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22/10/2014 | FRANCE | N°13/04840

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 1 section 2, 22 octobre 2014, 13/04840


République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 2



ARRÊT DU 22/10/2014



***



N° de MINUTE :

N° RG : 13/04840



Jugement (N° 11/01442)

rendu le 28 Juin 2013

par le Tribunal de Grande Instance de LILLE



REF : BP/AMD





APPELANTS



Monsieur [D] [L]

et

Madame [G] [Q] épouse [L]

demeurant ensemble [Adresse 2]

[Localité 4]



Représentés et assistés de

Maître Marie-Christine DUTAT, membre de la SCP MASSON & DUTAT, avocat au barreau de LILLE





INTIMÉS



Monsieur [N] [W]

né le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 5]

demeurant [Adresse 1]

[Localité 3] (BELGIQUE)



Représenté p...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 2

ARRÊT DU 22/10/2014

***

N° de MINUTE :

N° RG : 13/04840

Jugement (N° 11/01442)

rendu le 28 Juin 2013

par le Tribunal de Grande Instance de LILLE

REF : BP/AMD

APPELANTS

Monsieur [D] [L]

et

Madame [G] [Q] épouse [L]

demeurant ensemble [Adresse 2]

[Localité 4]

Représentés et assistés de Maître Marie-Christine DUTAT, membre de la SCP MASSON & DUTAT, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉS

Monsieur [N] [W]

né le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 5]

demeurant [Adresse 1]

[Localité 3] (BELGIQUE)

Représenté par Maître Sylvie REGNIER, avocat au barreau de DOUAI

Assisté de Maître Anne BAZELA, avocat au barreau de LILLE

SARL CHAUFFABOIS DU NORD

ayant son siège social [Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par son représentant légal

Représentée par Maître William WATEL, avocat au barreau de LILLE

MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS (MAF)

ayant son siège social [Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par son représentant légal

Représentée par Maître Véronique DUCLOY, avocat au barreau de LILLE

Assistée de Maître Marc FLINIAUX, avocat au barreau de PARIS

DÉBATS à l'audience publique du 20 Mai 2014 tenue par [Z] [U] magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile). Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Claudine POPEK

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

[H] [V], Président de chambre

Dominique DUPERRIER, Conseiller

[Z] [U], Conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 22 Octobre 2014 après prorogation du délibéré en date du 25 Juin 2014 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Monsieur [Z] [U], Conseiller en remplacement de Madame [H] [V], Président empêché et Claudine POPEK, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 30 avril 2014

***

Monsieur et Madame [L], souhaitant faire construire une maison 'HQE' (haute qualité énergétique) sur un terrain leur appartenant, situé à [Localité 4], ont consulté Monsieur [N] [W], architecte, qui leur a proposé de recourir à l'auto-construction, plus précisément à la construction pour partie par des professionnels du bâtiment et pour partie par eux-mêmes avec son assistance.

Adhérant à cette proposition, ils ont signé, le 2 mai 2006, une 'convention pour études préliminaires' avec Monsieur [W] qui leur a présenté le 19 mai 2006 un 'rapport d'études préliminaires' contenant un projet de construction d'une maison à ossature en bois, qu'ils ont accepté, et une évaluation de son coût, détaillé poste par poste, se montant à 110 040,25 euros, dont 34 313,25 euros correspondant à la partie 'auto-réalisation'.

Le permis de construire ayant été obtenu le 28 août 2006, les travaux ont débuté à la fin de l'année 2006 et se sont poursuivis jusqu'à ce que Monsieur et Madame [L], en septembre 2008, mettent fin à la mission de Monsieur [W], étant précisé que ce dernier avait cessé, le 31 décembre 2006, d'être inscrit en qualité d'architecte auprès de l'URSSAF.

Monsieur et Madame [L] se sont néanmoins installés dans l'immeuble inachevé, sans réception de l'ouvrage, dès le mois de juillet 2007 et un poêle à granulés de bois y a été installé le 23 novembre 2007 par la société Chauffabois du Nord.

