La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/03/2016 | FRANCE | N°15/01611

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 1, 10 mars 2016, 15/01611


République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 2 SECTION 1



ARRÊT DU 10/03/2016



***



N° de MINUTE :16/

N° RG : 15/01611



Jugement (N° 12/03129)

rendu le 30 Janvier 2015

par le Tribunal de Grande Instance de LILLE



REF : SD/KH





APPELANTE



SA CBC BANQUE SA de droit Belge, anciennement dénommé CREDIT GENERAL SA DE BANQUE, agissant poursuite et diligence de son représentant légal domicilié en

cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]S - BELGIQUE



Représentée par Me François DELEFORGE, avocat au barreau de DOUAI

Assistée de Me Gilles GRARDEL, avocat au...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 1

ARRÊT DU 10/03/2016

***

N° de MINUTE :16/

N° RG : 15/01611

Jugement (N° 12/03129)

rendu le 30 Janvier 2015

par le Tribunal de Grande Instance de LILLE

REF : SD/KH

APPELANTE

SA CBC BANQUE SA de droit Belge, anciennement dénommé CREDIT GENERAL SA DE BANQUE, agissant poursuite et diligence de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]S - BELGIQUE

Représentée par Me François DELEFORGE, avocat au barreau de DOUAI

Assistée de Me Gilles GRARDEL, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE

SCP FONTEYNE BOSQUILLON DE JENLIS BOUDRY LESSELIN venant aux droits de la SCP [E], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Véronique VITSE-BOEUF, constitué aux lieu et place de Me Marie-Hélène LAURENT, avocat au barreau de LILLE

Assistée de Me Yves LETARTRE, avocat au barreau de LILLE, substitué par Me Olivier PLAYOUST du cabinet ADEKWA

DÉBATS à l'audience publique du 13 Janvier 2016 tenue par Sandrine DELATTRE magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marguerite-Marie HAINAUT

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Marie-Annick PRIGENT, Président de chambre

Philippe BRUNEL, Conseiller

Sandrine DELATTRE, Conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 10 Mars 2016 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Marie-Annick PRIGENT, Président et Clara DUTILLIEUX, greffier en chef, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 13 janvier 2016

***

Vu le jugement contradictoire du 30 janvier 2015 du tribunal de grande instance de Lille, qui a dit que la SCP [E] a commis un manquement à son obligation de conseil et d'information de nature à engager sa responsabilité, dit que cette faute a causé au CREDIT GENERAL, établissement aux droits duquel vient la CBC BANQUE, une perte de chance de ne pas conclure l'acte authentique en date du 17 octobre 1997, en conséquence, a débouté la CBC BANQUE de sa demande de réparation intégrale du préjudice financier subi, déclaré recevable l'intervention forcée de la société FLANDRES CONTENTIEUX par la SCP [E], déclaré irrecevable pour défaut de qualité à agir la demande en répétition de l'indu de la SCP [E] dirigée contre la société FLANDRES CONTENTIEUX, déclaré irrecevable l'intervention forcée par la SCP [E] de Maître [S], ès qualités, et de la SELARL [S], condamné la SCP [E] à payer au titre de l'article 700 du Code de procédure civile la somme de 1500 euros à la CBC BANQUE, 3000 euros à la société FLANDRES CONTENTIEUX, 3000 euros à Maître [S] ès qualités et à la SELARL [S], débouté Maître [S], ès qualités et la SELARL [S] de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, et condamné la SCP [E] aux dépens;

Vu l'appel interjeté le 16 mars 2015 par la CBC BANQUE anciennement dénommée CREDIT GENERAL SA DE BANQUE, société anonyme de droit belge;

Vu les conclusions déposées le 13 octobre 2015 pour cette dernière, aux termes desquelles elle demande à la cour au visa des article 1147 et subsidiairement 1382 du Code civil, de dire que la SCP FONTEYNE BOSQUILLON DE JENLIS BOURY LESSELIN a commis une faute à son égard en sa qualité de mandant,de nature à engager sa responsabilité contractuelle à l'occasion de la réalisation des différents actes de prêt et prise d'hypothèque résultant de l'acte notarié du 17 Octobre 1997, en conséquence, condamner la SCP FONTEYNE BOSQUILLON DE JENLIS BOURY LESSELIN à lui payer les sommes de 435.487,99 euros au titre du principal, et 62.455,56 euros au titre des intérêts de retard, outre les intérêts au taux contractuel de 4,67 % dus à compter de la signification de l'exploit introductif d'instance à l'initiative du 21 Janvier 2010, de condamner la SCP FONTEYNE BOSQUILLON DE JENLIS BOURY LESSELIN à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de débouter la SCP FONTEYNE BOSQUILLON DE JENLIS BOURY LESSELIN de toutes ses demandes et de la condamner aux entiers frais et dépens de la cause;

