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17/01/2013 | FRANCE | N°11/01414

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 2, 17 janvier 2013, 11/01414


République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 2 SECTION 2



ARRÊT DU 17/01/2013



***



N° de MINUTE :

N° RG : 11/01414



Jugement (N° 2008/01873)

rendu le 06 Janvier 2011

par le Tribunal de Commerce de LILLE



REF : SVB/CL





APPELANTE



SAS CUIR CORRUGATED MACHINERY COM

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

ayant son siège social

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée par Me Marie-helene LAURENT (avocat au barreau de DOUAI) constituée aux lieu et place de la SCP THERY-LAURENT, anciens avoués

Assistée de Me Robert LEPOUTRE (avocat au ...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 2

ARRÊT DU 17/01/2013

***

N° de MINUTE :

N° RG : 11/01414

Jugement (N° 2008/01873)

rendu le 06 Janvier 2011

par le Tribunal de Commerce de LILLE

REF : SVB/CL

APPELANTE

SAS CUIR CORRUGATED MACHINERY COM

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Marie-helene LAURENT (avocat au barreau de DOUAI) constituée aux lieu et place de la SCP THERY-LAURENT, anciens avoués

Assistée de Me Robert LEPOUTRE (avocat au barreau de LILLE)

INTIMÉES

SARL SETINOR -SOCIETE D'ETUDES TECHNIQUES ET APPLICATIONS INDUSTRIELLES DU NORD -

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par la SELARL Eric LAFORCE (avocats au barreau de DOUAI)

Assistée de Me Bernard MEURICE (avocat au barreau de LILLE)

SAS GIA - GESTON INFORMATIQUE ET ADMINISTRATIVE -

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par la SELARL Eric LAFORCE (avocats au barreau de DOUAI)

Assistée de Me Bernard MEURICE (avocat au barreau de LILLE)

SARL RTI - REALISATIONS TECHNOLOGIES INDUSTRIES -

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par la SELARL Eric LAFORCE (avocats au barreau de DOUAI)

Assistée de : Me Bernard MEURICE (avocat au barreau de LILLE)

SARL FORMATIO

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par la SELARL Eric LAFORCE (avocats au barreau de DOUAI)

Assistée de Me Bernard MEURICE (avocat au barreau de LILLE)

SARL RIGHT COPY

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par la SELARL Eric LAFORCE (avocats au barreau de DOUAI)

Assistée de Me Bernard MEURICE (avocat au barreau de LILLE)

SARL RST - RELAIS SUPPLEANCE TRAVAUX -

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par la SELARL Eric LAFORCE (avocats au barreau de DOUAI)

Assistée de Me Bernard MEURICE (avocat au barreau de LILLE)

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Patrick BIROLLEAU, Président de chambre

Sophie VALAY-BRIERE, Conseiller

Stéphanie BARBOT, Conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marguerite-Marie HAINAUT

DÉBATS à l'audience publique du 15 Novembre 2012 après rapport oral de l'affaire par Sophie VALAY-BRIERE

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 17 Janvier 2013 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Patrick BIROLLEAU, Président, et Marguerite-Marie HAINAUT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 13 novembre 2012

***

Vu le jugement contradictoire du 10 septembre 2008 du tribunal de commerce de Lille assorti de l'exécution provisoire qui a dit que les sociétés SETINOR, GIA, RST, RTI, FORMATIO et RIGHT COPY (les SOCIÉTÉS) ont commis au préjudice de la SAS CUIR CORRUGATED MACHINERY-CCM (CCM) des actes de concurrence déloyale ; ordonné la remise de documents émanant ou provenant de la société CUIR, ou interdit leur possession par les SOCIÉTÉS, sous astreinte ; maintenu toutes les sociétés en la cause ; débouté la société CUIR de sa demande d'indemnisation à titre provisionnel ; ordonné avant dire droit une expertise, et réservé les droits, moyens et dépens ;

