République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 2
ARRÊT DU 28/01/2015
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N° MINUTE :
N° RG : 14/01311
Jugement (N° 13/00745)
rendu le 30 Janvier 2014
par le Tribunal de Grande Instance de LILLE
REF : TS/VC
APPELANTE
SCI LE CLOS DES TISSEURS 2010 agissant poursuites et diligences de son représentant légal
Ayant son siège social
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Bernard FRANCHI, membre de la SCP FRANÇOIS DELEFORGE-BERNARD FRANCHI, avocat au barreau de DOUAI
Assistée de Me Olivier DOLMAZON, avocat au barreau de LYON
INTIMÉES
LA MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS, prise en la personne de son représentant légal
Ayant son siège social
[Adresse 4]
[Localité 4]
EURL TRANSITION, prise en la personne de son représentant légal,
Ayant son siège social
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentées par Me Arnaud DRAGON, avocat au barreau de DOUAI
Assistées de Me Julien NEVEUX, avocat au barreau de LILLE
SCP [I], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Ayant son siège social
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me René DESPIEGHELAERE, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS à l'audience publique du 02 Décembre 2014, tenue par Thomas SPATERI magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Claudine POPEK
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Jean-Loup CARRIERE, Président de chambre
Véronique FOURNEL, Conseiller
Thomas SPATERI, Conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 28 Janvier 2015 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Monsieur Jean-Loup CARRIERE, Président et Claudine POPEK, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 17 octobre 2014
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EXPOSE DU LITIGE :
La société PVH PROMOVAL a projeté la réhabilitation d'une ancienne usine sise à [Localité 5], pour l'aménager en logements et parkings. Cette société est devenue la gérante de la SCI LE CLOS DES TISSEURS constituée pour l'occasion.
Une mission complète de maîtrise d'oeuvre a été confiée à l'EURL TRANSITION par contrat du 3 juillet 2006.
La société PVH PROMOVAL a confié le 27 septembre 2006 à la SCP [I], géomètres experts, la réalisation des plans des lieux. La SCP [I] a dressé le 3 octobre 2008 un devis comportant la description complète des relevés à effectuer dont un dessin des murs, cloisons et figurations des ouvertures (portes et fenêtres). Le 27 octobre 2006 elle a fait parvenir un plan du 1er étage matérialisant le mur extérieur avec ses fenêtres.
Le permis de construire accordé le 26 avril 2007 reprend ce plan en créant 10 lots sur la surface de cet étage. Une des deux fenêtres de l'angle Sud-Est est occultée. Une nouvelle fenêtre a été ouverte sur cette façade pour le lot n°105. Ce permis de construire a été transféré fin 2010 à la SCI LE CLOS DES TISSEURS.
Fin avril 2012 la SCI a avisé son assureur la MAF de la non conformité des fenêtres des lots 108 et 109 au permis de construire, celles-ci étant partiellement ou totalement obstruées par des constructions mitoyennes. Un procès verbal de constat d'huissier du 12 juillet 2012 mentionne que deux ouvertures du lot 108 et une ouverture du lot 109 sont totalement ou partiellement obstruées par les maçonneries de l'immeuble voisin.
Par lettre recommandée du 24 octobre 2012 la SCI a renouvelé ses griefs en désignant les lots 107 et 108 comme dépourvus de fenêtres, ajoutant qu'il manque une fenêtre au lot 109 et qu'un problème demeure relatif à la hauteur des allèges de fenêtres. Elle ajoute que les lots 108 et 109 sont invendables en l'état et qu'il a fallu transiger pour vendre le lot 109 en raison de l'absence d'une fenêtre.
Par acte d'huissier des 10 et 14 janvier 2013 la SCI LE CLOS DES TISSEURS a fait assigner l'EURL TRANSITION, la MAF et la SCP [I] devant le tribunal de grande instance de Lille afin qu'elles soient condamnées in solidum à lui payer les sommes de 197.439 € au titre du manque à gagner résultant de l'impossibilité de vendre les lots 107 et 108, celle de 804,70 € au titre des frais de notaire rectificatif de vente du lot 109, celle de 5.000 € au titre de l'indemnisation versée à l'acquéreur du lot n°109, celle de 9.765 € au titre des travaux supplémentaires, celle de 10.000 € au titre de l'atteinte à sa réputation et 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par jugement du 30 janvier 2014 le tribunal de grande instance de Lille a déclaré irrecevable l'action de la SCI LE CLOS DES TISSEURS en raison du non respect du préalable de saisine de l'ordre des architectes prévu au contrat de maîtrise d'oeuvre, débouté la SCI LE CLOS DES TISSEURS de son action à l'encontre de la SCP [I], condamné la SCI LE CLOS DES TISSEURS à payer à la SCP [I] la somme de 1.500 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La SCI LE CLOS DES TISSEURS a interjeté appel de ce jugement le 25 février 2014.
