République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 8 SECTION 1
ARRÊT DU 23/02/2012
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N° MINUTE :
N° RG : 11/02172
Jugement (N° 09/05695)
rendu le 24 Février 2011
par le Tribunal de Grande Instance de LILLE
REF : BP/VC
APPELANTE
SA DUBUS prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social : [Adresse 1]
Représentée par Me Eric DELFLY, avocat au barreau de LILLE constitué aux lieu et place de la SCP THERY LAURENT, anciens avoués
INTIMÉ
Monsieur [W] [W] [W] [W]
demeurant : [Adresse 2] (BELGIQUE)
Représenté par Me Virginie LEVASSEUR, avocat au barreau de DOUAI, constituée aux lieu et place de la SCP LEVASSEUR CASTILLE LEVASSEUR, anciens avoués,
Assisté de la ASS DE BERNY & FOLLET, avocats au barreau de LILLE,
DÉBATS à l'audience publique du 17 Janvier 2012 tenue par Benoît PETY magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Annie DESBUISSONS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Pierre CHARBONNIER, Président de chambre
Benoît PETY, Conseiller
Hélène BILLIERES, Conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 23 Février 2012 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Pierre CHARBONNIER, Président et Annie DESBUISSONS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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Exposé du litige, de la procédure et des prétentions des parties
Par convention du 18 janvier 2001, Monsieur [W] [W] a ouvert dans les livres de la société de bourse DUBUS un compte de dépôt ordinaire au nom de sa fille orpheline et mineure [S]. Le souscripteur a ainsi opté pour la possibilité de passer des ordres de service à règlement différé (O.S.R.D.) ainsi que des opérations à découvert. A la suite d'une couverture insuffisante des opérations, le compte a connu une situation négative qui n'a pas été régularisée nonobstant diverses demandes de la société DUBUS, laquelle a fait assigner le 12 février 2002 en paiement Monsieur [W] devant le tribunal de grande instance de LILLE.
Par jugement du 4 mai 2006, ce tribunal a notamment condamné l'assigné, ès-qualité de représentant légal de sa fille mineure, à payer à la société DUBUS la somme de 69.856,91 euros arrêtée au 24 février 2005, outre une indemnité de procédure de 1.500 euros.
Par arrêt du 11 octobre 2007, la cour d'appel de DOUAI a infirmé le jugement déféré, déclaré nuls les ordres de service à règlement différé (O.S.R.D.) ainsi que les ventes à découvert passés sans autorisation du juge de paix. La juridiction du second degré condamnait en conséquence la société DUBUS à payer à Monsieur [W] la somme de 67.492,81 euros avec intérêts à compter du 27 décembre 2000 sur 1.524 euros, du 12 février 2001 sur 24.000 euros, du 27 avril 2001 sur 11.155,21 euros, du 7 mai 2002 sur 29.083,60 euros, du 2 juillet 2002 sur 1.000 euros et du 30 août 2002 sur 1.000 euros, outre une indemnité de procédure de 1.000 euros.
Par exploit du 27 août 2008, la S.A. DUBUS a fait assigner Monsieur [W] [W] devant le tribunal de grande instance de LILLE afin d'obtenir de l'assigné la réparation de son préjudice déboursé suite au précédent arrêt et chiffré à la somme de 80.624,36 euros. La personne morale poursuivante réclamait par ailleurs de Monsieur [W] le paiement de la somme de 99.986,03 euros au titre du solde débiteur du compte portefeuille ouvert au nom de l'enfant mineur, outre 5.000 euros à titre de dommages et intérêts complémentaires ainsi qu'une indemnité de procédure de 2.000 euros.
Par jugement du 24 février 2011, le tribunal de grande instance de LILLE a débouté la S.A. DUBUS de toutes ses demandes, débouté Monsieur [W] de ses demandes de dommages et intérêts et condamné la société DUBUS à verser à ce dernier une indemnité de procédure de 3.000 euros.