Vu les arrêts de cette Cour en date du 27 octobre 2009 et du 28 octobre 2010 ayant rejeté la demande de sursis à statuer formulée par les SOCIÉTÉS puis confirmé le jugement en ce qu'il avait jugé que les SOCIÉTÉS avaient commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la SAS CCM mais qui le réformant pour le surplus les a condamnées à payer une provision de 300.000 € à cette dernière, leur a fait interdiction sous astreinte de 300.000 € par infraction constatée de poursuivre l'élaboration d'une machine d'impression sur carton dénommée FLEXOMASTER ou toute autre dénomination, présentant une technologie similaire à la ROTAFLEXO MARK II de la SAS CUIR et de procéder à la commercialisation d'une telle machine, à payer à la SAS CCM la somme de 20.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu l'arrêt de la Cour de Cassation du 15 novembre 2011 déclarant le pourvoi formé par les SOCIÉTÉS non admis ;

Vu le rapport d'expertise déposé le 9 avril 2010 ;

Vu le jugement contradictoire du tribunal de commerce de Lille du 6 janvier 2011 qui a condamné in solidum les SOCIÉTÉS à payer à la SAS CCM la somme de 450.000 € à titre de dommages et intérêts, dit que s'imputeront sur cette somme les condamnations provisionnelles et les sommes payées par Messieurs [A] [P] ou [K] [J] en exécution des décisions de la juridiction sociale au titre des fautes lourdes qu'ils ont commises, ordonné la publication du jugement dans certains journaux dans la limite de 10.000 €, condamné in solidum les SOCIÉTÉS au paiement de 40.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens en ce compris les frais d'expertise de Messieurs [T] et [Y], enfin, débouté les parties de leurs autres demandes ;

Vu l'appel interjeté le 25 et le 28 février 2011 par la SAS CCM ;

Vu l'appel interjeté le 28 février 2011 par les SOCIÉTÉS ;

Vu les ordonnances du Président du Tribunal de Commerce de Lille du 18 janvier 2011 désignant Maître [Z], huissier de justice, du 14 avril 2011 rejetant la demande de rétractation et le constat du 3 février 2011 ;

Vu le jugement du juge de l'exécution du Tribunal de Grande Instance de Lille du 13 janvier 2011 qui a débouté les SOCIÉTÉS de leur demande de report de paiement des sommes mises à leur charge, devenu définitif du fait du désistement d'appel constaté selon ordonnance du 11 avril 2011 ;

Vu le jugement du juge de l'exécution du Tribunal de Grande Instance de Lille du 7 mars 2011 se dessaisissant d'une nouvelle demande de délais au profit de la Cour, procédure jointe qui n'a pas abouti du fait du désistement rappelé ci-dessus ;

Vu les ordonnances du magistrat chargé de la mise en état qui a ordonné la jonction des procédures 11/1414, 11/01463 et 11/01440 sous le premier de ces numéros;

Vu les conclusions déposées le 6 novembre 2012 pour la SAS CCM ;

Vu les conclusions déposées le 6 novembre 2012 pour les SOCIÉTÉS ;

Vu l'ordonnance de clôture du 13 novembre 2012 ;

La SAS CCM a interjeté appel aux fins de rejet des demandes adverses, de confirmation du jugement en ce qu'il a ordonné sa publication mais d'infirmation sur le quantum des dommages et intérêts alloués, et y ajoutant de condamnation in solidum des SOCIÉTÉS à lui payer 1.000.000 € en réparation de son préjudice moral, 7.378.333 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel, 158.053,17 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile, de destruction de l'ensemble des données se trouvant sur supports numériques déposés entre les mains de la SCP FONTAINE & ROUSSEL, notaires, les 17 novembre 2009 et 6 mai 2010, de condamnation aux dépens en ce compris les frais des ordonnances des 20 février 2008 et 18 janvier 2011, constats des 6 octobre 2008, 13 mars 2008 et 3 février 2011 de la SCP DHONTE, constat de Maître [M] du 9 février 2009, et les honoraires des experts [O], [T] et [Y].

