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30/06/2011 | FRANCE | N°09/08505

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 1, 30 juin 2011, 09/08505


République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 2 SECTION 1



ARRÊT DU 30/06/2011



N° de MINUTE :

N° RG : 09/08505



Jugement (N° 08/1587)

rendu le 19 novembre 2009

par le Tribunal de Commerce de ROUBAIX TOURCOING



REF : CP/CP



APPELANTE



S.A. CIC NORD OUEST anciennement dénommée CIC BANQUE SCALBERT DUPONT-CIN agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

ayant

son siège social [Adresse 4]



Représentée par la SCP LEVASSEUR CASTILLE LEVASSEUR, avoués à la Cour

Assistée de Me MEIGNIE substituant Me HANICOTTE, avocat au barreau de LILLE



INTI...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 1

ARRÊT DU 30/06/2011

N° de MINUTE :

N° RG : 09/08505

Jugement (N° 08/1587)

rendu le 19 novembre 2009

par le Tribunal de Commerce de ROUBAIX TOURCOING

REF : CP/CP

APPELANTE

S.A. CIC NORD OUEST anciennement dénommée CIC BANQUE SCALBERT DUPONT-CIN agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 4]

Représentée par la SCP LEVASSEUR CASTILLE LEVASSEUR, avoués à la Cour

Assistée de Me MEIGNIE substituant Me HANICOTTE, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉS

Monsieur [I] [E]

né le [Date naissance 2] 1968 à [Localité 7]

demeurant [Adresse 1]

SARL FINANCIÈRE [E] agissant poursuite et diligences de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 5]

Représentés par la SCP DELEFORGE ET FRANCHI, avoués à la Cour

Ayant pour conseil Me Karl VANDAMME, avocat au barreau de LILLE

Monsieur [S] [C]

demeurant [Adresse 3]

Représenté par la SELARL LAFORCE Eric, avoués à la Cour

Ayant pour conseil Me Emmanuel LACHENY, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Christine PARENTY, Président de chambre

Jean Michel DELENEUVILLE, Conseiller

Philippe BRUNEL, Conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Véronique DESMET

DÉBATS à l'audience publique du 14 Avril 2011 après rapport oral de l'affaire par Christine PARENTY

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 30 juin 2011 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Christine PARENTY, Président, et Véronique DESMET, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 7 avril 2011

***

Vu le jugement contradictoire du 19 novembre 2009 du tribunal de commerce de ROUBAIX TOURCOING ayant rejeté l'exception d'incompétence soulevée par M. [C], mis à néant les ordonnances de saisies conservatoires du Juge de l'exécution, débouté la banque CIC-BSD -CIN de toutes ses demandes dirigées contre [S] [C], condamné solidairement la SARL FINANCIÈRE [E] et M. [I] [E] à payer au CIC la somme de 272 779,69€ montant des sommes dues au titre du prêt de 350 000€ du 1er mars 2006 avec intérêts contractuels de 4,25% l'an à compter du 17 décembre 2007, annulé les actes de caution souscrits par M. [I] [E] concernant les sociétés A&R CONSTRUCTION & ELITEX, ordonné l'exécution provisoire, condamné solidairement la SARL FINANCIÈRE [E] et M. [E] à payer au CIC 2000€ à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et 1500 € sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'appel interjeté le 27 novembre 2009 par la sa CIC -BSD -CIN ;

Vu les conclusions déposées le 2 novembre 2010 pour [I] [E] et la SARL FINANCIÈRE [E] ;

Vu les conclusions déposées le 3 décembre 2010 pour [S] [C] ;

Vu les conclusions déposées le 2 février 2011 pour le CIC ;

Vu l'ordonnance de clôture du 7 avril 2011 ;