Elle en sollicite l'infirmation et demande, sur le fondement de la responsabilité contractuelle et subsidiairement sur le celui des articles 1382 et 1383 du Code civil la condamnation de l'EURL TRANSITION, la MAF et la SCP [I] à lui payer les sommes de 197.439 € au titre du manque à gagner résultant de l'impossibilité de vendre les lots 107 et 108, celle de 804,70 € au titre des frais de notaire rectificatif de vente du lot 109, celle de 5.000 € au titre de l'indemnisation versée à l'acquéreur du lot n°109, celle de 9.765 € au titre des travaux supplémentaires, celle de 15.000 € au titre de l'atteinte à sa réputation, le tout avec intérêts au taux légal depuis le 10 janvier 2013, et 10.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient que son action est recevable au motif que la clause de saisine préalable de l'ordre des architectes n'est ni une clause d'arbitrage ni une clause compromissoire, qu'elle ne donne à l'ordre des architectes aucune mission de médiation ou de conciliation et qu'elle n'interdit pas le recours aux juridictions judiciaires. Elle ajoute avoir en outre saisi le conseil de l'ordre qui, le 7 avril 2014, a renvoyé les parties à saisir les tribunaux compétents. Elle fait valoir à ce titre que le défaut de mise en oeuvre d'une procédure de conciliation préalable au procès constitue une fin de non recevoir susceptible d'être régularisée en application de l'article 126 du Code de procédure civile .
La SCI affirme encore avoir qualité pour agir, ainsi qu'il résulte de ses statuts, du transfert à son profit du permis de construire et de la poursuite des relations contractuelles avec les intimées. Elle fait de même observer qu'elle a payé le maître d'oeuvre et le géomètre, de sorte qu'il s'est opéré une substitution entre la société PVH PROMOVAL et elle-même dès lors que la mission a été effectuée pour son compte. La SCI expose enfin que l'EURL TRANSITION n'est pas recevable à se contredire en exigeant de sa part la saisine de l'ordre des architectes en application du contrat de maîtrise d'oeuvre pour ensuite lui dénier la qualité de partie à ce même contrat.
Subsidiairement elle considère que les intimées ont commis à son égard des fautes délictuelles à l'origine de son dommage.
En particulier elle reproche aux géomètres d'avoir établi des plans faisant figurer des ouvertures inexistantes en ce qu'elle étaient en réalité comblées par un mur, et ce alors qu'elle était tenue d'une obligation de résultat. À l'encontre de l'architecte, la SCI allègue des erreurs de conception, notamment dans la réalisation des plans qui font figurer des fenêtres inexistantes ou irréalisables ou qui mentionnent des hauteurs d'allège différentes, de sorte que le projet n'était pas réalisable. À l'encontre de la MAF elle entend exercer l'action directe de l'article L124-3 du Code des assurances.
La MAF et l'EURL TRANSITION concluent à la confirmation du jugement, subsidiairement au rejet des demandes de la SCI LE CLOS DES TISSEURS, encore plus subsidiairement à la réduction des sommes pouvant être allouées à cette dernière en raison de sa propre négligence et demandent à être relevées et garanties par la SCP [I]. La MAF demande en outre à n'être tenue que dans la limite de sa franchise contractuelle. Elles sollicitent enfin l'octroi de la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elles soutiennent que la SCI LE CLOS DES TISSEURS est irrecevable à agir faute d'avoir saisi préalablement à toute procédure judiciaire l'ordre des architectes, ainsi que prévu au contrat, et qu'elle n'a en tout état de cause pas de qualité pour agir dans la mesure où elle n'est pas le maître de l'ouvrage, le contrat de maîtrise d'oeuvre ayant été signé par la société PVH PROMOVAL.
Au fond, l'EURL TRANSITION conteste avoir commis une faute en ce que l'obturation des fenêtres résulte de la construction d'un édifice par le propriétaire du fonds voisin en cours de chantier, elle-même ayant formulé une proposition réaménager les lots affectés, restée dans réponse, ce silence ayant contribué à augmenter le dommage. Pour le cas où une faute devait être reconnue, elle soutient que celle-ci est à la charge des géomètres dont le plan est ambigu en ce qu'il fait figurer des fenêtres en réalité obturées. Elle s'oppose en outre à toute condamnation solidaire avec ceux-ci en application de l'article G.6.3.1 du cahier des clauses générales du contrat.
La SCP [I] conclut à la confirmation du jugement et demande la condamnation de la SCI LE CLOS DES TISSEURS à lui payer la somme de 3.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile aux motifs que sa mission se limiter à situer les fenêtres sur le plan, dans la mesure où elles existent ou que leur structure existe ou puisse être utilisée, peu important qu'elles soient murées, encombrées ou non dès lors qu'elles puissent être mises à l'usage au gré du maître de l'ouvrage. Elle ajoute qu'elle n'avait pas pour mission de vérifier l'environnement ni de donner son avis sur les vues extérieures. Elle fait encore valoir que la SCI était parfaitement informée de la situation des lieux.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 octobre 2014.
