République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 2
ARRÊT DU 19/06/2013
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N° de MINUTE :
N° RG : 10/03867
Jugement (N° 2611/07)
rendu le 25 Mai 2010
par le Tribunal de Grande Instance de BETHUNE
REF : FB/AMD
APPELANTE
ASSOCIATION CULTURE COMMUNE
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 1]
représentée par son représentant légal
Représentée par Maître Bernard FRANCHI de la SCP FRANCOIS DELEFORGE-BERNARD FRANCHI, avocats au barreau de DOUAI, anciens avoués
Assistée de Maître Benoît TITRAN, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉ
Monsieur [K] [H]
né le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 4]
demeurant [Adresse 2]
[Localité 2]
Représenté par Maître Virginie LEVASSEUR de la SCP LEVASSEUR LEVASSEUR, avocats au barreau de DOUAI, constituée aux lieu et place de la SCP LEVASSEUR CASTILLE LEVASSEUR, anciens avoués
Assisté de Maître Isabelle LESCURE, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Martine ZENATI, Président de chambre
Fabienne BONNEMAISON, Conseiller
Bruno POUPET, Conseiller
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Claudine POPEK
DÉBATS à l'audience publique du 08 Avril 2013 après rapport oral de l'affaire par Fabienne BONNEMAISON
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 19 Juin 2013 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Martine ZENATI, Président, et Claudine POPEK, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 02 avril 2013
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Par arrêt du 28 Septembre 2011, la Cour de céans, statuant sur appel d'un jugement du Tribunal de Grande Instance de BETHUNE en date du 25 Mai 2010 dans une instance opposant le photographe [K] [H] à l'association CULTURE COMMUNE, a confirmé le jugement en ce qu'il admet la recevabilité de la demande de restitution formée par Mr [H] à l'encontre de l'association, constaté l'impossibilité pour celle-ci de restituer les photographies dans leur état d'origine et avant dire droit sur les autres demandes des parties a ordonné une mesure d'expertise judiciaire confiée à Mr [M] dont le rapport est intervenu le 16 Mars 2012.
Sur reprise d'instance, l'association CULTURE COMMUNE a déposé des conclusions tendant à voir prendre acte de son offre de restitution des tirages photographiques litigieux et du refus opposé par Mr [H], constater que celui-ci a toujours été en mesure de vendre les tirages vintage extraits de l'exposition 'Parcours sans titres', constater son absence de préjudice, débouter par suite l'intéressé de toutes ses demandes et condamner celui-ci au paiement d'une indemnité de procédure de 5000€.
Mr [H] demande à la Cour de prononcer la nullité du rapport d'expertise judiciaire, de constater que l'expert n'a pas rempli sa mission et d'écarter ses conclusions, de dire Mr [H] fondé à obtenir réparation de son entier préjudice, de condamner de ce chef l'association CULTURE COMMUNE à lui verser une somme de 195 000€ outre une indemnité de procédure de 5000€ et de la débouter de toutes ses demandes.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 Avril 2013.
SUR CE
En 1991, l'association CULTURE COMMUNE coproduit avec le Conseil Général du Pas de Calais et la Ville de [Localité 3] une exposition itinérante de photographies réalisées dans le bassin minier par [K] [H], restées en possession de l'association à l'issue de l'exposition et dont le photographe a vainement sollicité la restitution, engageant en Mai 2007 une instance judiciaire en restitution sinon indemnisation à hauteur de 78 000€ de la perte subie.
C'est dans ces conditions qu'est intervenu le jugement dont appel qui a accueilli cette demande d'indemnisation dans la limite d'une somme de 75 000€.
Sur appel de l'association CULTURE COMMUNE, l'arrêt précité a estimé Mr [H], resté propriétaire des tirages de l'exposition, fondé à solliciter la réparation de la perte de ses clichés, retrouvés dégradés et dépourvus de leur encadrement à la suite d'un dégât des eaux, et ordonné une mesure d'expertise judiciaire pour en déterminer la valeur vénale en 1991 et en 1994, soit à l'issue de la période d'exploitation concédée aux producteurs de l'exposition.
Au terme de son rapport, Mr [M] qui a constaté que dix des tirages étaient intacts, 34 susceptibles d'une éventuelle restauration et 21 définitivement dégradés, a conclu que ceux-ci n'étaient pas commercialisables en ce qu'ils étaient porteurs des mentions 'exemplaire d'exposition'et 'ne peut être vendu' et ne comportaient aucune signature ni annotation manuscrite de l'auteur en sorte que leur valeur vénale se cantonnait, selon lui, au coût d'un tirage de luxe effectué par un laboratoire professionnel, soit la somme de 116€ HT à l'unité, éventuellement augmentée des 'honoraires' de l'auteur pour 50€ HT par photographie.
