République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 2
ARRÊT DU 13/12/2011
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N° de MINUTE :
N° RG : 09/08786
Jugement (N° 09/01172)
rendu le 09 Décembre 2009
par le Tribunal de Grande Instance de VALENCIENNES
REF : FB/VD
APPELANTS
Monsieur [E] [S]
né le [Date naissance 1] 1931 à [Localité 11]
Demeurant
[Adresse 10]
[Localité 9]
Monsieur [T] [S]
né le [Date naissance 2] 1963 à [Localité 11]
Demeurant
[Adresse 5]
[Localité 8]
représentés par la SCP COCHEME LABADIE COQUERELLE, avoués à la Cour
assistés de Me Eric TIRY, avocat au barreau de VALENCIENNES
INTIMÉES
SCI DU [Adresse 12] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
Ayant son siège social
[Adresse 12]
[Localité 6]
Madame [L] [B] divorcée [S]
née le [Date naissance 4] 1934 à [Localité 15]
Demeurant
[Adresse 14]
[Localité 7]
représentées par la SCP LEVASSEUR CASTILLE LEVASSEUR, avoués à la Cour
assistées de Me Benoît DE BERNY, avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Gisèle GOSSELIN, Président de chambre
Fabienne BONNEMAISON, Conseiller
Dominique DUPERRIER, Conseiller
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Claudine POPEK
DÉBATS à l'audience publique du 10 Octobre 2011, après rapport oral de l'affaire par Fabienne BONNEMAISON. Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 13 Décembre 2011 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Madame Gisèle GOSSELIN, Président, et Claudine POPEK, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 5 octobre 2011
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Par jugement du 9 Décembre 2009 le Tribunal de Grande Instance de Valenciennes a débouté [E] et [T] [S] de leurs demandes de dissolution anticipée de la SCI DU [Adresse 12] et désignation d'un liquidateur et rejeté les demandes reconventionnelles de Mme [L] [B] et de la SCI.
[E] et [T] [S] (ci-après désignés les consorts [S]) ont relevé appel de ce jugement dont ils sollicitent la réformation suivant conclusions déposées le 5 Septembre 2011 tendant à voir prononcer la dissolution anticipée de la SCI [Adresse 12] (ci-après désignée la SCI), désigner un liquidateur aux fins de procéder aux opérations de liquidation et condamner Mme [B] au paiement d'une indemnité de procédure 3 000 €.
Au terme de conclusions déposées le 20 Septembre 2011, [L] [B] sollicite la confirmation du jugement entrepris et demande à la Cour de dire les demandes des appelants irrecevables et mal fondés, de déclarer les comptes annuels des exercices 1999 à 2010 réguliers, sincères et donnant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat d l'entreprise conformément aux dispositions de l'article L 123-14 du Code de Commerce, de constater qu'au 31 Décembre 2010, Mme [B] a une créance de compte courant d'associé de 506 115,27 € dont 462 041,66 € en principal et 44 073,61 € en intérêts échus, enfin de condamner [E] [S] à lui verser une somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts outre une indemnité de procédure de 5 000 €.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 5 Octobre 2011.
SUR CE
Il est renvoyé pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties au jugement entrepris duquel il résulte essentiellement qu'[E] [S] et [L] [B], son ex-épouse, sont les principaux associés (à raison de 1499 parts chacun, leur fils [T] détenant lui-même deux parts) de la SCI DU [Adresse 12] créée en 1969 pour administrer et exploiter un immeuble sis à [Localité 6] dans lequel [E] [S] a exploité sa clinique chirurgicale jusqu'à sa retraite en 1999, ensuite loué à la clinique [13] jusqu'en Janvier 2005, période depuis laquelle cet immeuble est inoccupé.
Au prétexte de dissensions opposant les associés sur le sort de cet immeuble, aujourd'hui fortement dégradé, et d'un refus obstiné de Mme [B] de le vendre dans le but manifeste de nuire à son ex-époux, entraînant notamment des pertes financières considérables pour la société, [E] et [T] [S] ont saisi le Tribunal au visa de l'article 1844-7-5 du code civil afin de voir tirer les conséquences de la paralysie du fonctionnement de la SCI.