Après avoir sollicité et obtenu en référé une mesure d'expertise, Monsieur et Madame [L] ont fait assigner Monsieur [W], la société [W] Archisculpture, la Mutuelle des Architectes Français (MAF) et la société Chauffabois devant le tribunal de grande instance de Lille afin de les voir condamner à les indemniser de divers chefs de préjudice résultant de désordres affectant l'immeuble.

Par jugement contradictoire du 28 juin 2013, le tribunal a :

- condamné Monsieur [W] à payer à Monsieur et Madame [L] les sommes de :

* 27 700 euros au titre des travaux propres à remédier aux désordres, avec indexation sur l'indice BT01 de la date du rapport d'expertise à la date du jugement,

* 2 500 euros à titre de dommages et intérêts au titre d'un surcoût de la consommation de chauffage,

* 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour trouble de jouissance,

* 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour surconsommation électrique,

- condamné la société Chauffabois à payer à Monsieur et Madame [L] la somme de 500 euros au titre des travaux propres à remédier aux désordres, avec indexation,

- débouté Monsieur [W] de sa demande de garantie dirigée contre la MAF,

- débouté Monsieur et Madame [L] de leurs demandes dirigées contre la MAF,

- condamné Monsieur [W] à payer à Monsieur et Madame [L] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la MAF et la société Chauffabois de leurs demandes fondées sur ledit article,

- débouté Monsieur et Madame [L] de leurs autres demandes,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement pour moitié,

- condamné Monsieur [W] aux dépens, en ce compris les frais d'expertise.

Monsieur et Madame [L] ont relevé appel de ce jugement le 8 août 2013 et demandent à la cour de :

- le réformer en ce qu'il a mis la MAF hors de cause,

- condamner 'conjointement et solidairement' Monsieur [W] et la MAF à leur verser la somme de 31 550 euros,

- condamner 'conjointement et solidairement' Monsieur [W], la MAF et la société Chauffabois du Nord à leur verser la somme de 6 080 euros,

- dire que ces sommes seront réactualisées en fonction de l'évolution de l'indice BT01 entre la date du dépôt du rapport d'expertise et celle de la décision à intervenir,

- condamner la société Chauffabois du Nord à leur verser en outre la somme de 500 euros,

- condamner 'conjointement et solidairement' Monsieur [W], la MAF et la société Chauffabois du Nord à leur verser la somme de 30 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance, outre 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, en ce compris les frais de référé et d'expertise.

Ils font valoir à cet effet :

- que l'expert a estimé le coût des travaux propres à remédier aux désordres qu'il a constatés à 29 050 euros auxquels il convient d'ajouter le prix d'un ballon électrique rendu nécessaire par l'absence de mise en service du capteur solaire,

- que c'est à tort que les premiers juges en ont déduit certains chefs d'indemnisation, la circonstance que la réalisation du torchis sur le lattage des cloisons du couloir et de la salle de bains relevait de l'auto-réalisation n'exonérant pas Monsieur [W] de toute responsabilité,

- qu'il ressort du rapport d'études préliminaires que Monsieur [W] s'est vu confier une mission complète de maîtrise d'oeuvre, qu'à cet égard, l'intitulé 'suivi entreprises' correspond à la mission classique de direction de l'exécution des travaux, qu'il a d'ailleurs demandé et perçu une rémunération de 37 000 euros HT dont l'expert a relevé le caractère exorbitant au regard de la valeur des travaux estimée à 73 000 TTC, que le rapport d'expertise révèle que Monsieur [W] a failli dans l'exécution de sa mission, tant dans le suivi de l'exécution des travaux que par l'emploi de personnels peu voire non qualifiés, que sa responsabilité est dès lors engagée,

- que la mission complète de maîtrise d'oeuvre confiée à Monsieur [W] relève de sa fonction d'architecte et qu'il a émis les factures correspondantes en cette qualité, de sorte que la MAF doit le garantir, au moins partiellement, des condamnations prononcées à son encontre et qu'à supposer que les activités annexes exercées par Monsieur [W] aient eu pour effet d'aggraver le risque assuré par cette compagnie, il peut en être tenu compte par l'application de la réduction proportionnelle prévue par l'article L 113 du code des assurances,