Sur la nullité de l'expertise:
Mr [H] plaide la nullité du rapport d'expertise judiciaire de Mr [M] pour avoir méconnu le principe du contradictoire en fondant son rapport sur un dire et une note de l'association qui ne lui ont pas été communiqués.
L'association objecte que le 'dire' litigieux est en réalité un courriel du directeur de l'association précisant les dimensions des photographies qui n'a eu aucune incidence sur les conclusions de l'expertise et ne fait donc pas grief à Mr [H] .
L'article 276 du code de procédure civile dispose que l'expert doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties et, lorsqu'elles sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent .
En l'espèce, il s'avère que l'association, manifestement par méconnaissance du droit, a sans en informer son conseil, adressé à l'expert judiciaire des précisions sur les dimensions des photographies.
Il ne s'agit donc pas à proprement parler d'un 'dire' qui appelait une réponse de l'expert judiciaire, Mr [M] s'étant d'ailleurs contenté d'en prendre acte.
La Cour rappelle que la nullité d'une mesure d'expertise judiciaire suppose, en application de l'article 175 du code de procédure civile, la démonstration d'un grief, inexistant en l'espèce puisqu'aucune contestation n'était soulevée quant à la dimension des clichés que l'expert judiciaire a, au demeurant, examiné en présence des parties.
Le moyen tiré de la nullité de l'expertise sera en conséquence rejeté.
Sur l'indemnisation de la perte des tirages:
Mr [H] fait encore grief à l'expert judiciaire de ne pas avoir rempli sa mission qui n'était pas d'apprécier l'état des photographies et la possibilité d'une restauration lorsque l'arrêt avant dire droit avait estimé ces tirages dégradés et inutilisables et l'offre de restitution de l'association sans incidence sur le préjudice subi mais d'en déterminer la valeur sur le marché de l'art au regard de la qualité des tirages, du reportage, de la notoriété de l'auteur etc...
Il estime illusoire la préservation de certains clichés lorsque 55 des tirages présentent des traces d'humidité à l'oeil nu, l'examen superficiel réalisé par l'expert judiciaire n'apportant aucune garantie de leur intégrité, et considère que l'entière série est 'impactée' par les dommages subis.
Il maintient que les retirages effectués ne portent aucunement atteinte à la valeur des tirages de l'exposition, très prisés par les collectionneurs.
Il conteste l'affirmation de l'expert selon laquelle ces tirages sont dépourvus de valeur commerciale à raison des mentions portées au dos et de l'absence de signature de l'auteur alors qu'il lui était loisible de biffer ces mentions et de signer les tirages en vue de les revendre.
Sur la base des conclusions de l'expert judiciaire, l'association CULTURE COMMUNE fait valoir que n'acquièrent de valeur sur le marché de l'art que les tirages signés par leur auteur, dont la diffusion reste limitée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisque Mr [H] a vendu à plusieurs reprises des tirages de photographies extraites de l'exposition Parcours sans titres, d'une qualité équivalente à ceux de l'exposition, qui sont donc les seuls retirages à revêtir une réelle valeur, les épreuves de l'exposition n'ayant quant à elles aucune valeur vénale à défaut de signature de l'auteur et du fait des mentions non biffées évoquées plus haut.
Elle émet toutes réserves sur l'offre d'acquisition prétendument reçue en 2004 par Mr [H] , fort opportunément produite sur reprise d'instance pour étayer sa réclamation indemnitaire.
La Cour rappelle que la mission assignée à l'expert judiciaire était de rechercher quelle était la valeur des tirages de l'exposition sur le marché de l'art au regard notamment de la qualité technique et artistique de l'oeuvre réalisée et de la notoriété de l'auteur dont attestaient les publications et témoignages de professionnels versés aux débats, étant précisé que l'arrêt avant dire droit reconnaissait d'ores et déjà à Mr [H] le droit d'obtenir, nonobstant l'offre de restitution en cause d'appel, l'indemnisation de la perte de l'ensemble des tirages litigieux, altérés à la suite d'un dégât des eaux dans les locaux de l'association.
Sont donc inopérantes les constatations de l'expert judiciaire selon lesquelles certains tirages seraient intacts (ce que réfutent les professionnels consultés lorsque l'exposition à un dégât des eaux laisse nécessairement des traces indélébiles perceptibles à long terme), d'autres éventuellement susceptibles d'une restauration (qu'aucun homme de l'art n'est toutefois venu confirmer).
De même ne peut être accueillie la thèse de l'expert selon laquelle l'absence de signature de l'auteur au dos des tirages et la mention d'interdiction de vente leur ôteraient toute valeur marchande sinon réduiraient celle-ci au coût de leur réalisation lorsque de manière unanime les professionnels consultés décrivent là une mesure dissuasive en cas de vol, l'artiste pouvant à loisir biffer les mentions citées, numéroter et signer ses tirages lorsqu'il décide de les vendre.