La société DUBUS a interjeté appel de ce jugement. Elle demande à la cour de :
constater que Monsieur [W] a engagé sa responsabilité en sollicitant l'ouverture d'un compte portefeuille pour sa fille mineure et en exécutant des ordres de bourse sans s'assurer de l'autorisation du juge de paix belge,
débouter Monsieur [W] de toutes ses prétentions,
en conséquence, le condamner à indemniser la société DUBUS de l'intégralité des préjudices subis et à lui restituer la somme de 80.624,26 euros qu'elle a déboursée au titre de l'arrêt prononcé par la cour le 11 octobre 2007,
condamner Monsieur [W] à payer à la société DUBUS le montant du solde débiteur du compte portefeuille de 99.986,03 euros selon fiche de suivi au 31 décembre 2007,
condamner Monsieur [W] [W] à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts complémentaires, outre une indemnité de procédure de 3.000 euros.
La personne morale appelante expose que l'ouverture d'un compte entre dans les pouvoirs du représentant légal d'un enfant mineur, et ce sans autorisation judiciaire, s'agissant d'un acte d'administration. Il ressort bien de la seule responsabilité de Monsieur [W] d'avoir ouvert ce compte et d'avoir pris l'initiative d'ordres de bourse sans vérifier que cela était conforme au droit belge. Il s'est par ailleurs engagé à reconstituer la couverture devenue insuffisante, ce qui ne relève aucunement d'une quelconque légèreté de la société de bourse. Il doit donc lui rembourser le montant des condamnations exposées suite au précédent arrêt, outre les pertes résultant de l'exécution des O.S.R.D. au 31 décembre 2007.
La S.A. DUBUS entend rappeler que, lors de la conclusion de la convention d'ouverture de compte, une évaluation de la compétence de Monsieur [W] en matière d'investissements a bien été réalisée sous forme d'un questionnaire que le cocontractant a rempli. L'intéressé a d'ailleurs signé la convention en certifiant qu'il avait les connaissances techniques et boursières suffisantes.
Relativement aux reproches nourris par Monsieur [W] quant au fonctionnement du compte, la société DUBUS rappelle qu'elle ne disposait d'aucun mandat de gestion. Elle maintient qu'elle n'a commis aucune ingérence dès lors que les reports de position ont été automatiques en raison de l'insuffisance de couverture réglementaire présentée par le compte. Monsieur [W] doit assumer les conséquences du défaut de liquidation des positions de son compte dans ce contexte alors que la société prestataire de services lui avait à maintes reprises transmis les informations utiles.
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Monsieur [W] [W] pour sa part sollicite de la juridiction du second degré qu'elle :
constate qu'il a agi loyalement et de bonne foi,
constate que la société DUBUS a gravement manqué à ses obligations en ne le mettant pas en garde sur les risques des opérations à découvert et à différé en en ne coupant pas la position débitrice d'une mineure de moins de 10 ans alors que la société n'ignorait pas qu'en droit français, les opérations à découvert et à terme constituent des actes de dispositions qui nécessitent l'autorisation du juge des tutelles,
condamne la société DUBUS au paiement d'une somme supplémentaire de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral,
la condamne à lui payer une somme supplémentaire de 40.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice matériel,
la condamne enfin au versement d'une indemnité de procédure de 5.000 euros.
Monsieur [W] énonce que la société DUBUS a ouvert au profit de sa fille mineure [S] un compte pour réaliser des opérations spéculatives à découvert. A cette occasion, la société prestataire ne s'est pas inquiétée des pouvoirs du représentant légal ni des risques liés à de telles opérations. Il maintient qu'il a déclaré à la société de bourse sa qualité de père veuf, les biens de l'enfant étant sous administration légale avec contrôle judiciaire. En droit français, comme en droit belge, la réalisation d'opérations à règlement différé s'apparente à des actes de disposition nécessitant une autorisation judiciaire. La société DUBUS se devait de vérifier que le père de [S] disposait bien des pouvoirs pour exécuter les opérations envisagées.
Monsieur [W] rappelle en outre que la société de bourse est soumise à une obligation de loyauté et de bonne conduite en vertu des articles 1134 et 1147 du Code civil ainsi que de l'article L. 533,4 du Code monétaire et financier. Il ajoute qu'il n'avait jamais réalisé d'opérations à règlement différé avant l'ouverture du compte au nom de sa fille, ce dont la société DUBUS ne s'est pas inquiétée pas plus d'ailleurs que de la fortune de l'enfant mineure puisqu'elle a laissé se dégrader le compte sans couverture engloutissant ainsi tous les avoirs de [S]. Le défendeur précise à ce sujet que la couverture est une obligation qui s'impose à toute société de bourse. Ainsi, lorsque les opérations ne sont plus couvertes, elle doit les arrêter immédiatement.
