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29/11/2012 | FRANCE | N°12/00803

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 2, 29 novembre 2012, 12/00803


République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 2 SECTION 2



ARRÊT DU 29/11/2012



***



N° de MINUTE :

N° RG : 12/00803



Jugement (N° 11/1178)

rendu le 23 Janvier 2012

par le Tribunal de Commerce de VALENCIENNES



REF : SB/CLInterdiction de gérer





APPELANTS



MONSIEUR LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE

près le Tribunal de grande instance de VALENCIENNES





Monsieur [I] [J]>
né le [Date naissance 3] 1962 à [Localité 7]

de nationalité française

demeurant [Adresse 1]

[Localité 4]



Représenté par : Me Eric LAFORCE (avocat au barreau de DOUAI)

Assisté de la SELARL DELOGE-BAHMA, avocats

...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 2

ARRÊT DU 29/11/2012

***

N° de MINUTE :

N° RG : 12/00803

Jugement (N° 11/1178)

rendu le 23 Janvier 2012

par le Tribunal de Commerce de VALENCIENNES

REF : SB/CLInterdiction de gérer

APPELANTS

MONSIEUR LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE

près le Tribunal de grande instance de VALENCIENNES

Monsieur [I] [J]

né le [Date naissance 3] 1962 à [Localité 7]

de nationalité française

demeurant [Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par : Me Eric LAFORCE (avocat au barreau de DOUAI)

Assisté de la SELARL DELOGE-BAHMA, avocats

INTIMÉS

Maître [C] [L] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société [J] Frères (en remplacement de Me [F])

demeurant [Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par la SCP FRANCOIS DELEFORGE-BERNARD FRANCHI (avocats au barreau de DOUAI)

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Patrick BIROLLEAU, Président de chambre

Sophie VALAY-BRIERE, Conseiller

Stéphanie BARBOT, Conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marguerite-Marie HAINAUT

DÉBATS à l'audience publique du 18 Octobre 2012 après rapport oral de l'affaire par Stéphanie BARBOT

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 29 Novembre 2012 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Patrick BIROLLEAU, Président, et Marguerite-Marie HAINAUT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

OBSERVATIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC :

réquisitions du 6 août 2012

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 12 septembre 2012

***

A compter du 1er juillet 2000, a été créée la SARL [J] FRERES, entreprise générale de bâtiment, promoteur et marchand de biens, ayant pour gérant [I] [J].

Consécutivement à la délivrance d'une assignation par l'URSSAF, en juin 2009, ladite société a été placée en redressement judiciaire le 23 novembre 2009, puis en liquidation judiciaire le 20 septembre 2010, Maître [F] étant nommée liquidateur.

La date de cessation des paiements a été fixée au 9 juin 2009.

Par requête du 10 juin 2011, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de VALENCIENNES a saisi le tribunal de commerce afin de voir prononcer des sanctions à l'encontre du gérant, [I] [J], sur le fondement des articles L651-2, L651-3 et L653-1 à L653-8 du Code de commerce.

Aux termes d'un jugement prononcé le 23 janvier 2012, le tribunal de commerce de VALENCIENNES a :

Condamné [I] [J] à payer à Maître [F], ès qualités de liquidateur judiciaire, la somme de 70 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif,

Prononcé à son encontre une interdiction de gérer de 5 ans,

Rejeté le surplus des demandes,

Ordonné l'exécution provisoire et la publication du jugement,

Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage.

Le procureur de la République a interjeté appel de ladite décision le 2 février 2012, ainsi qu'[I] [J] suivant déclaration reçue au greffe le 10 février 2012.

La jonction de ces deux procédures a été prononcée par ordonnance du 12 avril 2012.

PRETENTIONS DES PARTIES :

Selon ses dernières écritures signifiées le 20 juin 2012, le Procureur général près la cour d'appel de DOUAI demande à voir :

infirmer la décision entreprise,

constater que les fautes de gestion commises par [I] [J] ont contribué à l'insuffisance d'actif et, en conséquence, condamner [I] [J] à contribuer partiellement à cette insuffisance à hauteur d'une somme comprise entre 300 000 et 500 000 euros, sauf à parfaire après retour de l'enquête sollicitée par le Ministère public,

prononcer à l'égard d'[I] [J] une interdiction de gérer d'une durée de 15 ans,

ordonner l'exécution provisoire.