Vu les conclusions déposées le 10 décembre 2015 pour la SCP FONTEYNE BOSQUILLON DE JENLIS BOUDRY LESSELIN, venant aux droits de la SCP [E], notaires, aux termes desquelles elle sollicite le rejet des demandes de la CBC BANQUE et sa condamnation aux dépens et à payer une somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;

Vu l'ordonnance de clôture du 13 janvier 2016 ;

Référence étant faite au jugement entrepris pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, il suffit de rappeler que la banque CREDIT GENERAL, société de droit belge maintenant dénommée CBC BANQUE, consentait, par acte authentique du 17 octobre 1997 à la SCI JCLC un prêt d'un montant de 6 991 869 francs afin de financer le rachat, par les associés de cette SCI, les époux [T], de différents immeubles dont ces derniers étaient propriétaires, l'acte de prêt étant dressé par l'intermédiaire de Maître [E], notaire.

Reprochant à Maître [E] d'avoir manqué à ses obligations en qualité de notaire dans le cadre de cette opération notamment s'agissant des actes de prêt et prises d'hypothèques, la société CBC BANQUE faisait assigner la SCP [E] devant le tribunal de grande instance de Lille afin d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 435 487, 99 euros en principal avec intérêts au taux contractuel, procédure lors de laquelle la SCP [E] faisait assigner en garantie la SA FLANDRES CONTENTIEUX venant aux droits de la BANQUE JOIRE PAJOT ET MARTIN, la SELARL [S] et Maître [G] [S] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SNC [T], et de la SCI JCLC, procédure qui donnait lieu au jugement déféré.

Au soutien de son appel, la société CBC BANQUE expose que le notaire est garant de la validité et de l'efficacité de ses actes, qu'elle avait manifesté expressément sa volonté impérative et substantielle de voir intégrer à l'acte de prêt le bénéfice d'une inscription hypothécaire de premier rang pour la totalité du prêt consenti, soit 1 065 903 euros, que le notaire a intégré cette hypothèque dans l'ensemble de ses actes, sans réserve, s'engageant à mettre en oeuvre la publication, dans les meilleurs délais, que cette hypothèque n'ayant pu être inscrite dès lors que la banque JOIRE PAJOT MARTIN avait conditionné la mainlevée des inscriptions grevant les immeubles à des conditions particulières dont des substitutions de garantie, le notaire, qui avait apporté tout apaisement s'agissant de l'obtention in fine de cette hypothèque, a engagé sa responsabilité pour faute à son égard.

Elle ajoute qu'elle a été tenue dans l'ignorance des démarches du notaire postérieures à l'acte de prêt et de ses difficultés pour obtenir les mainlevées requises, que le notaire a tardé à effectuer les démarches, n'étant intervenu auprès de l'administrateur judiciaire Maître [X] que le 11 décembre 1998, que pourtant la situation de la SCI JCLC était connue de tous y compris du notaire, que c'est pour cette raison qu'elle avait demandé une hypothèque de premier rang, que dans ces conditions le notaire se devait d'être particulièrement vigilant et diligent, que pour sa part elle a toujours été persuadée qu'elle bénéficiait d'une hypothèque de premier rang y compris lorsqu'elle a appris la liquidation judiciaire de la SCI JCLC le 20 octobre 2003.

Elle précise que le notaire est tenu à un devoir de conseil et d'information quelles que soient les compétences de son client, que le notaire ne l'a pas respecté en l'espèce ne l'ayant pas informée sur les risques de ne pas obtenir la levée de l'ensemble des hypothèques.

