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26/03/2015 | FRANCE | N°13/05913

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 2, 26 mars 2015, 13/05913


République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 2 SECTION 2



ARRÊT DU 26/03/2015



***



N° de MINUTE : 15/

N° RG : 13/05913



Jugement (N° 2012004450)

rendu le 08 Octobre 2013

par le Tribunal de Commerce de LILLE METROPOLE



REF : SB/KH





APPELANTS



Monsieur [M] [R]

né le [Date naissance 2] 1955 à [Localité 9]

demeurant [Adresse 2]

[Adresse 2]



Représenté par M

e François DELEFORGE, avocat au barreau de DOUAI

Assisté de Me Denis LEQUAI, avocat au barreau de LILLE



Madame [L] [U] Epouse [R]

née le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 7]

demeurant [Adresse 2]

[Adresse 2]



Représe...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 2

ARRÊT DU 26/03/2015

***

N° de MINUTE : 15/

N° RG : 13/05913

Jugement (N° 2012004450)

rendu le 08 Octobre 2013

par le Tribunal de Commerce de LILLE METROPOLE

REF : SB/KH

APPELANTS

Monsieur [M] [R]

né le [Date naissance 2] 1955 à [Localité 9]

demeurant [Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me François DELEFORGE, avocat au barreau de DOUAI

Assisté de Me Denis LEQUAI, avocat au barreau de LILLE

Madame [L] [U] Epouse [R]

née le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 7]

demeurant [Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me François DELEFORGE, avocat au barreau de DOUAI

Assistée de Me Denis LEQUAI, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉS

Monsieur [J] [R]

demeurant [Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me François DELEFORGE, avocat au barreau de DOUAI

Assisté de Me Denis LEQUAI, avocat au barreau de LILLE

Madame [V] [R]

demeurant [Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentée par Me François DELEFORGE, avocat au barreau de DOUAI

Assistée de Me Denis LEQUAI, avocat au barreau de LILLE

Madame [G] [R]

demeurant [Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me François DELEFORGE, avocat au barreau de DOUAI

Assisté de Me Denis LEQUAI, avocat au barreau de LILLE

SAS PASSO

ayant son siège social [Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Damien LAUGIER, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Pascale FONTAINE, Président de chambre

Stéphanie BARBOT, Conseiller

Pascale METTEAU, Conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marguerite-Marie HAINAUT

DÉBATS à l'audience publique du 22 Janvier 2015 après rapport oral de l'affaire par Stéphanie BARBOT

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 26 Mars 2015 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Pascale FONTAINE, Président, et Marguerite-Marie HAINAUT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 10 décembre 2014

***

LES FAITS :

En novembre 1992, les époux [R]-[U] ont fondé le groupe familial de sociétés « AGROFORM », spécialisé dans la formation professionnelle.

Par acte sous seing privé du 15 avril 2005, les époux [R]-[U] et leurs enfants [J], [G] et [V] [R], actionnaires du groupe familial, ont cédé leurs participations à M. [P] par l'entremise de ses sociétés SERVIPAR et PASSO.

Celles-ci ont ainsi acquis les titres des sociétés suivantes :

* CAMPUS PRO (anciennement dénommée AGRO-FORM) ayant pour activité la formation professionnelle dans le domaine de l'agro-alimentaire,

* BATI-FORM, exerçant une activité la formation professionnelle dans le domaine du bâtiment et de la construction,

* ACDE, société holding détenant la totalité des titres des sociétés CAMPUS PRO et BATI-FORM,

* CKM, propriétaire des locaux de formation loués aux sociétés du groupe.

Cet acte de cession contenait à la charge de M. [M] [R] un engagement d'accompagnement d'une durée minimale de 2 ans (expirant le 15 avril 2007), sous peine d'une sanction de 300 000 euros, ainsi qu'une clause de non-concurrence.