Le Procureur général reproche à [I] [J] deux fautes : l'absence de déclaration de cessation des paiements, et la poursuite d'une activité déficitaire.

Il affirme que l'insuffisance d'actif est la conséquence de ce cumul de fautes ; qu'il convient donc d'écarter durablement [I] [J] du monde des affaires au moyen d'une interdiction de gérer supérieure à celle prononcée par les 1ers juges ; qu'il importe en outre d'augmenter la contribution d'[I] [J] à l'insuffisance d'actif au regard de l'importance de ce dernier.

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Aux termes de ses dernières conclusions signifiées 26 juin 2012, [I] [J] demande à la cour de :

infirmer en toutes ses dispositions la décision déférée,

à titre principal : débouter le procureur général de l'ensemble de ses demandes,

subsidiairement : ramener à de plus justes proportions le montant de l'insuffisance d'actif mis à sa charge et la durée de l'interdiction de gérer prononcée à son encontre,

statuer ce que de droit quant aux dépens.

A titre principal, [I] [J] expose que sur le total des créances déclarées, une part importante a été rejetée par le juge commissaire, tandis qu'une autre part a été admise à titre provisionnel, de sorte que le passif total s'élève à près de 1 000 000 d'euros ; qu'une partie de ce passif devra être payé par lui en ses qualités de dirigeant solidaire des dettes fiscales et de caution dirigeante ; que jusqu'au 9 novembre 2009, il existait des créances à recouvrer et un carnet de commandes permettant une poursuite normale de l'activité ; qu'avant le 9 juin 2009 (date de l'assignation par l'URSSAF), aucun élément ne permettait d'envisager ni une procédure de prévention, ni un état de cessation des paiements ; que la réalité de la situation de la société n'a été décelée qu'en novembre 2009, lors de la proposition de rectification fiscale.

[I] [J] ajoute qu'il n'a pas poursuivi l'activité dans un intérêt personnel, dans la mesure où il ne percevait plus ni loyer au titre de la location de l'établissement principal à la société, ni salaire depuis de nombreux mois ; qu'en outre, la détérioration des résultats de la société s'explique exclusivement par une conjoncture économique défavorable, exclusive de toute faute de gestion ; que lors même que des fautes seraient reconnues, elles ne sont donc pas à l'origine des mauvais résultats de la SARL [J] ; qu'ainsi, en l'absence de lien de causalité entre l'insuffisance d'actif - dû à la conjoncture - et les fautes de gestion, il convient d'infirmer le jugement dont appel.

Subsidiairement, [I] [J] demande la réduction des sanctions à de plus justes proportions, soulignant notamment que l'interdiction de gérer prévue à l'article L653-8 ne constitue qu'une simple faculté pour le juge.

***

Aux termes de ses conclusions signifiées le 3 juillet 2012, Maître [C] [L], agissant ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL [J] FRERES, en remplacement de Maître [F], requiert qu'il lui soit donné acte de son intervention volontaire ès qualités et de son rapport à justice, sauf à ce qu'[I] [J] verse aux débats toute pièce de nature à établir l'importance des sommes qu'il a eu à honorer au titre des engagements de caution qu'il avait souscrits en garantie des dettes sociales.

***

Selon son avis du 6 août 2012, le Procureur Général a déclaré s'en rapporter à ses écritures. Copie de cet avis a été transmise aux parties le 28 août 2012.

SUR CE,

Sur l'action en comblement de l'insuffisance d'actif :

Attendu qu'aux termes de l'article L651-2 du Code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion ;

Que le succès de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif est subordonné à la preuve d'une faute de gestion, d'un préjudice consistant en une insuffisance d'actif, et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice ;

Attendu que deux fautes sont alléguées en l'occurrence : l'absence de déclaration de cessation des paiements, et la poursuite d'une activité déficitaire ;

Attendu qu'[I] [J] ne conteste pas la date de cessation des paiements fixée par le tribunal au 9 juin 2009 ;

Qu'en effet, il résulte du rapport de l'enquête ordonnée par le tribunal de commerce le 21 septembre 2009, qu'au 9 novembre 2009, le passif exigible, non contesté ni contestable, porté à la connaissance du juge enquêteur s'établissait comme suit :

