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26/03/2015 | FRANCE | N°13/03133

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 1, 26 mars 2015, 13/03133


République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 2 SECTION 1



ARRÊT DU 26/03/2015



***



N° de MINUTE : 15/

N° RG : 13/03133



Jugement (N°08/398) rendu le 19 décembre 2008 par le Tribunal de Grande Instance à compétence commerciale d'AVESNES SUR HELPE

Arrêt (N° 09/00432) rendu le 15 Septembre 2011 par le Cour d'Appel de DOUAI

Arrêt (N° 1252 F-D) rendu le 11 décembre 2012 par la Cour de cassation



REF : CP/KH

Renvoi apr

ès cassation



APPELANTS



Monsieur [C] [F]

pris en sa qualité de Président du Conseil d'Administration de la société Groupe Centracom

né le [Date naissance 1] 1944 à AULNO...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 1

ARRÊT DU 26/03/2015

***

N° de MINUTE : 15/

N° RG : 13/03133

Jugement (N°08/398) rendu le 19 décembre 2008 par le Tribunal de Grande Instance à compétence commerciale d'AVESNES SUR HELPE

Arrêt (N° 09/00432) rendu le 15 Septembre 2011 par le Cour d'Appel de DOUAI

Arrêt (N° 1252 F-D) rendu le 11 décembre 2012 par la Cour de cassation

REF : CP/KH

Renvoi après cassation

APPELANTS

Monsieur [C] [F]

pris en sa qualité de Président du Conseil d'Administration de la société Groupe Centracom

né le [Date naissance 1] 1944 à AULNOYE AYMERIES (59620)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 7]

[Adresse 4]

Représenté par Me Guillaume FRANCOIS, avocat au barreau de LILLE

Madame [L] [Q] épouse [F]

Pris en sa qualité de membre du Conseil d'Administration de la société Groupe Centracom

née le [Date naissance 2] 1947 à CAMBRAI (59400)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 7]

[Adresse 4]

Représentée par Me Guillaume FRANCOIS, avocat au barreau de LILLE

Monsieur [X] [F]

Pris en sa qualité de membre du Conseil d'Administration de la société Groupe Centracom

né le [Date naissance 2] 1972 à MAUBEUGE (59600)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 1]

[Adresse 6]

Représenté par Me Guillaume FRANCOIS, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉES

M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE PRES LE T.G.I. D'AVESNES SUR HELPE

Palais de Justice

[Adresse 5]

SELAS BERNARD ET NICOLAS SOINNE représentée par Me Nicolas SOINNE

ès-qualités de liquidateur de la société GROUPE CENTRACOM, prise en la personne de son représentant légal domicilié de droit audit siège

ayant son siège social [Adresse 2]

[Adresse 3]

Représentée par Me Vincent SPEDER, avocat au barreau de VALENCIENNES

En présence de Madame BERGER, avocat général

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Christine PARENTY, Président de chambre

Stéphanie BARBOT, Conseiller

Sandrine DELATTRE, Conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Sylvie HURBAIN

DÉBATS à l'audience publique du 29 Janvier 2015 après rapport oral de l'affaire par Christine PARENTY

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 26 Mars 2015 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Christine PARENTY, Président, et Sylvie HURBAIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

OBSERVATIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC :

Cf réquisitions du 24 décembre 2014, communiquées aux parties

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 8 janvier 2015

***

Vu le jugement contradictoire du 19 décembre 2008 du Tribunal de Grande Instance d'Avesnes sur Helpe ayant condamné monsieur [C] [F] à supporter les dettes de la SA Groupe Centracom à hauteur de la somme de 2 700 000€, condamné avec solidarité madame [L] [Q] épouse [F] à supporter les dettes de la SA groupe Centracom à hauteur de 100 000€, condamné avec solidarité monsieur [X] [F] à supporter les dettes de la SA Groupe Centracom à hauteur de la somme de 150 000€, dit que ces sommes produiront intérêts à compter du présent jugement, débouté la selarl Soinne de ses demandes en faillite personnelle ou autre mesures d'interdiction à l'encontre de monsieur [X] [F] et de madame [F], prononcé la faillite personnelle de monsieur [C] [F] pour 5 ans, condamné avec solidarité messieurs [C] et [X] [F] et madame [F] à payer à la selarl Soinne es qualité 2000€ sur la base de l'article 700 du code de procédure civile, ordonné l'exécution provisoire;

