République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 19/09/2013
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N° de MINUTE : 13/
N° RG : 12/03999
Jugement (N° 2011-00963)
rendu le 06 Juin 2012
par le Tribunal de Commerce de ROUBAIX-TOURCOING
REF : SB/KH
APPELANTE
SA BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE VENANT AUX DROITS DE LA SOCIETE CETELEM agissant en la personne de son représentant légal domicilié audit siège
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Francis DEFFRENNES (avocat au barreau de LILLE)
Assistée de Me Sébastien MENDES-GIL (avocat au barreau de PARIS)
INTIMÉ
Monsieur [R] [S]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me Christian DELBE (avocat au barreau de LILLE)
DÉBATS à l'audience publique du 04 Juin 2013 tenue par Stéphanie BARBOT magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marguerite-Marie HAINAUT
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Patrick BIROLLEAU, Président de chambre
Sophie VALAY-BRIERE, Conseiller
Stéphanie BARBOT, Conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 19 Septembre 2013 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Patrick BIROLLEAU, Président et Marguerite-Marie HAINAUT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 23 mai 2013
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Par acte sous seing privé du 1er septembre 2008, la société CETELEM, aux droits de laquelle vient la BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE (la BNP), a consenti à la SAS ENERGEOS, un prêt de trésorerie de 500 000 euros, remboursable en une échéance, le 7 mars 2009, moyennant un taux d'intérêts de 7,70%.
Suivant acte distinct du même jour, [R] [S], président de la Société ENERGEOS, s'est porté caution solidaire des engagements de celle-ci, à hauteur de 519 250 euros, pour une durée de 6 mois.
La Société ENERGEOS n'a pas honoré l'échéance au terme prévu, puis a été placée en redressement judiciaire le 10 juin 2010 et en liquidation judiciaire le 3 août 2010.
La BNP a déclaré sa créance, à titre chirographaire, le 13 juillet 2010, à hauteur de la somme de 572 595 euros, dont 519 468 euros de capital échu.
Le 27 juillet 2010, la BNP a vainement mis [R] [S] en demeure d'exécuter son engagement de caution, avant de le faire assigner en paiement de la somme de 519 250 euros.
Par jugement du 6 juin 2012, le tribunal de commerce de ROUBAIX-TOURCOING a débouté la BNP de l'ensemble de ses demandes, aux motifs que l'engagement de la caution était expiré à la date d'exigibilité de la dette principale, condamnant en outre la banque au paiement d'une indemnité procédurale de 2 000 euros, ainsi qu'aux dépens.
La BNP a interjeté appel dudit jugement par déclaration reçue le 9 juillet 2012.
PRETENTIONS DES PARTIES :
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 25 avril 2013, la BNP demande à la cour de :
-infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et statuant de nouveau,
-condamner [R] [S] à lui payer la somme de 519 250 euros, avec intérêts de retard à un taux égal à celui du contrat (7,70%), majoré de 3% l'an, à compter de la date d'exigibilité fixée au 7 mars 2009,
-ordonner la capitalisation des intérêts à compter de la date de l'assignation, dans les conditions de l'article 1154 du Code civil,
-débouter [R] [S] de l'intégralité de ses demandes,
-débouter [R] [S] de sa demande de délais de paiement supplémentaire,
-condamner [R] [S] au paiement d'une indemnité de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
En premier lieu, la BNP demande l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a considéré que l'engagement d'[R] [S] était expiré à la date d'exigibilité de la dette. A l'appui, elle soutient :
* en droit, qu'il échet de distinguer entre obligation de couverture et obligation de règlement ; que sauf clause contraire, c'est l'obligation de couverture qui est limitée dans le temps, de sorte que le cautionnement couvre les dettes nées avant la date fixée et que la caution n'est pas libérée par l'arrivée de cette date ; que le tribunal a confondu exigibilité et naissance de la dette, alors qu'il convient de se référer au seul critère du moment de l'apparition de la dette afin de déterminer les dettes garanties - soit la date de conclusion du contrat ; que la garantie subsiste pour toutes les dettes nées avant résiliation ou arrivée du terme, indépendamment de leur date d'exigibilité ou du moment des poursuites engagées, dans la limite de la prescription ;
* en fait, qu'[R] [S] a cautionné une dette présente, née à la date de sa garantie, puisque les fonds étaient remis à l'emprunteur principal le même jour ; que le fait générateur du cautionnement s'étant produit à sa date de conclusion, la couverture a cessé six mois après, mais la garantie subsistait pour la dette née avant l'échéance ; que la survenue du terme n'interdit pas à la banque d'agir contre la caution ultérieurement, le terme ne visant que l'obligation de couverture ; qu'[R] [S] reste donc tenu de son obligation de règlement, à savoir du paiement de la dette couverte par la garantie et préexistante à la survenance du terme.