La banque a interjeté appel aux fins d'infirmation du jugement ; elle demande la condamnation de Messieurs [E] et [C] et de la SARL FINANCIÈRE [E] au paiement de la somme de 272 779,69€, montant des sommes dues au titre du prêt de 350 000€ sous réserve des intérêts au taux de 4,25% l'an à compter du 17 décembre 2007 sur la somme de 252 679,43€(capital dû et échéances impayées), la condamnation de M. [E] en sa qualité de caution solidaire de la société A&R CONSTRUCTION au paiement de la somme de 182 108,15€ au titre du prêt de 180 000€ sous réserve des intérêts au taux de 4,50 % l'an à compter du 14 novembre 2007 sur la somme de 170 194,54€, la condamnation de M. [E] en qualité de caution solidaire de la société A&R CONSTRUCTION à la somme de 180 000€ en vertu de l'engagement régularisé le 16 avril 2005 outre intérêts au taux légal par application de l'article 1153 du code civil à compter de la mise en demeure du 20 mars 2008, la condamnation de Monsieur [E] en sa qualité de caution solidaire de la société ELITEX au paiement d'une somme de 29 630,98€ au titre du solde de prêt sous réserve des intérêts au taux conventionnel de 5 % l'an à compter du 5 janvier 2006 jusqu'à parfait règlement, la condamnation de M. [E] en qualité de caution solidaire de la société ELITEX au paiement d'une somme de 20 865,75€ en vertu de l'acte de cautionnement du 15 octobre 2004 outre les intérêts légaux à compter du 18 avril 2006 jusqu'à parfait règlement, la condamnation solidaire de la société FINANCIÈRE [E], de Messieurs [E] et [C] à lui verser 6000€ de dommages et intérêts et 2500€ sur la base de l'article 700du Code de procédure civile.

[S] [C] sollicite la confirmation, la banque ayant manqué à ses devoirs de mise en garde, d'information, de conseil à son égard en tant que caution, à son obligation contractuelle relative à l'affectation des fonds prêtés, à ses obligations d'information conformément aux articles L 341-1 et L 341-6 du code de la consommation ; il demande à la cour de juger que son engagement était manifestement disproportionné vis à vis de ses biens et revenus et de condamner la banque à lui verser 5000€ sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SARL [E] et Monsieur [E] demandent la confirmation de la décision en ce qu'elle a annulé les actes de caution ; ils demandent l'infirmation pour le surplus, de dire que le CIC a engagé sa responsabilité vis à vis de Monsieur [E] au regard de la disproportion entre les garanties prises et les concours octroyés, de dire nuls les actes de caution souscrits par lui, de débouter la banque ; à titre subsidiaire, Monsieur [E] sollicite l'octroi de dommages et intérêts à montant équivalent des sommes sollicitées par le CIC et la compensation. À titre plus subsidiaire, Monsieur [E] demande qu'il soit jugé que son cautionnement doit se limiter à :

- 29 630,98€ en garantie d'ELITEX ;

- 182 108,15€ en garantie d'A&R CONSTRUCTION ;

- 272 779,69€ en garantie de la société FINANCIÈRE [E] ; il réclame 2000€ sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile.

De même, en ce qui concerne la société FINANCIÈRE [E], ils réclament des dommages et intérêts, pour responsabilité de la banque, équivalents aux sommes réclamées avec compensation et 2000€ sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile.

La banque expose qu'elle est créancière de la société ELITEX et de la société [E] et qu'elle dispose dans le premier cas du cautionnement solidaire de Monsieur [E] et dans le second cas des cautions de messieurs [E] et [C], puis qu'elle est également créancière de la société A&R CONSTRUCTION, filiale de la société FINANCIÈRE [E] et qu'elle dispose du cautionnement solidaire de Monsieur [E] ; les sociétés ELITEX et A&R CONSTRUCTION ont fait l'objet d'une procédure collective. Plusieurs saisies conservatoires ont été opérées.

Pour faire échec à l'argument de procédure de Monsieur [C] indiquant que le tribunal de commerce ne serait pas compétent car son cautionnement ne serait pas commercial, Monsieur [E] réplique qu'il l'est devenu puisque la caution avait un intérêt personnel dans l'affaire commerciale soit la consolidation de la restructuration d'A&R CONSTRUCTION, par le biais de l'octroi d'un prêt à la holding FINANCIÈRE [E], filiale d'abord co-gérée par lui-même et Monsieur [C] qui en est resté le gérant de fait, comme le consacre une décision du Conseil des Prud'hommes de TOURCOING qui a dit que le lien de subordination entre Monsieur [C] et A&R CONSTRUCTION n'était pas établi et un rapport de l'inspecteur des impôts du 27 mars 2008. Monsieur [C] qui n'avait pas que la qualité d'un associé a bien pris un engagement commercial.