Vu l'appel interjeté le 19 janvier 2009 par messieurs [C] et [X] [F] et par madame [F];

Vu l'arrêt du 15 septembre 2011 de la cour d'appel de Douai confirmatif sauf sur le montant de la condamnation prononcée à l'égard de [C] [F] que la cour a évaluée à 1 300 000€; elle a également condamné solidairement les consorts [F] à payer au liquidateur de la société Groupe Centracom 3000€ sur la base de l'article 700 du code de procédure civile;

Vu l'arrêt de la Cour de Cassation en date du 11 décembre 2012 qui a cassé cet arrêt mais seulement en ce qu'il a condamné les consorts [F] à supporter une partie de l'insuffisance d'actif de la société Groupe Centracom, au motif que la cour a retenu notamment, à l'égard de [C] [F] qu'il n'avait pas procédé à la déclaration de cessation de paiements, et contre les deux autres qu'en leur qualité d'administrateurs et en raison de leur lien familial ils auraient dû l'inciter à le faire, sans préciser la date exacte de la cessation des paiements ni caractériser à cette date l'impossibilité pour la société de faire face à son passif exigible avec son actif disponible;

Vu la déclaration de saisine de la cour de renvoi par les consorts [F] en date du 31 mai 2013;

Vu les conclusions déposées le 6 janvier 2015 pour les consorts [F];

Vu les conclusions déposées le 7 janvier 2015 pour la selas Soinne es qualité de liquidateur judiciaire de la société Groupe Centracom;

Vu l'ordonnance de clôture du 8 janvier 2015;

Monsieur [C] [F] sollicite l'infirmation du jugement l'ayant condamné à supporter les dettes de la société Groupe Centracom faute que soit rapportée la preuve de fautes de gestion; subsidiairement, il demande la réduction de la condamnation;

Monsieur [X] [F] et madame [L] [F] formulent les mêmes demandes;

L'intimée sollicite la confirmation du jugement et 15 000€ sur la base de l'article 700 du code de procédure civile.

La SA Groupe Centracom avait pour président de son conseil d'administration [C] [F]; son épouse et son fils étaient administrateurs; en juin 2003 , la société Groupe Centracom a été placée en liquidation judiciaire avec une insuffisance d'actif de 8 485 150€, de sorte que le ministère public et le mandataire ont saisi le tribunal afin qu'il prononce des sanctions.

La selas Soinne précise que monsieur [C] [F] a été condamné à 4 mois d'emprisonnement avec sursis et 3000€ d'amende pour escroquerie par production de bordereaux de créances professionnelles faisant état de créances inexactes justifiées par des fausses factures dans le but d'anticiper auprès des banques la mobilisation des créances dites [E], ce que la selas qualifie de faute de gestion, d'autant que cette faute a permis de dissimuler la situation réelle de la société, de tromper les organismes de crédit, de contracter des dettes nouvelles et d'augmenter le passif, système qu'elle décrit comme généralisé; elle ajoute que le Commissaire aux Comptes et la police ont constaté des anomalies comptables, comme des doubles facturations, ou des facturations avoirisées puis refacturées sans traitement comptable de nature à laisser penser à un crédit imaginaire.

Elle fait valoir que nonobstant une insuffisance d'actif de plus de 8 millions

d'euros, la procédure collective a été ouverte à la demande de l'URSSAF, monsieur [F] n'ayant pas cru utile de déposer le bilan; la cour a indiqué que compte tenu de la demande de report de la date de cessation des paiements, dont elle était saisie par ailleurs, elle ne reprenait pas cette date dans son arrêt puisque de toute façon monsieur [F] aurait dû nécessairement déposer le bilan, qu'en effet le délai ayant couru entre la délivrance de l'assignation de l'URSSAF et la comparution devant le tribunal était supérieur au délai de 15 jours dont disposait monsieur [F] pour déposer le bilan, le report de la date de cessation des paiements ne faisant qu'aggraver ce manquement.

Elle ajoute que le résultat d'exploitation de 2001 était de - 3 885 868€, que l'exercice 2002 s'était soldé par un résultat négatif de - 4 105 658€, que les capitaux propres apparaissaient au bilan pour une valeur négative de - 2 792 158€, qu'il était donc acquis que l'activité était déficitaire de longue date puisque depuis début 2001, la société perdait en moyenne 332 980€ par mois, monsieur [F] poursuivant pourtant son activité en se servant une rémunération de 9000€ par mois. Elle fait également valoir que monsieur [F] a eu recours à des moyens ruineux pour se procurer des fonds: recours abusif à la mobilisation de créances, vente de matériel n'appartenant pas à la société mais à un crédit bailleur.