L'acte prévoyait également que les époux [R]-[U] devenaient salariés de la société PASSO, respectivement en qualités de :

- directeur opérationnel du centre de [Localité 8] et directeur des programmes de formation pour tous les établissements, en contrat à durée indéterminée,

- comptable avec statut de cadre, s'agissant Mme [L] [R]-[U], pour une durée déterminée de 12 mois.

M. [J] [R], d'ores et déjà employé du groupe, demeurait salarié à durée indéterminée.

***

Du 4 au 18 juin 2007, une grève s'accompagnant de dégradations et de vols de matériels et documents (notamment comptables) s'est déroulée au sein d'un établissement de CAMPUS PRO.

Convaincue de ce que cette grève avait été fomentée par les consorts [R], afin de négocier la reprise du groupe à moindre coût, la société PASSO a déposé une plainte pour vols et destructions en août 2007, l'instruction étant toujours en cours.

Par ailleurs, MM [M] et [J] [R] ont été licenciés pour faute lourde le 30 août 2007, et il a été mis un terme au contrat de travail de Mme [R]-[U] le 2 juin 2007.

Cependant, aux termes d'un arrêt rendu le 12 septembre 2012 sur renvoi de cassation, la cour d'appel d'Amiens a invalidé le licenciement de [M] [R], qu'elle a jugé sans cause réelle et sérieuse. Cette même cour a également requalifié le contrat de travail de Mme [R]-[U] en contrat à durée indéterminée et considéré son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le bien-fondé du licenciement de [J] [R] a été confirmé par un arrêt prononcé par la cour d'appel de DOUAI le 30 juin 2009.

Entre les mois de juin et septembre 2007, plusieurs salariés de CAMPUS PRO ont démissionné sur l'ensemble des sites.

Le 25 juin 2007, une société à associé unique, dénommée AFA, exerçant sous l'enseigne ALTERN'EMPLOI, a été constituée afin d'exploiter une activité dans l'analyse, la formation, l'audit et le conseil. Elle a pour gérant M. [Q] et son siège se situe à [Localité 6]. Les formations sont dispensées notamment sur [Localité 4], à l'adresse d'une association dénommée ASSOJOB, immatriculée à [Localité 1], créée le 2 juin 2007, et ayant pour objet l'accompagnement vers l'emploi dans la cadre des dispositifs de la formation professionnelle continue.

Le 1er octobre 2007, onze salariés démissionnaires de CAMPUS PRO ont saisi le conseil des prud'hommes, demandant la requalification de leur démission en licenciement, avec toutes conséquences de droit.

Compte tenu des difficultés financières alors rencontrées, CAMPUS PRO a sollicité du tribunal de commerce le bénéfice d'un mandat ad'hoc puis d'une conciliation.

LES PROCEDURES ANTERIEURES :

CAMPUS PRO a obtenu, par ordonnance sur requête, l'autorisation de missionner des huissiers chargés de procéder à des constatations au sein des sièges et établissements de la société AFA et de l'association ASSOJOB.

Sur la base d'informations recueillies par les huissiers, CAMPUS PRO a initié une procédure à jour fixe à l'encontre de la société AFA le 3 décembre 2007, afin de la voir condamner au paiement de dommages et intérêts, motif pris d'une concurrence déloyale.

Après cassation d'un premier arrêt, prononcée par la Cour de cassation le 2 février 2010, la cour d'appel de Douai a, aux termes d'un arrêt du 24 mars 2011, débouté la société CAMPUS PRO de ses demandes, en substance aux motifs que la société AFA est une personne morale distincte de M. [M] [R].

Le 3 mai 2012, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé à l'encontre de cette décision.

LA PROCEDURE ACTUELLE :

C'est dans ce contexte que, par actes d'huissier délivrés les 8 et 12 juin 2012, la société PASSO a fait assigner les consorts [R] aux fins d'indemnisation du préjudice résultant de la violation de la clause de non-concurrence contenue dans le protocole sus visé.