- que la société Chauffabois du Nord, professionnel en matière de chauffage, est responsable, avec Monsieur [W], de l'insuffisance de puissance du poêle à granulés choisi et, seule, de la non conformité de son installation aux règles de l'art,

- que le jugement n'a pas été exécuté et que le trouble de jouissance résultant des désordres, subi depuis 2008, ayant notamment généré d'importants problèmes de santé pour Madame [L], justifie une majoration de l'indemnité allouée par le tribunal à ce titre.

Monsieur [W], formant appel incident, conclut à la réformation du jugement entrepris, au débouté de Monsieur et Madame [L] de leurs demandes, subsidiairement à la condamnation de la MAF à le garantir de toute condamnation prononcée à son encontre au profit de ces derniers, à la condamnation enfin de Monsieur et Madame [L] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, dont distraction au profit de Maître Sylvie Régnier.

Se présentant comme un précurseur dans le domaine de l'auto-construction, promouvant un habitat 'écologique, économique et bioclimatique' et préconisant à cette fin l'emploi de techniques ancestrales de construction, il fait valoir:

- qu'il n'a rempli une mission de maîtrise d'oeuvre en tant qu'architecte que jusqu'à l'obtention du permis de construire et que le complément de sa mission relève d'un contrat innommé,

- que la résiliation du contrat est imputable exclusivement à Monsieur et Madame [L] dès lors qu'il n'est démontré ni qu'il aurait insuffisamment présenté à ces derniers la complexité des tâches qui allaient leur incomber, ni qu'il aurait manqué à ses obligations contractuelles en matière de formation et d'exécution de travaux,

- qu'il n'est pas responsable, dès lors, des conséquences de cette résiliation, en particulier de l'inachèvement ou de la non réalisation de certaines prestations (aile non construite, torchis incomplet ou dégradé, étanchéité de la toiture, vitrages, luminaires, eau chaude sanitaire, parquet, cloison intérieure) et du trouble de jouissance allégué,

- que certaines non-façons lui sont reprochées à tort car relatives à des éléments qui ne relevaient pas de ses obligations (installation des luminaires sur câbles tendus, planchers bas, seuils de portes ...),

- que certains 'désordres', qualifiés tels par l'expert au regard de normes ou de règles de l'art applicables aux constructions classiques, n'en sont pas au regard de la spécificité de la construction dont il s'agit (traitement à la chaux des bois de charpente, isolation et aération de l'immeuble),

- que l'éclat et la déformation du poteau sud-ouest du 'car-port' sont imputables à une entreprise de terrassement à laquelle les époux [L] ont eu recours,

- que la MAF doit le garantir des fautes susceptibles d'être retenues à son encontre et relevant de son activité d'architecte.

La Mutuelle des Architectes Français conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il l'a mise hors de cause et à la condamnation solidaire de M. et Mme [L] d'une part, de M. [W] d'autre part, à lui payer 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Ducloy.

Elle soutient que la seule mission de Monsieur [W] relevant de son activité d'architecte a été l'établissement du dossier de permis de construire, qu'il n'a pas commis dans ce cadre de faute susceptible d'engager sa responsabilité et de justifier la garantie de son assureur, qu'il a ensuite agi en qualité de constructeur et de prestataire de services (formation à l'auto-construction), activités ne relevant pas de la garantie souscrite auprès d'elle, qu'à supposer qu'il ait rempli une mission de maître d'oeuvre, le cumul de celle-ci avec d'autres activités sur le chantier a modifié et accru le risque assuré et exclut la mise en oeuvre de la garantie.