C'est dans ces conditions qu'est intervenu le jugement dont appel qui a rejeté la demande de dissolution des consorts [S] estimant cette paralysie non établie, la situation de la société non compromise, la gestion de la société assumée par Mme [B], le Tribunal stigmatisant par ailleurs l'attitude d'[E] [S] pour ne pas avoir respecté les décisions de justice le condamnant à rembourser à la SCI des prélèvements 'indus et occultes'.
Sur la dissolution de la SCI :
Les consorts [S] font grief au Tribunal d'avoir statué ainsi alors d'une part qu'en dépit d'un accord unanime des associés intervenu en 2006 sur la vente de l' immeuble, ils sont confrontés à l'opposition systématique de la gérante à toute cession de parts sociales et propositions d'achat, à la ruine progressive d'un immeuble régulièrement squatté et vandalisé qui ne génère aucun revenu et provoque des pertes financières considérables, d'autre part que la mésentente entre les associés empêche toute prise de décision collective, enfin que le fait pour Mme [B] d'avoir réglé à l'aide de fonds personnels les charges sociales n'est aucunement le reflet d'une bonne gestion, ces sommes, productives d'intérêts, devant être remboursées par la SCI.
Ils ajoutent qu'il ne pouvait être fait reproche à [E] [S] de ne pas avoir remboursé sa dette envers la SCI au regard du moratoire accordé par le juge des référés le 9 Décembre 2009 et soutiennent que ces prélèvements ont servi à payer des dettes de la société et profité à Mme [B].
Mme [B], qui rappelle que l'application de l'article 1844-7 du code civil suppose la démonstration cumulée d'une mésentente entre associés et d'une paralysie du fonctionnement de la société, objecte successivement que sa gestion ne fait pas l'objet de dissensions et que le fonctionnement de la société n'est nullement paralysé dans la mesure où elle assume sa mission avec rigueur et ténacité, cherchant des locataires, réglant les charges, négociant des moratoires avec les créanciers sociaux, établissant la comptabilité dont elle sollicite la validation par la Cour.
Elle souligne encore que la dissolution de la société aurait un coût fiscal très élevé du fait d'une double imposition au titre des plus-values et de la distribution, que les difficultés de trésorerie sont la conséquence des prélèvements indus de son ex-époux lequel n'a d'autre objectif que de faire disparaître la société pour récupérer son capital.
Elle précise avoir entrepris la saisie des parts de M. [S] à défaut de remboursement de sa dette.
L'article 1844-7, 5° du code civil autorise la dissolution judiciaire d'une société pour justes motifs, notamment en cas de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société.
Au cas d'espèce, la mésentente entre les associés est flagrante et résulte tant de leurs écritures que des pièces communiquées qui démontrent que depuis la décision unanime prise en 2006 de vendre l'immeuble constituant le seul patrimoine de la société, les trois associés ne sont jamais parvenus à un accord sur les diverses offres d'achat reçues, en dépit de l'acceptation par les consorts [S] de la baisse au fil des ans des propositions financières (y compris celle de 1 600 000 € de la société POLYGONE en 2010), Mme [B] reconnaissant finalement être opposée à la vente de l'immeuble pour diverses raisons, fiscales et surtout personnelles dans l'espoir de pouvoir bénéficier de revenus locatifs propres à suppléer son absence de retraite.
Cette opposition de la gérante s'est traduite, entre autres, par une réticence à communiquer aux autres associés (cela n'est pas contesté) une offre telle que celle faite par la société POLYGONE en Février 2010 pour 1 900 000 €, ramenée trois mois plus tard à 1 600 000 €, au demeurant refusée.
Les efforts des consorts [S] pour parvenir au rachat de leurs parts sociales par Mme [B] (voir leur proposition du 12 Novembre 2007) ou par des tiers (voir la signature de leur accord du 15 Septembre 2009 sur une cession de leurs parts au Crédit Commercial International représenté par M. [F] au prix de 2 200 000 €) sont également demeurés vains et contredisent la thèse de Mme [B] selon laquelle son ex-époux ne voudrait ni vendre ses parts ni se retirer.
Cette mésentente a conduit les consorts [S] à refuser systématiquement l'approbation des comptes annuels de la gérance au prétexte d'une gestion 'désastreuse' de Mme [B] (ce qui contredit singulièrement l'affirmation de cette dernière selon laquelle il n'y aurait aucun différend sur sa gestion) et aucune décision collective n'a pu intervenir depuis 2006.