Mr [I], gérant des Editions THTM et SOLEB, souligne au contraire que des tirages anciens ayant, comme ceux de Mr [H], participé à une exposition acquièrent un statut très recherché lorsque l'artiste biffe la mention prohibant la vente, les signe et les numérote pour être à la fois originaux, 'vintage' et en quelque sorte 'prototypes'.
La considération de la valeur de l'oeuvre artistique en fonction de la notoriété de son auteur et de sa 'cote' sur le marché de l'art relève au demeurant du bon sens (imagine-t-on la valeur d'un tirage original de [N] ou de DOISNEAU ramenée à son coût de production')
La Cour estime inopérant l'argument de l'association CULTURE COMMUNE selon lequel tant en 1991 qu'en 1994 (à l'issue de la période d'exploitation concédée) les tirages litigieux n'avaient aucune valeur puisque non biffés ni signés de l'auteur, excluant ainsi tout préjudice, lorsque la demande de restitution formée par Mr [H] avait justement pour but de porter sur ces tirages les mentions qui en permettraient la vente à des collectionneurs.
De même, le fait que Mr [H] ait vendu entre 1991 et 1994 des retirages de certaines photographies de l'exposition n'a pas d' incidence sur la valeur des tirages d'origine sur le marché de l'art qui, compte-tenu de l'attrait des collectionneurs pour le 'vintage', ont acquis une valeur grandissante avec les années d'autant qu'ils revêtaient une qualité particulière du fait du matériel utilisé, en l'espèce un papier Agfa de très grande qualité qui n'est plus utilisé aujourd'hui, ce qui rend impossible la restitution de cette forme originale de l'époque.
L'évaluation de Mr [M] sera, en conséquence, rejetée.
Ceci étant, Mr [H] réclame une indemnité de 195 000€ aux motifs d'une part qu'il a reçu en 2004 une offre d'achat d'un collectionneur à hauteur de 100 000€ à laquelle il n'a pu acquiescer faute de restitution des tirages, d'autre part que selon l'attestation de Mr [S] [R] , journaliste et critique dans la presse spécialisée 'photo', la côte des tirages récents de Mr [H] oscillerait entre 1500 et 2000€ 'ce qui laisse supposer un prix beaucoup plus élevé pour des épreuves originales de plus de vingt ans d'âge'.
La Cour estime quelque peu sujette à caution l'offre d'acquisition de Mr [G] prétendument faite en 2004 dans la mesure où elle a été évoquée pour la première fois par Mr [H] dans ses conclusions du 23 Novembre 2012, au bout de cinq années de procédure judiciaire, où aucune demande de restitution amiable contemporaine de cette offre pourtant très intéressante n'est justifiée par Mr [H] (il est fait état de demandes de restitution en 1999 puis en Janvier de 2006) qui n'explique pas pourquoi, dans ces conditions, il a cantonné sa réclamation devant le Tribunal à 78 000€ sur la base d'un prix unitaire de 1500€ pour les panoramiques de format 50/60 et de 1000€ pour ceux de format 30/40 .
La Cour observe par contre que Mr [H] fournit un grand nombre de factures relatives à des ventes intervenues sur le trois dernières années (parmi lesquelles figure d'ailleurs celle de deux tirages de l'exposition Parcours sans titres au format 50/60 au prix unitaire de 1750€) de nature à confirmer sa 'cote' élevée sur le marché de l'art, l'absence de mention sur ces documents de la date de réalisation des tirages vendus rendant toutefois difficile l'appréhension exacte du cours de tirages contemporains de ceux de l'exposition de 1991.
La Cour estime, dans ces conditions, raisonnable d'indemniser à hauteur de 90 000€ le préjudice résultant pour Mr [H] de la perte de l'ensemble des oeuvres de l'exposition.
Sur les demandes accessoires :
L'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de Mr [H] suivant modalités prévues au dispositif.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris excepté en ce qui concerne le montant de l'indemnité allouée à Mr [H] en réparation du préjudice subi.
Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant:
Condamne l'association CULTURE COMMUNE à verser à Mr [H]:
-une somme de 90 000€ en réparation de son préjudice
-une indemnité de procédure de 5000€
Condamne l'association CULTURE COMMUNE aux dépens d'appel en ce compris le coût de l'expert judiciaire avec faculté de avec faculté de recouvrement au profit des avoués constitués pour les actes antérieurs au 1er Janvier 2012 et des avocats constitués pour les actes ultérieurs conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier,Le Président,
Claudine POPEK.Martine ZENATI.