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11/06/2015 | FRANCE | N°14/02399

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 2, 11 juin 2015, 14/02399


République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 2 SECTION 2



ARRÊT DU 11/06/2015



***



N° de MINUTE : 15/

N° RG : 14/02399



Décision (N° 2012/00381)

rendu le 08 Octobre 2013

par le Tribunal de Commerce de VALENCIENNES



REF : PF/KH





APPELANT



Monsieur [H] [L]

né le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 1]

demeurant [Adresse 4]

[Adresse 2]





Représenté

par Me Franz HISBERGUES, avocat au barreau de VALENCIENNES







INTIMÉE



SARL SOLIDEC (SOCIETE LILLOISE D'EXPERTISE COMPTABLE)

ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 3]





Représentée par Me Loïc BUSSY, avocat au barreau ...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 2

ARRÊT DU 11/06/2015

***

N° de MINUTE : 15/

N° RG : 14/02399

Décision (N° 2012/00381)

rendu le 08 Octobre 2013

par le Tribunal de Commerce de VALENCIENNES

REF : PF/KH

APPELANT

Monsieur [H] [L]

né le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 1]

demeurant [Adresse 4]

[Adresse 2]

Représenté par Me Franz HISBERGUES, avocat au barreau de VALENCIENNES

INTIMÉE

SARL SOLIDEC (SOCIETE LILLOISE D'EXPERTISE COMPTABLE)

ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 3]

Représentée par Me Loïc BUSSY, avocat au barreau de DOUAI

Assistée de Me Patricia LE TOUARIN LAILLET, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Brigitte AUBRY-GLAIN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Pascale FONTAINE, Président de chambre

Stéphanie BARBOT, Conseiller

Pascale METTEAU, Conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Sylvie HURBAIN

DÉBATS à l'audience publique du 14 Avril 2015 après rapport oral de l'affaire par Pascale FONTAINE

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 11 Juin 2015 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Pascale FONTAINE, Président, et Marguerite-Marie HAINAUT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 13 mars 2015

***

FAITS ET PROCEDURE

M. [L], pharmacien, a acquis, avec son épouse, en 1987, 1990 et 2001, trois immeubles situés aux n° [Adresse 5] et y a fait réaliser des travaux pour réunir les bâtiments, affectant le rez-de-chaussée à son activité professionnelle et l'étage à son habitation.

Il a cessé son activité dans cette ville le 30 novembre 2008 et, le 1er décembre suivant, a cédé, d'une part, son officine de pharmacie pour le prix de 1 090 000 euros, d'autre part, l'ensemble immobilier en deux lots : le sous-sol et le rez-de-chaussée à usage commercial au prix de 180 000 euros et la partie habitation pour 250 000 euros.

Le 23 septembre 2010 il a reçu de l'administration fiscale une demande de renseignements sur les éléments constitutifs de la valeur d'origine, portée au bilan au 30 novembre 2008 et servant de base au calcul de la plus-value.

Le 21 janvier 2011 il a été informé qu'il allait faire l'objet d'une vérification de sa comptabilité pour la période du 1er janvier 2008 au 30 novembre 2008.

Le 11 mars 2011 lui a été notifiée une proposition de rectification portant sur :

- un rappel de TVA pour 23 974 euros en principal, 2 685 euros en intérêts de retard,

- un rappel d'impôt sur le revenu de 48 330 euros en principal, 4 060 euros en intérêts de retard et 19 332 euros en majorations.

Après négociation les majorations de retard ont été réduites à 4 833 euros pour l'impôt sur le revenu.

Estimant avoir subi un préjudice du fait de manquements contractuels de la part de son expert-comptable, la société Solidec, M. [L] l'a assignée en indemnisation devant le tribunal de commerce de Valenciennes.

Par jugement du 8 octobre 2013 le tribunal a :

- condamné la société Solidec à paye à M. [L] les sommes de :

- 41 013 euros au titre de l'impôt sur le revenu,

- 3 445 euros pour les intérêts de retard dus au titre de l'impôt sur le revenu,

- 1 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la Solidec de ses demandes,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement.