SUR CE,
Sur la recevabilité :
Attendu qu'il résulte de l'article 126 du Code de procédure civile que le défaut de mise en oeuvre de la clause d'un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non recevoir qui peut être régularisée en cours d'instance ;
Que par lettre du 25 mars 2014 la SCI LE CLOS DES TISSEURS a saisi le conseil régional de l'ordre des architectes du Nord Pas de Calais en application de l'article G10 des conditions générales du contrat d'architecte stipulant 'qu'en cas de différend portant sur le respect des clauses du présent contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l'ordre des architectes dont relève l'architecte, avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire' ;
Que par lettre du 7 avril 2014 ledit conseil a répondu qu'il n'étudierait pas le dossier et a renvoyé les parties à saisir la juridiction compétente ;
Que la fin de non recevoir ayant été régularisée, l'irrecevabilité tirée de ce chef sera écartée ;
Attendu qu'en application de l'article 122 du Code de procédure civile nul n'est recevable à se contredire au détriment d'autrui dès lors que les actions engagées sont de même nature, se fondent sur les mêmes conventions et concernent les mêmes parties ;
Qu'ainsi la MAF et l'EURL TRANSITION ne peuvent à la fois soulever, en première instance et en appel, l'irrecevabilité pour agir de la SCI LE CLOS DES TISSEURS faute pour elle de respecter la clause du contrat d'architecte imposant la saisine de l'ordre des architectes, ce qui implique nécessairement la reconnaissance du fait qu'elle est partie à ce contrat et liée par lui, et soutenir pour la première fois en cause d'appel qu'elle serait également irrecevable pour agir faute d'être partie à ce même contrat et posséder de ce fait la qualité de maître de l'ouvrage, ces deux moyens étant incompatibles l'un avec l'autre ;
Que cette fin de non recevoir devra également être rejetée, et le jugement infirmé en ce qu'il a déclaré la SCI LE CLOS DES TISSEURS irrecevable en son action à l'encontre de la MAF et de l'EURL TRANSITION ;
Au fond :
Attendu que la SCI LE CLOS DES TISSEURS produit elle-même aux débats un procès verbal de constat d'huissier du 12 juillet 2012 duquel il ressort qu'elle a déclaré à l'officier ministériel ayant instrumenté que le propriétaire voisin de l'immeuble situé à droite en se positionnant façade avant avait comblé trois ouvertures existantes à hauteur du premier étage de son propre immeuble ;
Que l'huissier a ensuite constaté, au premier étage de l'immeuble appartenant à la SCI, à hauteur de l'emplacement des futurs appartements 108 et 109, qu'il existait des ouvertures latérales surplombant l'emprise de l'immeuble situé à droite de la façade principale et que trois de ces ouvertures étaient comblées totalement ou partiellement, visiblement par le propriétaire de l'immeuble voisin qui est venu appuyer, ancrer, des maçonneries de briques, poutres et linteaux métalliques, directement dans les encadrements des ouvertures existantes de l'immeuble de la SCI ;
Qu'ainsi l'absence d'ouverture dans les lots 108 et 109 n'est pas imputable à l'architecte ou aux géomètres, dont les plans prévoient bien de telles ouvertures, de sorte qu'en l'absence de faute des intimées, la SCI LE CLOS DES TISSEURS devra être déboutée de ses demandes à leur encontre à ce titre ;
Attendu que le compte rendu de chantier du 26 juillet 2012 mentionne que 'sur les châssis créés la hauteur d'allège est de 0,95 cm' ;
Que le compte rendu de chantier du 13 septembre 2012 indique 'sur les châssis créés la hauteur d'allège est de 0,95cm' et que 'suite au modification d'allège (sic), la hauteur des châssis existants passe à 1,90 m' ;
Que le relevé des hauteurs sous plafonds fait par la SCP [I] indique une mesure variant, avant travaux de réaménagement, entre 3,02 et 3,20 mètres, tandis que les plans annexes au permis de construire, réalisés par l'EURL TRANSITION, mentionnent une hauteur sous plafond de 2,90 mètres dans tous les lots, ce qui implique nécessairement une variation de la hauteur des allèges qui ne pouvait être identique dans tous les lots ;
Que cette variation, inhérente à la configuration des lieux, n'est donc pas imputable aux intimées, les demandes de la SCI de ce chef devant également être rejetées ;
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Attendu que la SCI LE CLOS DES TISSEURS succombe en son appel et en supportera les dépens ;
Qu'elle sera encore condamnée à payer à l'EURL TRANSITION et à la MAF d'une part, à la SCP [I] d'autre part, la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement ;
Confirme le jugement, sauf en ce qu'il a déclaré la SCI LE CLOS DES TISSEURS irrecevable à agir à l'encontre de l'EURL TRANSITION et de la MAF ;
Statuant de nouveau de ce chef et y ajoutant :
Déclare la SCI LE CLOS DES TISSEURS recevable en son action à l'encontre de l'EURL TRANSITION et de la MAF et l'en déboute ;
Condamne la SCI LE CLOS DES TISSEURS à payer à l'EURL TRANSITION et à la MAF la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne la SCI LE CLOS DES TISSEURS à payer à la SCP [I] la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne la SCI LE CLOS DES TISSEURS aux dépens de l'appel, avec droit de recouvrement direct DESPIEGHELAERE, avocat, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
Le GreffierLe Président,
C. POPEKJ.L. CARRIERE