République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 2
ARRÊT DU 28/01/2015
***
N° MINUTE :
N° RG : 14/01195
Jugement (N° 12/00961)
rendu le 17 Décembre 2013
par le Tribunal de Grande Instance d'AVESNES SUR HELPE
REF : TS/VC
APPELANTS
Monsieur [A] [K]
né le [Date naissance 3] 1941 à [Localité 3]
Madame [L] [V] épouse [K]
née le [Date naissance 1] 1946 à [Localité 1]
Demeurant ensemble
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentés par Me Bernard FRANCHI, membre de la SCP FRANÇOIS DELEFORGE-BERNARD FRANCHI, avocat au barreau de DOUAI
Assistés de Me Mounir AIDI, avocat au barreau d'AVESNES-SUR-HELPE
INTIMÉS
Monsieur [R] [B]
né le [Date naissance 4] 1937 à [Adresse 1]
Madame [H] [X] épouse [B]
née le [Date naissance 2] 1944 à [Localité 2]
Demeurant ensemble
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentés et assistés par Me Patrick HOUSSIERE, membre de la SCP LEMMENS-HOUSSIERE, avocat au barreau d'AVESNES-SUR-HELPE
DÉBATS à l'audience publique du 02 Décembre 2014, tenue par Thomas SPATERI magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Claudine POPEK
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Jean-Loup CARRIERE, Président de chambre
Véronique FOURNEL, Conseiller
Thomas SPATERI, Conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 28 Janvier 2015 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Monsieur Jean-Loup CARRIERE, Président et Claudine POPEK, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 17 octobre 2014
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EXPOSE DU LITIGE :
Par acte authentique des 5 et 6 mars 1963 monsieur et madame [B] ont acquis un bien immobilier sis à [Adresse 3] et cadastré section E n°[Cadastre 3] et [Cadastre 6].
Le 22 juillet 1991 monsieur et madame [K] ont acquis l'immeuble voisin sis [Adresse 3] et cadastré section E n°[Cadastre 1] et [Cadastre 2].
Les deux actes d'acquisitions stipulaient une clause de constitution de servitude de passage à pied et à brouette, à l'exclusion de tout moyen de locomotion, de jour comme de nuit, au profit des immeubles contigus cadastrés section E n°[Cadastre 3] et [Cadastre 6] pour permettre l'accès des cours et jardins situés derrière cet immeuble à la rue des champs et vice versa, ce droit de passage devant s'exercer sur le terrain situé au pignon de l'immeuble cadastré section E n°[Cadastre 2] en passant dans la cour de derrière de cet immeuble.
Le 30 août 2010 les époux [B] ont saisi le tribunal d'instance d'Avesnes sur Helpe aux fins de destruction d'une construction empêchant l'utilisation de la servitude de passage.
Par jugement du 16 février 2012 le tribunal d'instance d'Avesnes sur Helpe s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de ladite ville.
Par jugement du 17 décembre 2013 le tribunal de grande instance d'Avesnes sur Helpe a :
- débouté monsieur et madame [K] de leur demande tendant à constater l'extinction de la servitude de passage pour non usage et inutilité,
- débouté monsieur et madame [K] de leur demande de modification de l'assiette de la servitude de passage,
- ordonné à monsieur et madame [K] de détruire la terrasse et l'escalier afin de permettre l'utilisation normale de la servitude,
- dit que monsieur et madame [K] devront procéder à l'exécution des travaux dans le délai de deux mois à compter de la signification de la décision,
- dit que passé ce délai ils seront redevables d'une astreinte de 50 € par jour de retard,
- débouté monsieur et madame [B] de leur demande d'enlèvement du portillon,
- ordonné à monsieur et madame [K] de laisser le portillon ouvert ou d'en laisser la clef à monsieur et madame [B],
- condamné monsieur et madame [K] à payer à monsieur et madame [B] la somme de 3.000 € de dommages et intérêts,
- débouté monsieur et madame [K] de leur demandes de dommages et intérêts,
- condamné monsieur et madame [K] à payer à monsieur et madame [B] la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté monsieur et madame [K] de leurs autres demandes,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné monsieur et madame [K] aux dépens.
Monsieur et madame [K] ont interjeté appel de ce jugement le 20 février 2014. Ils en sollicitent l'infirmation et demandent qu'il soit jugé que la servitude de passage de monsieur et madame [B] est prescrite et que soit ordonnée la publication de l'arrêt à intervenir. Subsidiairement ils demandent que soit modifiée l'assiette de la servitude, celle-ci s'exerçant désormais par une petite grille au bout de la parcelle E [Cadastre 4] donnant sur la parcelle E 1414 avec un passage longeant leur propriété par le côté gauche. Ils demandent encore le rejet des prétentions de monsieur et madame [B] et leur condamnation à leur payer la somme de 3.000 € de dommages et intérêts ainsi que 2.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Ils font valoir que monsieur et madame [B] n'utilisent plus leur servitude depuis plus de 30 ans, soit au plus tard depuis le 10 avril 1975, date à laquelle ils ont acquis la parcelle cadastrée section E n°[Cadastre 5] qui leur permet un accès direct à la [Adresse 2], le passage stipulé dans l'acte de 1963 ne présentant pour eux plus aucune utilité pratique. Ils ajoutent avoir édifié leur terrasse depuis de nombreuses années sans opposition de monsieur et madame [B], ce qui démontrerait qu'ils délaissaient le passage sur lequel elle a été construite.