Elle conclut à titre liminaire au rejet de la demande de sursis à stater aux motifs que l'arrêt du 28 octobre 2010 a désormais force de chose jugée, que l'expertise du préjudice résultant des fautes de Messieurs [P] et [J] est communiquée aux débats, que la chambre sociale de la Cour a prévu l'imputation des sommes auxquelles ils seront condamnés sur les condamnations mises à la charge des sociétés du groupe GIA, et que l'éventuelle décision à intervenir sur le plan pénal ne sera pas susceptible d'avoir une quelconque influence sur la solution de ce procès dans la mesure où les qualifications juridiques et les préjudices subis sont distincts. Elle considère également que la nouvelle demande d'expertise est dilatoire au regard des rapports déjà soumis à débat.

Elle rappelle que le principe de la concurrence déloyale est définitivement acquis mais soutient que le tribunal n'a pas fait une bonne appréciation du préjudice subi. Elle précise que les SOCIÉTÉS ont poursuivi le développement frauduleux de la machine FLEXOMASTER jusqu'au 17 novembre 2011 date à laquelle l'arrêt leur a été signifié. Elle soutient que les SOCIÉTÉS se sont frauduleusement approprié l'ensemble des connaissances accumulées au cours des années par la société CCM et qui constituent la valeur de son fonds de commerce. Elle indique qu'il a été jugé que le savoir-faire et les données constituent un actif incorporel de l'entreprise dont l'appropriation frauduleuse par un tiers a pour effet de lui faire perdre, par sa seule détention et indépendamment de son utilisation, toute valeur et sollicite l'application à la présente affaire de la méthode d'évaluation patrimoniale retenue par la Cour d'Appel de Paris et validée par la Cour de Cassation dans l'affaire [L] (CA Paris 27 septembre 2000, Com.25 février 2003). Elle explique qu'en raison de la renonciation des experts judiciaires à chiffrer son préjudice, qualifié de considérable, elle a du recourir à des professionnels du chiffre et à des experts en méthodologie indemnitaire et quantification du préjudice dont les rapports, débattus contradictoirement, sont recevables comme éléments de preuve. Elle détaille ensuite les différentes méthodes d'évaluation de son préjudice reprises dans les rapports produits dont les auteurs ont tous raisonné en terme de perte de fonds de commerce, considérant qu'elle ne peut plus désormais intéresser aucun acquéreur, aboutissant à une évaluation arithmétique moyenne de 7.378.333 € de son préjudice matériel. Elle critique le rapport de Monsieur [W] dès lors que contrairement à ses affirmations, elle démontre avoir continué le développement de ses machines et de ses recherches en vue de développer de nouveaux produits. Elle expose, enfin, les raisons soutenant ses demandes de préjudice moral, de restitution et de destruction ainsi qu'aux titre des dépens.

Les SOCIÉTÉS demandent à la cour de déclarer la société CCM tant irrecevable que mal fondée en son appel, de la débouter de toutes ses demandes, de les recevoir en leurs appels principaux et incidents, de les dire bien fondés, d'infirmer le jugement, de surseoir à statuer et de réserver les dépens dans l'attente de l'issue de la procédure pénale et des procédures sociales engagées à l'encontre de Messieurs [P] et [J], à titre subsidiaire, d'ordonner une nouvelle expertise aux fins de répondre aux questions de la mission telle que fixée par les premiers juges, à titre infiniment subsidiaire de limiter le montant des dommages et intérêts alloués à la somme de 1 €, en tout état de cause, de débouter la société CCM de sa demande de destruction des informations détenues par la SCP FONTAINE & ROUSSEL au nom et pour le compte de la société SETINOR, de condamner la société CCM aux dépens en ce compris les honoraires d'expertise ainsi qu'au paiement de la somme de 50.000 € pour la couverture de leurs frais irrépétibles.

