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17/02/2011 | FRANCE | N°10/02202

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 8 section 1, 17 février 2011, 10/02202


COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 8 SECTION 1



ARRÊT DU 17/02/2011

***

N° MINUTE :

N° RG : 10/02202

Jugement (N° 06/00888)

rendu le 15 Juillet 2009

par le Tribunal de Grande Instance de BETHUNE

REF : BP/VC

APPELANT



Monsieur [E] [R]

né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 4]

demeurant : [Adresse 3]

Représenté par la SCP DELEFORGE FRANCHI, avoués à la Cour

Assisté de Me DELPIERRE, avocat au barreau de SAINT BRIEUC



INTIMÉE



Socié

té CREDIT DU NORD

ayant son siège social : [Adresse 2]

Représentée par la SCP LEVASSEUR-CASTILLE-LEVASSEUR, avoués à la Cour

Assistée de Me Yves LETARTRE, avocat au barreau de LILLE



DÉBAT...

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 8 SECTION 1

ARRÊT DU 17/02/2011

***

N° MINUTE :

N° RG : 10/02202

Jugement (N° 06/00888)

rendu le 15 Juillet 2009

par le Tribunal de Grande Instance de BETHUNE

REF : BP/VC

APPELANT

Monsieur [E] [R]

né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 4]

demeurant : [Adresse 3]

Représenté par la SCP DELEFORGE FRANCHI, avoués à la Cour

Assisté de Me DELPIERRE, avocat au barreau de SAINT BRIEUC

INTIMÉE

Société CREDIT DU NORD

ayant son siège social : [Adresse 2]

Représentée par la SCP LEVASSEUR-CASTILLE-LEVASSEUR, avoués à la Cour

Assistée de Me Yves LETARTRE, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS à l'audience publique du 04 Janvier 2011 tenue par Benoît PETY magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Annie DESBUISSONS

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Pierre CHARBONNIER, Président de chambre

Benoît PETY, Conseiller

Sophie VEJUX, Conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 17 Février 2011 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Pierre CHARBONNIER, Président et Annie DESBUISSONS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

*****

Exposé du litige, de la procédure et des prétentions des parties :

Par exploits du 14 février 2006, la S.A. CREDIT DU NORD a fait assigner Monsieur et Madame [E] [R]-[W] devant le tribunal de grande instance de BETHUNE en vue d'obtenir la condamnation solidaire de ces défendeurs en leur qualité de cautions solidaires, la banque se disant créancière au titre d'un prêt accordé à la société I.T.P.S. (INDUSTRIE TRAVAUX PUBLICS SERVICES), personne morale placée depuis en redressement puis en liquidation judiciaire.

Les époux [R]-[W] ont fait plaider la nullité du cautionnement et la mise en jeu de la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir d'information.

Par jugement du 15 juillet 2009, le tribunal de grande instance de BETHUNE a notamment :

rejeté la demande aux fins de nullité du cautionnement donné par les époux [R]-[W],

condamné solidairement les intéressés à payer au CREDIT DU NORD la somme de 154.061,34 euros augmentée des intérêts au taux de 8,60 % l'an sur la somme de 82.210,86 euros à compter du 3 mai 2005 et au taux de 6,14 % l'an à compter du 4 mai 2007 sur la somme de 28.736,63 euros,

débouté la banque de sa demande de dommages et intérêts,

débouté les époux défendeurs de leur demande reconventionnelle,

condamné solidairement Monsieur et Madame [R]-[W] à payer à la S.A. CREDIT DU NORD une indemnité de procédure de 1.500 euros,

débouté les parties de toutes autres demandes.

Monsieur [E] [R] a interjeté appel de ce jugement.