A titre subsidiaire ils soutiennent sur le fondement de l'article 701 alinéa 3 du Code civil que l'assiette de la servitude doit être modifiée dans la mesure où en longeant leur maison elle donne à son bénéficiaire une vue directe à l'intérieur de leur domicile et trouble leur vie privée.
Ils ajoutent enfin qu'il n'est pas démontré que leur terrasse gêne l'utilisation de la servitude.
Monsieur et madame [B] concluent à la confirmation du jugement et demandent en outre la condamnation de monsieur et madame [K] à supprimer, sous astreinte, le portillon installé en front de la rue des champs, ou à procéder à sa réouverture avec remise d'une clef, ainsi qu'à leur payer la somme de 3.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Ils font valoir que le servitude n'est pas prescrite dès lors qu'il résulte d'attestations qu'ils l'ont constamment utilisée et qu'elle constitue en outre le chemin le plus court pour se rendre de la parcelle E 1470 à la rue des champs, de sorte qu'elle ne saurait être modifiée au profit d'un passage plus long.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 octobre 2014.
SUR CE,
Attendu qu'aux termes de l'article 706 du Code civil la servitude s'éteint par le non usage pendant trente ans ;
Que monsieur et madame [B] montrent par la production de multiples attestations, non remises en cause comme l'ont souligné les premiers juges, avoir constamment utilisé la servitude objet du litige ;
Qu'ainsi monsieur [W] atteste avoir vu monsieur [B] utiliser la servitude 'assez souvent' depuis plus de quarante ans, madame [C], messieurs [F], [O], [D] et [I] attestant dans le même sens ;
Que bien plus il résulte du procès-verbal de constat en date du 8 décembre 2010 que les époux [K] ont déclaré eux-mêmes à l'huissier de justice que monsieur [B] 'utilise toujours ce passage', qu'il 'traverse leur propriété utilisant le portillon pour rejoindre la rue des champs' et qu'il 'passe au pied de la terrasse' ;
Qu'il est ainsi suffisamment démontré que la servitude n'a pas été abandonnée pendant une période continue de plus de trente dans, de sorte qu'elle n'est pas éteinte par défaut d'usage ;
Attendu que l'article 701 du Code civil dispose que le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l'usage ou à la rendre plus incommode ; qu'il ne peut changer l'état des lieux ni transporter l'exercice de la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement assignée ; que si cette assignation primitive était devenue plus onéreuse au propriétaire du fonds assujetti, ou si elle l'empêchait de faire des réparations avantageuses, il pourrait offrir au propriétaire de l'autre fonds un endroit aussi commode pour l'exercice de ses droits, et celui-ci ne pourrait pas le refuser ;
Que la Cour ne pourra que reprendre sur ce point l'analyse des plans cadastraux faite par les premiers juges selon laquelle la modification de l'assiette de la servitude proposée par monsieur et madame [K] est beaucoup plus longue que celle existante actuellement et donc qu'elle n'est pas aussi commode pour l'exercice de leur droit par monsieur et madame [B] ;
Qu'en outre c'est à juste titre que le tribunal a relevé que les époux [K] ne démontrent pas en quoi l'assiette primitive leur serait devenue plus onéreuse, cette preuve n'étant pas plus rapportée devant la Cour ;
Qu'en conséquence la demande de modification de l'assiette de la servitude doit être rejetée ;
Attendu qu'il résulte d'un procès-verbal de constat du 20 juillet 2010 que la construction de la terrasse et de l'escalier d'accès empêche d'exercer la servitude en ce qu'elle rend obligatoire son contournement par une cour dans laquelle se trouve du mobilier de jardin, ce qui rend impossible le passage en brouette et difficile le passage à pied ;
Qu'en application de l'article 701 susvisé il convient de confirmer le jugement en ses dispositions relatives à la démolition de cet ouvrage ;
Que le portail ne gênant pas le passage et ne le rendant pas moins commode, sa suppression n'en sera pas ordonnée, le jugement devant être confirmé en ce qu'il a fait injonction aux époux [K] de le laisser ouvert ou d'en donner la clef aux époux [B] ;
Qu'eu égard à l'ancienneté du litige et au trouble apporté par monsieur et madame [K] à monsieur et madame [B] dans l'exercice de leur droit de propriété, le jugement sera également confirmé en ce qu'il les a condamné au paiement de la somme de 3.000 € de dommages et intérêts ;
Attendu que la procédure intentée par monsieur [B], loin d'avoir un quelconque caractère abusif, est parfaitement fondée ;
Que monsieur et madame [K] seront en conséquence déboutés de leur demande reconventionnelle ;
Attendu que monsieur et madame [K] succombent en leur appel et en supporteront les dépens ;
Qu'ils seront encore condamnés à payer à monsieur et madame [B] la somme de 1.500 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS ;
La Cour, statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement :
Confirme le jugement et y ajoutant :
Déboute monsieur et madame [K] de leur demande de dommages et intérêts ;
Condamne monsieur et madame [K] à payer à monsieur et madame [B] la somme de 1.500 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne monsieur et madame [K] aux dépens de l'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP LEMMENS HOUSSIERE avocats, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
Le GreffierLe Président,
C. POPEKJ.L. CARRIERE