Selon jugement prononcé le 8 octobre 2013, le tribunal de commerce de Lille Métropole a :

dit valide la clause de non-concurrence stipulée au profit de la SAS PASSO,

débouté la SAS PASSO de ses demandes dirigées à l'encontre de Melles [V] et [G] [R],

condamné solidairement M. [M] [R] et Mme [L] [R]-[U] à payer à la SAS PASSO la somme de 1 400 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre celle de 125 000 euros à titre de dommages et intérêts complémentaires, avec intérêts de droit et anatocisme à compter de la délivrance de l'assignation jusqu'à parfait paiement,

condamné solidairement M. [M] [R] et Mme [L] [R]-[U] à payer à la SAS PASSO la somme de 25 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

ordonné l'exécution provisoire de la décision,

condamné solidairement M. [M] [R] et Mme [L] [R]-[U] aux dépens,

débouté les consorts [R] de l'ensemble de leurs demandes.

Par déclaration en date du 15 octobre 2013, les consorts [R] ont interjeté appel de ce jugement.

Suivant ordonnance du 31 décembre 2013, le premier président de la cour d'appel de céans a subordonné l'exécution provisoire du jugement de première instance à la constitution, par la société PASSO, d'une garantie réelle ou personnelle d'un montant équivalent à celui de sa créance à l'égard des époux [R].

Les époux [R] ont donc, en exécution du jugement entrepris, réglé la somme de 1 550 000 euros le 14 février 2014.

PRETENTIONS DES PARTIES :

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 4 décembre 2014, la société PASSO demande à la cour de :

Vu les articles 1101 et suivants du Code civil,

Vu le protocole d'accord du 15 avril 2005,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit valide la clause de non-concurrence stipulée au profit de la société PASSO et condamner en conséquence solidairement M. [M] [R] et Mme [L] [R]-[U] au paiement de divers dommages et intérêts ;

Pour le reste, infirmer la décision entreprise et, par décision réformée :

Constater, dire et juger que Melles [V] et [G] [R] ont manqué à la bonne foi contractuelle et se sont rendues complices de la violation de la clause de non-concurrence stipulée au profit de la société PASSO ;

Constater, dire et juger que M. [J] [R] est personnellement tenu par la clause de non-concurrence contenue dans le protocole du 15 avril 2005 ;

Par conséquent :

Condamner solidairement [M], [L], [J], [G] et [V] [R] au paiement de la somme de 2 700 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre celle de 250 000 euros à titre de dommages et intérêts complémentaires, avec intérêts de droit et anatocisme à compter de la délivrance de l'assignation jusqu'à parfait paiement ;

Les condamner solidairement au paiement de la somme de 50 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Les condamner solidairement aux dépens de première instance et d'appel ;

Les débouter de l'ensemble de leurs demandes.

***

Selon leurs dernières conclusions signifiées le 3 décembre 2014, les consorts [R] demandent à la cour de :

Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté la SAS PASSO de ses demandes dirigées à l'encontre de Mlles [V] et [G] [R], et de M. [J] [R],

Infirmer pour le surplus ledit jugement et :

A titre principal : dire et juger non valide la clause de non-concurrence stipulée au profit de la SAS PASSO ;

Subsidiairement : constater que la SAS PASSO ne rapporte aucunement la preuve qui lui incombe de l'étendue du préjudice qu'elle prétend avoir subi ;

En conséquence : débouter la SAS PASSO de l'intégralité de ses demandes dirigées à l'encontre des Consorts [R] ;

Condamner la SAS PASSO à payer la somme de 60 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de la procédure de première instance et d'appel.

SUR CE,

Attendu qu'à titre liminaire, les parties développent leur argumentaire quant aux personnes tenues, selon elles, par la clause de non-concurrence litigieuse ; que toutefois, la logique commande d'examiner dans un premier temps la validité de cette clause, dès lors que l'éventuelle nullité de cette clause rendrait superflue la détermination des personnes tenues de s'y conformer ;

1°/ Sur la validité de la clause de non-concurrence

Attendu que les consorts [R] estiment que la clause de non-concurrence insérée dans le protocole du 15 avril 2005 est nulle, pour les motifs suivants :