M. [L] a interjeté appel le 16 avril 2014.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses conclusions récapitulatives signifiées par voie électronique le 4 novembre 2014 M. [L] demande à la cour de :

' réformer le jugement en toutes ses dispositions,

' statuant à nouveau,

' dire la société Solidec responsable du redressement fiscal subi par lui,

' en conséquence,

' la condamner à lui payer :

- 26 659 euros correspondant à la somme réglée au titre du redressement de TVA,

- 57 223 euros correspondant à la somme réglée au titre du redressement de l'impôt sur le revenu,

- 42 985, 40 euros correspondant au coût du prêt et des frais annexes, souscrits pour régler le redressement subi par lui,

- 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur la responsabilité de l'expert-comptable, il se réfère aux dispositions de l'article 1147 du code civil et à la jurisprudence constante selon laquelle 'l'expert-comptable qui accepte d'établir une déclaration fiscale pour le compte d'un client doit, compte tenu des informations qu'il détient sur la situation de celui-ci, s'assurer que cette déclaration est, en tout point, conforme aux exigences légales, sous peine d'engager sa responsabilité pour faute', pour soutenir que le devoir de conseil ne s'étend pas aux strictes limites de la mission mais est général ; que la lettre de mission prévoyait expressément que Solidec était chargé de l'établissement des comptes annuels et des déclarations du chiffre d'affaires ; que Solidec était parfaitement informée des projets et actes immobiliers passés par lui depuis de nombreuses années avant 2008 ; que les erreurs qu'elle a commises lui ont causé un préjudice financier.

Sur la régularisation de la TVA, il expose qu'il a fait réaliser des travaux immobiliers à la suite de l'acquisition des immeubles en 1990 et 2004, lesquels travaux ont donné lieu à déduction de TVA ; que Solidec, chargée d'établir les déclarations de TVA, devait procéder à une régularisation à ce titre lors de la cession des immeubles en décembre 2008 ; qu'elle ne l'a pas fait en considérant, à tort, qu'il s'agissait de travaux mobiliers ; qu'elle est seule responsable de cette erreur de qualification dès lors qu'elle ne lui a jamais indiqué qu'un choix devait être opéré sur ce point ni ne l'a informé des conséquences fiscales résultant d'un tel choix ; que, si Solidec n'avait pas commis cette erreur et avait justement qualifié 'immobiliers' les travaux, il y aurait eu une régularisation de TVA mais de manière neutre pour lui, puisqu'il aurait pu, dans le cadre de la cession de l'officine, re-facturer cette TVA au cessionnaire.

Sur la régularisation de l'impôt sur le revenu, après avoir rappelé, d'abord, que son épouse et lui ont vendu l'ensemble immobilier en deux lots, ensuite, que Solidec a inscrit au bilan clos au 30 novembre 2008 la totalité de l'achat de l'immeuble - donc la partie habitation comme la partie commerciale -, il fait valoir que la cession de la partie habitation aurait dû donner lieu au paiement de plus-values professionnelles ; que la plus-value totale à court terme aurait dû être portée au bilan à hauteur de 189 673 euros et non de 117 496 euros ; qu'en outre il y aurait eu application du régime des plus-values s'appliquant aux biens privés et en conséquence aucune n'aurait été due ; qu'elle ne peut sérieusement feindre avoir ignoré l'usage de l'immeuble ; que si Solidec n'avait pas inscrit au bilan la partie habitation des immeubles cédés l'administration fiscale ne lui aurait pas réclamé un complément d'impôt de 48 330 euros, des intérêts de retard à hauteur de 4 060 euros et des majorations de retard pour 4 833 euros ; qu'il y a eu ainsi deux erreurs, l'une quant à l'inscription au bilan de la partie habitation l'autre quant à l'absence de prise en compte de cette erreur pour évaluer la plus-value.

Il ajoute que Solidec ne saurait voir sa responsabilité écartée en raison de l'éventuelle erreur commise par le notaire et qu'il incombait à l'expert-comptable d'attirer son attention quant à cette éventuelle erreur commise dan l'établissement de la déclaration 2048.