* * *

En l'état de ses dernières écritures, il demande à la cour de:

réformer le jugement rendu le 15 juillet 2009 par le tribunal de grande instance de BETHUNE,

déclarer nul le cautionnement accordé le 13 avril 2001 par Monsieur [R] au CREDIT DU NORD pour le prêt souscrit par la société I.T.P.S.,

débouter en conséquence le CREDIT DU NORD de toutes ses demandes,

recevoir le contestant en ses demandes reconventionnelles et condamner la banque sur le fondement des dispositions de l'article 1147 du Code civil à lui payer la somme de 701.265,48 euros,

la condamner en outre à lui verser une indemnité de procédure de 5.000 euros.

Monsieur [R] rappelle dans un premier temps qu'il a créé courant février 2001 avec son épouse la S.A.R.L. I.T.P.S., holding constituée en vue du rachat des parts de la S.A.S. E.T.P.N. en empruntant les fonds nécessaires à l'acquisition des titres et en remboursant les échéances du prêt par le biais des bénéfices dégagés par l'exploitation. Le CREDIT DU NORD, qui tenait les comptes de la société E.T.P.N., a accepté de financer l'opération dans le cadre d'un pool bancaire formé avec le CREDIT AGRICOLE. La cession des titres est survenue courant avril 2001 moyennant le prix de 686.020,58 euros, la société cessionnaire bénéficiant de deux prêts consentis par les deux banques désignées ci-dessus, chacune accordant un concours de 259.163,33 euros se décomposant comme suit :

un prêt en capital de 182.938,82 euros remboursable en sept années,

une ouverture de crédit de 76.224,51 euros pour une durée de cinq ans.

Les époux [R]-[W] ont cautionné les engagements pris par la société I.T.P.S. Ils bénéficiaient au même moment à titre personnel de chacune des deux banques d'un prêt de 45.734,71 euros complétant le financement accordé à I.T.P.S.

Le défendeur à l'action initiale en paiement engagée par le CREDIT DU NORD poursuit en précisant que, par jugement du 20 juin 2002, le tribunal de commerce de LILLE a prononcé la liquidation judiciaire de la société E.T.P.N., celle de la société I.T.P.S. survenant le 19 décembre 2003 selon jugement du tribunal de grande instance de BETHUNE. C'est dans ce contexte que tant le CREDIT AGRICOLE que le CREDIT DU NORD ont mis en demeure les cautions d'avoir à honorer leurs engagements.

Plus spécifiquement sur ses demandes, Monsieur [R] fait valoir que le banquier est tenu d'une obligation particulière d'information au profit de la caution, qu'elle soit profane ou avertie. Cela doit le cas échéant prendre la forme d'une mise en garde quant aux risques de l'opération envisagée. En l'espèce, le CREDIT DU NORD, qui gérait les comptes de la société E.T.P.N., savait pertinemment depuis 1997 que cette personne morale cherchait un repreneur, en vain. Elle ne peut guère plus prétendre que les comptes d'E.T.P.N. fonctionnaient bien et qu'elle appris la réalité de la situation de cette entreprise par l'information du défendeur, le chargé de dossier de la banque ayant demandé dès juin 1999 le retrait d'E.T.P.N. de la procédure ERE (entreprise à risques élevés).

Par ailleurs, le CREDIT DU NORD était, aux dires de Monsieur [R], parfaitement au courant du montage financier qu'elle a notamment préconisé et dont le succès était conditionné à la faculté de faire remonter pendant le remboursement du prêt suffisamment de résultats à la holding pour assurer tant le paiement des échéances que la rémunération des époux [R]-[W] et permettre ainsi à ces derniers de régler les mensualités de l'emprunt immobilier complémentaire.