S'agissant du préjudice elle indique qu'elle a régularisé une déclaration de créance à hauteur de 1 900 349 euros au titre du crédit immobilier, qu'à la suite des sommes perçues il lui reste dû la somme de 497 943, 55 euros, que l'inscription d'une hypothèque de premier rang était essentiel et déterminant pour elle, de sorte que la perte de chance de ne pas contracter correspond à l'intégralité du préjudice qu'elle a subi.

En réponse, la SCP FONTEYNE BOSQUILLON DE JENLIS BOUDRY LESSELIN, venant aux droits de la SCP [E], expose que la SCI JCLC, dont il a été reconnu qu'elle avait été constituée pendant la période suspecte de la SNC [T] afin de libérer les époux [T] des dettes professionnelles qui grevaient leur activité de lotisseur, a contracté le prêt dont s'agit dans un contexte très obéré, que ce montage a été mis en place avec le concours de Maître [X], administrateur ad hoc, que dans ces conditions la banque n'ignorait pas qu'il subsistait des inscriptions sur les immeubles de la SCI JCL, et que les accords des créanciers précédemment inscrits ont d'ailleurs été indiqués dans le projet adressé le 6 octobre 1997.

Elle explique que le notaire a fait de multiples démarches auprès de la banque JOIRE PAJOT MARTIN qui n'a pas respecté son accord visant à la mainlevée de ses hypothèques, alors qu'elle a été désintéressée dès le 27 octobre 1997 à hauteur de 1 300 000 francs, que cette banque a refusé de céder son rang et de restituer les fonds remis dans le cadre de la liquidation judiciaire, que dans ces condition et au vu de ses obligations et de la situation factuelle et juridique, le notaire a assuré l'efficacité de l'acte de prêt du 17 octobre 1997.

Elle estime que le notaire a également respecté son obligation de conseil et d'information en vérifiant les titres antérieurs et la situation hypothécaire, que l'offre émise le 6 août 1997 par la banque a été acceptée dès le 20 août 1997 en dehors de son intervention, et que la CBC BANQUE connaissait la situation de sa cliente ainsi que les inscriptions d'hypothèque sur ses immeubles.

Elle affirme que dans ces conditions le notaire n'a pas manqué à ses obligations, que seule l'attitude fautive de la BANQUE JOIRE PAJOT MARTIN est à l'origine du préjudice de la société CBC BANQUE, que cette dernière doit assumer le risque qu'elle a pris, que ce prêt a été conclu pendant la période suspecte, qu'une hypothèque consentie dans un tel cadre est nulle, de sorte que l'hypothèque dont se prévaut la CBC BANQUE est inopposable.

Elle soutient que la perte de chance n'est pas démontrée, la société CBC BANQUE s'étant engagée avec légèreté avant même la régularisation de l'acte authentique, et alors qu'elle connaissait la situation obérée de sa cliente ainsi que les inscriptions d'hypothèque sur ses immeubles, et qu'en toute hypothèse le préjudice n'est pas établi.

SUR CE 

Le notaire est tenu de s'assurer de la validité, de l'efficacité de l'acte auquel il prête son concours en fonction du but poursuivi par les parties, et doit, sauf s'il en est dispensé expressément par ces dernières, veiller à l'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui en garantissent l'exécution, quelles que soient les compétences personnelles de son client ;

Il a également une obligation de conseil absolue, devant apporter tout conseil utile, même si l'acte est déjà parfait ;

Néanmoins, la responsabilité du notaire peut être réduite partiellement ou écartée s'il est démontré que son client a contribué à la réalisation du préjudice qu'il invoque ;

En l'espèce, il convient de rappeler que le groupe [T] a rencontré en 1997 d'importantes difficultés financières ayant amené à la désignation judiciaire de Maître [X] en qualité de mandataire ad hoc, avec pour objectif d'éviter une procédure collective, que dans ce cadre les biens immobiliers appartenant aux époux [T], évalués à 7 000 000 francs ont été apportés à une SCI JCLC constituée le 17 octobre 1997 ;

Pour ce faire et afin d'acquérir neuf immeubles, la banque CREDIT GENERAL, aujourd'hui CBC BANQUE a accordé à la SCI JCLC un crédit immobilier à remboursement unique du capital à échéance, d'un montant de 6 991 689 francs, aux termes d'une offre adressée le 6 août 1997 précisant que 'l'offre est acceptée sous la condition résolutoire de la non conclusion, dans un délai de quatre mois à compter de son acceptation, du contrat pour lequel le prêt est demandé, le crédit devant être prélevé et les garanties constituées dans le même délai' ;

