République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 2
ARRÊT DU 12/03/2014
***
N° de MINUTE :
N° RG : 13/01298
Jugement (N° 10/01026)
rendu le 21 Février 2013
par le Tribunal de Grande Instance d'AVESNES SUR HELPE
REF : BP/VC
APPELANTE
SOCIÉTÉ ACTIBAT SPRL, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Ayant son siège social
[Adresse 2]
[Localité 2] (BELGIQUE)
Représentée par Me Bernard FRANCHI, membre de la SCP FRANÇOIS DELEFORGE-BERNARD FRANCHI, avocat au barreau de DOUAI
Assistée de Me Pierre-Jean COQUELET, avocat au barreau de VALENCIENNES
INTIMÉS
Monsieur [F] [R]
né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 4] (CAMEROUN)
Madame [N] [K] épouse [R]
née le [Date naissance 2] 1973 à [Localité 3] (CAMEROUN)
Demeurant ensemble
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représentés par Me Myriam MAZE-VILLESECHE, membre de la SCP ROFFIAEN LE FUR VILLESECHE, avocat au barreau d'AVESNES-SUR-HELPE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Martine ZENATI, Président de chambre
Fabienne BONNEMAISON, Conseiller
Bruno POUPET, Conseiller
---------------------
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Claudine POPEK
DÉBATS à l'audience publique du 25 Novembre 2013, après rapport oral de l'affaire par Bruno POUPET
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 12 Mars 2014 après prorogation du délibéré en date du 29 Janvier 2014 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Madame Martine ZENATI, Président, et Claudine POPEK, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 30 octobre 2013
***
La société ACTIBAT, par acte du 26 avril 2010, a assigné devant le tribunal de grande instance de Cambrai Monsieur [F] [R] et Madame [N] [K], son épouse, aux fins de les voir condamner à lui payer la somme de 29 824 euros, avec intérêts au taux de 5 % à compter du 15 octobre 2009, au titre d'un contrat par lequel ces derniers lui auraient confié le lot 'gros-oeuvre' dans le cadre de la construction d'une maison individuelle, outre 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement contradictoire du 21 février 2013, le tribunal a :
- requalifié le contrat régularisé le 18 mars 2008 entre la société ACTIBAT et les époux [R] en contrat de construction de maison individuelle,
- prononcé la nullité de ce contrat,
- dit que les sommes déjà versées par les époux [R] resteraient acquises à la société ACTIBAT,
- débouté la société ACTIBAT de sa demande de règlement du solde,
- condamné la société ACTIBAT à payer aux époux [R] les sommes de
* 5 000 euros à titre de dommages-et-intérêts,
* 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la société ACTIBAT de sa demande d'indemnité procédurale,
- condamné celle-ci aux dépens.
La société ACTIBAT a relevé appel de ce jugement le 5 mars 2013.
Elle soutient :
- que le contrat signé par les parties le 14 mars 2008 est un contrat d'entreprise ne prévoyant que la prise en charge du lot 'gros-oeuvre' selon les plans réalisés par un architecte choisi par Monsieur et Madame [R],
- qu'il ne comportait pas l'engagement de livrer une maison individuelle dans un délai déterminé,
- que par des avenants, les époux [R] lui ont ensuite confié d'autres lots et la mission de coordinateur entre les entreprises intervenant sur le chantier, qu'elle n'a pas choisies, les travaux étant surveillés par l'architecte, et Monsieur [R] lui-même ayant la maîtrise complète du chantier et donnant des instructions,
- que c'est par une appréciation inexacte des circonstances de la cause, et notamment en tenant compte d'un devis antérieur au contrat mais non accepté par les époux [R], que le tribunal a considéré qu'elle avait fait signer aux maîtres de l'ouvrage un contrat limité au gros-oeuvre puis d'autres marchés pour échapper aux prescriptions d'ordre public du contrat de construction de maison individuelle,
- qu'en toute hypothèse, la nullité du contrat ne dispense pas les maîtres de l'ouvrage de régler les travaux qui ont été effectivement réalisés et ont profité à leur patrimoine,
- que les époux [R] ne justifient ni du préjudice qu'ils disent résulter du coût de reprises rendues nécessaires par une absence de levée des réserves, ni d'un préjudice de jouissance.