Elles font état au préalable de l'absence de communication de la pièce n°198 figurant au bordereau de pièces de la société CCM et justifient leur demande de sursis à statuer, sur le fondement de l'article 378 du code de procédure civile, d'une part, par la nécessité dans laquelle se trouverait la cour de devoir attendre les jugements du Conseil des Prud'hommes de Lens dans les litiges opposant Messieurs [P] et [J] à la société CCM, et, d'autre part, sur l'existence d'une procédure pénale en cours à l'initiative de la société CUIR considérant que les faits dénoncés auprès du Procureur de la République correspondent à ceux dont le tribunal de commerce de Lille puis la cour ont été saisis comme le conseil des prud'hommes de Lens.

A titre subsidiaire, elles rappellent que Monsieur [T], expert, n'a pas pu conclure à l'utilisation par les SOCIÉTÉS des informations contenues sur le disque dur provenant de la société CCM et critiquent son rapport considérant qu'il a porté des jugements de valeur, en dehors du cadre de sa mission, sur la détention du disque dur dans les locaux de la société SETINOR et sur le projet FLEXOMASTER, lequel est resté à l'état de projet, qu'il n'a pas répondu aux questions posées et qu'il a été incapable de chiffrer l'économie de temps et d'argent qui aurait pu être réalisée par SETINOR du fait de l'utilisation des données du disque dur et, par suite, de chiffrer l'éventuel préjudice. Elles font valoir que la comparaison technologique des deux machines révèle que les innovations, points forts et améliorations de la FLEXOMASTER ne sont que le fruit des expériences et compétences professionnelles de Messieurs [J] et [P] et sollicite le cas échéant une nouvelle expertise. Elles prétendent à l'irrecevabilité des rapports EQUATION, PriceWaterhouseCoopers (PWC) et [V] dressés non contradictoirement et sans objectivité. Elles en contestent les termes à l'aide des rapports de Monsieur [W] et de la société d'expertise comptable VALOXY et concluent à l'absence de faute et de préjudice certain souffert par la société CCM, considérant que la situation actuelle de la société CCM résulte de ses choix de gestion, de l'abandon de ses activités de recherche et de développement au profit de la maintenance. Elles ajoutent que la société CCM ne peut pas, par le biais de cette procédure, obtenir réparation de préjudices qu'elle aurait subis du fait d'autres sociétés ou anciens salariés. Elles considèrent, par ailleurs, que le tribunal ne pouvaient pas les condamner à indemniser un préjudice moral dont la demande n'avait pas été soutenue par la société CCM laquelle est de nouveau défaillante à en rapporter la preuve devant la cour. S'agissant de la demande complémentaire de destruction, elles prétendent que la cour ne pourra pas y faire droit car cela reviendrait à les priver de la possibilité de se défendre dans le cadre des procédures encore en cours en démontrant la différence de technologie entre les machines ROTAFLEXO MARK II et FLEXOMASTER et violerait les principes constitutionnels sur la libre concurrence, la liberté d'entreprendre et la liberté du travail.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 novembre 2012.

SUR CE 

La Cour observe au préalable qu'à l'audience les SOCIÉTÉS ont abandonné leur incident de communication relatif à la pièce n°198 de la société CCM, laquelle figure tant dans les bordereaux de communication de pièces du 25 janvier 2012, 4 septembre 2012 et 6 novembre 2012 que dans le dossier transmis à la cour.

1- Sur la recevabilité de l'appel

Les SOCIÉTÉS ne proposent à la cour aucun moyen d'irrecevabilité de l'appel à l'appui de leur demande et aucun élément de la procédure ne permettant à la cour de relever d'office un tel moyen, l'appel doit être jugé recevable.

2- Sur le sursis à statuer

Aux termes de l'article 378 du code de procédure civile, 'La décision de sursis suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine'.

Les SOCIÉTÉS sollicitent à titre incident de la cour qu'elle sursoie à statuer

dans l'attente de l'issue des procédures sociale et pénale en cours.

L'expertise ordonnée par arrêt du 28 mai 2010 de la chambre sociale de la présente cour dans la procédure qui oppose la société CCM à Monsieur [J] a donné lieu à un rapport dressé par Monsieur [T] et déposé le 8 octobre 2012. Il a été communiqué dans le cadre de la présente instance, il est donc connu des parties qui en ont débattu dans le cadre de leurs écritures.