Sur le prêt du Crédit lyonnais, il prétend qu'il a été contraint de le souscrire pour régler les sommes réclamées par l'administration fiscale, que ce n'est qu'après sa conclusion que les négociations avec le service des impôts ont abouti à une réduction des majorations, ce qui explique que le montant du prêt soit supérieur à celui du redressement.

Par des conclusions signifiées par voie électronique le 15 septembre 2014 la SARL Solidec demande à la cour de :

- DIRE ET JUGER que l'écriture de régularisation passée dans le bilan au 31 novembre 2008 par Solidec a été effectuée pour être cohérente avec cette déclaration.

CONFIRMER la décision entreprise en ce qu'elle a jugé qu'il ne pouvait être mis à la charge de l'expert-comptable le redressement de TVA et les intérêts de retard qui s'y attachent ;

En conséquence,

DÉBOUTER M. [L] de ses demandes de condamnation de Solidec pour le montant du redressement de TVA ;

Pour le surplus de la décision entreprise,

CONSTATER que M. [L] n'a pas été à même de répartir les surfaces d'habitation des surfaces professionnelles, ce en quoi il a commis une faute à l'origine exclusive de son dommage ;

INFIRMER la décision qui a accueilli partiellement M. [L] en ses demandes relatives à la plus-value de cession et l'a en conséquence condamnée à lui payer la somme de 41 013 euros au titre de l'impôt sur le revenu et celle de 3 445 euros au titre des intérêts de retard dus au titre des impôts sur le revenu ;

En conséquence,

DEBOUTER purement et simplement M. [L] de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions en tant que dirigées à l'encontre de Solidec ;

En tout état de cause,

Vu les dispositions de l'article 1151 du Code Civil,

Vu la prescription fiscale,

DIRE ET JUGER que c'est un gain total de 13.026 euros dont M. [L] a bénéficié et qu'il conviendra de déduire de son préjudice ;

DIRE ET JUGER que les fautes alléguées n'ont pas de lien de causalité direct et immédiat avec le préjudice revendiqué ;

CONDAMNER M. [L] à payer à SOLIDEC la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNER M. [L] en tous les frais et les dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Solidec, visant l'article 1147 du code civil, l'obligation de moyens pesant sur un expert-comptable et la nécessité de prouver faute, préjudice et lien de causalité direct pour engager la responsabilité de ce professionnel, expose que les déductions de TVA opérées doivent faire l'objet d'une régularisation lorsque certains événements affectant la situation des biens ou des redevables interviennent dans le délai de régularisation ; que pour l'application de l'article 207 de l'annexe 2 du code général des impôts il est important de connaître la définition de l'immeuble au sens de la fiscalité immobilière ; qu'il s'agit des travaux de rénovation, transformation ou amélioration et agrandissement au sens de l'article 257-8 du code général des impôts ; que ne sont pas considérés comme tels les travaux d'agencements commerciaux ; qu'en l'espèce les travaux de 1990 et 2004, au regard de leur nature et de leur importance, ont été qualifiés par l'administration fiscale de travaux d'amélioration ou d'agrandissement devant être régularisés par 10ème pour les travaux antérieurs à 1996 et par 20ème pour les travaux postérieurs ; que le rappel n'a été maintenu que pour ceux de 2004 ; qu'à l'occasion de cette vérification fiscale Solidec a tenté de faire admettre qu'il s'agissait d'agencements commerciaux soumis à une régularisation de 5 ans (article 210 précité) de sorte qu'au moment du contrôle aucune régularisation n'était plus possible ; que toutefois pour l'administration il s'agissait d'une option fiscale inappropriée et M. [L] était nécessairement soumis à la régularisation de 20 ans ; qu'il ne s'agit donc pas d'un préjudice indemnisable puisque cela correspond à l'impôt légalement dû ; qu'en outre M. [L] est en partie à l'origine du redressement puisqu'il n'a pas jugé utile de répondre à la demande de renseignements de l'administration du 23 septembre 2010 - ce qui a entraîné les pénalités pour manquement délibéré ; enfin, qu' il avait les moyens d'éviter le paiement de cette TVA redressée, puisqu'il lui appartenait de demander que figure dans l'acte de cession du 1er décembre 2008 la prise en charge par l'acquéreur de l'éventuelle TVA à régulariser - s'agissant de la cession d'un actif professionnel, étant souligné que Solidec n'a pas participé à cette cession et que son erreur dans la qualification des travaux a été commise postérieurement à la rédaction par le notaire de l'acte de cession, de sorte que ce n'est pas son erreur qui explique l'impossibilité de facturer la TVA à l'acquéreur.