La BNP requiert donc l'infirmation du jugement entrepris, reprochant aux premiers juges de n'avoir pas recherché la commune intention des parties conformément aux articles 1156 et 1157 du Code civil ; qu'en effet, leur raisonnement aboutit à priver le cautionnement de toute utilité, ce que n'ont pu vouloir les parties qui, au contraire, ont entendu garantir le paiement de l'échéance unique du prêt (7 mars 2009) en principal et intérêts.
En second lieu, la BNP prétend qu'[R] [S] ne peut se prévaloir d'une disproportion de son engagement dans la mesure où elle n'était tenue d'aucun devoir de mise en garde à son endroit, et que cet engagement n'était nullement disproportionné.
En troisième lieu, elle précise limiter sa demande au plafond prévu dans le cautionnement, outre les intérêts de retard.
En quatrième lieu, elle indique que le débat relatif à l'information de la caution est inopérant en l'espèce, la somme réclamée n'incluant pas les intérêts moratoires.
Enfin, elle s'oppose à l'octroi de délais de paiement.
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Par dernières conclusions signifiées le 15 mai 2013, [R] [S] demande à voir :
* A titre principal :
-confirmer le jugement entrepris,
-dire que son cautionnement était éteint à la date d'exigibilité de la dette de la société ENERGEOS,
-débouter la BNP de l'ensemble de ses demandes,
-la condamner au paiement d'une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
* A titre subsidiaire :
-dire que son engagement de caution était manifestement disproportionné, et débouter la BNP de ses demandes,
-condamner la BNP au paiement d'une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
* A titre infiniment subsidiaire :
-dire que la créance de la BNP doit être réduite à la somme de 500 000 euros,
-lui accorder un échelonnement du paiement en 24 mois par 23 mensualités de 400 euros, et une mensualité de 490 800 euros,
-débouter la BNP de ses autres demandes,
-dire que chacune des parties conservera la charge de ses dépens.
A titre principal, [R] [S] demande confirmation du jugement en ce qu'il a considéré que son cautionnement était éteint par l'arrivée de son terme extinctif à la date d'exigibilité du prêt. Il soutient notamment que l'argumentation de la BNP fait fi de la distinction entre cautionnement à durée déterminée et cautionnement à durée indéterminée ; que la banque, professionnelle et rédactrice du cautionnement, ne peut invoquer l'absence d'objet de ce contrat dans l'hypothèse où l'argumentation adoptée par le tribunal serait retenue par la cour ; qu'il n'a accepté de consentir au cautionnement qu'en raison de l'insistance de la banque sur la durée limitée dans le temps de cette garantie.
Subsidiairement, [R] [S] affirme que son engagement était disproportionné au regard de l'article L341-4 du Code de la consommation.
A titre infiniment subsidiaire, il discute le quantum de la créance bancaire et réclame des délais de paiement.
SUR CE,
Sur le moyen principal tenant à l'extinction du cautionnement
Attendu qu'en l'espèce, le cautionnement consenti par [R] [S] a été donné en garantie d'un prêt de trésorerie de 500 000 euros remboursable en une seule échéance payable le 7 mars 2009 ;
Que pourtant, aux termes de son cautionnement, souscrit le 1er septembre 2008, [R] [S] s'est porté caution du prêt de trésorerie consenti à la Société ENERGEOS en ces termes :
« En me portant caution de ENERGEOS dans la limite de la somme de 519 250 euros couvrant le principal, les intérêts et le cas échéant les pénalités de retard, et pour une durée de six mois, je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et biens si le cautionné n'y satisfait pas lui-même. »
La présente caution est irrévocable, elle garantit toutes les obligations nées pendant la durée du cautionnement et ce jusqu'à complète extinction, elle couvrira outre le principal, les intérêts, les frais et les accessoires.