La société Chauffabois du Nord conclut à la réformation du jugement, au débouté de Monsieur et Madame [L] de leurs demandes à son encontre et à la condamnation de ces derniers aux dépens et à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir à cet effet qu'elle a installé le matériel choisi par les maîtres de l'ouvrage et préconisé par Monsieur [W], que les performances que les époux [L] attendaient de ce poêle n'ont pas été clairement définies par eux, étant observé qu'il a été installé dans un immeuble atypique conjuguant plusieurs sources d'énergie, qu'en toute hypothèse, l'insuffisance de puissance de ce matériel n'est pas démontrée et ne peut être mesurée compte tenu de l'inachèvement de l'immeuble et en particulier de l'isolation, qu'il en va de même du surcoût du chauffage dont il est fait état et du préjudice de jouissance que les époux [L] allèguent avoir subi alors qu'ils se sont installés dans un immeuble en chantier.

SUR CE

Attendu qu'aux termes de l'article 1134 du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi ;

que l'article 1147 du même code dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part ;

que la reconnaissance de la responsabilité du débiteur suppose que soit établie la preuve d'une faute de celui-ci dans l'exécution de ses obligations et d'un préjudice résultant de ladite faute ;

attendu que le préjudice invoqué par Monsieur et Madame [L], au visa des conclusions du rapport de l'expert judiciaire, réside en premier lieu dans le coût des travaux rendus nécessaires par l'inexécution ou la mauvaise exécution de certaines prestations dans le cadre de la construction de leur maison ;

que l'expert, Monsieur [S] a relevé :

- que l'enduit torchis des murs extérieurs est incomplet, décollé, dégradé, conséquence d'une pose défectueuse et/ou de l'absence de l'enduit de chaux prévu,

- qu'il n'existe aucun dispositif d'aération de l'immeuble,

- que l'étanchéité de la toiture est incomplète,

- que les vitrages fixes, installés sans dormant et simplement tenus par une cale en bois, ne sont étanches ni à l'air ni à l'eau et que le vitrage situé dans le mur extérieur de la chambre 1, qui n'a pas une dimension correspondant à celle de la réservation, est fêlé,

- que le fonctionnement des luminaires sur câbles tendus est aléatoire, que l'intensité des ampoules varie et que certains supports fondent, conséquence de l'absence d'une protection adaptée,

- que le capteur destiné à produire l'eau chaude sanitaire est simplement mis en place, sans aucun raccordement, et que cette installation doit être complétée,

- que les eaux de pluie ne sont ni recueillies ni canalisées, que la cuve destinée à les récupérer est d'autant moins utilisable qu'aucune pompe destinée à conduire l'eau de pluie stockée dans la cuve sur son point d'utilisation n'est installée, que le dispositif doit être complété,

- que la pose des lames de parquet a été inversée, sans raison compréhensible, et qu'il existe un espace entre l'extrémité des lames, posées en diagonale, et les cloisons ou murets créés ou à créer dans la cuisine,

- que certaines lattes inférieures du coffrage perdu du plancher bas se sont affaissées en raison de l'insuffisance du repos des lattes sur les talonnettes sous solives,

- qu'aucun seuil de porte n'a été aménagé,

- que l'enduit torchis qui doit être appliqué sur le lattage des cloisons du couloir et de la salle de bains n'a pas été réalisé,

- que l'aile Nord, prévue par le rapport d'études préliminaires et par les plans joints à la demande de permis de construire, n'a pas été construite ;

attendu que la 'convention pour études préliminaires' conclue préalablement par les parties :

- rappelle que le décret du 20 mars 1980 portant code des devoirs professionnels des architectes fait obligation à ceux-ci de recourir à une convention écrite,

- détaille les études préliminaires sur lesquelles elle porte :

* établir une esquisse du projet,

* déterminer le coût objectif de celui-ci,

* définir ce que sera la mission future de l'architecte (contenu et rémunération) en cas de réalisation du projet,

