République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 7 SECTION 2
ARRÊT DU 12/ 07/ 2012
***
No MINUTE :
No RG : 11/ 05327
Jugement (No 09/ 1409)
rendu le 13 Mai 2011
par le Juge aux affaires familiales de VALENCIENNES
REF : CG/ LL
APPELANTE
Madame Micheline Nelly Lucette X...
née le 20 Avril 1951 à SIGNY L'ABBAYE
demeurant ...
représentée par Me REGNIER Sylvie, membre de la SCP CARLIER-REGNIER, avocats postulants au barreau de DOUAI, assistée de Me Magali GRILLET, avocat plaidant au barreau de VALENCIENNES
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 59178002/ 11/ 08589 du 20/ 09/ 2011)
INTIMÉ
Monsieur Joël Z...
né le 25 Juillet 1952 à NOVION PORCIEN (08270)
demeurant ......
représenté par Me FRANCHI, membre de la SCP FRANCOIS DELEFORGE-BERNARD FRANCHI, avocats postulants au barreau de DOUAI, assisté de Me Loïc RUOL, avocat plaidant au barreau de VALENCIENNES
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Chantal GAUDINO, Président
Hervé ANSSENS, Conseiller
Guillaume DELETANG, Conseiller
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Danielle PRZYBYLSKI
DÉBATS à l'audience publique du 23 Mai 2012
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé, en Chambre du Conseil, par mise à disposition au greffe le 12 Juillet 2012, après prorogation du délibéré en date du 28 juin 2012 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Chantal GAUDINO, Président et Danielle PRZYBYLSKI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Joël Z...et Micheline X...ont contracté mariage le 10 août 1974 par devant l'Officier d'Etat Civil de la commune de Signy l'Abbaye (Ardennes) sans contrat préalable.
Trois enfants sont issus de cette union, tous désormais majeurs.
Par jugement en date du 25 février 2009, le juge aux affaires familiales de Valenciennes a débouté Joël Z...de sa demande en divorce et des demandes accessoires devenues sans objet.
Joël Z...a déposé une nouvelle requête le 22 avril 2009.
Par ordonnance de non conciliation en date du 26 mai 2009, le juge aux affaires familiales de Valenciennes a autorisé les époux à introduire l'instance, et statué sur les mesures provisoires sollicitées, à savoir :
- attribué la jouissance du domicile conjugal à Micheline X...à titre onéreux
-condamné Joël Z...à verser à Micheline X...une pension alimentaire de 450 € au titre du devoir de secours
-attribué à Micheline X...la jouissance gratuite du véhicule Renault Mégane.
Par arrêt en date du 23 septembre 2010, la Cour d'Appel de céans a réformé partiellement l'ordonnance, attribuant à Micheline X...la jouissance du domicile conjugal à titre gratuit en complément du devoir de secours et décidant que Joël Z...ferait l'avance des échéances du prêt immobilier, sous réserve de ses droits dans le cadre des opérations de liquidation du régime matrimonial.
Par acte du 15 juillet 2009, Joël Z...a fait assigner Micheline X...en divorce sur le fondement des articles 237 et 238 du Code Civil. L'épouse a formé une demande reconventionnelle pour faute.
Par jugement en date du 13 mai 2011, le juge aux affaires familiales de Valenciennes a :
- débouté l'épouse de sa demande de divorce pour faute
-prononcé le divorce pour altération définitive du lien conjugal
-ordonné la liquidation des intérêts patrimoniaux, mais débouté le mari de sa demande de désignation d'un notaire
-débouté le mari de sa demande de report des effets du divorce au 11 avril 2006
- condamné Joël Z...à payer à Micheline X...une prestation compensatoire en capital de 30 000 €
- constaté que l'épouse n'avait pas repris dans le dispositif de ses conclusions du 23 juin 2010, ses demandes de dommages-intérêts sur le
fondement des articles 266 et 1382 du Code Civil.
- débouté Micheline X...de sa demande de frais irrépétibles fondée sur l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991
- débouté Joël Z...de sa demande d'indemnité formée par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Micheline X...a formé appel de cette décision par déclaration au greffe de la Cour d'Appel de céans en date du 25 juillet 2011. Joël Z...a constitué avoué le 11 août 2011.
Dans ses écritures du 21 décembre 2011, Micheline X...limite sa critique de la décision querellée à la prestation compensatoire. Elle demande que lui soit octroyée une prestation compensatoire sous la forme d'une rente viagère de 800 €, à laquelle viendra s'ajouter pendant une période de cinq années un droit d'usage sur l'immeuble d'habitation, ce qui lui permettrait de continuer à exercer sa profession d'assistante maternelle.