Elle souligne que la Cour a retenu la responsabilité des administrateurs demeurés inactifs malgré de nombreuses alertes, formulées dans les rapports du Commissaire aux Comptes dès 1999, réitérées en 2000 puis en 2001 pour aboutir en novembre 2002 à une procédure d'alerte, trouvées dans l'enquête de police qui a donné lieu à des perquisitions dont ils ont été les témoins, qu'ils ont été déficients dans leur mission de surveillance et de contrôle, ne tenant pas compte des risques signalés et ne réagissant pas malgré la confirmation de leur réalisation.

Elle plaide qu'une seule faute de gestion suffit à justifier la condamnation du dirigeant, que dans le cadre de leur pourvoi les consorts [F] n'ont véritablement critiqué que celle ayant trait à la déclaration de cessation des paiements, au demeurant la seule censurée, que le périmètre de la saisine de la cour aujourd'hui ne concerne que cette faute de gestion, la faillite personnelle de [C] [F] étant définitive ainsi que ses fondements à savoir la poursuite abusive d'une exploitation déficitaire, le caractère irrégulier de la comptabilité et l'emploi de moyens ruineux qui ne peuvent plus être remis en question . S'y ajoute la faute constituée par l'escroquerie définitivement jugée au pénal.

Sur le seul point en discussion, la selas Soinne fait valoir que par décision définitive, la date de cessation des paiements a été fixée au plus tard au 11 juin 2003, qu'à l'époque le délai pour déposer était de 15 jours, qu'il est acquis qu'au 26 juin 2003, le bilan n'était pas déposé. Elle en veut pour preuve que la procédure d'alerte est du 28 novembre 2002, que le juge enquêteur a constaté dans son rapport du 27 janvier 2003 un état de cessation des paiements , que le 15 avril l'avocat de monsieur [F] le reconnaissait lui même, que l'expert judiciaire le constatait dans son rapport du 11 juin 2013 fixant cette date au 05 juin 2003, sans que jamais monsieur [C] [F] ne dépose le bilan.

Monsieur [C] [F] , en ce qui concerne le périmètre d'appréciation de la cour de renvoi, fait valoir que la précision apportée par l'arrêt de la Cour de Cassation selon laquelle:' la condamnation au titre de l'insuffisance d'actif ayant été prononcée en considération de plusieurs fautes de gestion, la cassation encourue à raison de l'une d'entre elles entraîne la cassation de l'arrêt de ce chef' entraîne une appréciation ' globale' des conséquences des fautes de gestion sans qu'aucune ventilation entre elles ne soit faite, de sorte que ce sont les 5 fautes qui doivent être examinées, la cour étant saisie de l'intégralité des éléments de fait et de droit relatifs à la condamnation au comblement de l'insuffisance d'actif.

Il remet en question le fait que sa condamnation pénale constituerait au plan commercial une faute de gestion, alors que les faits sanctionnés sont tous antérieurs au 11 juin 2002 et que les banques ont continué sans réserve à lui accorder des encours [E], effectuant des déclarations de créances au moment de la procédure collective sans lien avec les mobilisation [E], objet de la procédure pénale; il ajoute qu'il a été relaxé du chef de faux bilans, notamment pour l'année 2001, que les comptes ont été certifiés par KPMG, avant l'envoi de sa lettre du 6 janvier 2003 au procureur de la république, qui a suivi sa garde à vue.

Il ajoute que l'on ne peut lui reprocher l'absence de dépôt de bilan alors que la date de cessation des paiements n'a pas été caractérisée, que l'instance en report menée par le liquidateur a échoué, que seule la date fixée par le jugement d'ouverture, soit le 11 juin 2003 doit être prise en considération; il estime que si des difficultés étaient prévisibles en 2003, il était encore en capacité de les anticiper fin 2002, recherchant des moratoires, mettant en oeuvre la vente d'un des actifs de la société représenté par un immeuble d'une valeur de 610 000€, espérant de deux importants contrats, relançant son crédit bailleur immobilier pour renégocier sa charge, que ce n'est que les 10 et 12 avril 2013 que la société a appris qu'elle n'était pas retenue pour deux énormes marchés pour lesquels elle avait candidaté, que cependant ses démarches de moratoire aboutissaient , que liquider immédiatement sans poursuite d'activité permettant la recherche d'un repreneur signifiait le licenciement de 126 salariés, la vente des actifs à une valeur sous évaluée, la perte du contrat de crédit bail immobilier, la perte des travaux en cours; il expose que c'est la raison pour laquelle il a fait appel de la décision de liquidation, rejoint en cela par le commissaire à l'exécution du plan et l'avocat général qui sollicitaient aussi le sursis à statuer.