- précise que si le maître d'ouvrage donne suite au projet établi par l'architecte, un contrat d'architecte est passé entre eux ;

que le 'rapport d'études préliminaires', qui contient un projet de construction d'une maison à ossature en bois avec partie 'auto-réalisation'et qui détaille, parmi les coûts de l'opération, les chefs de rémunération de Monsieur [W], y inclut les études préliminaires, l'établissement du projet et l'obtention du permis de construire mais aussi les rubriques 'suivi entreprises' et 'mission complémentaire' ;

que cette 'mission complémentaire' est précisée par une facture du 29 décembre 2006, à savoir 'conception et façonnage des espaces intérieurs, aide à l'auto-réalisation' ;

qu'une facture du 15 mai 2007, qui concerne notamment la réalisation d'enduits sculptés personnalisés intérieurs, la fourniture de luminaires sur câbles tendus, l'aide à l'auto-réalisation, permet encore d'affiner la définition des missions confiées à Monsieur [W] et des obligations corrélatives ;

qu'il en résulte qu'en vertu de la convention finalement conclue entre les parties à la suite de ces 'préliminaires', quoique celle-ci n'ait pas été passée par écrit nonobstant l'obligation tant conventionnelle que réglementaire de ce faire que Monsieur [W] avait lui-même rappelée ci-dessus, ce dernier avait à la fois une mission d'architecte et de maître d'oeuvre (établissement du projet, obtention du permis de construire puis suivi des entreprises), d'entrepreneur (réalisation de certaines prestations par lui-même ou par du personnel choisi par lui) et de formateur ;

que si ce contrat, que Monsieur [W] qualifie d'innommé, est certes atypique, il n'en fait pas moins naître un certain nombre d'obligations à la charge dudit Monsieur [W], comprenant une obligation de résultat en ce qui concerne sa mission d'entrepreneur, à tout le moins une obligation de moyens en ce qui concerne ses missions de maître d'oeuvre et de formateur, auxquelles s'ajoutent, en sa qualité de professionnel de la construction contractant avec des personnes profanes en la matière, une obligation de conseil ;

que Monsieur [W] a pris soin de fixer et de détailler sa rémunération, représentant 29 % de la valeur estimée des travaux, soit, selon l'expert, un taux extraordinairement élevé et, à sa connaissance, jamais appliqué, qui pouvait laisser espérer une prestation particulièrement complète et soignée ;

qu'il a certes établi un projet et obtenu un permis de construire;

que pour autant, l'expert relève que la définition qu'a faite Monsieur [W] de sa mission est lapidaire, imprécise et insuffisante, qu'il n'a rempli quasiment aucune des obligations qui sont celles d'un architecte concepteur de projet et d'un maître d'oeuvre, au regard notamment du décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993, que les documents qu'il a établis sont succincts, non homogènes et comportent des contradictions;

que l'emploi de techniques de construction inhabituelles et la part d'auto-construction ne rendaient pas superflus, au contraire, la coordination, la synchronisation des étapes de construction et le respect tant des règles de l'art afférentes auxdites techniques que de certaines normes ; que Monsieur [S] estime que l'inexistence de toute maîtrise d'oeuvre a nui au chantier qui n'a été ni préparé ni planifié, que l'absence de dossier technique et de définition précise des prestations a entraîné la réalisation incomplète et grossière d'une construction dont la durabilité est incertaine ;

qu'il ressort des investigations de l'expert comme des attestations versées aux débats que Monsieur [W], en tant qu'entrepreneur et employeur, a utilisé un personnel insuffisamment qualifié qu'il a de surcroît laissé plus d'une fois oeuvrer sans directives ;

qu'indépendamment de ce qu'il ne démontre pas avoir dispensé aux époux [L] et à leurs amis toute la formation définie par un programme qu'il a fourni en cours d'expertise à Monsieur [S] et dont Monsieur et Madame [L] affirment, sans être utilement contredits, n'avoir jamais eu communication, il est irréaliste, comme le souligne l'expert, de prétendre former efficacement en quelques jours des novices aux métiers du bâtiment aussi variés que la charpente, la menuiserie ou l'étanchéité ; qu'il s'avère en outre que cette formation était, au moins en partie, assurée 'sur le tas' si l'on considère, par exemple, que l'ABEJ, association qui s'occupe de personnes se trouvant à la rue ou en difficultés, a contribué à la réalisation des torchis dans le cadre d'une journée 'initiation à la technique du torchis' (cf attestation produite par M. [W] lui-même), et que ladite formation est d'ailleurs définie comme 'l'apprentissage en faisant' ; que M. [W] a manqué à son obligation de conseil en proposant un tel projet et en laissant M. et Mme [L] s'y engager et est assurément mal fondé à mettre en cause, comme il n'hésite pas à le faire par ses conclusions, le manque de talent et de compétence des maîtres de l'ouvrage, étant observé au demeurant qu'il n'est pas possible de déterminer exactement et concrètement 'qui a fait quoi' ;