Sur 'l'établissement du bilan 2008", elle constate que M. [L] lui reproche d'avoir inscrit au bilan 2008 la totalité de l'achat des immeubles n°93 et 95, ce qui a généré lors de la revente une plus-value imposable sur la totalité du prix de vente, alors que la partie habitation, destinée à sa résidence principale, n'aurait pas dû en principe générer d'impôt ; que lors de la revente des immeubles les notaires ont établi une déclaration 2048 en recalculant les prix d'acquisition des trois, en joignant des annexes détaillant les m2 professionnels et les m2 privés ; qu'elle-même a demandé ces documents pour établir les comptes ; que le coût total d'acquisition de la partie professionnelle s'élevait donc à 72 985, 22 euros.

Elle explique, dans la mesure où ces immobilisations apparaissaient à l'actif du bilan pour 21 342, 87 euros, elle a passé une écriture d'ajustement de 51 642, 35 euros afin d'être en cohérence avec la déclaration 2048 du notaire envoyée à l'administration fiscale ; que ni M. [L] ni le tribunal de commerce n'indiquent sur la base de quel document elle aurait dû se fonder pour faire une distinction selon l'usage des lieux ; qu'il est utile de signaler que, contrairement à ce que l'appelant indique dans ses écritures, le rez-de-chaussée inclut une partie privée ; que l'expert-comptable n'a pas à refaire le travail du notaire ; que c'est sur la base des annexes à la déclaration 2048 et aux actes notariés qu'elle a passé des écritures comptables cohérentes, lesquelles annexes effectuaient la ventilation entre la partie professionnelle et la partie privée pièce n°13.

Sur le préjudice indemnisable, Solidec précise au préalable qu'aucun préjudice ne peut découler du paiement auquel un contribuable est légalement tenu et que les intérêts de retard sont également exclus du préjudice indemnisable car ils ne font que compenser l'avantage de trésorerie dont a bénéficié le contribuable au détriment du trésor public en différant le paiement des impôts dont il était normalement redevable.

Puis elle fait valoir que la TVA redressée correspond au rétablissement de l'impôt légalement dû et que le jugement sera confirmé sur ce point ; que ni le notaire ni M. [L] n'ont été en mesure d'adresser à l'administration la répartition des surfaces entre la partie professionnelle et la partie d'habitation, de sorte que c'est la faute de M. [L] qui est la cause exclusive du dommage allégué ; que le re-haussement de la plus-value sur la cession de 2008 est la conséquence directe de la déclaration 2048 établie par le notaire ; que les pénalités de retard sont la conséquence de l'attitude du contribuable - qui n'a pas répondu à la lettre du 23 septembre 2010 - et qui, en outre, aurait pu modifier les déclarations fiscales erronées avant l'expiration du délai de rectification ; que le coût financier de l'emprunt n'a pas de lien de causalité avec l'écriture de régularisation qu'il a faite.

Elle soutient aussi que M. [L] a obtenu des gains (d'un montant total de 13 026 euros), du fait de la prescription fiscale, au titre de la TVA comme de l'impôt sur le revenu, qu'il conviendra de déduire du préjudice.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

La mission de la société Solidec

Il résulte de la lettre de mission signée le 14 septembre 2005 que M. [L] a confié à Solidec une mission de présentation des comptes annuels - ne comportant pas le contrôle de la matérialité des opérations ni, sauf demande expresse, la vérification matérielle des existants physiques.