Elle demande en conséquence à la cour de :
- réformer le jugement,
- condamner Monsieur et Madame [R] à lui payer la somme de 29 824 euros avec intérêts au taux de 5 % à compter du 15 octobre 2009, outre 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter Monsieur et Madame [R] de toutes leurs demandes,
- les condamner aux dépens, dont distraction au profit de la SCP Deleforge-Franchi.
Monsieur et Madame [R] font valoir :
- que les travaux confiés à la société ACTIBAT, en ce qu'ils portent au moins sur le gros oeuvre, la mise hors d'eau et hors d'air d'un immeuble à usage d'habitation, caractérisent, vu l'article L323-1 du code de la construction et de l'habitation, le contrat de construction de maison individuelle sans fourniture de plan,
- que la preuve de la qualité de constructeur de maison individuelle de la société ACTIBAT résulte également :
* de ce qu'elle a assuré le suivi de l'ensemble du chantier,
* de ce qu'elle demande le paiement du solde du coût total de la construction, en ce compris les prestations réalisées par les autres entreprises intervenues,
* de ce que le procès-verbal de construction mentionne Monsieur [M] [S], gérant de la société ACTIBAT, comme représentant 'l'entrepreneur',
- que le contrat qu'ils ont conclu avec la société ACTIBAT doit donc être requalifié en contrat de construction de maison individuelle,
- que comme tel, il est nul faute de contenir toutes les mentions prescrites par l'article L232-1 du code de la construction et de l'habitation et de justification d'une assurance 'garantie décennale',
- que la nullité du contrat entraîne la restitution par l'entrepreneur des sommes qu'il a perçues du maître de l'ouvrage,
- que la société ACTIBAT, pour sa part, ne peut prétendre à aucun paiement, faute, d'une part, de justifier du coût des matériaux et de la main d'oeuvre utilisés, d'autre part, de pouvoir se prévaloir d'un enrichissement sans cause de la partie adverse dès lors que son appauvrissement résulte d'un acte accompli dans son intérêt et de sa propre faute,
- à titre subsidiaire, qu'il n'a été procédé qu'à une réception provisoire et qu'en l'absence de réception définitive et de levée des réserves, la société ACTIBAT est mal fondée à demander paiement d'un solde dont, en outre, elle ne justifie pas du montant,
- qu'ils s'estiment fondés à obtenir des dommages et intérêts en compensation du trouble de jouissance résultant du défaut de levée des réserves, du coût des travaux qu'ils ont fait exécuter pour remédier à certaines desdites réserves, et de l'impossibilité de bénéficier de la garantie décennale, conséquence de la nullité du contrat,
- qu'enfin, Monsieur [R] a fait l'objet de menaces et d'agressivité de la part de Monsieur [S] et subi ainsi un préjudice appelant réparation.
Ils demandent en conséquence à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a requalifié le contrat régularisé le 18 mars 2008 en contrat de construction de maison individuelle, prononcé la nullité de ce contrat, débouté la société ACTIBAT de sa demande de règlement du solde, condamné la société ACTIBAT à leur payer des dommages-et-intérêts,
- infirmer le jugement pour le surplus,
- condamner la société ACTIBAT à leur payer les sommes de :
* 273 776,59 euros en restitution des sommes versées,
* 15 000 euros à titre de dommages et intérêts,
* 3 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles,
- la condamner à payer en outre à Monsieur [F] [R] la somme de 3 000 euros à titre de dommages-et-intérêts complémentaires,
- la condamner aux dépens.