qu'il résulte des considérations qui précèdent que Monsieur [W] a failli dans l'exécution des différents aspects de sa mission contractuelle et que la conjonction de ces manquements est à l'origine de l'ensemble des malfaçons et non-façons précitées;

qu'il s'agit bien de désordres ainsi que les qualifie l'expert, lequel précise, d'une part, que l'absence de dispositif d'aération de l'immeuble est contraire à l'article R111.9 du code de la construction et de l'habitation - étant observé que M. [W] ne démontre pas, par la production d'autres documents techniques, qu'un système d'aération ne soit pas nécessaire dans le type de construction considéré - , d'autre part a écarté par des explications motivées les objections de M. [W] à cette qualification ;

que l'expert indique également que l'immeuble a été réalisé dans un délai de deux ans anormalement élevé alors même qu'il ne représente que les 3/4 du projet et demeure en outre, pour la partie construite, inachevé ; que dès lors, M. [W] ne saurait reprocher à M. et Mme [L] d'avoir mis fin à son intervention et de leur imputer ainsi la responsabilité d'un inachèvement qui résulte de son incurie, démontrée ci-dessus;

qu'il y a lieu dès lors de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Monsieur [W] à indemniser Monsieur et Madame [L] du préjudice résultant pour eux des désordres affectant l'immeuble ;

que le coût des travaux propres à remédier aux malfaçons et non-façons énumérées supra est évalué par l'expert à 28 900 euros ;

qu'il n'y a pas lieu de retenir parmi les désordres imputés à Monsieur [W] l'éclat et la déformation présentés par un poteau du 'car-port' résultant d'un choc dont l'origine demeure indéterminée ;

qu'en revanche, la nécessité, affirmée par l'expert, de traiter les bois de charpente est source d'un préjudice pour les maîtres de l'ouvrage dès lors qu'elle entraîne une dépense non prévue ;

que la cour a les éléments suffisants pour évaluer à 30 000 euros le préjudice des époux [L] résultant des désordres, somme qu'il convient d'actualiser en fonction de l'évolution de l'indice du coût de la construction depuis le dépôt du rapport d'expertise ;

=+=+=

Attendu que l'installation d'un poêle à granulés de bois était prévue par le descriptif financier figurant dans le rapport d'études préliminaires ;

attendu que l'expert a relevé que le poêle à granulés de bois installé par la société Chauffabois du Nord l'avait été à un emplacement non conforme aux prescriptions du fabricant et du DTU 24.2 en ce qui concerne les distances à respecter par rapport au mur et aux solives du plancher et la nécessité d'une prise d'air d'au moins 80 cm² ;

que ce défaut de conformité, imputable à la seule société Chauffabois du Nord, engage la responsabilité contractuelle de celle-ci qui doit en conséquence indemniser M. et Mme [L] du coût des travaux de mise en conformité, soit 500 € à dire d'expert ;

qu'il y a lieu par conséquent de confirmer le jugement de ce chef ;

attendu en outre que l'expert a relevé que ce poêle avait une puissance insuffisante par rapport au volume à chauffer ;

que cette situation a conduit M. et Mme [L] à acquérir un poêle complémentaire pour le prix de 4 080 euros ;

que l'expert estime certes que la responsabilité de l'installation d'un poêle insuffisamment puissant incombe tant à Monsieur [W], faute pour lui d'avoir contrôlé le bien-fondé du choix de ce poêle comme sa mission de maître d'oeuvre le lui imposait, qu'à la société Chauffabois du Nord qui ne pouvait ignorer cette insuffisance que révèle la simple comparaison de la capacité définie par le fabricant (340 m3) et le volume à chauffer (400 m3);