Le sursis à statuer n'est pas justifié de ce chef, les fondements des demandes étant distincts et la société CCM acceptant que le montant des condamnations qui sera éventuellement mis à la charge de Messieurs [P] et [J] vienne 's'imputer' sur les sommes éventuellement mise à la charge des SOCIÉTÉS.

Le 23 avril 2008, la SA CCM a déposé une plainte auprès de Monsieur le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Lille lequel aurait saisi un juge d'instruction pour atteinte aux systèmes de traitement automatisé de données, vol, complicité et recel de ces délits à l'encontre de Messieurs [F] [C], [A] [P], [K] [J] et tous autres.

Aux termes de l'article 4 du code de procédure pénale, la mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil.

L'arrêt du 28 octobre 2010 ayant acquis force de chose jugée, la reconnaissance par la juridiction pénale de l'existence ou non d'infractions pénales à la charge des personnes visées dans la plainte, pour des faits distincts, et la réparation des préjudices en découlant le cas échéant ne sont pas susceptibles d'influencer la solution de la présente instance, laquelle a uniquement pour objet l'indemnisation des préjudices résultant de faits de concurrence déloyale commis par les SOCIÉTÉS.

La demande de sursis à statuer sera donc rejetée.

2- Sur les préjudices

Le principe de l'existence d'un préjudice concurrentiel subi par la société CCM est acquis au regard de la force de chose jugée attachée à l'arrêt du 28 octobre 2010, il reste à en déterminer l'ampleur.

Monsieur [T], expert désigné par ordonnance du président du Tribunal de Commerce de Lille en date du 10 septembre 2008, avec comme sapiteur Monsieur [Y], expert informatique, a remis un premier rapport en date du 9 avril 2010.Il résulte de celui-ci que les documents et données technologiques que les SOCIÉTÉS se sont appropriés de façon déloyale constituent le savoir-faire de la SA CCM, lequel représente une part substantielle de son actif incorporel. Ceux sont les éléments pillés, associés aux connaissances des salariés des SOCIÉTÉS ayant acquis une expérience certaine au sein de la SA CCM, qui ont permis aux intimées de développer une machine concurrente.

Monsieur [T] a indiqué en conclusion : 'Il est impossible de quantifier l'économie en temps et en argent réalisée par les sociétés défenderesses dans l'élaboration de la machine. Cependant, et malgré les milliers d'heures d'étude déjà passées sur le projet par le personnel des sociétés, il est évident que l'économie doit être considérable....Compte tenu de l'ampleur du pillage, dont a été victime cette société, l'estimation du préjudice dépasse le cadre de nos compétences et de notre mission'.

Monsieur [T] a été désigné une seconde fois, par arrêt du 28 mai 2010 de la chambre sociale de la présente cour. En exécution de cette décision, son rapport a été déposé le 8 octobre 2012. Il convient d'en tenir compte comme cela est sollicité par les intimées. Au terme de celui-ci, il a indiqué partager l'avis de Monsieur [W], expert-comptable, sapiteur, dans son rapport du 3 juillet 2012, lequel 'a évalué à 1.000.000 € l'avantage dont ont pu bénéficier les sociétés SETINOR et suivantes, ce qui correspond au coût d'un bureau d'études de 7 personnes pendant 2 ans'.

Par ailleurs, la SA CCM produit des rapports dressés à sa demande par la société d'expertise comptable EQUATION, Monsieur [V], expert près de la Cour d'Appel de Douai en date du 11 janvier 2012 et par la société PWC des 6 et17 janvier 2012.