Les conditions générales jointes précisaient notamment que la mission englobait l'établissement des déclarations fiscales afférentes aux comptes annuels ; qu'elle visait à permettre à l'expert-comptable d'attester qu'il n'avait rien relevé qui remette en cause la cohérence et la vraisemblance des comptes annuels résultant des documents et informations fournis par l'entreprise ; que la mission ne comportait pas (non plus) la vérification des actifs.

Sur la régularisation de la TVA

¿ Selon la 'proposition de rectification suite à vérification de comptabilité', du 11 mars 2011 (pièce 8), il est constant que, postérieurement à l'acquisition du n° 91, le 27 juin 2001, des travaux ont été réalisés sur l'ensemble des locaux des trois immeubles, entraînant une restructuration des lieux, le rez-de-chaussée étant affecté à usage professionnel et l'étage à l'habitation.

Les immeubles 93 et 95 ont été inscrits intégralement (commerce et habitation) à l'actif du bilan de clôture de l'activité, le 30 novembre 2008. Les travaux réalisés en 1990 (104 205 euros) ont été inscrits à cette époque au bilan pour 82 417 euros en compte 'construction' et pour le surplus au compte 'agencements de construction'. À la clôture de l'activité un virement de compte à compte a fait passer les 82 417 euros de 'travaux de construction' en 'agencements'.

Seule la partie commerciale de l'immeuble acquis en 2001 (le n° 91) a été inscrite à l'actif le 30 novembre 2008.

Le coût total des travaux réalisés en 2004 (181 640 euros) a été inscrit à l'actif du bilan en 2004.

Sur les causes du redressement

¿ L'article 207 de l'annexe II du code général des impôts prévoit, d'une part, au I, que, dans le cas général, la déduction opérée dans les conditions mentionnées aux articles 205 (selon lequel 'la taxe sur la valeur ajoutée grevant un bien ou un service qu'un assujetti à cette taxe acquiert, importe ou se livre à lui-même est déductible à proportion de son coefficient de déduction') et 206 (relatif aux coefficients de déduction) est définitivement acquise à l'entreprise et d'autre part, au II, que pour les biens immobilisés, une régularisation de la taxe initialement déduite est opérée chaque année pendant cinq ans y compris l'année d'acquisition pour les biens meubles et pendant 20 ans pour les biens immobiliers.

¿ En l'espèce, l'administration fiscale a retenu que :

' les 181 640 euros de travaux réalisés en 2004 concernent la partie commerciale à l'exception de trois factures (chaudière commune, honoraires permis de construire et chape dans le hall d'entrée de l'habitation),

' lors de la cession réalisée en 2008, le notaire a mentionné les surfaces construites existantes, à savoir :

- partie commerciale : sous-sol, 79 m2, officine : 247 m2, garage : 30 m2 soit un total de 356 m2,

- partie habitation : rez de chaussée : hall : 42 m2 + garage 71 m2,

1er étage : 287 m2

2ème étage : 203 m2

Grenier : 68 m2

soit un total de 671 m2,

' le montant HT des travaux relatifs à la partie habitation s'élève à :

3580 euros + (21 392 + 1524) x 671 / 1027 = 18 552 euros

' et ceux de la partie commerciale :

191 640 euros - 18 552 euros = 163 088 euros

' en ce qui concerne les travaux terminés en 2004, le droit à déduction s'applique de 2004 à 2008 inclus, soit cinq ans ; une régularisation de la TVA aurait dû être portée sur la CA de décembre 2008, à hauteur de 15/20 de la TVA d'origine soit 163 088 x 19,6% x 15/20 = 23 974 euros.

¿ Dans sa lettre du 18 mai 2011, le service des impôts a précisé que, par leur nature (gros oeuvre, chape, carrelage, électricité, façade ...) et leur importance (181 640 euros) il ne s'agissait pas de travaux de simple agencement et que, de plus, il n'avait pas été possible, dans le cadre du contrôle sur place ni au vu des pièces justificatives, d'affecter à chacun des immeubles existants avant leur réunion les réfections ; qu'ainsi l'intégralité des travaux constituait un tout indissociable.