que cependant, on ignore quand, par qui et dans quelles circonstances a été fait le choix de ce poêle ;

que c'est à juste titre que la société Chauffabois du Nord fait valoir que cet appareil a été installé dans un immeuble d'un type particulier, dont seul M. [W] avait l'habitude, conjuguant plusieurs sources d'énergie, ce qui relativise la simple appréciation de la capacité nécessaire du poêle par rapport au volume, et que l'insuffisance de puissance de ce matériel ne peut être mesurée compte tenu de l'inachèvement de l'immeuble et en particulier de l'isolation ; que le jugement doit être confirmé en ce qu'il n'a pas retenu la responsabilité de la société Chauffabois du Nord;

qu'en toute hypothèse, à supposer ce poêle effectivement insuffisamment puissant, le choix et l'achat d'un poêle mieux adapté aurait nécessairement coûté plus cher, de sorte que le préjudice allégué ne peut être égal au prix du poêle supplémentaire, et que les pièces du dossier ne permettent pas d'apprécier la réalité et l'importance d'un surcoût résultant de l'achat et de l'installation des deux poêles actuels par rapport à l'achat et l'installation dès le départ d'un poêle adapté ;

attendu enfin que l'expert estime que l'inachèvement et l'insuffisance de l'isolation a entraîné une surconsommation de chauffage de 500 € par hiver ;

que cet inachèvement, comme cela a été démontré ci-dessus, est imputable à Monsieur [W] ;

que le tribunal a condamné ce dernier au versement aux époux [L] d'une indemnité de 2 500 euros à ce titre ; que M. et Mme [L] ne demandent que 2 000 euros et que le jugement doit être réformé en conséquence ;

que la société Chauffabois est étrangère à ce problème d'isolation et donc au préjudice qui en résulte, que la demande dirigée contre elle de ce chef est mal fondée;

=+=+=

attendu que Monsieur et Madame [L], qui n'indiquent pas dans quelles conditions ils étaient logés précédemment, ont certes fait le choix de s'installer, au mois de juillet 2007, dans un immeuble inachevé ; qu'un reportage alors effectué pour la télévision, dont une copie a été versée aux débats par M. [W], sur la singulière expérience que constituait la construction de leur maison, en partie de leurs mains et avec des matériaux écologiques, montre Madame [L] joyeuse et enthousiaste, insistant sur le bien-être extraordinaire que procurait à sa famille la vie dans cette maison pourtant 'en chantier' ; que cependant, Monsieur et Madame [L], tout en appréciant cette période vécue comme exaltante ainsi que le révèlent les extraits de leur blog, pouvaient légitimement espérer profiter pleinement, à court terme, de leur maison terminée, étant ici rappelé que l'expert a considéré le délai de construction comme anormalement long ; que même si les difficultés auxquelles ils ont ensuite été confrontés étaient, selon leurs propres termes, éminemment prévisibles, l'état de l'immeuble, décrit par l'expert, dans lequel ils ont été contraints de vivre pendant des années en raison de la défaillance de Monsieur [W] dans l'exécution de ses obligations, leur a causé un préjudice de jouissance indéniable qui justifie l'octroi d'une indemnité de 18 000 euros;

=+=+=

attendu que le contrat d'assurance conclu entre la MAF et Monsieur [W] a pour objet de garantir l'adhérent contre les conséquences pécuniaires des responsabilités spécifiques de sa profession d'architecte qu'il encourt dans l'exercice de celle-ci telle qu'elle est définie par la législation et la réglementation en vigueur à la date de l'exécution de ses prestations ;

que la première partie de la mission de M. [W] ayant abouti à l'obtention du permis de construire au mois d'août 2006 ne fait pas l'objet de critiques ;

qu'il est acquis qu'à compter du 31 décembre 2006, Monsieur [W] n'était plus inscrit auprès de l'URSSAF en qualité d'architecte ;

qu'il ressort du rapport de l'expert que les travaux ont débuté le 16 décembre 2006 et se sont poursuivis jusqu'à l'automne 2008;