Monsieur [E] plaide la disproportion des garanties prises vis à vis des concours octroyés et souligne que dans le cadre des procédures devant le Juge de l'exécution, la banque a émis des doutes sur son patrimoine de sorte qu'elle aurait été contrainte de multiplier les saisies conservatoires, qu'à l'en croire, elle aurait prêté près d'un million d'euros alors que son patrimoine et ses capacités de remboursement auraient été proches de zéro : sa maison ne vaudrait plus rien au regard du montant des hypothèques, les parts sociales de la holding ne vaudraient guère plus. Il en déduit qu'elle a prêté sans discernement et que cela remet en cause le principe de sa créance et ajoute que la banque se plaint de ce que Monsieur [E] aurait eu affaire à son service recouvrement pour 50 000€ le 5 janvier 2006, tandis que le 1er mars 2006 elle octroyait à la société FINANCIÈRE [E] le prêt, cautionné, de 350 000€. Il remet en question pour les mêmes raisons les actes de cautionnement régularisés pour ELITEX et estime que la preuve est rapportée par les propres affirmations de la banque devant le Juge de l'exécution. Il fait le calcul des financements consentis à la hauteur de 974 942,07€ et celui des garanties à hauteur de 816 865€.

Il réplique à la banque que l'article L 650-1 du code de commerce est applicable à ELITEX, placée en redressement judiciaire le 5 janvier 2006, et parfaitement susceptible d'être invoqué par les cautions ; à titre subsidiaire, il invoque les dispositions de l'article L 341-4 du code de la consommation et souligne le fait qu'il a été poursuivi par le CIC de toutes parts, ce que le Juge de l'exécution a stigmatisé dans son jugement, qu'il a été contraint de vendre son domicile principal et ne possède plus rien.

Il estime que la banque a manqué à son obligation de conseil en octroyant de manière inconsidérée plusieurs prêts à A&R CONSTRUCTION, directement ou via la holding, maintenant des concours dont elle connaissait l'inanité, que la preuve réside dans le fait que le CIC a octroyé un prêt à la FINANCIÈRE [E] 15 jours après la liquidation judiciaire d'ELITEX (14 février 2006), puis un second prêt à la société A&R CONSTRUCTION alors qu'une assemblée générale du 4 juillet 2007 venait de constater une perte de 878 019€ pour 2006, cette société déposant son bilan 7 mois plus tard. Monsieur [E] estime qu'en vertu de l'article 2313 du code civil, en tant que caution, il peut opposer les exceptions appartenant au débiteur principal.

Il ajoute que la banque ne s'est en rien renseignée sur la situation de l'entreprise, n'a demandé aucune situation comptable ou financière de la société A&R CONSTRUCTION, manquant ainsi à son obligation d'information, le prêt de 350 000€ accordé à la holding concernant également A&R CONSTRUCTION.

Subsidiairement, il fait valoir que les deux engagements de caution qui concernent ELITEX ne se cumulent pas, que l'acte de caution signé au titre du prêt s'est substitué à l'acte de caution 'omnibus' signé le même jour, qu'il en va de même pour A&R CONSTRUCTION ;

Monsieur [C], qui ne développe plus son argument de procédure devant la cour, reprend les mêmes arguments que Monsieur [E] et précise que le dossier A&R CONSTRUCTION était administré au sein de la banque dans la division affaires spéciales, ce qui veut dire qu'elle connaissait les risques inhérents à l'activité de cette dernière, qu'elle a trouvé le subterfuge de prêter l'argent à la holding de Monsieur [E], un financement direct ne pouvant être accepté au regard des résultats catastrophiques d'A&R CONSTRUCTION avec un résultat négatif de -249 739€ au 31 décembre 2005. À la date du financement du mois de mars 2006, la situation était nécessairement compromise puisque le bilan 6 mois plus tard laissait apparaître une perte de 878 019€ et la banque ne recherchait aucun élément d'information sur cette société ne se renseignant pas sur ses capacités de remboursement.