Monsieur [W] poursuit en indiquant qu'en l'occurrence, la société DUBUS savait qu'il n'avait pas la compétence suffisante pour réaliser des opérations à règlement différé dès lors qu'il était en formation chez PM TRADERS. Le compte de [S] a été ouvert le 23 janvier 2001. Sa liquidation était déficitaire dès le 25 janvier suivant. Elle n'a du reste jamais été bénéficiaire nonobstant les apports successifs pour un total de 40.000 euros afin de couvrir les déficits. En toute loyauté, la société de bourse aurait dû couper la position dès février 2001 et mettre en garde son cocontractant sur la poursuite d'opérations irrémédiablement déficitaires plutôt que de facturer des frais, agios et commissions pour alléguer un solde de compte de 99.986,03 euros au 31 décembre 2007 alors que le défendeur n'a plus réalisé aucune opération depuis plusieurs années. Monsieur [W] tient la société DUBUS qui a privilégié ses propres intérêts pour responsable de plein droit.
Monsieur [W] entend être indemnisé des fonds qu'il a versés pour tenter de renflouer inutilement une situation irrémédiablement déficitaire. Il entend aussi être indemnisé de la souffrance que la société DUBUS lui a occasionnée pendant toutes ces années.
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Motifs de la décision
Sur la responsabilité personnelle de Monsieur [W] [W]
Attendu que la société DUBUS entend mettre en jeu la responsabilité personnelle de Monsieur [W] [W] en ce qu'il a sollicité l'ouverture pour le compte de sa fille mineure et sans aucune autorisation judiciaire d'un compte portefeuille tout en optant pour la possibilité de passer des ordres de service à règlement différé (O.S.R.D.) ainsi que des achats/ventes dits « à découvert », c'est-à-dire des opérations à haut risque pour qui ne maîtrise pas la technique boursière, plus spécifiquement les régimes particuliers ;
Attendu que s'il est acquis que la seule ouverture d'un compte au nom d'un mineur n'impose pas la justification d'une autorisation judiciaire préalable s'agissant d'un acte d'administration tant en droit belge qu'en droit français, l'accomplissement sur ce compte des opérations sus-visées rendait nécessaire la justification d'une autorisation du juge de paix s'agissant d'actes de disposition compte tenu notamment des risques attachés à de telles opérations engageant les biens du mineur ;
Qu'il est acquis que Monsieur [W] [W] ne peut justifier d'une telle autorisation judiciaire relativement au fonctionnement du compte ouvert dans les livres de la société prestataire, ce fait étant constant et admis par les parties ;
Attendu toutefois que, pour voir engager la responsabilité de son cocontractant, la société prestataire doit démontrer contre celui-ci une faute voire un manquement à ses propres obligations ;
Que l'examen du document intitulé « La Charte DUBUS S.A. » (pièce n°1) transmis par la personne morale enseigne que Monsieur [W] a bien révélé son état de conjoint veuf ainsi que la minorité de sa fille [S] pour le compte de laquelle il entendait ouvrir le compte litigieux et passer des opérations sur le marché financier ;
Que [W] [W] précisait dans la pièce n°19 datée du 18 janvier 2001 également transmise par la société DUBUS qu'il « souhaitait ouvrir un compte pour [sa] fille, Melle [W] [S]. [Sa] fille étant mineure, il [était] le tuteur légal, et [il] reste donc le seul mandataire jusqu'à sa majorité » ;
Qu'en l'état de ces renseignements, la société DUBUS avait forcément saisi que [S] [W] était orpheline et que Monsieur [W] [W] en était le seul représentant légal et donc seul administrateur des biens ;
Qu'il apparaît au contrat conclu avec la société prestataire que Monsieur [W] a déclaré exercer une profession indépendante, ce qui ne permet aucunement d'en déduire qu'il disposait de connaissances juridiques particulières relatives à la gestion des biens de sa fille ni même qu'il maîtrisait la distinction juridique entre les actes d'administration et ceux de disposition ;
Qu'ainsi, il ne peut être retenu contre Monsieur [W] une quelconque rétention d'information ou quelque manquement au devoir de loyauté qui gouverne les relations entre des cocontractants ;
Qu'en sa qualité de professionnel des transactions et compte tenu de la nature des opérations boursières envisagées par Monsieur [W], la société DUBUS devait s'interroger sur la capacité de son cocontractant à accomplir des actes de disposition pour le compte de sa fille mineure et, le cas échéant, requérir de son client la production des documents judiciaires utiles ;