A l'article 5 de cette offre il est stipulé que les fonds seront disponibles immédiatement sous réserve de la réalisation à cette date de trois conditions, dont la constitution de garanties comme indiqué au paragraphe 'garanties' ;

A l'article 12 intitulé 'garanti' il est stipulé : 'Vos engagement au titre du contrat de crédit que nous proposons seront garantis par :

- une inscription hypothécaire à concurrence de 43.000.000 Francs

Belges (6.991.869 Francs Français) à prendre par acte d'ouverture de

crédit en premier rang sur la pleine propriété de vos immeubles situés :

. [Adresse 3]

. [Adresse 4]

. [Adresse 5]

. [Adresse 6]

. [Adresse 7]

. [Adresse 8]

. [Adresse 9]

. [Adresse 10]

. [Adresse 11]

- la mise en gage à notre profit des droits découlant du contrat d'assurance sur la vie souscrit par Monsieur [U] [T] auprès de la compagnie OMNIVER sur sa tête et dont le capital assuré s'élèvera à l'échéance du contrat à 36.000.000 Francs Belges.

- la mise en gage à notre profit des droits découlant du contrat d'assurance sur la vie souscrit par Monsieur [U] [T] auprès de la compagnie OMNIVER sur sa tête et dont le capital assuré s'élèvera à l'échéance du contrat à BEF 7.000.000.»;

Cette offre, rédigée par la société CREDIT GENERAL, en dehors de toute présence du notaire, a été acceptée le 20 août 1997 par les époux [T], représentant la SCI JCLC, ces derniers accordant en outre leur caution solidaire et indivisible à concurrence du montant du prêt à savoir 6 991 869 francs, la mise en gage des droits découlant du contrat d'assurance -vie souscrite par [U] [T] auprès de la compagnie OMNIVER prévoyant un capital à échéance de 36 000 000 francs belges, ainsi que la mise en gage des droits découlant du contrat d'assurance vie souscrit par [U] [T] auprès de la compagnie OMNIVER prévoyant un capital échéance de 7 000 000 francs belges ;

Par courrier du 3 septembre 1997, la société CREDIT GENERAL a confié à Maîtres [E] et [E], notaires, la rédaction de l'acte de crédit immobilier en précisant ' une inscription hypothécaire de 6 991 869 francs en premier rangs devra être prise' sur les immeubles mentionnés dans l'offre, la banque en donnant une description exacte et ajoutant 'les clauses et conditions reprises à notre dit acte ne resteront d'application que pour autant que l'acte soit signé avant le 6 août 1997 et que vous puissiez vous conformer à toutes nos instructions ci annexées';

Par courrier du 15 octobre 1997 adressé à Maître [P] [E], la BANQUE JOIRE PAJOT MARTIN a accepté de donner mainlevée des inscriptions grevant à son profit les immeubles sis [Adresse 4], [Adresse 5], [Adresse 6], [Adresse 8]X , [Adresse 9], [Adresse 10], [Adresse 11], [Adresse 7], [Adresse 3], et [Adresse 12]', aux conditions suivantes ainsi mentionnées :

.« a- Contre versement en nos caisses de la somme de 1.300.000 Frs (198.183 €) correspondant au prix de vente de l'immeuble de la [Adresse 13], pourvu que celui-ci intervienne au plus tard le 31 Octobre 1997 (la date initiale comprise dans notre accord du 29 Septembre 1997 étant le 15 Octobre 1997).

b- Contre la prise d'une inscription hypothécaire conventionnelle sur des immeubles commerciaux situés à [Adresse 14] dans lequel est exploité un hôtel et contre le nantissement préalable en faveur de notre banque des parts que Monsieur [T] détient de la SNC HOTEL DES FLANDRES, outre l'ordre irrévocable donné à Maître [O] [W], Notaire, de nous verser 380.000 Frs (57.930 €) sur le prix de cession de celle-ci, ladite vente devant intervenir au plus tard le 31 Décembre 1997.

c- Contre l'inscription préalable d'une hypothèque conventionnelle en premier rang sur les lots 2, 38 et 39 du lotissement [Adresse 15] et l'ordre irrévocable donné à Maître [V], Notaire, de virer au profit de notre banque le produit de la vente à concurrence de 676.198 Frs TTC (103.085 €) ce règlement devant intervenir au plus tard le 31 Décembre 1997.