En outre, il fait valoir que les fonds prêtés pour une restructuration de la filiale A&R CONSTRUCTION n'ont pas été employés à son augmentation de capital ; la banque le savait et pourtant il s'agissait d'un crédit affecté, les prêts étaient conditionnés par la remise de documents préalables et notamment comptables que la banque ne produit pas malgré sommation, qu'en stipulant une affectation spécifique, la banque devait vérifier qu'elle était respectée, ce qu'elle n'a pas fait de sorte qu'elle doit répondre de cette faute à l'égard des cautions.

Il plaide également le défaut d'information de la caution au regard du code de la consommation qui entraîne la déchéance du droit aux pénalités et intérêts de retard et la disproportion entre un engagement à hauteur de 350 000€ pour un revenu imposable du foyer à hauteur de 64733€en 2007, dont il fallait déduire 4508,31€ de remboursement par mois, ce qui équivaut au jour de l'engagement à un taux d'endettement de 92%. Son patrimoine était composé de parts de sociétés qui se sont révélées sans valeur et d'un immeuble de 750 000€ sur lequel existait une hypothèque de 359 000€. Pour lui avoir accordé la plupart des crédits dont il disposait, la banque connaissait parfaitement sa situation. Il demande en conséquence à être déchargé de son engagement de caution.

La banque leur répond que l'article L 650-1 du code de commerce n'a pas vocation à être invoqué par les cautions, que le caractère disproportionné qui est visé est celui des garanties à l'égard des concours octroyés à l'emprunteur principal.

Au regard de l'article L341-4 du code de la consommation, seul applicable, il n'y a pas pour la banque de disproportion, puisque Monsieur [E] a affirmé devant le Juge de l'exécution qu'il avait un patrimoine suffisant pour couvrir le montant de ses obligations, et qu'il a proposé de mettre en compte séquestre à partir de la vente de sa maison la somme équivalente au montant des sommes réclamées.

Sur la portée des engagements, elle fait remarquer que les deux engagements pris pour ELITEX sont précisés comme se cumulant, que ceux pris pour la société A&R CONSTRUCTION sont spécifiques et ne recouvrent pas les mêmes garanties.

Sur l'argument selon lequel elle aurait manqué à son obligation de conseil, elle répond qu'il n'y a aucune preuve de son inexécution fautive, que la société holding n'a sûrement pas été affaiblie par l'octroi du prêt, qu'elle n'a pas à s'immiscer dans les affaires de ses clients ni juger de l'opportunité d'un prêt sollicité pour restructurer une filiale, que A&R CONSTRUCTION ne peut rien plaider qui n'est pas tenue au remboursement, que Monsieur [E], dirigeant et caution, n'est pas fondé à opposer à la banque l'octroi de crédits excessifs sauf à démonter que la banque détenait des informations que lui-même ignorait ; elle souligne que cette preuve n'est pas rapportée à fortiori que celui-ci est au fait de la vie des affaires.

Vis à vis de Monsieur [C] et de sa défaillance dans son devoir de mise en garde, elle fait valoir que la holding bénéficiaire de ce crédit cautionné n'a jamais soulevé le caractère excessif de ce crédit, que Monsieur [C] s'est porté caution d'une société in bonis, que l'obligation information de la caution s'entend d'une caution non dirigeante, que le prêt n'a pas été accordé à A&R CONSTRUCTION indirectement via la holding mais à la holding, que ce prêt a été clairement défini par l'assemblée générale des actionnaires, Monsieur [C] gérant de droit d'A&R CONSTRUCTION étant parfaitement informé et conteste que ce crédit ait pu être un crédit affecté : il s'agissait de permettre la restructuration d'une filiale aux termes de décisions propres et concertées entre la holding et la filiale concernée.

En ce qui concerne la communication des documents préalables, elle fait valoir que les documents concernés n'étaient pas ceux de la filiale mais ceux de la holding, ces conditions étant prévues dans le seul intérêt de la banque.

En ce qui concerne la disproportion entre l'engagement pris par Monsieur [C] et sa solvabilité, elle se reporte à la déclaration certifiée sincère par l'intéressé et qui fait état de ses capacités et de ses propres évaluations. Il disposait et il dispose encore d'un patrimoine et son engagement ne parait pas disproportionné vis à vis de ce qu'il a déclaré.

Sur le défaut d'information de la caution, elle précise que 253 679,43€ sont dus, somme à laquelle s'ajoutera le taux légal.