- cette clause n'est pas limitée dans le temps et dans l'espace, alors que ces critères sont cumulatifs ; ainsi, le tribunal ne pouvait déduire la validité de la clause du fait de sa seule limitation temporelle, faisant en cela application d'une jurisprudence obsolète ; or, en l'espèce, les limitations prévues sont excessives, dès lors, d'une part, qu'il est excessif de viser le territoire de la France métropolitaine et de la Belgique, alors que l'activité en cause a un rayonnement régional et que, d'autre part, au plan temporel, la Cour de cassation retient fréquemment une durée d'un an ;

- la clause n'est pas proportionnée aux intérêts légitimes à protéger ou à la finalité de l'opération ; en effet, l'interdiction est dénuée de toute proportion dès lors qu'« il n'est pas établi que la concurrence qui serait exercée sans cette clause soit de nature à porter un préjudice tel que la finalité de l'opération soit compromise » ; ainsi, même s'il y avait concurrence, celle-ci serait faible en raison de l'activité en cause (la formation professionnelle) et du développement de la clientèle pour ce type d'activité ' la clientèle du cédant n'étant pas menacée par la réinstallation d'une activité similaire à proximité ; l'objet du contrat est effectivement la cession du contrôle des sociétés, lequel n'est nullement menacé par une activité concurrente ;

- la clause ne leur permet pas d'exercer normalement leur profession, consistant en une activité de direction dans le secteur de la formation professionnelle en alternance dans les métiers de bouche, domaine spécialisé dans lequel ils ont acquis des compétences spécifiques ; cela ne leur offre pas la possibilité d'exercer une profession dans tout autre domaine d'activité ; ainsi, « le débiteur est dans l'impossibilité absolue d'exercer sa profession et ce au mépris de la liberté de commerce et de l'industrie » qui a valeur constitutionnelle ;

- en tout état de cause, il y a lieu de s'interroger sur le devenir de l'engagement de non-concurrence dans un contexte de licenciement injustifié ; en effet, dans l'esprit du protocole, l'engagement de non-concurrence souscrit par M. [M] [R] avait pour contrepartie la fourniture d'un contrat de travail ; or, l'intéressé a été licencié de manière illicite, et la perte injustifiée de son emploi a induit un déséquilibre tel dans les engagements réciproques des parties, que l'engagement de non-concurrence est devenu caduc ;

Attendu que la société PASSO soutient au contraire que la clause litigieuse est parfaitement valable, dès lors que :

- la Cour de cassation a jugé à plusieurs reprises que la limitation dans le temps et dans l'espace constituaient des critères de validité alternatifs, et non cumulatifs, en matière commerciale - contrairement à ce qui est prévu en matière de droit du travail ; les jurisprudences invoquées à ce titre par les consorts [R] sont inapplicables en l'espèce ; en outre, les limitations spatiales et temporelles doivent être appréciées au regard des fonctions clés exercées par les consorts [R] au sein des sociétés concernées par la cession (associés, direction, comptabilité etc.) qui leur donnaient accès à des informations essentielles et confidentielles ; au regard de ces éléments, la limitation temporelle et géographique de la clause est totalement justifiée ;

- le caractère proportionné de la clause de non-concurrence doit s'apprécier in concreto, non seulement à l'aune des fonctions exercées par le débiteur dans l'entreprise et de sa possibilité d'accéder à des informations essentielles, mais également de l'activité concernée ; en l'espèce, le contrat avait pour objet la cession du contrôle des sociétés ACDE, AGRO FORM, BATI FORM, CKM et ACTI FORM, au profit de la société PASSO ; le but de la clause querellée consistait donc principalement à éviter un détournement de la clientèle de ces sociétés par les consorts [R], dans un secteur d'activité spécifique, la formation professionnelle ; il était légitime et proportionné, par rapport à l'objet du contrat et aux fonctions essentielles occupées par les consorts [R] dans les sociétés cédées, de stipuler cette clause concernant les activités similaires, connexes ou complémentaires à celles de la société PASSO, et ce d'autant que la clause était limitée dans le temps et dans l'espace ;