En outre, l'ensemble des conditions et modalités précitées devront préalablement, à leur mise en oeuvre, recueillir l'accord de Maître [M] [X] agissant en qualité de mandataire ad hoc de la SNC [T] et de Monsieur [U] [T] en vertu de l'ordonnance rendue par Monsieur le Président du Tribunal de Commerce de Lille en date du 13 Mai 1997.

A ce jour, nous demeurons dans l'attente de l'accord de Maître [X].

Concernant les autres conditions, elles devront être remplies préalablement à la mainlevée de nos inscriptions(')» ;

L'acte authentique de prêt a été conclu entre la société CREDIT GÉNÉRAL et la société JCLC le 17 octobre 1997, la première échéance étant fixée au 17 novembre 1997 ;

Aux termes de l'article 3 de cet acte authentique il est mentionné 'les crédités déclarent hypothéquer au profit de la banque (...)la pleine propriété des biens suivants (...)', la liste des biens visés dans l'offre de crédit étant reprise ;

Les pages 10 à 14 de l'acte authentique de prêt, d'une part, détaillent la situation hypothécaire des biens immobiliers et notamment l'existence sur les immeubles susvisés, d'une inscription de privilège de vendeur et d'une inscription d'hypothèque conventionnelle au profit de la BANQUE JOIRE PAJOT ET MARTIN, d'autre part, stipulent que 'les inscriptions susmentionnées seront radiées dans les meilleurs délais' et que 'le notaire s'engage par conséquent à délivrer au CREDIT GENERAL les certificats de radiation desdistes inscriptions dès que possible' ;

Il en résulte qu'aux termes de l'acte authentique, le notaire a bien attiré l'attention des parties et notamment de la société CREDIT GENERAL sur le fait qu'au jour de la signature de l'acte authentique les inscriptions hypothécaires, détenues par la BANQUE JOIRE PAJOT ET MARTIN n'étaient pas encore levées ;

Ainsi, c'est en toute connaissance de cause, et de son propre fait que la société CREDIT GENERAL a conclu l'acte de prêt, alors que les mainlevées d'hypothèque n'avaient pas encore été obtenues ;

Même si l'offre de prêt avait été acceptée dès le 20 août 1997, le notaire aurait néanmoins dû, dans le cadre de sa mission d'information et de conseil, quelque soit les compétences de sa cliente ainsi que sa connaissance de la situation, attiré son attention sur les risques résultant de l'absence de mainlevée d'hypothèque inscrites par les autres créanciers, au jour de la signature de l'acte, d'autant que la société CREDIT GENERAL avait bien insisté, aux termes de l'offre de prêt et du courrier adressé au notaire le chargeant de rédiger l'acte authentique, sur sa volonté d'obtenir une inscription d'hypothèque de premier rang sur les immeubles appartenant à la SCI ;

Or, il ne résulte pas des éléments de la procédure que cette mise en garde ait été faite ;

Il est par ailleurs stipulé en page 15 au premier paragraphe de l'acte authentique de prêt :' ils garantissent que dans les quinze jours de la signature des présentes l'hypothèque au profit de la Banque, sera inscrite en PREMIER RANG au bureau des hypothèques, et que aussi longtemps que la date (dette) n'aura pas été intégralement remboursée, aucun privilège ou droit réel quelconque ne primera cette inscription hypothécaire'.