Sur les fautes reprochées par M. [L] à l'expert-comptable

¿ L'appelant soutient que la société Solidec a fait une erreur de qualification lors de l'établissement de la déclaration TVA en considérant qu'il s'agissait de simples travaux d'agencement - alors qu'il s'agissait de travaux immobiliers au sens fiscal, nécessitant une régularisation- ; qu'elle a également manqué à son devoir de conseil en ne lui disant pas qu'un choix devait être fait sur cette qualification et ne l'a pas informé des conséquences fiscales de ce choix ; et enfin, que si l'erreur de qualification n'avait pas été commise, il aurait pu, à l'occasion de la cession de l'officine, refacturer cette TVA au cessionnaire - ce qui aurait alors entraîné une opération 'neutre' pour lui.

¿ Ce choix erroné est reconnu par la société Solidec, mais elle fait valoir à juste titre que l'absence d'erreur et la juste qualification des travaux aurait eu comme conséquence de procéder aux mêmes évaluations que celles opérées par l'administration fiscale à l'occasion de la procédure de redressement et qu'un impôt dû ne peut constituer un préjudice susceptible de réparation.

Par ailleurs, c'est également de manière pertinente que l'expert-comptable fait valoir qu'il n'a pas été contacté à l'occasion de la cession - M. [L] n'apportant aucun élément de nature à établir que la Solidec a été au moins consultée à l'occasion de la cession - et que l'impossibilité pour M. [L] de procéder à une déclaration rectificative et de tenter une 're-facturation' auprès du cessionnaire résulte de l'absence de disposition en ce sens dans l'acte notarié, antérieur à sa propre erreur.

La demande relative au paiement de la somme de 23 974 euros doit donc être rejetée, dès lors que ce rappel fiscal n'est pas la conséquence directe de la faute commise par ce professionnel, et qu'il s'agit d'une imposition à laquelle le contribuable n'aurait pu échapper.

Il en est de même pour la réclamation portant sur les intérêts de retard, à hauteur de 2685 euros, qui correspond à une indemnité visant à réparer le préjudice subi par le trésor public et ne fait que compenser l'avantage ayant consisté pour M. [L] dans le bénéfice d'une trésorerie dont il n'aurait pas disposé s'il avait en temps normal réglé l'impôt dû.

Il sera donc sur ces questions ajouté au jugement, dont le dispositif - qui 'accueille partiellement M. [L] en ses demandes' - ne déboute pas expressément M. [L] de ses prétentions relatives à la régularisation de la TVA (pourtant clairement rejetées dans les motifs).

Sur la régularisation de l'impôt sur le revenu

Sur les causes du redressement

¿ Les personnes physiques, exploitants individuels, relèvent de plein droit de l'impôt sur le revenu (bénéfice industriel et commercial, articles 8 et 34 du code général des impôts). Le bénéfice taxable est calculé d'après les résultats de l'exercice comptable.

En matière de plus-value, le prix de cession et le prix d'acquisition sont ceux mentionnés dans les actes, le prix de cession à retenir étant le prix réel indiqué et le prix d'acquisition étant le prix effectivement acquitté par le cédant (articles 150VA et VB du code général des impôts).

Pour les exploitants individuels relevant du régime réel, normal ou simplifié, la différence entre l'actif commercial et le patrimoine privé se fait à partir des éléments portés à l'actif de l'entreprise.

Les conséquences de cette distinction concernent notamment la cession des biens : s'il s'agit d'éléments de l'actif, il est fait application du régime des plus-values professionnelles, tandis que la cession des biens privés donne ouverture, s'il ya lieu, au régime des plus-values correspondantes.