A titre subsidiaire, elle demande une prestation compensatoire sous la forme d'une rente viagère de 1200 € pendant 5 ans, puis d'un montant de 800 € lorsqu'elle percevra sa retraite
A titre infiniment subsidiaire, elle sollicite un capital de 70 000 €.
Dans ses conclusions en date du 20 février 2012, Joël Z...fait valoir que Micheline X...ne remplit pas les conditions légales pour que lui soit versée une prestation compensatoire sous forme de rente viagère : elle est jeune et dispose de revenus ; elle percevra une retraite. Par ailleurs, la communauté possède un immeuble, qui, une fois vendu, lui permettra de rentrer en possession d'une somme importante.
Il procède à l'analyse de la situation des époux et en conclut que la prestation compensatoire qu'il devra à son épouse, ne saurait dépasser 25 000 €.
Il forme appel incident sur le report de la date des effets du divorce. La cour censurera le raisonnement tenu par le premier juge, lequel a considéré que la preuve n'était pas rapportée d'une absence de collaboration dans la mesure où il payait le montant des échéances du crédit immobilier. Il rappelle la jurisprudence de la cour de cassation à ce sujet. Il demande à la cour de fixer la date de report des effets du divorce au 11 avril 2006, et subsidiairement au 20 mars 2007, date de l'ordonnance de non conciliation dans la première instance en divorce.
Il sollicite l'octroi de la somme de 3000 € au titre des frais irrépétibles.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de l'appel
La recevabilité de l'appel n'est pas contestée. Aucun élément n'est fourni à la Cour lui permettant de relever d'office la fin de non recevoir tirée de l'inobservation du délai de recours. L'appel sera déclaré recevable.
Au fond
Il sera en préliminaire constaté que dans leurs écritures, les parties ont circonscrit le débat à la prestation compensatoire et à la date de report des effets du divorce. La Cour entrera donc en voie de confirmation des autres mesures du jugement que les parties n'ont pas jugé utile de soumettre à son appréciation.
Sur la prestation compensatoire
Il résulte des articles 270 et suivants du Code Civil quel'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation destinée à compenser autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible. Pour ce faire, le juge prend en considération un certain nombre d'éléments non limitativement énumérés par l'alinéa 2 de l'article 271 du Code Civil.
L'article 274 du Code Civil précise sous quelle forme s'exécute la prestation compensatoire :
- soit le versement d'une somme d'argent
-soit l'attribution de biens en propriété ou d'un droit temporaire ou viager d'usage, d'habitation ou d'usufruit, le jugement opérant cession forcée en faveur du créancier.
Aux termes de l'article 276 du Code Civil, ce n'est qu'à titre exceptionnel que le juge peut, par décision spécialement motivée, lorsque l'âge ou l'état de santé du créancier ne lui permet pas de subvenir à ses besoins, fixer la prestation compensatoire sous forme de rente viagère en prenant en considération les éléments d'appréciation énumérés à l'article 271.
La situation des parties se présente comme suit.
Joël Z...est âgé de 60 ans et Micheline X...de 61 ans.
Micheline X...produit aux débats un certificat médical du 24 février 2012 aux termes duquel elle présente un état anxio-dépressif d'évolution chronique. Cependant, comme elle travaille, il est loisible de considérer que cet état dépressif n'est pas tel qu'il ait un retentissement sur ses capacités professionnelles.
Il en est de même pour le mari qui verse aux débats des certificats médicaux datés de janvier et février 2012 indiquant qu'il a été atteint d'une colique néphrétique droite avec calcul enclavé justifiant la mise en place d'une endoprothèse urétérale. Une urétéroscopie était envisagée à la date du 20 février. Il n'est pas démontré que cette affection et ses suites entravent les capacités de travail de l'intéressé, ni dans le présent ni dans le futur.
Le mariage a été célébré le 10 août 1974, et lorsque les époux ont comparu pour la première fois devant le magistrat conciliateur en mars 2007, ils vivaient déjà séparément. La vie commune dans les liens du mariage a donc duré moins de 33 ans.
Le couple a eu trois enfants. Il n'est pas invoqué par l'épouse qu'elle se serait plus spécialement consacrée à leur éducation.
Micheline X...travaille en qualité d'assistante maternelle au domicile conjugal. Ses salaires s'élèvent en moyenne à 400 € (selon le nombre d'heures effectuées).
Elle assume une complémentaire santé : 93. 63 €, deux abonnements téléphoniques : Orange : 24. 91 € et France Télécom : 32 €, des cotisations d'assurance habitation et voiture : 81 €, les mensualités Noréade : 23. 60 €.
A 65 ans, sa retraite mensuelle s'élèvera à la somme mensuelle de 932 € (selon estimation de septembre 2011).