Le pronom 'ils'utilisé en tête de ce paragraphe , qui dans la logique de l'acte correspond 'aux crédités', c'est à dire aux époux [T] représentant la SCI JCLC, révèle que la garantie d'inscription de l'hypothèque de premier rang dans un délai de quinze jours a été contractée par ces derniers, le notaire devant quant à lui veiller à l'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place de cette hypothèque de premier rang, notamment en adressant rapidement les certificats de radiation à sa cliente ;

C'est au regard de ces stipulations de l'acte authentique que doivent être interprétées les dispositions du document intitulé 'bon pour grosse', aux termes duquel le notaire indique qu'il prendra toute diligence, toutes dispositions, pour que l'inscription soit prise dans les quinze jours de l'acte ;

Par courrier du 11 décembre 1998 la SCP [E] a indiqué à Maître [X] en sa qualité d'administrateur ad hoc, que les fonds dégagés par la SCI JCLC lors de l'emprunt consenti par la société CREDIT GENERAL avait permis notamment d'affecter la somme de 1 300 000 francs au remboursement de la BANQUE JOIRE PAJOT MARTIN, créancier hypothécaire , et 75 000 francs aux frais de mainlevée des diverses hypothèques ;

Il en résulte que le notaire a fait le nécessaire pour que la première condition exigée par la BANQUE JOIRE PAJOT MARTIN, aux termes de son courrier du 15 octobre 1997, soit réalisée ;

Afin d'assurer l'efficacité de l'acte rédigé par lui, le notaire aurait dû s'enquérir de la mainlevée d'hypothèques acceptée par la BANQUE JOIRE PAJOT MARTIN, et s'informer sur la réalisation ou non des autres conditions exigées pour ce faire par cette dernière, aux fins de recueillir le certificat de radiation en lien, étant précisé que la réalisation des autres conditions exigées par la BANQUE JOIRE PAJOT MARTIN dépendait non de la SCP [E] , mais de Maître [O] [W], de Maître [V], notaires, et de Maître [M] [X] ès qualités de mandataire ad hoc de la SNC [T] et de monsieur [U] [T] ;

Or, ce problème a manifestement été délaissé, car il n'y a aucun échange entre les parties à ce propos avant 2003, époque à laquelle la société CREDIT GENERAL s'est souciée du problème, compte tenu de la liquidation judiciaire de la SCI JCLC, prononcée le 24 avril 2002, aux termes d'un jugement du tribunal de commerce de Lille, qui a considéré que la SCI JCLC avait été constituée en période suspecte dans le seul but de prévenir le dépôt de bilan du groupe [T], objet de procédures collectives dès le 16 février 1998 ;

Si le notaire n'avait aucun mandat lui permettant d'obtenir la réalisation des autres conditions exigées par la BANQUE JOIRE PAJOT MARTIN, pour la mainlevée de l'hypothèque, de sorte qu'on ne peut lui reprocher leur non réalisation, en revanche, un suivi assidu du dossier aurait permis une intervention plus rapide auprès de cette dernière, et éventuellement de trouver une solution avant la liquidation judiciaire de la SCI JCLC ;

En effet, il résulte d'un courrier du 4 octobre 2004 adressé par la SCP [E] que si la plupart des mainlevées d'hypothèques ont été obtenues, certaines inscriptions hypothécaires bénéficiant à la BANQUE JOIRE PAJOT ET MARTIN, devenue FLANDRES CONTENTIEUX, ont subsisté, malgré le versement à cette dernière de la somme de 1 300 000 euros le 24 octobre 1997, car l'une des autres conditions à savoir une prise de garantie sur un autre bien appartenant à monsieur [T], n'a pu être obtenue par Maître [W], notaire mandaté pour ce faire ;

Il résulte de ce qui précède que le notaire a commis une faute, d'une part, en ne mettant pas en garde la société CREDIT GENERAL sur le risque encouru du fait de l'absence de mainlevée des hypothèques détenues par la BANQUE JOIRE PAJOT MARTIN, et de l'incertitude sur la réalisation de toutes les conditions posées par elle pour lever son inscription d'hypothèque, d'autre part, en négligeant le suivi de ce dossier jusqu'en 2003 ;

Ces fautes ont nécessairement un lien de causalité avec le préjudice invoqué par la société CREDIT GENERAL, dès lors que, n'ayant pas obtenu la mainlevée de certaines hypothèques inscrites au profit de la BANQUE JOIRE PAJOT MARTIN, elle n'a pas eu d'inscription d'hypothèque de premier rang sur les immeubles concernés, et n'a pu bénéficier de ce privilège dans le cadre de la liquidation des actifs de la SCI JCLC ;