SUR CE
Attendu que la société ACTIBAT ne développe aucun moyen ou argument, de fait ou de droit, contrant de manière précise la motivation du jugement relative à la requalification du contrat et à sa nullité ;
que c'est à tort qu'elle reproche au tribunal d'avoir pris en considération un devis du 10 décembre 2007, effectivement non signé par les intimés, dès lors que cette pièce, régulièrement versée aux débats, révèle que le projet initial étudié ensemble par les parties était la construction par la société ACTIBAT d'une villa pour les époux [R], ce dont le tribunal a pu légitimement déduire que la signature postérieure d'un simple contrat d'entreprise limité au gros-oeuvre mais rapidement suivi d'avenants ajoutant à cette mission les lots toiture, menuiseries, électricité, chauffage, plafonnage et chapes, confiant finalement à la société ACTIBAT l'entière réalisation de l'immeuble, traduisait une volonté d'échapper au formalisme d'ordre public du contrat de construction de maison individuelle ;
que c'est par une exacte application du droit aux faits qui leur étaient soumis que les premiers juges, par des motifs pertinents que la cour adopte, ont requalifié le contrat passé entre les parties en contrat de construction de maison individuelle sans fourniture de plan et en ont constaté la nullité, faute pour celui-ci de comporter les mentions prescrites par l'article L 232-1 susvisé ;
***
Attendu que dans le cas où un contrat nul a cependant été exécuté, les parties doivent être remises dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant cette exécution ; que lorsque cette remise en état se révèle impossible, la partie qui a bénéficié d'une prestation qu'elle ne peut restituer doit s'acquitter du prix correspondant ;
qu'il ressort des pièces versées aux débats, comme l'a relevé le tribunal, que l'immeuble est achevé et a fait l'objet, le 9 juillet 2009, d'une réception dont le procès-verbal mentionne un certain nombre de réserves ;
que la société ACTIBAT verse aux débats une attestation par laquelle l'architecte ayant suivi les travaux, Monsieur [Z], certifie que les réserves ont été levées à l'exception des deux suivantes : 'radiateur étage, portes intérieures' ;
que, nul ne pouvant se constituer de preuve à soi-même, la simple copie d'une lettre que Monsieur [R] aurait adressée au conseil de l'ordre des architectes pour dénoncer le caractère mensonger de cette attestation et déposer une plainte est dépourvue de valeur probante ;
que Monsieur et Madame [R] ne produisent que deux factures relatives justement à la pose de radiateurs et de portes, pour un montant total de 3 909,95 euros ;
que dans ces conditions, les époux [R] sont redevables de l'intégralité du coût de la construction, prestation dont ils ont bénéficié, sous déduction du coût nécessaire à la levée des deux dernières réserves, soit 3 909,95 euros au vu des factures susvisées ;
que la société ACTIBAT produit un récapitulatif faisant état d'un prix total de 256 591,19 euros hors taxes, soit 306 883,06 euros TTC ainsi qu'un courriel de Monsieur [R], dont ce dernier ne démontre pas ni ne soutient qu'il ne se rapporterait pas à ce document, ainsi rédigé : 'c'est OK pour moi en ce qui concerne le récapitulatif' ;
qu'elle précise toutefois que le prix résultant du contrat initial et des différents avenants était de 303 600,59 euros ;
que Monsieur et Madame [R] ne fournissent pas de décompte, assorti de justificatifs, des sommes qu'ils ont versées au fur et à mesure de l'avancement des travaux mais demandent à ce titre le remboursement de 273 776,59 euros ;
que le solde dont la société ACTIBAT poursuit le recouvrement, soit 29 824 euros, correspond bien à la différence entre 303 600,59 euros et 273 776,59 euros ;
que la société ACTIBAT justifie également de ce qu'en juillet et en octobre 2009, soit après la réception, Monsieur et Madame [R] lui ont remis deux chèques de 14 674 euros et 15 150 euros, soit 29 824 euros, demeurés impayés faute de provision, et que les intimés ne démontrent nullement qu'ils auraient établi ces chèques sous la contrainte ;