Qu'il ne peut être question dans ce contexte de consacrer un transfert de responsabilité de la société prestataire à son client, cette cour, par arrêt du 11 octobre 2007 aujourd'hui définitif, ayant annulé sur le fondement des dispositions du Code civil belge les O.R.S.D. et ventes à découvert effectués sans autorisation du juge de paix, la juridiction du second degré ayant précisé que la société DUBUS ne pouvait se retrancher derrière son ignorance du droit belge, lequel était, sur la question de l'administration légale des biens sous contrôle judiciaire, similaire au droit français ;
Qu'en définitive, la responsabilité personnelle de Monsieur [W] [W] n'est pas engagée et c'est donc à tort que la société DUBUS a entendu poursuivre son client pour obtenir sa condamnation à lui restituer la somme de 80.624,36 euros déboursée suite au précédent arrêt ou encore à lui régler le solde débiteur du compte portefeuille arrêté au 31 décembre 2007 à la somme de 99.986,03 euros ;
Que c'est donc à raison que les premiers juges ont débouté la société DUBUS de ses demandes principales en paiement, le jugement déféré étant en cela confirmé ;
Sur les dommages et intérêts supplémentaires réclamés par la société DUBUS
Attendu que l'issue de la cause suffit à priver toute demande indemnitaire supplémentaire de la société DUBUS de tout bien-fondé, les premiers juges dont la décision sera à ce titre confirmée ayant à raison écarté cette prétention de la partie demanderesse ;
Sur la demande reconventionnelle de Monsieur [W] aux fins de dommages et intérêts pour préjudice moral
Attendu que s'il résulte des précédents développements que la société DUBUS a commis une négligence dans l'instruction du dossier d'ouverture du compte de [S] [W], cette seule circonstance n'est pas de nature, sans autre justificatif à l'appui, de caractériser le préjudice moral allégué par Monsieur [W], lequel ne communique aucune pièce notamment médicale établissant un préjudice de cette nature ;
Que c'est donc à bon droit que le tribunal de grande instance de LILLE a écarté cette demande et débouté Monsieur [W] [W] de sa prétention indemnitaire à ce titre, la décision querellée devant être confirmée également sur cette question ;
Sur la demande reconventionnelle de Monsieur [W] aux fins de dommages et intérêts pour préjudice matériel
Attendu que Monsieur [W] [W] entend obtenir de la S.A. DUBUS le remboursement des sommes qu'il a personnellement versées à concurrence d'un total de 40.000 euros à cette personne morale pour tenter de renflouer le compte très largement déficitaire de sa fille [S] ;
Que ces renseignements émanent certes d'une lettre du 10 février 2003 adressée à la société DUBUS par Monsieur [W] aux termes de laquelle ce dernier expose que, « sans qu'on lui ait demandé, il a apporté pour 40.000 euros de titres (il y a quelques mois) afin de prouver sa bonne volonté à vouloir régulariser cette situation » ;
Qu'il s'avère toutefois en l'état impossible de retrouver cette somme dans les relevés du compte de [S] [W] produits aux débats ;
Que c'est donc à raison que les premiers juges ont écarté la prétention reconventionnelle du défendeur au motif que ce dernier ne démontrait pas que l'apport allégué constituait un investissement distinct de ceux dont la cour avait ordonné le remboursement suite à l'annulation des opérations sur le compte litigieux, la décision déférée étant ainsi confirmée pour ce qui a trait à cette demande indemnitaire reconventionnelle ;
Sur les frais irrépétibles
Attendu que l'équité justifie l'indemnité de procédure arrêtée par les premiers juges en faveur de Monsieur [W], cette même considération commandant en cause d'appel de fixer en faveur de cette même partie une indemnité pour frais irrépétibles de 2.000 euros ;
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PAR CES MOTIFS ;
Statuant publiquement et contradictoirement ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ;
Y ajoutant,
Condamne la S.A. DUBUS à payer en cause d'appel à Monsieur [W] [W] une indemnité de procédure de 2.000 euros ;
Condamne la société DUBUS aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de la S.C.P. d'avocats Dominique LEVASSEUR-Virginie LEVASSEUR.
LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,
A. DESBUISSONSP. CHARBONNIER