En l'espèce, pour procéder au redressement en cause, l'administration fiscale a retenu que :

' M. [L] avait acquis l'ensemble immobilier en trois parties, en 1987, 1990 et 2001, avant de réaliser des travaux en 1990 et 2004,

' par un règlement de copropriété du 1er décembre 2008 l'ensemble a été divisé en deux lots (le sous-sol et le rez de chaussée à usage commercial d'une part, la partie habitation de l'autre), vendus respectivement le 1er et le 19 décembre 2008,

' sur la déclaration 2048 et l'imprimé 2059 A de la liasse fiscale, la moins value a été calculée de telle sorte qu'elle s'élevait à 48 648 euros,

' les parties achetées en 1987 et 1990 ont été portées au bilan pour leur totalité (habitation et commerce), la partie achetée en 2001 n'a été portée au bilan que pour la partie commerciale selon un prorata de surface,

' concernant le prix d'achat du 91, la répartition entre partie commerciale et partie habitation a été faite au prorata de surface, mais, pour les 408 m2, il n'a pas été possible d'obtenir le détail ou la méthode de calcul : cette surface ne peut donc être retenue,

' diverses surfaces ont fait l'objet de déclarations souscrites par les propriétaires précédents auprès du centre des impôts fonciers, mentionnant un total de 116 m2 pour la partie commerciale et 183 m2 au total pour la partie habitation,

' suite à ses acquisitions, M. [L] n'en a pas établi de nouvelles, ce qui donne à penser que la consistance des habitations n'a pas été modifiée et que les surfaces autrefois déclarées correspondent bien à la situation existante à la date de l'acte,

' la répartition du prix d'achat entre les deux parties donne donc pour la partie commerciale 51750 euros [133 392 x 116 / (116 + 183)],

' le critère essentiel de distinction entre actif professionnel et patrimoine privé est celui de l'inscription au bilan : l'exploitant dispose d'une liberté de choix pour répartir ses biens entre son actif commercial et son patrimoine privé ; il prend à cet égard une décision de gestion qui lui est opposable ;

' au cas présent, M. [L] a choisi de porter à son bilan la totalité de l'achat des parties situées au 93 et 95, c'est à dire parties habitation et commerce,

' contrairement à ce qui a été fait, il y a lieu de tenir compte lors de la cession de la partie habitation correspondante,

' le calcul de la plus value donne donc une somme de 72 177 euros (valeur d'achat = montant global des parties achetées en 1987, 1990 et 2001, ajouté au coût des travaux, déduction faite des amortissements, valeur déduite de l'addition des deux prix de vente, 180 000 euros pour la part commerciale et 139 225 euros pour la part habitable au bilan),

' le revenu imposable passant ainsi de 219 060 à 339 885 euros au titre de 2008.

Sur les fautes reprochées par M. [L] à l'expert-comptable

¿ Il lui fait grief d'avoir commis deux erreurs, d'abord par l'inscription au bilan de la partie habitation de l'immeuble cédé, ensuite, par l'absence de prise en compte de cette première erreur pour calculer la plus-value, soutient que sans cette faute l'administration ne lui aurait pas réclamé un complément d'impôt pour 48 330 euros, ni des intérêts de retard ni des majorations de retard.

Il lui reproche aussi un manquement à son devoir de conseil, comme ne l'ayant pas informé du choix possible ni de la possibilité de solliciter du notaire une déclaration 2048 rectificative.

¿ La société Solidec fait essentiellement valoir qu'elle s'est basée sur le travail du notaire et les annexes à l'acte de cession - lesquelles effectuaient la ventilation partie professionnelle- partie habitation -, pour établir ses écritures et bilan en conformité avec les déclarations du notaire, qu'elle n'avait pas d'autre document à sa disposition pour remplir sa mission.