URSSAF : cotisations dues au 31 juillet 2009 : 47 996,45 euros, incluant plus de 12 000 euros par mois de cotisations impayées entre mai 2009 et juillet 2009 ;

Taxe professionnelle : 14 018 euros au 15 juin 2009 correspondant à la taxe provisionnelle afférente à l'année 2009 ;

Caisse de congés intempéries : 43 916,94 euros au titre des cotisations relatives aux 1er et 2ème trimestres de l'année 2009, exigibles respectivement au 31 mai 2009 et au 31 août 2009 ;

Pôle Emploi : 6 738,28 euros, correspondant aux contributions et cotisations dues au titre du régime général, dont 2 220,90 euros de cotisations afférentes au mois de juin 2009, exigibles au 15 juillet 2009, et 2 256,10 euros au titre des cotisations de juillet 2009 (2 103 euros) exigibles au 15 août 2009 ;

Société Mercedes France : 1 258,61 euros, au titre du solde d'un prêt, mais la date d'exigibilité de cette dette, courant 2009, n'est ni précisée ni déterminable au vu des pièces communiquées ;

Service des impôts des entreprises : 388 euros au 7 octobre 2009, la date d'exigibilité n'étant pas non plus connue ;

Que la dette d'honoraires de l'ancien expert-comptable de la SARL [J] FRERES, contestée et ayant fait l'objet d'un recours en justice par la suite, sera en revanche écartée du passif exigible, à défaut de caractère certain ;

Qu'il ne saurait davantage être tenu compte, à ce stade, des résultats du contrôle fiscal subi par la SARL [J] FRERES entre le 14 septembre 2009 et 30 octobre 2009, au titre de la TVA et de l'impôt sur les sociétés, dans la mesure où le résultat de ce contrôle n'a été connu qu'au 18 novembre 2009 ;

Qu'en outre, le courrier adressé au procureur de la République de Valenciennes le 16 février 2011 par le liquidateur de la SARL [J] FRERES, Maître [F], révèle qu'en dehors des dettes sus évoquées, la SARL [J] FRERES devait également faire face au passif exigible suivant ' ce qu'[I] [J] a manifestement sciemment occulté au juge enquêteur pendant le déroulement de sa mission, puisque ces dettes ne figurent pas dans le rapport d'enquête préalable :

Trésorerie Municipale de Lille : 28 295 euros de factures de prestations d'ingénierie de 2001 et 2002

Taxe professionnelle 2007 et 2008 : 24 280 euros, déduction faite de la taxe provisionnelle de 2009 ;

ASTAV : 2 052,10 euros factures impayées à échéance du 27 février 2009 et du 8 avril 2009,

Direction Régionale des Finances Publiques : 23 256,75 euros de travaux d'assainissement impayés depuis le 30 juillet 2002

Société FNEIB : 16 284 euros de factures impayées des 6 juillet 2007 et 5 octobre 2007

SAS LAYHER : 14 148 euros de factures impayées au titre de la location d'échafaudage (11 factures échues entre le 31 décembre 2006 et le 30 septembre 2009)

Trésorerie principale de [Localité 5] : 8 465 euros de redevance d'occupation du domaine public depuis le 16 mars 2007

Le Charpentier : 6 105,42 euros de facture échue au 2 avril 2009

Les Forges du Hainaut : 4 402 euros au titre du solde d'une facture payable au 24 février 2009

SAS PHILMAT équipements : 3 823 euros de factures impayées entre le 30 janvier 2009 et le 21 juillet 2009

SARL KUK : 1 602 euros au titre de factures impayées des 5 avril 2007 et 12 avril 2007

PRAXAIR : 1 569,66 euros de factures de gaz impayées entre le 31 mars 2007 et le 30 avril 2008

Honoraires d'un géomètre expert : 1 540 euros impayés depuis le 27 février 2007

SA Hainaut Pierres Naturelles : 815 euros correspondant à des factures du 28 novembre 2008 et du 27 janvier 2009