- la clause contestée n'a pas empêché les consorts [R] de continuer ou de poursuivre une activité professionnelle conforme à leurs compétences, à telle enseigne qu'ils ont tous repris une profession ;

- les licenciements étant intervenus plus de deux ans après la conclusion du protocole de cession contenant la clause litigieuse, il ne peut être prétendu qu'au jour du contrat (le 15 avril 2005), il existait un déséquilibre significatif dans les engagements réciproques des parties, ou encore que la perte de leurs emplois (pour faute) emporterait la caducité de la clause de non-concurrence ;

***

Attendu qu'il résulte des articles 1131 et 1134 du code civil qu'une clause de non-concurrence prévue à l'occasion de la cession de droits sociaux est licite à l'égard des actionnaires qui la souscrivent dès lors qu'elle est limitée dans le temps et dans l'espace et proportionnée aux intérêts légitimes à protéger ;

Que les critères de limitation temporelle et spatiale sont cumulativement exigés ;

Attendu qu'au présent cas, la seule sanction requise par les consorts [R] en cas de non-respect de ces critères consiste en la nullité de la clause querellée ;

Attendu que la clause de non-concurrence litigieuse est rédigée en ces termes :

A compter de ce jour, comme conséquence de la présente cession, Monsieur et Madame [R]-[U], ainsi que Monsieur [J] [R], s'interdisent d'entreprendre personnellement ou par personne interposée toute activité susceptible de concurrencer les Sociétés « AGRO-FORM » et « BATI-FORM », comme de créer, de diriger ou administrer tout entreprise ou société concurrente et, plus généralement, de s'intéresser directement ou indirectement, à quelque titre que ce soit, même comme associé commanditaire, dans toute société ou tout fonds de commerce similaire, connexe ou complémentaire, et ceci en France métropolitaine et en Belgique, pendant un délai de 5 (CINQ) ans pour Monsieur et Madame [R]-[U] et pendant un délai de 3 (trois) ans pour Monsieur [J] [R], à peine de tous dommages-intérêts et sans préjudice du droit de faire cesser toutes infractions à cette interdiction.

Attendu qu'il ressort des explications et pièces fournies que les sociétés dont les titres ont été cédés à la société PASSO dans le cadre du protocole en cause (régularisé le 15 avril 2005) exerçaient dans le domaine de la formation professionnelle ; que la société PASSO ne conteste pas que cette activité était exploitée dans la région du Nord, au sein de trois établissements situés dans les régions [Localité 4] (à [Localité 3]) et [Localité 1] (à [Localité 8]), ainsi qu'à [Localité 2] ; qu'en effet, si elle évoque d'abord (page 2 de ses écritures) un site localisé à [Localité 5] dans lequel se trouvaient deux personnes, toutefois, elle évoque ensuite (page 12 §6) « les trois sites de formations de CAMPUS PRO : [Localité 4], [Localité 8] et [Localité 2] » ;

Qu'au regard de la liberté du commerce et de la liberté d'entreprendre, apparaît excessive et disproportionnée aux intérêts légitimes à protéger (ceux du cessionnaire PASSO), la zone géographique visée par la clause sus visée en ce que, portant sur la totalité du territoire français métropolitain et du territoire belge, cette clause outrepasse très largement le secteur géographique, circonscrit à un département, dans lequel était exercée l'activité à protéger d'une concurrence des cédants ;

Que dans ces conditions, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le surplus des griefs invoqués, il convient de déclarer cette clause nulle, par voie de réformation du jugement entrepris ;

2°/ Sur les conséquences de la nullité de la clause

Attendu qu'en vertu des articles 4 et 12 du code de procédure civile, le juge est tenu de trancher le litige qui lui est soumis conformément aux règles de droit invoquées par les parties au soutien de leurs prétentions ;

Attendu qu'en l'occurrence, il ressort des écritures de la société PASSO que celle-ci demande la condamnation de l'ensemble des consorts [R] au paiement de dommages et intérêts uniquement sur un fondement contractuel ; qu'en effet, en pages 21-22 et 39-40 de ses écritures, elle expose que :