Bien qu'établis non contradictoirement, la cour ne peut pas refuser d'examiner ces trois pièces régulièrement versées aux débats et soumises d'une part pour les trois premiers à l'analyse critique de Monsieur [W] dans son rapport du 3 juillet 2012 et, d'autre part, à la discussion contradictoire dans le cadre de la présente instance, et qui compte tenu des expertises judiciaires déjà réalisées et du nombre de pièces communiquées par les parties (283 pour la SAS CCM et 81 pour les SOCIÉTÉS) ne serviront pas, en tout état de cause, de fondement exclusif à sa décision.

Le rapport EQUATION, bien que non daté et non signé, conclut qu'' Une entreprise industrielle de la taille de CUIR n'existe que par les avancées technologiques dont elle est propriétaire. Leur détournement ou copie ont un impact tel sur les perspectives futures et donc sur les budgets prévisionnels qui les traduisent, que d'une part les méthodes de valorisation habituellement utilisées aboutissent dans un tel cas à une valeur proche de zéro. D'autre part aucun acquéreur potentiel ne peut plus se manifester puisque la substance de l'entreprise est durablement atteinte. Peu importe de ce point de vue l'impact immédiat sur l'activité réelle. Si la société CUIR valait 15 millions d'euros en 2002/2003, en toute circonstance, sa valeur est aujourd'hui proche de zéro ou de sa valeur liquidative (peu élevée). Au surplus aucun acheteur ne peut plus se manifester'.

Ce rapport est critiqué par Monsieur [W] qui considère que la méthode d'évaluation retenue est 'un peu simpliste et peu explicite' et par le cabinet VALOXY, expert-comptable des SOCIÉTÉS, dans ses notes du 4 octobre et du 5 novembre 2010 produites par les intimées, lequel estime 'qu'il ne peut être question de comparaison entre les valorisations établies sur les bases de 2001 et celles actuelles...radicalement différentes...'. En retenant les résultats nets de 2007 et de 2008, et en tenant compte des opérations de refinancement qui ont permis la distribution de dividendes et la réduction du capital en 2005 et 2006, ce dernier évalue la valorisation de la société CCM à 2.963.000 € au 31 décembre 2008.

Le rapport [V], établi à partir des rapports EQUATION et VALOXY ainsi que des documents comptables de la SAS CCM pour les années 2006 à 2010, conclut à une différence de valorisation correspondant au préjudice subi et évalué à 1.850.000 €. Après conversion de cette somme, il considère que 'le détournement a permis d'économiser 5 années d'avancées technologiques, et plus généralement de recherches'.

Monsieur [W] lui reproche d'avoir omis dans son évaluation les dettes d'emprunts ainsi qu'une parties des comptes courants.

Le rapport PWC du 17 janvier 2012 a estimé à 5.285.000 € la perte de valeur relative au fonds de commerce de la SAS CCM.

Monsieur [W] qui a qualifié l'analyse du cabinet PWC dans son rapport du 6 janvier 2012 de 'pertinente et convaincante' ne commente pas le rapport du 17 janvier 2012.

La société PWC a complété son analyse dans une nouvelle note en date du 31 octobre 2012, après avoir pris connaissance du rapport de Monsieur [W], au terme de laquelle elle précise que la valeur intrinsèque du fonds de commerce peut être estimée entre 5.285.000 € et 4.341.000 € tout en ajoutant que celui-ci est devenu invendable du fait des actes de concurrence déloyale.

Il est observé, enfin, que le rapport de Monsieur [W] écrit de façon contradictoire que la société CCM 'continue ses activités et que son fonds de commerce n'a donc pas une valeur nulle' (page 14) et dans ses conclusions 'la valeur de la SAS CUIR...était déjà nulle au 31 décembre 2006, avant le départ de Monsieur [A] [P]' (page 32).

Ces différentes observations justifient d'écarter, dans l'appréciation du préjudice subi, l'évaluation faite par le cabinet EQUATION dès lors que la valeur retenue du fonds de commerce est basée sur des chiffres de 2001/2002, antérieurs à la commissions des faits de concurrence déloyale, et ne prend pas en compte les opérations postérieures de refinancement qui ont également eu un impact sur la valeur de la société.