Mme [B] objecte que le fonctionnement de la société n'est pas pour autant paralysé et qu'elle en assure la gestion.
La Cour constate cependant que l'immeuble, inoccupé depuis Janvier 2005, est régulièrement vandalisé et aujourd'hui sérieusement endommagé ainsi qu'en attestent les nombreuses photographies versées aux débats, que même dans le cadre des pouvoirs qui lui sont conférés à l'article 16 des Statuts lui permettant de conclure seule des baux n'excédant pas neuf ans, la gérante n'est jamais parvenue à louer l'immeuble de sorte que la SCI ne perçoit plus aucun revenu depuis 2005 et se trouve confrontée à une situation financière catastrophique, avec un déficit annuel de plus de 100 000 €, la gérante convenant régler les charges courantes sur ses deniers personnels, créant ainsi à la charge de la SCI un endettement croissant.
La Cour estime, dès lors, au contraire du premier juge, que le fonctionnement de la société est totalement paralysé dans la mesure où d'une part la répartition des parts sociales entre les ex-époux [S] et les dispositions statutaires font qu'aucune cession de l'immeuble ou de parts sociales ne peut prospérer sans l'accord unanime des trois associés, d'autre part où la mésentente persistante entre les associés rend impossible la réalisation de l'objet social, à savoir l'entretien et l'exploitation d'un immeuble qui n'est ni loué ni entretenu et dont la valeur vénale diminue depuis 2005 du fait de son état d'abandon.
Par ailleurs, la Cour estime qu'[E] [S] ne peut être tenu pour responsable de cette situation pour n'avoir pas remboursé à la SCI la somme de 337 105 € dont la Cour de céans l'a déclaré redevable au terme d'un arrêt du 5 Décembre 2007 dans la mesure où le juge des référés, saisi par la SCI d'une demande en paiement, a au terme d'une ordonnance du 22 Janvier 2009 (dont il n'a pas été relevé appel) estimé justifié, au regard des facultés financières de M. [S], d'accorder à celui-ci un délai de 18 mois afin qu'il réalise la vente de ses parts sociales devant lui permettre de régler sa dette, vente que M. [S] n'a pu concrétiser compte-tenu de l'opposition de Mme [B] (cela n'est pas contesté) faisant obstacle au remboursement de cette dette par M. [S] .
Le jugement sera donc réformé en toutes ses dispositions, la dissolution de la société ordonnée et un mandataire désigné pour procéder aux opérations de liquidation, observation étant faite que Mme [B] ne tire aucune conséquence juridique de la saisie des parts sociales de son ex-époux qu'elle prétend avoir diligentée, évoquant tout au plus dans ses écritures le 'risque' pour [E] [S] de ne plus être associé dans quelques mois .
Sur les autres demandes :
* Les consorts [S], qui rappellent avoir refusé de donner quitus à la gérante pour sa gestion depuis 2006, font à raison valoir que la demande de Mme [B] tendant à voir déclarer les comptes sociaux réguliers et sincères et arrêter sa créance au titre de son compte-courant d'associée est irrecevable pour être formulée pour la première fois en appel.
* L'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit des consorts [S] suivant modalités prévues au dispositif.
PAR CES MOTIFS
Réforme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Ordonne, en application de l'article 1844-7,5° du code civil, la dissolution de la SCI DU [Adresse 12].
Désigne Maître [J] [N], mandataire judiciaire, [Adresse 3] afin de procéder aux opérations de liquidation de la société.
Dit que la rémunération éventuelle du liquidateur sera si besoin est avancée par [E] et [T] [S] pour le compte de qui il appartiendra.
Déclare irrecevable la demande de Mme [B] tendant à voir dire les comptes sociaux réguliers et arrêter sa créance au titre de son compte-courant d'associé.
Condamne Mme [B] à verser à [E] et [T] [S] une indemnité de procédure de 2 000 €
Condamne Mme [B] aux dépens de première instance et d'appel avec faculté de recouvrement au profit de la SCP COCHEME LABADIE COQUERELLE conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le GreffierLe Président,
C. POPEKG. GOSSELIN