Il conteste l'affirmation selon laquelle il aurait recouru abusivement au crédit, le liquidateur ne démontrant pas en quoi, si dépassement il y avait eu, il aurait revêtu un caractère anormal qui aurait permis de masquer la réalité de l'insuffisance d'actif, alors que seul le recours à la mobilisation de créances était utilisé avec l'accord des banques, le plafond autorisé n'ayant jamais été dépassé et la réserve de trésorerie potentielle par la mobilisation de type [E] étant au 5 juin 2003 de 777 995,79€.

Subsidiairement, il fait remarquer que le juge doit caractériser à la fois sur le principe et le montant l'influence de la commission de la ou des fautes de gestion par rapport au montant de l'insuffisance d'actif, que s'impose la question de la proportionnalité.

Quant aux administrateurs, ils affirment n'avoir pas reçu de rémunération, sauf le salaire de monsieur [X] [F] mais pour des fonctions totalement différentes, avoir rempli leurs fonctions en assistant aux conseils d'administration et aux assemblées, faisant confiance à monsieur [C] [F] et aux éléments d'information transmis lors de l'approbation des comptes annuels par le Commissaire aux Comptes, qui n'a émis aucune réserve sur les comptes 1999, 2000, 2001, les comptes 2002 n'ayant pu être approuvés en raison de l'ouverture de la procédure collective au 26 juin 2003, avant que le délai légal d'approbation des comptes ne soit expiré au 30 06 2003; ils ajoutent que jusqu'en juin 2003, banques et organismes sociaux faisaient confiance à la société, que doivent être démontrées à leur encontre des fautes positives de gestion dans leur mission de surveillance et de contrôle de l'entreprise et qui leur soient imputables, ce qui n'est pas le cas.

Sur ce

Sur le périmètre de la saisine de la cour

A titre liminaire, il importe de rappeler qu'il résulte des articles 624,631,632 et

633 du code de procédure civile que la cassation qui atteint un chef de dispositif n'en laisse rien subsister, quelque soit le moyen qui a déterminé la cassation, qu'il s'en suit que, dans l'hypothèse d'une cassation partielle, aucun des motifs de fait ou de droit ayant justifié la position annulée ne subsiste, de sorte que la cause et les parties sont remises de ce chef dans l'état où elle se trouvaient avant l'arrêt précédemment déféré. En conséquence, la condamnation pour insuffisance d'actif ayant été prononcée en considération de plusieurs fautes de gestion, la cassation encourue à raison de l'une d'entre elles entraîne la cassation de l'arrêt de ce chef et un examen des 5 fautes qui l'ont sous tendue , la cour étant saisie de l'intégralité des éléments de fait et de droit relatifs à la condamnation au comblement de l'insuffisance d'actif.

Sur les fautes de gestion

Il convient de les examiner toutes, les motifs portant sur la faillite personnelle, seraient ils le soutien du dispositif, n'ayant pas autorité de chose jugée en ce qui concerne l'action en comblement de passif.

Il est établi que l'insuffisance d'actif du groupe Centracom est de 6 211 816,24€, déduction faite de la créance de l'AGS.

- monsieur [C] [F] n'a pas déclaré l'état de cessation des paiements de la sa Groupe Centracom dans le délai légal; la délivrance par l'URSAFF d'une assignation ne l'en dispensait pas; à l'époque le délai était de 15 jours. L'omission de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal, susceptible de constituer une faute de gestion, s'apprécie au regard de la seule date de la cessation des paiements fixée dans le jugement d'ouverture ou dans un jugement de report ;or, la cour d'appel de Douai, dans son arrêt confirmatif du 11 septembre 2003, a définitivement consacré la date de cessation des paiements au 11 juin 2003 qui était celle retenue par le jugement d'ouverture, aucun report n'ayant été consacré par ailleurs. Il est constant que dans le délai de 15 jours, aucune déclaration n'a été formalisée; la faute de gestion n'est donc pas contestable.