Monsieur [E] [R] articule essentiellement trois reproches à l'endroit des banques dont le CREDIT DU NORD, à savoir :

le fait de n'avoir pas attiré l'attention des cautions sur les anomalies flagrantes de la convention pour la détermination du prix de cession des parts :

la cession est intervenue en avril 2001 mais la détermination du prix de cession qui être opérée sur la base du bilan clos le 31 décembre 1999 a incorporé une correction tenant compte d'une prétendue augmentation des capitaux propres entre fin décembre 1999 et le 30 septembre 2000, le prix de cession ayant ainsi été arrêté à un montant exagéré au regard des résultats réels de la société E.T.P.N. lors de la cession.

le fait d'avoir négligé la dégradation importante des résultats d'E.T.P.N. durant les mois précédant l'octroi des prêts :

De fait, ces résultats accusaient une importante dégradation à la date du 31 décembre 2000. Pour autant, les établissements bancaires n'ont pas cru utile de réclamer le bilan au 31 décembre 2000 avant d'accorder les prêts sollicités. La comparaison de la situation au 30 septembre avec ce dernier bilan aurait révélé une faible augmentation des capitaux propres. Entre le 30 septembre et le 31 décembre 2000, la société E.T.P.N. n'a pas continué à faire des bénéfices, ce que le pool bancaire ne pouvait ignorer compte tenu des comptes ouverts en leurs livres.

l'irrégularité de la tenue des comptes d'E.T.P.N. :

Le montant des éléments d'actif d'E.T.P.N. ainsi que le chiffre d'affaires net réalisé au cours de l'exercice 1999 commandaient aux instances de cette société de nommer un commissaire aux comptes, ce qui n'a même jamais été inscrit à l'ordre du jour d'une assemblée générale. La première intervention d'un tel commissaire est survenue lors de l'A.G. du 31 janvier 2001 préalablement à la transformation de la société E.T.P.N. en société anonyme simplifiée. De telles irrégularités n'ont pu échapper aux établissements prêteurs de deniers. Le CREDIT DU NORD, qui gérait tous les comptes d'E.T.P.N., se devait d'informer les cautions du risque couru au cours de l'opération projetée. C'est en tant que professionnel rompu aux mécanismes comptables et juridiques des cessions d'entreprise que la banque requérante a sciemment omis d'informer les cautions de l'absence de sincérité des bilans d'E.T.P.N., lesquels justifiaient la désignation d'un commissaire aux comptes. Ce silence d'un prêteur institutionnel constitue un dol viciant le consentement de Monsieur [R] lorsqu'il a donné son cautionnement à l'opération. La faute du CREDIT DU NORD, par la violation de son obligation de conseil et de son devoir d'information et de mise en garde, a conduit à l'octroi inconsidéré du financement pour un montant total de 701.265,48 euros. Il revient donc aujourd'hui à cet établissement prêteur de deniers de payer cette somme à la caution.

* * *

Le CREDIT DU NORD pour sa part, concluant au débouté de Monsieur [R] de son appel, demande à la cour de :

confirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions,

condamner solidairement le défendeur ainsi que Madame [I] [W] épouse [R] à lui payer la somme de 154.061,34 euros avec intérêts au taux de 8,60 % l'an à compter du 3 mai 2005 sur la somme de 82.210,86 euros et au taux de 6,14 % l'an à compter du 4 mai 2007 sur la somme de 28.736,63 euros,

condamner Monsieur [R] au paiement d'une indemnité de procédure de 2.500 euros, ainsi qu'aux entiers frais et dépens d'appel dont distraction au profit de la S.C.P. d'avoués LEVASSEUR-CASTILLE-LEVASSEUR.

La banque requérante rappelle qu'à l'occasion des concours apportés à la société I.T.P.S. pour l'acquisition des 5.000 parts de la société E.T.P.N., Monsieur [E] [R] et son épouse, Madame [I] [W], dont il est actuellement en instance de divorce, se sont engagés à garantir les banques dont le CREDIT DU NORD comme cautions et à concurrence de la somme de 336.912,33 euros comportant le principal, les intérêts, commissions, frais et accessoires en ce comprise l'indemnité de remboursement anticipé dans la limite de 50 % de l'encours du concours global, soit 168.456,16 euros par banque.