Bien que la liste des projets de produits figurant en annexe du rapport PWC mentionne que la SAS CCM a lancé en fabrication trois machines nouvelles (Mark Y, MR, MarkLine), les rapports de gestion produits pour les exercices 2005 à 2008 démontrent à l'inverse que la société CCM n'a engagé aucune dépense dans les domaines de la recherche et du développement durant ces quatre années. Les documents versés aux débats par la SAS CCM (pièces 249 à 275) dont les dossiers de crédit impôt recherche pour les années 2008 à 2011, tendant à démonter le contraire, sont non probants car justifiant de dépenses pour l'essentiel postérieures à la période considérée et aux faits reprochés.

En outre, il ressort des rapports [V] et [W] que le bureau d'études composé de 10 personnes en 1998 a été ramené à 7 personnes en 2002 puis à 2 personnes en octobre 2008.

Enfin, PWC reconnaît que l'activité de la SA CUIR s'est réduite depuis 2002 (page 3 de sa note du 31 octobre 2012).

Il se déduit de l'ensemble de ces éléments qu'en perdant une part substantielle de son actif incorporel, la SAS CCM a perdu une partie de sa valeur.

Ce préjudice, constitué de la perte de valeur subie, résulte tout à la fois de l'appropriation et de la détention par les SOCIÉTÉS du savoir-faire et de la technologie mis au point par la SAS CCM, et ce nonobstant toute divulgation éventuelle à des tiers mais également des agissements déloyaux dont elle a été victime de la part de la société TP (cf. arrêt CA Douai du 27 janvier 2011 cité par le rapport PWC du 6 janvier 2012), et dont les SOCIÉTÉS n'ont pas à répondre, ainsi que des choix des dirigeants de la société CCM de se recentrer sur la maintenance des matériels, sans qu'il soit possible d'établir avec certitude si cette décision résulte d'une stratégie délibérée ou est la conséquence des différents pillages subis, cette situation ne signifiant toutefois pas l'abandon total du négoce de machines dès lors que Monsieur [W] rappelle que de 2005 à 2011, la société CCM a vendu 9 machines neuves ou d'occasion (dont une machine MARK II en 2007 et un prototype MarkLine en 2008) et qu'il est justifié de la vente d'une machine d'occasion en 2012 (cf. facture du 19 juillet 2012).

La perte de valeur imputable aux SOCIÉTÉS, qui contrairement à ce qui a été retenu par le tribunal, constitue un préjudice matériel réparable, même en l'absence de divulgation du savoir faire ou d'utilisation de celui-ci par les SOCIÉTÉS, compte tenu notamment de l'interdiction de poursuivre l'élaboration d'une machine d'impression sur carton dénommée FLEXOMASTER ou toute autre dénomination prononcée, peut au vu des éléments dont la Cour dispose être évaluée à 1.544.000 €, somme dont l'allocation réparera intégralement le préjudice subi sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise.

S'agissant du préjudice moral subi celui-ci découle notamment de l'incertitude résultant de l'absence de réponse des experts à la question qui leur avait été posée de donner des éléments permettant de déterminer si la SARL SETINOR élaborait la machine d'impression sur carton dénommée FLEXOMASTER, ou toute autre dénomination, pour son propre compte ou pour celui d'un tiers ainsi que des articles de presse dans lequel le dirigeant de SETINOR se présente comme victime (ex.Voix du Nord du 23 juillet 2011).

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a alloué une somme de 450.000 € à ce titre et ordonné la publication de la décision mais infirmé pour le surplus dès lors qu'il appartient à la chambre sociale de la présente cour, et non à la formation de céans, de se prononcer sur le sort des éventuelles condamnations pouvant être mises à la charge de Messieurs [P] et [J].

3- Sur la demande de destruction

La SAS CCM sollicite la destruction de l'ensemble des données se trouvant sur supports numériques déposés entre les mains de la SCP FONTAINE & ROUSSEL, les 17 novembre 2009 et 6 mai 2010.