La SCP FONTEYNE BOSQUILLON DE JENLIS BOUDRY LESSELIN venant aux droits de la SCP [E] ne peut prétendre que l'hypothèque, si elle avait été obtenue, aurait été nulle et inopposable, compte tenu de la constitution de la SCI JCLC en période suspecte, dès lors que la validité du prêt accordé par la société CREDIT GENERAL à cette dernière n'a manifestement jamais été remise en cause, pas plus que celle des hypothèques obtenues par la banque en garantie de ce prêt ;

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a dit que la SCP [E] a commis un manquement à son obligation de conseil et d'information de nature à engager sa responsabilité ;

Il y sera par ailleurs ajouté que la SCP [E] a également engagé sa responsabilité contractuelle du fait de son manque de diligences dans le suivi du dossier à la suite de la signature de l'acte authentique du 17 octobre 1997 ;

La responsabilité du notaire étant ainsi engagée, le préjudice en résultant s'analyse en une perte de chance de ne pas avoir contracté ou d'avoir contracté à des conditions différentes, ainsi qu'en une perte de chance de se retourner plus rapidement vers la BANQUE JOIRE PAJOT MARTIN, sans garantie néanmoins d'obtenir la mainlevée de son hypothèque;

Dans ces conditions et s'agissant d'un préjudice résultant de la perte d'éventualités, la société CREDIT GENERAL ne peut réclamer une indemnité égale à la totalité du gain espéré, mais une indemnité représentant une fraction de l'avantage espéré, plus ou moins forte selon la probabilité de sa réalisation ;

Ainsi, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a dit que la faute commise a causé au CREDIT GENERAL une perte de chance, et a débouté cette dernière de sa demande de réparation intégrale du préjudice financier subi ;

La faute contractuelle par ailleurs retenue à l'égard de la SCP [E] au titre du manque de suivi ayant également causé une perte de chance à l'égard de la société CREDIT GENERAL, elle sera déboutée de sa demande de réparation intégrale de ce chef ;

Il a été précédemment rappelé qu'aux termes de l'offre de prêt du 7 août 1997 acceptée le 20 août 1997, qu'elle a établie, la société CREDIT GENERAL avait stipulé à l'article 5 que les fonds ne seraient disponibles immédiatement que sous réserve de la réalisation à cette date de trois conditions, dont une inscription hypothécaire à concurrence de 43.000.000 Francs Belges (6.991.869 Francs Français) à prendre par acte d'ouverture de crédit en premier rang sur la pleine propriété de plusieurs immeubles appartenant aux époux [T] ;

Or, la société CREDIT GENERAL a finalement décidé d'octroyer le prêt à la SCI JCLC aux termes de l'acte authentique du 17 octobre 1997, alors que le notaire l'avait informée des conditions exigées par la BANQUE JOIRE PAJOT MARTIN pour la levée de ses hypothèques, et a, aux termes de cet acte, clairement attitré son attention, sur le fait que les immeubles sur lesquels elle souhaitait inscrire une hypothèque de premier rang étaient encore grevés d'hypothèques inscrites par d'autres créanciers, dont la BANQUE JOIRE PAJOT MARTIN, le détail de ces dernières étant mentionné expressément en page 10 à 14 de l'acte authentique ;

Il s'ensuit que la société CREDIT GENERAL a décidé de prendre ce risque en toute connaissance de cause et de la situation économique des époux [T], diminuant par la même d'au moins 50% ses chances d'obtenir, d'une part, la mainlevée des hypothèques de la BANQUE PAJOT JOIRE MARTIN, d'autre part, une hypothèque de premier rang sur tous les immeubles, puisqu'il demeurait un aléa sur la réalisation des différentes conditions exigées par cette dernière ;

Compte tenu des impasses faites par la société CREDIT GENERAL sur les conditions initialement exigées, en toute connaissance de cause, et des autres garanties obtenues par elle des époux [T], il peut être considéré qu'il y avait peu de chance pour qu'elle décide finalement de ne pas contracter ou de contracter à des conditions différentes avec la SCI JCLC, si elle avait été dûment informée des conséquences éventuelles du risque pris, cette perte de chance pouvant être évaluée à 20% ;

Par ailleurs, compte tenu de la procédure collective qui a rapidement concerné le groupe [T], et des multiples aléas autour de la mainlevée des inscriptions d'hypothèque de la BANQUE JOIRE PAJOT MARTIN, la perte de chance d'obtenir cette mainlevée, du fait des négligences de la SCP [E] dans le suivi du dossier, peut être évaluée à 20% ;