SUR CE

Sur les engagements de M. [E]

M. [E] sollicite la nullité des actes de caution qu'il a signés au visa de l'article L650-1 du code de commerce, issu de la loi de sauvegarde de juillet 2005 qui dispose que 'les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises sont disproportionnées à ceux-ci ; pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours sont nulles'.

Comme le fait remarquer la banque, le tribunal ne s'est pas interrogé quant à l'application de ces dispositions aux faits, ce qui était la vraie question : M. [E] plaide que les engagements qu'il a pris sont disproportionnés vis à vis de ses facultés de remboursement en tant que caution ; or il est incontestable que l'article visé n'a pas pour objet de sanctionner le caractère disproportionné de l'engagement de la caution vis à vis des facultés de remboursement de la caution ; ce texte vise l'emprunteur principal et le caractère disproportionné qui est ici visé est celui des garanties à l'égard des concours octroyés à l'emprunteur principal, permettant de poursuivre l'établissement prêteur pour le cas où il aurait aggravé les difficultés de l'emprunteur par le fait de ces garanties disproportionnées ; ces exceptions qui appartiennent au débiteur principal ne peuvent en aucun cas être soulevées par la caution. La seule possibilité qui est ouverte à M. [E] en qualité de caution repose sur les dispositions du code de la consommation.

A titre subsidiaire, il les invoque mais la banque lui fait remarquer qu'il a devant le Juge de l'exécution admis avoir un patrimoine suffisant pour couvrir ses dettes et proposé de réaliser un immeuble à [Localité 6] pour mettre en compte séquestre une somme équivalente à la somme réclamée, ce dont il ne disconvient pas ; dans ces conditions l'argument ne peut être retenu.

Sur l'étendue des engagements, la banque précise que les garanties données à la société ELITEX et celles données à la société A&R CONSTRUCTION doivent se cumuler ; dans les deux cas, M. [E] a signé un acte de cautionnement général à la garantie de tous engagements du cautionné mais limité dans son montant ; par ailleurs, il s'est porté caution d'un prêt professionnel. En ce qui concerne ELITEX, les deux actes sont signés de la même date et cette concomitance indique bien qu'il ne s'agit pas d'un acte de cautionnement qui se substituerait à l'autre mais surtout dans l'engagement général, il est spécifié au paragraphe 9 que celui-ci s'ajoute à toute garantie réelle ou personnelle qui a pu être fournie à la banque par la caution. L'argument de M. [E] affirmant que le montant garanti est supérieur aux sommes prêtées n'a pas de portée dès lors qu'il a entendu cautionner outre le principal, les intérêts et le cas échéant les pénalités de retard.

En ce qui concerne A&R CONSTRUCTION, de la même manière un engagement général signé le 16 avril 2005 où figure la même mention relative au fait qu'il vient s'ajouter ou s'ajoutera aux autres engagements, a été suivi par un engagement spécifique relatif au cautionnement du prêt professionnel du 7 mars 2007. Par ce deuxième cautionnement, la banque n'a clairement pas entendu renoncer au précédent. Les actes sont exprès et la banque ne demande pas leur extension au delà des limites dans lesquelles ils ont été contractés. Il convient de faire droit aux demandes du CIC sur ce point.

Sur la responsabilité de la banque vis à vis de M. [E] et de la société FINANCIÈRE [E]

L'obligation de conseil :

Il est reproché à l'établissement bancaire d'avoir accordé des crédits inconsidérés, prolongeant artificiellement la vie de l 'entreprise avec pour seule considération la fourniture en contrepartie de la garantie personnelle de M. [E] et de l'affectation du prêt à la holding en lieu et place d'A&R CONSTRUCTION ; selon les intimés, la banque en tant que professionnelle du crédit aurait dû savoir que la situation de l'entreprise était irrémédiablement compromise.

Plus précisément, les intimés rappellent que le prêt de 350 000€ a été accordé à la FINANCIÈRE [E] le 1er mars 2006 alors que le 16 février 2006 la société ELITEX venait d'être placée en liquidation judiciaire, que le prêt de 180 000€ accordé à la société A&R CONSTRUCTION l'a été le 7 mars 2007 alors que l'assemblée générale du 4 juillet 2007 a constaté une perte de 878 019€ au cours de l'exercice arrêté au 31 décembre 2006.