Joël Z...travaille en qualité de directeur d'usine aux Briqueteries du Nord pour un salaire qui s'est élevé en 2011 à la somme de 3946 €.
Il assume à titre principal un loyer : 700 €, et les cotisations d'assurance de deux véhicules : 67. 01 € et 42. 30 €.
Il est redevable de l'IRPP : 5508 € en 2011.
En fin d'année 2011, il a réglé au Crédit Agricole du Nord la somme de 59 307. 62 €, en sa qualité de caution d'une SAS LE TRAIN DES DELICES, une société de restauration rapide qui avait emprunté à cet établissement bancaire la somme de 80 000 € en 2009, et qui a été placée en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de Commerce de Valenciennes en date du 3 octobre 2011. Il se trouve subrogé dans les droits du Crédit Agricole.
Le montant de sa retraite à 65 ans sera de 2862 € brut (estimation faite en 2007).
Le couple possède un immeuble commun que le mari estime dans sa déclaration sur l'honneur du 20 juillet 2010 (il ne l'a pas réactualisée devant la cour) à la somme de 280 000 €. La communauté devra récompense au mari des sommes qu'il a réglées à titre provisoire, en remboursement du crédit immobilier qui grevait le bien.
Au vu de ces éléments, il apparaît que les conditions imposées par l'article 276 du Code Civil ne sont pas remplies en l'espèce, l'épouse étant encore jeune à l'aune de l'espérance de vie accordée aux femmes françaises, et son état de santé n'étant pas si défaillant qu'il obère ses capacités de travail.
Aussi le mari, qui n'en conteste pas le principe, sera-t-il condamné à payer à son épouse une prestation compensatoire, que la cour estime plus juste d'arbitrer à la somme de 50 000 € en capital.
Sur la date de report des effets du divorce.
Aux termes de l'article 262-1 du Code Civil, le jugement de divorce prend effet dans les rapports entre les époux, en ce qui concerne leurs biens :
- lorsqu'il est prononcé par consentement mutuel, à la date d'homologation de la convention réglant l'ensemble des conséquences du divorce, à moins que celle-ci n'en dispose autrement
-lorsqu'il est prononcé pour acceptation du principe de la rupture du mariage, pour altération définitive du lien conjugal et pour faute, à la date de l'ordonnance de non conciliation
A la demande de l'un des époux, le juge peut fixer les effets du jugement à la date à laquelle ils ont cessé de cohabiter et de collaborer. Cette demande ne peut être formée qu'à l'occasion de l'action en divorce.
En l'espèce, il n'est contesté par quiconque que les époux ont cessé de cohabiter dès avant la date de leur première comparution devant le magistrat conciliateur. Joël Z...précise que la date de la rupture de la vie commune est le 11 avril 2006, et l'épouse ne conclut pas sur ce point. L'ordonnance de non conciliation du 20 mars 2007 précise que les époux vivent déjà séparément, sans plus d'indication.
Le fait que l'époux ait continué à régler les mensualités du crédit, par décision de la Cour d'Appel de céans en date du 23 septembre 2010, ne saurait constituer un acte de collaboration, s'agissant du remboursement de dépenses de la communauté se rapportant à des acquêts.
Dès lors c'est à bon droit que Joël Z...demande que la date des effets du divorce dans les rapports entre les époux pour ce qui concerne leurs biens, soit fixée au 20 mars 2007, date de la première ordonnance de non conciliation.
Sur les dépens
S'agissant d'un divorce pour altération définitive du lien conjugal, les dépens de l'instance sont en principe à la charge de l'époux qui en a pris l'initiative, à moins que le juge n'en dispose autrement.
Néanmoins en appel, le débat n'ayant porté que sur la prestation compensatoire et la date de report des effets du divorce, et les époux ayant partiellement triomphé l'un et l'autre dans leurs prétentions, il convient de décider que chacun d'eux assumera la charge des dépens qu'il a engagés.
Aucune considération d'équité ne commande en l'espèce l'application de l'article 700 du Code de procédure civile en faveur du mari, lequel a des revenus dix fois supérieurs à ceux de son épouse.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant en audience publique, contradictoirement, après débats hors la présence du public,
En la forme
Reçoit l'appel,
Au fond
Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne le quantum de la prestation compensatoire et la date de report des effets du divorce,
Et statuant à nouveau de ces seuls chefs,
Condamne Joël Z...à payer à Micheline X...une prestation compensatoire de 50 000 € en capital,
Reporte les effets du divorce dans les rapports entre les époux, en ce qui concerne leurs biens, à la date du 20 mars 2007,
Déboute Joël Z...de sa demande d'application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions applicables en matière d'aide juridictionnelle.
Le Greffier, Le Président,
D. PRZYBYLSKIC. GAUDINO