- l'obligation de non concurrence est contenue dans un protocole d'accord, et qu'il convient donc de l'interpréter au regard des autres clauses de ce contrat ;

- en l'espèce, le protocole de 2005 prévoit que M. [M] [R] et Mme [L] [U]-[R] ont agi « chacun aux présentes tant en leur nom personnel qu'au nom et comme se portant fort des Autres Associés », et contracté «ensemble, indivisiblement et solidairement les obligations à leur charge » ; dès lors, l'ensemble des obligations mises à la charge des cédants dans le cadre du protocole doit s'entendre comme s'appliquant à l'ensemble des associés des sociétés cédées, et donc également à [V] et [G] [R] ; l'ensemble des consorts [R] a participé à la désorganisation de la société AGROFORM et à la constitution de la société AFA ;

- subsidiairement : « leur comportement » constitue un manquement caractérisé à leur obligation d'exécution de bonne foi du protocole de 2005, obligation inhérente à tout contrat en vertu de l'article 1134 du code civil, et une complicité de violation de la clause de non-concurrence ;

Or, attendu, en premier lieu, que, l'annulation de la clause de non-concurrence ci-dessus prononcée produisant un effet rétroactif, ladite clause est réputée n'avoir jamais existé ; qu'en conséquence, la société PASSO n'est pas fondée à invoquer la violation de cette clause par les consorts [R], pas plus qu'une complicité de violation de cette clause, à l'appui de ses demandes indemnitaires ;

Attendu, en second lieu, que, s'agissant du moyen subsidiairement invoqué par la société PASSO au titre d'un manquement à la bonne foi contractuelle, à supposer qu'il soit invoqué à l'encontre de chacun des Consorts [R], la cour relève que :

- d'une part, seuls les époux [R]-[U] sont signataires du protocole de cession de titres du 15 avril 2005, la circonstance qu'ils se sont portés fort des autres actionnaires - soit de leurs trois enfants [J], [V] et [G] - en page 1 de l'acte, n'étant pas de nature à conférer à ces derniers la qualité de cocontractants ; dès lors, est sans emport, à l'égard de [J], [G] et [V] [R], tiers au contrat, le moyen tenant à un manquement à la bonne foi contractuelle ;

- d'autre part et en toute hypothèse, quels que soient les cocontractants - les époux [R]-[U] ou l'ensemble des Consorts [R] - la bonne foi contractuelle ne leur fait pas interdiction de créer, de participer ou de s'intéresser, directement ou indirectement, à une société concurrente, dès lors que n'est pas alléguée à leur encontre la commission d'actes de concurrence déloyale sur le fondement de l'article 1382 du code civil ;

Attendu que pour ces seuls motifs, doivent être rejetées les demandes de dommages et intérêts présentées par la société PASSO à l'encontre des consorts [R] ;

3°/ Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Attendu que, succombant en ses prétentions, la société PASSO sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'au paiement d'une indemnité procédurale, par application de l'article 700 du code de procédure civile ; qu'elle sera à l'inverse déboutée de sa propre demande à ce titre ;

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

- REFORME en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

Et statuant de nouveau,

- DECLARE nulle la clause de non-concurrence contenue dans le protocole du 15 avril 2005 ;

- DEBOUTE la société PASSO de l'ensemble de ses demandes indemnitaires formées à l'encontre des consorts [R] ;

- CONDAMNE la société PASSO à payer aux consorts [R] la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- DEBOUTE la société PASSO de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNE la société PASSO aux dépens de première instance et d'appel, et AUTORISE la S.C.P. DELEFORGE-FRANCHI à recouvrer directement ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

M.M. HAINAUTP. FONTAINE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 2 section 2
Numéro d'arrêt : 13/05913
Date de la décision : 26/03/2015

Références :

Cour d'appel de Douai 22, arrêt n°13/05913 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-03-26;13.05913 ?
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