Comme le fait remarquer la banque, sur la base de l'article L 650-1 du code de commerce, seule la société A&R CONSTRUCTION ou son représentant peuvent invoquer cette responsabilité et elle n'est pas présente à la procédure ; la holding n'a pas qualité pour opposer à la banque les crédits accordés à la SARL A&R CONSTRUCTION puisqu'elle n'est pas tenue du remboursement ; elle-même ne peut se baser sur l'article L 650-1 du code de commerce qui n'est applicable qu'aux seules sociétés faisant l'objet d'une procédure collective. Il est exact également que le CIC n'a aucun moyen de rechercher la Holding en paiement des sommes dues par A&R CONSTRUCTION et que donc sa trésorerie ne peut s'en trouver affectée. Quant au prêt accordé à la société Holding, les intimés affirment qu'il serait destiné indirectement à la filiale A&R CONSTRUCTION par une sorte d'artifice, qui permettait de prolonger la vie d'une société en grosse difficulté en s'adressant à un interlocuteur in bonis.

Mais il se trouve que le prêt a été accordé en toute connaissance de cause pour M. [E] et la société [E] puisqu'il visait la consolidation et la restructuration de la filiale A&R CONSTRUCTION. Ils se sont engagés en connaissant les enjeux et la mauvaise situation d'A&R CONSTRUCTION et doivent démontrer pour établir une faute de la banque qu'elle avait plus d'informations que la holding elle-même sur la filiale à restructurer. Cette démonstration fait totalement défaut a fortiori que la situation financière de la holding était florissante, ce qui l'avait amenée peu avant à augmenter son capital social ; ce prêt n'a pu contribuer à la chute d'A&R CONSTRUCTION qui n'est pas tenue de son remboursement et la banque n'avait pas à s'immiscer dans l'analyse de son opportunité. Les intimés n'établissent pas davantage que la banque aurait pris l'initiative de recourir à une fraude visant à prêter pour une société tierce de l'argent via un client in bonis alors qu'ils étaient totalement informés de l'objectif du prêt visant officiellement à restructurer la filiale.

L'obligation d'information

Les intimés ajoutent que devant la situation financière délicate de sa cliente, la banque devait s'informer sur cette situation et sur les conditions d'utilisation des crédits avant de les accorder ; selon eux, la banque ne s'est livrée à aucune analyse financière et n'a pas exigé au préalable la production des situations comptables. Là aussi la holding n'a pas de qualité pour opposer à la banque une faute dans l'octroi des crédits accordés à A&R CONSTRUCTION et ne peut rien reprocher à la banque en ce qui concerne le crédit qui lui a été octroyé puisque cette dernière n'était pas porteuse de renseignements que M. [E] dirigeant et la holding auraient ignorées, notamment principalement

sur la situation de la filiale. Il en va là aussi du devoir de non ingérence dans les affaires de ses clients à charge de l'établissement bancaire, prêteur de deniers.

M. [E], à titre de caution, plaide également le manquement de la banque à son obligation de conseil par application de l'article 2313 du code civil qui lui permet d'opposer à la banque les exceptions inhérentes à la dette et qui ne sont pas personnelles au débiteur ; il a lui-même subi un préjudice équivalent au montant des sommes qui lui sont réclamées en sa qualité de caution ; toutefois, en tant que dirigeant des sociétés concernées, il doit apporter la preuve que la banque aurait eu des renseignements sur la situation des sociétés emprunteuses qu'il aurait ignorées, ce qui n'est pas aisé à démontrer d'autant qu'il était un dirigeant rompu à la vie des affaires, et cette preuve au cas d'espèce fait défaut.

En conséquence, il convient de faire droit aux demandes formulées par la banque et de débouter M. [E] et la société [E] de l'ensemble de leurs demandes y compris les demandes sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur la responsabilité de la banque vis à vis de Monsieur [C]

Il convient tout d'abord de remarquer que Monsieur [C] ne conteste pas la validité de son engagement ; il doit donc être légitimement condamné à l'honorer, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal.

La situation de Monsieur [C] se présente sensiblement différemment de celle de M. [E] en ce sens que le second connaissait tous les tenants et aboutissants de toutes les situations, ce qui n'a pas forcément été le cas de monsieur [C].