Honoraires d'avocat : 788 euros au 5 mars 2009

France Télécom : 710 euros impayés depuis le 13 mars 2008

Qu'au vu de l'état des créances vérifié par le juge commissaire, l'ensemble des créances ci-dessus évoquées a été définitivement admis au passif de la procédure collective ; qu'étant certaines, liquides et exigibles, ces dettes doivent être incluses dans le passif exigible ;

Qu'en revanche Maître [F] évoque également, dans le courrier sus visé, une dette 25 000 euros résultant d'une condamnation prononcée avec exécution provisoire suivant jugement du 22 avril 2008, mais cette décision n'ayant été confirmée en toutes ses dispositions que par un arrêt du 18 novembre 2009, cette dette, incertaine jusque-là, ne saurait être intégrée au passif exigible avant cette date ;

Attendu que relativement à l'actif disponible, il ressort du rapport d'enquête du 9 novembre 2009 qu'à cette date, la SARL [J] FRERES ne disposait d'aucune liquidité, ni de valeur de placement, ni de réserves de crédit non utilisées ; que selon les informations contenues dans ce rapport et les relevés bancaires communiqués (pièces n°2 d'[I] [J]), il apparaît que le compte courant de ladite société a présenté des soldes débiteurs récurrents depuis le 31 décembre 2008 :

-71 603,72 euros au 31 décembre 2008

-80 271,57 euros au 30 janvier 2009

-92 035,25 euros au 27 février 2009

-67 588,13 euros au 31 mars 2009

-81 684,77 euros au 30 avril 2009

-56 964,13 euros au 29 mai 2009

-75 716,11 euros au 30 juin 2009

-13 691,83 euros au 31 juillet 2009

-81 022,87 euros au 31 août 2009

-53 778 euros au 30 septembre 2009

-57 044,72 euros au 30 octobre 2009

Que si [I] [J] a affirmé auprès du juge enquêteur qu'il bénéficiait d'une autorisation de découvert écrite de 23 000 euros, il n'en demeure pas moins que le découvert de la SARL [J] FRERES a largement dépassé ce montant entre décembre 2008 et juin 2009, et, qu'en toute hypothèse, [I] [J] n'a jamais établi la réalité de l'autorisation invoquée  ;

Qu'ainsi, [I] [J] ne démontre pas que la SARL [J] FRERES disposât du moindre actif disponible à la date du 9 juin 2009, date de cessation des paiements ;

Qu' [I] [J] invoque l'existence, au 9 novembre 2009 - date du rapport d'enquête - de créances clients à recouvrer à hauteur de 127 547 euros et d'un carnet de commandes à hauteur de 2 234 201 euros qui devaient permettre une poursuite normale de l'activité ;

Mais attendu que ces allégations sont dépourvues de pertinence dès lors, d'une part, que ces chiffres, qui ressortent de documents établis unilatéralement par la SARL [J] FRERES , ne sont étayés par aucun justificatif, tels que factures, contrats ou devis acceptés, et que, d'autre part et en toute hypothèse, de tels éléments, non constitutifs d'un actif disponible, sont étrangers à la notion d'état de cessation des paiements ;

Qu'en considération du nombre de créanciers, de l'importance des créances exigibles au 1er janvier 2009, et de l'existence d'un compte courant constamment débiteur, tel qu'il ressort des données chiffrées ci-dessus exposées, [I] [J] ne peut sérieusement soutenir n'avoir décelé la situation réelle de sa société qu'en novembre 2009, à réception de la proposition de rectification fiscale du 18 novembre 2009 formulée à hauteur de la somme 349 634 euros - somme admise dans sa totalité par le juge commissaire - au titre de la TVA et l'impôt sur les sociétés sur la période comprise entre le 1er mai 2005 et le 23 novembre 2009 ; qu'en effet, nonobstant cette dette fiscale substantielle, les éléments ci-dessus exposés établissent de manière certaine qu'à tout le moins à compter du 9 juin 2009, la SARL [J] FRERES se trouvait à l'évidence dans un état de cessation des paiements caractérisé par une impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, au sens de l'article L631-1 du Code de commerce ;

Attendu que pour autant, [I] [J], gérant de ladite société, n'a jamais cru devoir procéder à la moindre déclaration d'état de cessation des paiements, ni même prendre l'initiative de solliciter une mesure de conciliation ou de sauvegarde, puisque la situation de la SARL [J] FRERES n'a été portée à la connaissance du tribunal de commerce qu'à la faveur d'une assignation délivrée à la requête de l'URSSAF, le 9 juin 2009 ;