que par ailleurs, le code de déontologie des architectes (décret du 20 mars 1980) dispose notamment que lorsqu'un architecte est amené à pratiquer plusieurs activités de natures différentes, celles-ci doivent être parfaitement distinctes ; que l'architecte doit éviter les situations où il serait juge et partie ; qu'il doit assumer ses missions en toute intégrité et clarté ;

que les conditions générales du contrat et leurs annexes précisent en particulier que la garantie s'applique aux actes professionnels d'architecte et que ceux-ci ne doivent pas être cumulés avec des actes professionnels relevant d'autres professions;

qu'en l'espèce, M. [W] a certes accepté une mission de maîtrise d'oeuvre mais exercé en même temps, sur le même chantier, une activité d'entrepreneur (employant du personnel et artisan lui-même) et de formateur ; qu'il en est résulté une confusion des rôles empêchant toute distinction des fautes et responsabilités imputables à telle ou telle partie de sa mission ;

que la MAF est bien fondée à se prévaloir d'une non garantie, opposable aux tiers lésés, dès lors qu'il ne peut être considéré que les désordres dénoncés relèvent de la seule responsabilité de Monsieur [W] en sa qualité d'architecte ;

que le jugement doit dès lors être confirmé sur ce point ;

=+=+=

attendu que les considérations qui précèdent conduisent à la confirmation des dispositions du jugement relatives aux dépens et frais irrépétibles ;

qu'il y a lieu en outre, vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile, de condamner M. [W] aux dépens d'appel et à indemniser les époux [L] et la MAF des frais, non compris dans les dépens, qu'ils ont exposés en cause d'appel mais de rejeter la demande présentée de ce chef par la MAF à l'encontre de M. et Mme [L].

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :

- condamné la société Chauffabois à payer à Monsieur et Madame [L] la somme de 500 euros avec indexation sur l'indice BT01 de la date du rapport d'expertise à la date du jugement, sauf à dire que l'actualisation en fonction de l'indexation se fera à la date du présent arrêt,

- débouté Monsieur [W] de sa demande de garantie dirigée contre la MAF,

- débouté Monsieur et Madame [L] de leurs demandes dirigées contre la MAF,

- condamné Monsieur [W] à payer à Monsieur et Madame [L] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la MAF et la société Chauffabois de leurs demandes fondées sur ledit article,

- condamné Monsieur [W] aux dépens, en ce compris les frais d'expertise ;

L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau,

Condamne Monsieur [W] à payer à Monsieur et Madame [L] les sommes de :

* trente mille euros (30 000) au titre des travaux propres à remédier aux désordres, revalorisée en fonction de l'évolution de l'indice BT01 de la date du rapport d'expertise à la date du présent arrêt,

* deux mille euros (2 000) à titre de dommages et intérêts au titre d'un surcoût de la consommation de chauffage,

* dix-huit mille euros (18 000) à titre de dommages et intérêts pour trouble de jouissance ;

Déboute Monsieur et Madame [L] de leur demande en paiement de la somme de 4 080 euros au titre de l'achat du deuxième poêle et de leur demande d'indemnité pour frais irrépétibles dirigée contre la société Chauffabois du Nord et la Mutuelle des Architectes Français ;

Déboute la société Chauffabois du Nord de sa demande d'indemnité pour frais irrépétibles ;

Déboute la Mutuelle des Architectes Français de sa demande dirigée contre Monsieur et Madame [L] sur le même fondement ;

Condamne Monsieur [W], par application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, à payer :

- à Monsieur et Madame [L], une indemnité de trois mille euros (3 000),

- à la Mutuelle des Architectes Français une indemnité de mille euros (1000);

Le condamne aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés directement par Maître Ducloy conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier,Pour le Président empêché,

Claudine POPEK.[Z] [U].


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 1 section 2
Numéro d'arrêt : 13/04840
Date de la décision : 22/10/2014

Références :

Cour d'appel de Douai 1B, arrêt n°13/04840 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-10-22;13.04840 ?
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