A l'origine, Monsieur [S] [C] était le co-gérant avec M. [E] de la société A&R CONSTRUCTION ; puis seul M. [E] est resté gérant à partir de la démission de Monsieur [C] le 1er juillet 2004. M. [E] plaide que monsieur [C] est resté le gérant de fait de la société A&R CONSTRUCTION, comme l'admet une décision du conseil des prud'hommes et un rapport de l'inspecteur des impôts pour l'année 2005 qui le qualifie de co-gérant. Il résulte des pièces produites par M. [E] que principalement, il en était resté le technicien, gérant commandes, devis et chantiers. L'administration fiscale a retenu sa co-gérance en raison du fait que détenant 49 % du capital social, il a signé les contrats de travail des salariés, qu'il s'est occupé des entretiens, qu'il disposait de la signature en banque, qu'il représentait la société vis à vis des tiers, clients ou fournisseurs. Cela dit, il ne s'en déduit pas qu'il s'est occupé de la comptabilité ; il est resté aux côtés de M. [E] et ce qui est important est de savoir ce que Monsieur [C], aux côtés du gérant de droit, a su de la situation quand il a signé ses engagements personnels.

Monsieur [C] a accepté de souscrire à une augmentation de capital le 23 octobre 2006 ; le 7 mars 2006, un prêt de 180 000€ est accordé à la société A&R CONSTRUCTION ; le 4 juillet 2007 une perte de 878 019€ est révélée et le 18 octobre 2007 la société A&R CONSTRUCTION est placée en redressement judiciaire.

Il plaide principalement le défaut d'information qu'il a subi en tant que caution, juridiquement non dirigeante. Le tribunal a considéré que la banque n'avait pas exercé son devoir de conseil, d'information et de mise en garde de la caution alors qu'elle disposait d'informations privilégiées sur les situations financières tant des différentes sociétés débitrices que des cautions.

Il est exact qu'au carrefour des intérêts des différentes sociétés dirigées par M. [E] et du financement de chacune, la banque avait une position privilégiée pour disposer de toutes les informations concernant la globalité des affaires gérées par M. [E], informations dont il a été rappelé qu'elles étaient à disposition du dirigeant, M. [E] mais le dossier ne dit pas que M. [E] ait été totalement transparent vis à vis de celui qui s'est engagé à ses côtés. Ainsi, dans la mesure où le prêt le plus important a été accordé à la Holding dans laquelle Monsieur [C] n'est pas, que la preuve n'est pas rapportée que monsieur [C] ait eu les comptes d'A&R CONSTRUCTION en mains avant l'assemblée générale ordinaire du 4 juillet 2007 qui a révélé la perte de 878 019€, assemblée générale ordinaire au cours de laquelle il s'est abstenu de tout vote (le rapport de gérance du 23 octobre 2006 avant l'augmentation de capital étant muet sur les chiffres), que la preuve n'est pas rapportée qu'il ait réalisé les résultats catastrophiques de la société A&R CONSTRUCTION avant que l'on ne sollicite son engagement de caution, que s'il a su par la mention figurant sur l'octroi de prêt que la somme était affectée à la restructuration d'A&R CONSTRUCTION, il a, étant étranger à la société FINANCIÈRE [E], ignoré l'affectation des fonds (il a demandé à la banque des éléments à ce sujet mais n'a pas obtenu de réponse), que vu la situation à la fin de l'année 2006 d'A&R CONSTRUCTION, il n'est pas hâtif d'en conclure que ses difficultés ont co-existé avec l'octroi de prêt visant à sa restructuration, que tous ces éléments convergent vers le fait que la banque détenait des informations que Monsieur [C] ne possédait pas, auquel cas il ne se serait raisonnablement pas engagé, qu'il appartenait au banquier d'informer la caution de tous les éléments dont elle était informée et qui lui ont été cachés, ne serait ce que par le versement de comptes prévisionnels intéressant la société filiale dont la restructuration motivait le financement cautionné. Sa position d'éventuel gérant de fait à côté du gérant de droit ne présume pas qu'il savait tout. Il n'a en outre pas été informé de la défaillance de l'emprunteur principal, la société FINANCIÈRE [E], qui pourtant était in bonis et dont on pouvait espérer qu'elle assumerait la charge de l'emprunt et n'a pas été destinataire de l'information annuelle des cautions sur le montant du principal, des intérêts, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de chaque année.