- [C] [F] a été condamné pour escroquerie le 19 décembre 2008, le tribunal l'ayant déclaré coupable d'escroquerie par production de bordereaux de cession de créances professionnelles faisant état de créances inexactes justifiées par de fausses factures sur une période s'étalant de mai 1999 au 11 juin 2002. À cet égard, il n'est pas contestable que l'usage de fausses factures dans le but d'anticiper auprès des banques la mobilisation de créances [E] et pallier les difficultés récurrentes de trésorerie de la société constitue par essence une faute de gestion au sens de l'article L 624-3 ancien du code de commerce. En effet cette faute a permis de dissimuler la situation réelle de la société, lui a permis de continuer à contracter des dettes qui ont évidemment contribué à augmenter le passif , donc par voie de conséquence l'insuffisance d'actif, peu important que les faits aient été commis jusqu'en juin 2002, cette période faisant partie de la période au cours de laquelle a été créée l'augmentation du passif ayant conduit à la liquidation, et peu important que les banques n'aient en définitive pas subi de préjudice matériel direct.

- En ce qui concerne la comptabilité, s'il est exact que le juge pénal n'a pas retenu [C] [F] dans les liens de la prévention s'agissant des faux bilans, cette décision ne fait pas obstacle à ce qu'une juridiction commerciale constate qu'il y a eu des manquements aux règles régissant la comptabilité pendant la période considérée. Il résulte tant de l'enquête que du courrier du commissaire aux comptes adressé le 6 janvier 2003 au procureur de la république que des anomalies ont été constatées sur un certain nombre de factures d'un montant non négligeable, factures ayant fait l'objet d'une annulation par un avoir postérieur à la clôture de l'exercice 2001 puis d'une re-facturation ultérieure, ou bien d'annulation sans contrepartie sans que ces événements aient fait l'objet d'un retraitement. Le commissaire aux comptes constatait également que le 31 décembre 2000, une facture à établir de 125 008,19€ avait été constatée en produits, puis annulée en 2002, aucune prestation n'ayant été effectuée. Il dénonçait également plusieurs affaires facturées par anticipation et l'existence d'une double facturation. Il admettait devant la police qu'il avait constaté un certain nombre d'anomalies comptables sur les exercices précédents, que les contrôle réalisés auparavant n'avaient pas été suffisamment 'puissants', ce qui explique qu'il avait certifié ces comptes; il s'en suit que ces anomalies ont permis à la société de continuer à obtenir des crédits, que les bilans ne peuvent être considérés comme traduisant une image fidèle de la société, que la situation réelle ne lui aurait pas permis d'y recourir, que sur la base d'une apparence trompeuse de solvabilité, monsieur [F] a nécessairement augmenté le passif de la sa Groupe Centracom, ne serait ce que par l'engagement de frais financiers très importants et de plus en plus importants et par voie de conséquence l'insuffisance d'actif. Il est certain que monsieur [C] [F] avait connaissance de ces anomalies, ayant d'ailleurs reconnu devant les enquêteurs 'avoir fait des bilans erronés'.

- il lui est reproché d'avoir poursuivi une activité déficitaire dans un intérêt personnel; l'expert a indiqué qu'au 31 décembre 2002, l'actif net était négatif de - 2 792 158€, que le résultat d'exploitation de l'année 2001 était de - 3 885 868€, que l'exercice 2002 s'est soldé par un résultat négatif de - 4 105 658€, qu'il est acquis que la société perdait en moyenne 332 980€ par mois, que sa sous- capitalisation était chronique, que monsieur [F] a certes recherché des moratoires, et des solutions qu'il a obtenus mais insusceptibles au regard du quantum des capitaux à ré-injecter de permettre la poursuite de l'exploitation; or il a poursuivi cette activité, en connaissance de cause, persistant à toucher une rémunération de 9000€ par mois. Dans de telles conditions, il a maintenu son activité sans contrôle judiciaire pendant au moins un exercice au cours duquel les pertes ont été considérables, ce qui d'emblée a nécessairement contribué à l'insuffisance d'actif.

- le liquidateur soutient que [C] [F] a commis une erreur de gestion en ayant recours de manière excessive et ruineuse au crédit; au delà des moyens frauduleux décrits plus avant, monsieur [C] [F] a eu recours de manière abusive à la mobilisation de créances, ce qui a augmenté de manière importante les frais financiers qui sont passés de 182 707€ à 276 027€ entre 2000 et 2002, que cette situation a été favorisée par l'absence d'outil de prévision mensuelle relevée par l'expert judiciaire, les banques n'ayant pas eu connaissance de l'utilisation d'une anticipation frauduleuse; il s'en suit que le recours à des moyens ruineux est constitué.