Que cette attitude caractérise, de la part d'[I] [J], une faute de gestion ;

Que de surcroît, au regard de la date d'exigibilité des créances ci-dessus évoquées, il est démontré que la poursuite de l'activité de la SARL [J] FRERES entre juin 2009 et novembre 2009, date d'ouverture du redressement judiciaire, se trouve à l'origine d'un accroissement sensible du passif social, et ce singulièrement s'agissant des cotisations dues à l'URSSAF et à la Caisse de congés intempéries ;

Que selon le rapport dressé le 14 septembre 2010 par Maître [P], administrateur de la SARL [J] FRERES, les résultats de celle-ci se sont dégradés, passant d'un résultat net de 71 896 euros en 2008, à -556 824 euros au 30 septembre 2009 ;

Que contrairement à ce qu'affirme [I] [J], Maître [P], dans son rapport, n'impute pas cette dégradation à la conjoncture économique, puisqu'il indique, en page 4 de son rapport, que cette dégradation a plusieurs causes : un recul du chiffre d'affaires - sans autre précision -, une production stockée négative, une dégradation de la marge de 6 points, et enfin la stabilité de la masse salariale en dépit du recul de l'activité ; qu'à cet égard, il n'est pas dépourvu d'intérêt de noter, premièrement, qu'il résulte du rapport d'enquête préalable du 9 novembre 2009, qu'à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, la société employait 21 salariés dont 6 membres de la famille [J], et qu'en cours de procédure, cet effectif a été réduit a 9 salariés dont les 6 membres de la famille ; que deuxièmement, [I] [J] avait expliqué au juge chargé de l'enquête préalable que les difficultés de trésorerie rencontrées par sa société avaient pour origine la prise de commandes de travaux à des coûts mal maîtrisés par deux commerciaux ayant quitté l'entreprise, ainsi que par des retards de paiement imputables à des clients ; que lui-même ne se retranchait donc nullement à l'époque derrière une conjoncture économique défavorable, puisqu'au contraire, il se targuait d'un carnet de commandes très important - à hauteur de plus de 2 200 000 euros ;

Attendu qu'en considération de ces éléments, la cour estime qu'il est en l'espèce établi qu'en ne procédant pas à une déclaration de cessation des paiements dans les 45 jours suivant la date de cessation des paiements, et en poursuivant une activité manifestement déficitaire, [I] [J] a contribué à augmenter le passif de la SARL [J] FRERES ;

Attendu qu'afin de déterminer le montant de l'insuffisance d'actif existant dans le cadre de la liquidation judiciaire de la SARL [J] FRERES, il convient d'indiquer que le passif admis par ordonnance du juge commissaire du 9 février 2011 s'élève à :

- 516 054 euros au titre des créances superprivilégiées et privilégiées,

- 777 980 euros au titre des créances chirographaires ;

Qu'il ne sera pas tenu compte des admissions provisionnelles mentionnées à hauteur de 364 824 euros, correspondant soit à des créances sur le sort desquelles le juge commissaire a dû surseoir à statuer dans l'attente d'une décision judiciaire définitive statuant sur leur bien-fondé, compte tenu des nombreux litiges survenus entre la SARL [J] FRERES et des clients, soit à des créances fiscales provisionnelles ;

Que le passif social à retenir s'élève donc à la somme totale de 1 294 034 euros ;

Que selon le courrier établi par le liquidateur judiciaire, Maître [F], le 16 février 2011, l'actif recouvré s'est limité aux sommes de 800 euros et de 33 000 euros résultant de la vente aux enchères de l'actif mobilier de la SARL [J] FRERES ;

Que l'insuffisance d'actif équivaut donc à la somme de 1 260 234 euros ;

Qu'alors qu'il souligne qu'il devra assumer une partie de ce passif en sa qualité de gérant solidaire des dettes fiscales et de caution dirigeante, [I] [J] ne produit pas la moindre pièce confirmant ses assertions sur ces deux plans ;

Attendu qu'en définitive, en considération des éléments dont elle dispose, la cour estime que les premiers juges ont sous-évalué la contribution qui doit être celle d'[I] [J] au passif social ; qu e cette contribution sera donc fixée à la somme de

300 000 euros ;

Sur l'interdiction de gérer :

Attendu qu'en vertu de l'article L653-4 du Code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :

1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ;

2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;

3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;

4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;

5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.