Qu'ainsi donc, ce cautionnement expirait le 1er mars 2009, soit avant
l'exigibilité de l'unique échéance du prêt principal ainsi garanti - ce que la BNP ne conteste pas ;
Attendu que l'argumentation développée par la BNP relativement à la distinction entre obligation de règlement et obligation de couverture, n'a vocation à s'appliquer que dans l'hypothèse où le cautionnement est consenti pour toutes les dettes d'un débiteur ou une catégorie indéterminée de dettes ' hypothèse d'un cautionnement général, autrement qualifié d'« omnibus » - ou encore lorsque le cautionnement garantit un contrat à exécution successive ; que la propre jurisprudence invoquée par la banque conforte d'ailleurs cette analyse ;
Que selon la doctrine autorisée ' en particulier celle développée par le Professeur [F] - rien n'interdit certes d'assortir le cautionnement d'une dette d'un terme déterminé ; néanmoins, un tel terme n'a de sens que si l'obligation principale n'en comportait pas, ou si le terme fixé pour le cautionnement est plus éloigné que celui de l'obligation principale ; que cet auteur en conclut que la stipulation d'un terme plus rapproché ou même d'un terme identique serait « absurde » puisque, par hypothèse, la caution ne peut être poursuivie tant que la dette n'est pas exigible contre le débiteur principal et que l'article 2290 du Code civil lui interdit de s'obliger à payer avant que l'obligation principale ne soit échue ;
Or, attendu que le cautionnement litigieux a été contracté en garantie d'un contrat à exécution instantanée : le prêt de trésorerie de 500 000 euros, lequel constitue une seule et unique dette remboursable en une seule échéance exigible postérieurement à l'échéance du terme stipulé au cautionnement, ce qui ne correspond donc à aucune des hypothèses dans lesquelles la stipulation d'un tel terme présente une utilité ;
Qu'en tout état de cause, en souscrivant un cautionnement contenant un terme libellé tel que rappelé ci-dessus, [R] [S], profane en droit et totalement étranger aux subtilités juridiques aujourd'hui développées par la banque, n'a pu qu'entendre limiter dans le temps son obligation de règlement, soit le limiter à une période de six mois au-delà de laquelle il serait délié de toute obligation à paiement ; que cette interprétation de l'intention des parties est au demeurant corroborée par l'attestation établie par Monsieur [H], ancien directeur commercial de la société ENERGEOS, qui a assisté au rendez-vous au cours duquel il a été demandé à [R] [S] de se porter caution du crédit de trésorerie en cause ; que selon ce témoin, afin d'emporter le consentement d'[R] [S], réticent à accorder son cautionnement personnel, les deux représentants du prêteur présents lors des négociations ont justement insisté sur la durée limitée du cautionnement, à savoir 6 mois à compter de sa signature;
Qu'en conséquence, la BNP, venant aux droits de CETELEM rédactrice à la fois du prêt principal et du cautionnement litigieux, ne saurait, sous couvert des règles gouvernant l'interprétation des contrats, remédier à la maladresse de rédaction que comporte cet cautionnement litigieux en soutenant, d'une part, que, par cet acte, [R] [S] a entendu payer à la place de l'emprunteur principal « les dettes contractées pendant une période de six mois quelle que soit l'époque de leur exigibilité » et, d'autre part, que décider du contraire aboutit à priver le cautionnement de toute utilité dès lors que le terme du prêt était postérieur au délai stipulé au cautionnement ; qu'il appartient à la BNP d'assumer les conséquences de cette erreur rédactionnelle, et, sauf à dénaturer les dispositions claires et précises du cautionnement dans l'unique dessein de parer à une difficulté non imputable à la caution, l'argumentation suivie par la banque ne saurait donc être suivie par la cour ;
Attendu que par conséquent, il échet de constater qu'en vertu de l'article 2311 du Code civil, le cautionnement d'[R] [S] se trouvait déjà éteint, par voie principale, via l'arrivée de son terme extinctif, lorsque la créance bancaire est devenue exigible ; qu'en application de l'article 2290 du Code civil, la BNP n'est donc pas fondée à solliciter la condamnation d'[R] [S] en exécution dudit cautionnement ;
Que le jugement entrepris mérite donc confirmation en toutes ses dispositions ;
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile
Attendu que, succombant, la BNP sera condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à [R] [S] une indemnité procédurale complémentaire de 3 000 euros, au titre de la procédure d'appel ; qu'elle sera à l'inverse déboutée de sa propre demande à ce titre ;
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
- CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
- CONDAMNE la BNP PERSONAL FINANCE à payer à [R] [S] une indemnité complémentaire de 3 000 euros au titre de la procédure d'appel, en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- DEBOUTE la BNP PERSONAL FINANCE de sa propre demande formée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNE la BNP PERSONAL FINANCE aux dépens d'appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT
M.M. HAINAUTP. BIROLLEAU