Dès lors, il n'est pas établi que Monsieur [C] se soit engagé en connaissance de cause. Il s'ensuit que la banque a commis une faute qui a causé un préjudice à Monsieur [C], qu'elle lui doit réparation, qu'il est légitime que cette réparation soit égale au montant auquel il doit être condamné du fait de son engagement de caution dont il ne discute pas la validité. La décision sera modifiée en ce sens.

Sur la demande de dommages et intérêts formulée par le CIC NORD OUEST

Elle est dirigée contre tous les intimés mais n'est pas motivée ; le premier juge avait mis à charge de M. [E] et de la société [E] une somme de 2000€ pour résistance abusive ; la Cour réforme la décision sur ce point, le fait de recourir à justice étant un droit qui ne dégénère en abus que lorsqu'il est revêtu de la mauvaise foi, laquelle au cas d'espèce n'est pas démontrée.

Sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Il est légitime de condamner solidairement M. [E] et la société [E] à payer 2500€ de ce chef à la banque CIC NORD OUEST et de condamner la banque CIC NORD OUEST à payer sur cette même base 5000€ à Monsieur [S] [C] ; succombant, la SARL [E] sera déboutée de la demande qu'elle formule.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement en ce qu'il a condamné solidairement la SARL FINANCIÈRE [E] et M. [E] à payer au CIC NORD OUEST la somme de 272 779,69€ due au titre du prêt de 350 000€ du 1er mars 2006 avec intérêts au taux contractuel de 4,25% l'an à compter du 17 décembre 2007 sur la somme de 252 679,43€, en ce qu'il a fait application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Le réforme pour le surplus ;

Condamne Monsieur [C] en sa qualité de caution solidaire à payer 272 779,69€ avec intérêts au taux contractuels de 4,25% l'an à compter du 17 décembre 2007 sur la somme de 252 679,43€ au CIC NORD OUEST ;

Dit que la banque CIC NORD OUEST a manqué à son obligation d'information vis à vis de Monsieur [C] ; en conséquence, condamne le CIC NORD OUEST à payer en raison de cette faute et par application de l'article 1382 du code civil à Monsieur [C] une somme de 272 779,69€ avec intérêts contractuels de 4,25% l'an à compter du 17 décembre 2007 sur la somme de 252 679,43€ à titre de dommages et intérêts et dit que la compensation devra s'opérer entre les sommes dues par Monsieur [C] à l'égard du CIC NORD OUEST et réciproquement.

Déboute M. [E] et la SARL FINANCIÈRE [E] de l'ensemble de leurs demandes ;

Condamne Monsieur [I] [E] en sa qualité de caution solidaire de la société A&R CONSTRUCTION à payer au CIC :

- la somme de 182 108,15 € au titre du prêt de 180 000€ sous réserve des intérêts au taux de 4,50% l'an à compter du 14 novembre 2007 sur la somme de 170 194,54€ ;

- la somme de 180 000€ en vertu de l'engagement régularisé le 16 avril 2005 avec intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 20 mars 2008 ;

Condamne Monsieur [I] [E] en sa qualité de caution solidaire de la société ELITEX à payer au CIC :

- la somme de 29 630,98€ au titre du solde du prêt sous réserve des intérêts au taux conventionnel de 5% l'an à compter du 5 janvier 2006 ;

- la somme de 20 865,75€ en vertu de l'acte de cautionnement du 15 octobre 2004 avec intérêts légaux à compter du 18 avril 2006 ;

Déboute la SARL [E] de sa demandes sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne le CIC NORD OUEST à payer 5000€ sur la base de l'article 700du Code de procédure civile à Monsieur [C] ;

Condamne solidairement M. [E] et la SARL FINANCIÈRE [E] à payer 2500€ au CIC sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP LEVASSEUR CASTILLE LEVASSEUR et de la SELARL LAFORCE, avoués à la Cour, conformément à l'article 699 du code de procédure civile

LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,

Véronique DESMETChristine PARENTY


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 2 section 1
Numéro d'arrêt : 09/08505
Date de la décision : 30/06/2011

Références :

Cour d'appel de Douai 21, arrêt n°09/08505 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2011-06-30;09.08505 ?
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