Que selon l'article L653-8 dudit Code alinéa 1er, dans les cas prévus aux articles L653-3 à L653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci ;

Qu'en vertu de l'alinéa 3 de ce texte, cette interdiction peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L653-1 qui a omis de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation ; que dans cette hypothèse, l'article R653-1 du Code de commerce énonce que la date retenue pour la cessation des paiements ne peut être différente de celle qu'a fixée le tribunal en application de l'article L631-8 ;

Que l'article L 653-11 fixe la durée maximale de l'interdiction de gérer à 15 années ;

Attendu premièrement qu'alors que le tribunal de commerce a fixé la date de cessation des paiements au 9 juin 2009, [I] [J] n'a pas procédé à une déclaration d'état de cessation des paiements dans les 45 jours qui ont suivi, ni n'a requis l'ouverture d'une procédure de conciliation ;

Attendu deuxièmement que, tel qu'il a été observé précédemment, [I] [J] a poursuivi fautivement, à tout le moins durant six mois, de juin 2009 ' date de cessation des paiements retenue par le tribunal - à novembre 2009 ' date d'ouverture de la procédure collective ; que cependant, tel que l'ont fait observer les premiers juges, l'exposé des créances figurant ci-dessus démontrent qu'en réalité, l'activité était déficitaire bien avant la date de cessation des paiements, et ce dès le mois de janvier 2009 a minima, ce qu'[I] ne pouvait ignorer ; que c'est abusivement que ce dernier a poursuivi l'exploitation déficitaire d'une société dont l'état d'endettement s'est aggravé jusqu'à l'ouverture de la procédure collective, en novembre 2009 ;

Qu'alors qu'[I] [J] fait valoir qu'il n'avait aucun intérêt personnel à la poursuite de cette activité, aux motifs qu'il ne percevait plus ni loyers pour l'établissement principal de la SARL [J] FRERES, ni salaires « depuis de nombreux mois », il ne rapporte néanmoins aucunement la preuve de ses assertions ;

Que pourtant, aux termes de sa requête aux fins d'ouverture d'une liquidation judiciaire déposée le 14 septembre 2010, Maître [P], ès qualités d'administrateur judiciaire de la SARL [J] FRERES, relève sans être contredit, que cette dernière occupe un immeuble en vertu d'un bail consenti par [I] [J] lui-même moyennant un loyer annuel de 60.000 euros ; qu'il est clairement établi qu'il mettait à disposition de la SARL [J] FRERES l'un de ses immeubles à titre onéreux ; qu'il ne démontre pas avoir mis un terme à la perception d'un salaire ; que démonstration est faite d'une poursuite abusive d'une activité déficitaire dans l'intérêt personnel du gérant ;

Attendu qu'en considération de la gravité des fautes commises par [I] [J], la cour estime que la durée de l'interdiction de gérer prononcée par les premiers juges à l'encontre d'[I] [J] est insuffisante à sanctionner l'attitude de ce dernier ; qu'en conséquence, la durée de cette interdiction sera fixée à 10 ans ;

Attendu que le jugement déféré sera infirmé en toutes ses dispositions ;

Sur les dépens :

Attendu que, succombant, [I] [J] sera condamné aux dépens de première instance et d'appel, conformément aux dispositions de l'article 696 du Code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

- INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant de nouveau, par voie de réformation,

- CONDAMNE [I] [J] à contribuer à l'insuffisance d'actif de la SARL [J] FRERES à hauteur de la somme de 300 000 euros ;

- PRONONCE à l'encontre d'[I] [J] une interdiction de gérer d'une durée de 10 ans ;

- CONDAMNE [I] [J] aux dépens de 1ère instance et d'appel.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

Marguerite Marie HAINAUTPatrick BIROLLEAU


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 2 section 2
Numéro d'arrêt : 12/00803
Date de la décision : 29/11/2012

Références :

Cour d'appel de Douai 22, arrêt n°12/00803 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-11-29;12.00803 ?
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