 par le tribunal de grande instance de Beauvais,
Et statuant à nouveau :
Dit que M. Z... a commis une faute engageant sa responsabilité à l'égard de Mme X... ;
Déclare recevable la demande tendant à ce que M. Z... soit condamné au paiement du passif réel et exigible de Mme X... dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à son encontre ;
Condamne M. Z... à payer Mme X... la somme de 5. 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;
Condamne M. Z... à payer à Maître Y... es qualités de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de Mme X... la somme de 10. 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice patrimonial ;
Déboute Mme X... et Maître Y... du surplus de leurs demandes ;
Condamne M. Z... aux dépens de l'instance et à payer à Maître Y... es qualités de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de Mme X... une indemnité de 1. 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le GreffierLe Président
F. DUFOSSEB. MORNET