Par courrier du 20 novembre 2003 la société CREDIT GENRAL a déclaré au passif de la SCI JCLC une créance privilégiée de 1 099 349, 09 euros au titre du prêt dont s'agit ;

La société CREDIT GENERAL affirme que grâce aux hypothèques que la BANQUE PAJOT JOIRE MARTIN, devenue FLANDRES CONTENTIEUX, a conservé sur cinq immeubles, cette dernière a pu récupérer la somme de 848 750 euros lors de la réalisation des actifs de la SCI JCLC, mais elle ne fournit aucune pièce pour étayer ses dires ;

Elle indique avoir perçu la somme de 425 553, 14 euros les 12 et 16 mai 2004, grâce à la réalisation de la garantie issue des contrats d'assurance vie souscrits par monsieur [T] auprès D'OMNIVER, et en justifie ;

Elle indique également avoir pu, grâce aux hypothèques inscrites sur quatre immeubles, bénéficier d'un versement par le liquidateur judiciaire de la SCI JCLC d'une somme de 462 400 euros le 19 juillet 2010 ;

Elle estime ainsi qu'il lui reste encore dû au 20 juillet 2013 la somme de 497 943, 55 euros, compte tenu des intérêts de retard depuis le 17 février 2003 au taux de 4, 1688+0, 5% ;

Dès lors qu'il a été retenu que la société CREDIT GENERAL avait elle même diminué ses chances de bénéficier d'une inscription d'hypothèque de premier rang sur tous les immeubles d'au moins 50%, et compte tenu du taux de perte de chance de 40% retenu du fait des fautes commises par le notaire, le préjudice subi par la société CREDIT GENERAL sera évalué à 100 000 euros ;

En conséquence, par voie d'ajout au jugement déféré, la SCP FONTEYNE BOSQUILLON DE JENLIS BOUDRY LESSELIN venant aux droits de la SCP [E] sera condamnée à payer à la société CREDIT GENERAL la somme de 100 000 euros de dommages-intérêts, cette dernière étant déboutée du surplus de ses demandes ;

La SCP FONTEYNE BOSQUILLON DE JENLIS BOUDRY LESSELIN venant aux droits de la SCP [E] qui succombe sera condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société CREDIT GENERAL les frais exposés par elle en cause d'appel et non compris dans les dépens ; il lui sera alloué la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'indemnité allouée en première instance étant confirmée.

PAR CES MOTIFS 

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris,

Y ajoutant,

Dit que la SCP [E] a également engagé sa responsabilité contractuelle du fait de son manque de diligences dans le suivi du dossier à la suite de la signature de l'acte authentique du 17 octobre 1997, et qu'il en est résulté une perte de chance pour la société CREDIT GENERAL,

En conséquence,

Déboute la société CREDIT GENERAL de sa demande de réparation intégrale du préjudice subi,

Dit que la société CREDIT GENERAL a droit à une indemnisation pour les pertes de chance subies du fait des fautes du notaire,

Condamne la SCP FONTEYNE BOSQUILLON DE JENLIS BOUDRY LESSELIN venant aux droits de la SCP [E] à payer à la société CREDIT GENERAL la somme de 100 000 euros de dommages-intérêts,

Déboute la société CREDIT GENERAL du surplus de ses demandes de dommages-intérêts,

Déboute la SCP FONTEYNE BOSQUILLON DE JENLIS BOUDRY LESSELIN venant aux droits de la SCP [E] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SCP FONTEYNE BOSQUILLON DE JENLIS BOUDRY LESSELIN venant aux droits de la SCP [E] à payer à la société CREDIT GENERAL la somme de 5000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel,

Condamne la SCP FONTEYNE BOSQUILLON DE JENLIS BOUDRY LESSELIN venant aux droits de la SCP [E] aux dépens d'appel.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

C. DUTILLIEUXM.A PRIGENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 2 section 1
Numéro d'arrêt : 15/01611
Date de la décision : 10/03/2016

Références :

Cour d'appel de Douai 21, arrêt n°15/01611 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-03-10;15.01611 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award