que la demande en paiement d'un solde de 29 824 euros présentée par la société ACTIBAT en règlement d'un ouvrage achevé, et alors que ce solde ne demeure impayé que faute de provision permettant l'encaissement de chèques qu'avaient émis volontairement les maîtres d'ouvrage pour s'en acquitter, se révèle donc légitime et qu'il convient d'y faire droit sous déduction de 3 909,95 euros au titre des réserves non levées et donc à concurrence de 25 914,05 euros ;
que faute de dispositions contractuelles valables stipulant un taux d'intérêt spécifique, cette somme doit être assortie, vu l'article 1153 du code civil, des intérêts au taux légal à compter de l'assignation valant sommation de payer ;
qu'il y a donc lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société ACTIBAT de sa demande en paiement du solde et de le confirmer en ce qu'il a rejeté la demande des époux [R] en remboursement des sommes qu'ils ont versées à l'appelante ;
***
Attendu que pour caractériser le préjudice sur lequel ils fondent leur demande de dommages et intérêts, Monsieur et Madame [R] invoquent notamment le coût de la levée des réserves, déjà pris en compte ci-dessus par compensation avec le solde du prix, et un trouble de jouissance résultant des malfaçons ou non finitions objet des réserves, dont il n'est pas justifié ;
qu'ils font également valoir que la nullité du contrat les prive du bénéfice des dispositions d'ordre public du contrat de construction de maison individuelle et également, en entraînant l'impossibilité d'une réception, les prive de tout recours en cas de survenance de désordre relevant de la garantie décennale ;
que cependant, le constructeur qui ne respecte pas le formalisme résultant des dispositions susvisées supporte, outre d'éventuelles sanctions pénales, les sanctions classiques du droit des contrats ;
que si le contrat, tel qu'il a été requalifié, au demeurant à la demande des époux [R], est nul, il a bien été procédé à une réception pour des travaux de 'construction d'une maison', selon le procès-verbal du 9 juillet 2009, dont ils ont réglé le prix, sous réserve du solde objet du litige, et que la société ACTIBAT a la qualité de constructeur ; que la privation, alléguée, de tout recours résultant de la nullité du contrat requalifié, n'est pas avérée ;
que par ailleurs, si les dispositions régissant le contrat de construction de maison individuelles sont certes d'ordre public, les mentions qu'elles prescrivent ont pour objet de garantir une définition précise de l'ouvrage ainsi que le bon déroulement et l'achèvement du chantier et que la preuve n'est pas apportée en l'espèce, compte tenu de l'achèvement de la construction sous la direction d'un architecte et dans les circonstances exposées ci-dessus, d'un préjudice résultant spécifiquement de l'absence de signature d'un contrat conforme à ces dispositions ;
qu'il convient dès lors d'infirmer le jugement en ce qu'il a fait droit, ne serait-ce que partiellement, à la demande de dommages et intérêts des intimés ;
Attendu que la demande de dommages et intérêts dirigée par Monsieur [R] contre la société ACTIBAT pour des agissements qui, tels qu'ils sont dénoncés, ne sont pas le fait de celle-ci mais de Monsieur [S], ne peut qu'être rejetée ;
***
Attendu que les considérations qui précèdent conduisent à laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles et des dépens par elle exposés, de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :
- requalifié le contrat régularisé le 18 mars 2008 entre la société ACTIBAT et les époux [R] en contrat de construction de maison individuelle,
- prononcé la nullité de ce contrat,
- dit que les sommes déjà versées par les époux [R] resteraient acquises à la société ACTIBAT,
- débouté la société ACTIBAT de sa demande d'indemnité procédurale ;
L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau,
Condamne solidairement Monsieur [F] [R] et Madame [N] [K], son épouse, à payer à la société ACTIBAT la somme de vingt-cinq mille neuf cent quatorze euros et cinq centimes (25 914,05) avec intérêts au taux légal à compter du 26 avril 2010 ;
Les déboute de leurs demandes de dommages et intérêts et d'indemnité pour frais irrépétibles ;
Y ajoutant,
Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel ;
Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens de première instance et d'appel.
Le GreffierLe Président,
C. POPEKM. ZENATI