Les copies des actes de dépôt qui figurent en annexes du constat de Maître [Z], en date du 3 février 2011, n'étant pas produites, la cour ne dispose pas de la liste des documents ainsi déposés.

Il est acquis depuis l'arrêt du 28 octobre 2010 que les SOCIÉTÉS ont déjà restitué à la SAS CUIR les documents lui appartenant et qu'elles font l'objet d'une interdiction de poursuivre l'élaboration d'une machine d'impression sur carton, dénommée FLEXOMASTER ou toute autre dénomination présentant une technologie similaire à la ROTAFLEXO MARK II et de procéder à sa commercialisation.

Cependant, le travail et les recherches réalisés par les SOCIÉTÉS sur la machine FLEXOMASTER l'ayant été à partir de données de la SAS CCM obtenues de manière déloyale, s'en trouvent viciés.

Il convient, dès lors, afin d'éviter leur utilisation dans l'avenir d'ordonner la destruction de ces données, celle-ci ne constituant ni une privation des droits de la défense dans le cadre de procédures dont l'existence n'est pas démontée ni une atteinte aux principes de la liberté du travail et de la concurrence.

La demande de la SA CUIR de ce chef sera accueillie.

Les SOCIÉTÉS qui succombent seront condamnées in solidum aux dépens en ce compris les frais des ordonnances du président du Tribunal de Commerce de Lille en date des 20 février 2008 et 18 janvier 2011, les frais des constats d'huissier de justice des 6 octobre 2008, 9 février 2009, 13 mars 2008 et 3 février 2011 et les honoraires de Monsieur [O], expert en informatique pour son assistance apportée à Maître [Z], huissier de justice, lors du constat du 13 mars 2008.

Elle seront également déboutées de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la SAS CCM les frais exposés par elle en cause d'appel et non compris dans les dépens, ces derniers ne pouvant toutefois être confondus avec ceux engagés dans l'instance sociale ; il lui sera alloué la somme de 30.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'indemnité allouée en première instance étant confirmée.

PAR CES MOTIFS 

La Cour, statuant après débats publics, contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe,

Déclare l'appel de la SAS CUIR CORRUGATED MACHINERY-CCM recevable ;

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné in solidum les sociétés SETINOR, GIA, RST, RTI, FORMATIO et RIGHT COPY au paiement des la somme de 450.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi par la SAS CCM, rappelé que les condamnations provisionnelles s'imputeront sur cette somme, ordonné la publication du jugement, alloué une indemnité procédurale à la SAS CCM et condamné les défenderesses aux dépens en ce compris le coût de l'expertise de Messieurs [T] et [Y] ;

Le réforme pour le surplus,

Ordonne la destruction de l'ensemble des données se trouvant sur supports numériques déposés entre les mains de la SCP FONTAINE & ROUSSEL, notaires, les 17 novembre 2009 et 6 mai 2010 ;

Condamne in solidum les sociétés SETINOR, GIA, RST, RTI, FORMATIO et RIGHT COPY à payer à la SAS CUIR CORRUGATED MACHINERY-CCM la somme de 1.544.000 € en réparation du préjudice matériel subi outre 30.000 € au titre de ses frais irrépétibles d'appel ;

Condamne in solidum les sociétés SETINOR, GIA, RST, RTI, FORMATIO et RIGHT COPY aux dépens d'appel, en ce compris les frais et honoraires ci-dessus repris, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Autorise, si elle en a fait l'avance sans en avoir reçu provision, la SCP THERY LAURENT, avoués, au titre des actes accomplis antérieurement au 1er janvier 2012, et la SELARL ADEKWA, avocat, au titre des actes accomplis à compter du 1er janvier 2012, à recouvrer les dépens d'appel conformément à l'article 699 code de procédure civile.

Le GreffierLe Président

Marguerite Marie HAINAUTPatrick BIROLLEAU


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 2 section 2
Numéro d'arrêt : 11/01414
Date de la décision : 17/01/2013

Références :

Cour d'appel de Douai 22, arrêt n°11/01414 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-01-17;11.01414 ?
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