En ce qui concerne le montant de la condamnation, si les fautes de gestion qui ont contribué à l'insuffisance d'actif n'en sont pas la seule cause, toutefois plusieurs éléments sont à prendre en considération pour chiffrer le montant de la condamnation au comblement du passif; sont à prendre en considération la gravité, le nombre des fautes, le montant de l'insuffisance d'actif, l'état du patrimoine du dirigeant concerné, les circonstances de fait et les facteurs économiques. Au regard du caractère pénal de deux des fautes de gestion, de l'existence de plusieurs fautes, de leur gravité, du montant de l'insuffisance d'actif, du patrimoine et des revenus de l'intéressé, il convient de le condamner à supporter les dettes de Centracom à hauteur de 2 000 000€.

Sur le défaut de surveillance des administrateurs

[X] [F] et [L] [F] étaient tous deux administrateurs et à ce titre, même non rétribués, tenus à une surveillance et à un contrôle de l'administration de la société et ils ne peuvent se réfugier derrière leur incompétence ou la confiance qu'ils avaient dans leur dirigeant d'autant qu'ils n'ont pu ignorer les multiples alarmes qui auraient du alerter leur vigilance ou l'accroître : un contrôle du commissaire aux comptes en août 2002 qui révélait une perte importante sur quelques mois, l'ouverture d'une enquête pénale, une procédure d'alerte mise en route par le commissaire aux comptes étaient de nature à les interpeller; il s'agit de l'épouse et du fils de monsieur [F] qui étaient nécessairement informés de la situation et des difficultés de l'entreprise. Ils auraient pu exiger que monsieur [C] [F] procède à la déclaration de cessation des paiements ou démissionner s'ils n'étaient plus en capacité d'exercer leur contrôle. Il est constant qu'ils sont restés passifs, face d'abord au résultat d'exploitation gravement déficitaire de 2001, puis plus tard face aux impayés des charges sociales et salaires dès février 2003 favorisant l'aggravation de la situation déjà très obérée de Centracom. Leur abstention a clairement participé à l'insuffisance d'actif de sorte que le principe de leur condamnation doit être maintenu.

Sans s'en expliquer le tribunal a fait une distinction dans le quantum de la condamnation. Pourtant, leur attitude a été la même et les reproches qui peuvent leur être faits sont du même ordre de même qu'est de même nature la confiance qu'ils plaçaient en leur parent ou époux. Il parait légitime de les condamner tous deux à la plus légère des deux peines prononcée par le tribunal, compte tenu du contexte familial qui a participé de leur passivité, le tribunal étant resté justement modéré en ce qui concerne madame [F]. Il convient en conséquence de les condamner à 100 000€ chacun.

Succombant en leurs demandes , les consorts [F] seront condamnés à payer 4000€ au liquidateur sur la base de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs

La cour statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe

Vu l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 15 septembre 2011;

Vu l'arrêt de la cour de cassation en date du 11 décembre 2012 ayant partiellement cassé cet arrêt en ce qu'il a condamné les consorts [F] à supporter une partie de l'insuffisance d'actif, et dans le périmètre de cette saisine,

Confirme le jugement, sauf sur le quantum de la condamnation prononcée à l'égard de [C] [F] et de [X] [F] au titre de l'article L 624-3 ancien du code de commerce et sauf à y ajouter que:

- monsieur [C] [F] n'a pas déclaré l'état de cessation des paiements de la sa Groupe Centracom, consacré par la juridiction commerciale au 11 juin 2013, dans le délai légal;

Statuant de nouveau par voie de réformation, condamne [C] [F] à payer au liquidateur la somme de 2 000 000€ au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif;

Condamne [X] [F] à payer au liquidateur la somme de 100 000€ au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif;

Déboute les consorts [F] de leurs plus amples demandes;

Condamne solidairement les consorts [F] à payer à la selas Soinne es qualité de liquidateur judiciaire de la société Groupe Centracom 4000€ sur la base de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

S. HURBAINC. PARENTY


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 2 section 1
Numéro d'arrêt : 13/03133
Date de la décision : 26/03/2015

Références :

Cour d'appel de Douai 21, arrêt n°13/03133 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-03-26;13.03133 ?
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