¿ La cour retient que la lettre de mission versée aux débats date du 14 septembre 2005 et qu'il n'est pas prétendu que les parties aient été en relations contractuelles antérieurement ; que la Solidec ne saurait donc engager sa responsabilité pour d'éventuelles fautes commises antérieurement par un autre expert-comptable ; que les éventuelles erreurs ou les choix de gestion réalisés à l'occasion des acquisitions successives ou des divers travaux immobiliers, tous antérieurs à 2005, lui sont étrangers ; qu'au fil des années, entre le premier achat (1987) et la dernière opération de travaux, la configuration des lieux a plusieurs fois évolué, ainsi que la superficie totale ou encore celle affectée à l'usage commercial comme celle réservée à la partie habitation ; que les actes de cession - et les documents annexes - ont été établis en 2008 par le notaire sans qu'il soit prouvé - ni même prétendu - que la Solidec ait été consultée à cette occasion ; que d'ailleurs cette prestation ne figure pas dans celles prévues par la lettre de mission ; qu'il résulte des pièces fournies par les parties que, lors de l'établissement du bilan en cause, la Solidec s'est basée sur les documents fournis par son client ; qu'il s'agissait des actes de cession des lots 'professionnel' et 'habitation' ainsi que de la déclaration de plus-value 2048 et des 'annexes' [intitulées 'plus-value vente [L] à SCI. C.L.A.S (lot volume 1)' et 'plus-value vente [L] à [J] (lot volume 2)', afférentes au calcul du prix de cession et du prix d'acquisition des deux lots ] ; que les différentes sommes figurant sur ces évaluations et calculs se retrouvent dans le corps de cette déclaration 2048 ; que la superficie de 408 m2, remise en cause par l'administration fiscale, y est mentionnée par le notaire comme étant celle du n°91 'à l'origine' ; qu'il ressort des pièces comptables fournies que la Solidec a pris en compte ces justificatifs, émanant du notaire et fournis par son client, pour procéder à des écritures et ajustements comptables cohérents tant avec les bilans antérieurs qu'avec les déclarations notariées ; que ne relevait pas de sa mission la vérification sur place des surfaces utilisées ni celle des surfaces antérieures lors des acquisitions et transformations successives, dès lors qu'il avait en sa possession les documents émanant du notaire ayant réalisé les cessions en 2008 ; que pour 'attirer l'attention de M. [L] sur l'éventuelle erreur du notaire' encore eût il fallu que la Solidec ait été en mesure de déterminer - au moment de l'établissement de ce bilan - l'existence de cette éventuelle erreur, ce qui ne pouvait être le cas faute pour son client de lui produire tout justificatif en sens contraire de nature à alerter l'expert-comptable sur les évaluations faites par le notaire ; que, pour procéder à son redressement, l'administration fiscale a aussi tenu compte du fait que suite à son acquisition M. [L] n'avait pas 'jugé utile d'établir de nouvelles déclarations auprès du centre des impôts fonciers, ce qui donnait à penser que la consistance des habitations n'avait pas été modifiée'.

Ainsi, les fautes reprochées par l'appelant à la société Solidec n'étant pas établies, il sera débouté de ses demandes en paiement au titre de 'du redressement de l'impôt sur le revenu' et le jugement sera réformé de ce chef.

Sur les demandes accessoires

Le chef de prétention exposé par la Solidec, relatif au 'gain total de 13 026 euros', devient sans objet, puisque visé par la société intimée comme 'devant venir en déduction du préjudice', dès lors que M. [L] est débouté de sa demande d'indemnisation.

La responsabilité de l'expert-comptable étant écartée, la demande de M. [L] relative au coût du prêt et des frais annexes sera rejetée ( là encore par ajout au jugement, dès lors que ce rejet, explicité dans les motifs, ne figure pas expressément dans le dispositif), ainsi que celle fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Succombant en ses prétentions, M. [L] sera condamné aux entiers dépens.

Enfin, il est équitable de le condamner au paiement de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

REFORME le jugement,

STATUANT à nouveau,

DEBOUTE M. [L] de sa demande en paiement des sommes au titre 'de l'impôt sur le revenu' et de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. [L] aux dépens de première instance,

Y AJOUTANT,

DEBOUTE M. [L] de sa demande en paiement de la somme de 26 659 euros (redressement TVA), de sa demande relative au coût du prêt et des frais annexes et de sa demande complémentaire fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. [L] à payer à la Solidec une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. [L] aux dépens d'appel, lesquels pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

M.M. HAINAUTP. FONTAINE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 2 section 2
Numéro d'arrêt : 14/02399
Date de la décision : 11/06/2015

Références :

Cour d'appel de Douai 22, arrêt n°14/02399 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-06-11;14.02399 ?
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