Le tribunal de grande instance de BETHUNE a placé le 2 mai 2003 la société I.T.P.S. en redressement judiciaire, procédure collective de paiements convertie en liquidation judiciaire par jugement du 19 décembre 2003. Le CREDIT DU NORD a donc produit sa créance entre les mains de Maître [J], ce mandataire notifiant le 25 août 2005 à la banque un certificat de non-recouvrement possible. Pour autant, le CREDIT DU NORD a reçu du mandataire divers paiements, soit 20.809,28 euros au titre de l'ouverture de crédit et 63.506,19 euros au titre du prêt. Les mises en demeure adressées ensuite aux cautions n'ont été suivies d'aucune proposition de règlement, d'où le recours à justice. Les griefs articulés à son endroit par Monsieur [R] ne peuvent, de l'avis de la banque, que masquer les propres carences et négligences de son adversaire dans le cours de l'opération de rachat des actions d'E.T.P.N.

La banque rappelle en cela que Monsieur [R] n'a jamais été caution de la société E.T.P.N. dont il met en exergue la situation financière catastrophique. Au demeurant, le CREDIT DU NORD énonce qu'il ne détenait sur cette personne morale aucune information que Monsieur [R] pouvait lui-même ignorer, la banque assurant seulement la gestion du compte de cette entreprise, compte dont le fonctionnement était normal. Les relevés de bancaires d'octobre 2000 à avril 2001 ont été communiqués et il n'en résulte aucune information alarmante, le compte restant constamment créditeur à concurrence de sommes importantes. Monsieur [R] a également eu entre les mains les bilans d'E.T.P.N. au même titre que la banque, documents qui n'ont révélé aucune anomalie de sorte qu'il n'y avait pas lieu d'exiger une situation intermédiaire. Le défendeur, gérant de la société I.T.P.S., est un cocontractant averti qui était assisté d'un conseil professionnel lors de l'opération, l'établissement prêteur de deniers n'ayant pas à mettre en doute la véracité des pièces établies par d'autres professionnels, celles-ci ne pouvant être présumées privées de toute sincérité.

Ce n'est que lorsque que Monsieur [R] lui-même a averti le CREDIT DU NORD de la procédure pénale engagée à son initiative que la banque a été informée d'éventuelles difficultés. Ce n'est d'ailleurs, aux dires de la banque, qu'au cours de la présente cause en appel qu'il expose qu'un expert a été désigné pour examiner la comptabilité d'E.T.P.N. et la sincérité des bilans. Pour autant, un non-lieu clôturera le 30 août 2007 l'information judiciaire si bien que l'on ignore à ce jour si les comptes de la société cédante étaient effectivement irréguliers comme cela est prétendu par la caution.

Le CREDIT DU NORD a même été amené à consentir à la société E.T.P.N. après le rachat des parts un prêt de 19.516 euros, ce qu'elle n'aurait certainement pas accordé s'il avait eu connaissance d'une quelconque irrégularité des comptes ou de difficultés financières.

Aucune résistance dolosive ou défaillance quelconque quant à l'exécution du devoir de mise en garde ne peut donc lui être reprochée, la banque n'étant débitrice d'une obligation d'information qu'à l'égard d'une caution profane, ce qui ne saurait être la situation de Monsieur [R]. Quant à la question de l'emprunt souscrit à titre personnel par les époux [R]-[W], il s'agit là d'une opération distincte pour laquelle les emprunteurs s'étaient entourés de l'avis de professionnels et dans lequel il n'appartenait pas au prêteur de deniers de s'immiscer.

Le Crédit du Nord ajoute que les époux [R]-[W] avaient, dès le 5 octobre 2000, signé un protocole d'accord pour acquérir les parts de la société E.T.P.N. Ils s'étaient donc engagés dans l'opération litigieuse bien avant d'entrer en relation d'affaires avec elle. La société I.T.P.S. n'a ouvert un compte en ses livres qu'en janvier 2001 et le prêt n'a été accordé qu'au mois d'avril suivant. C'est dire que le défendeur avait amplement réfléchi à l'opération en question bien avant de saisir la banque d'une demande de concours financier. Aucune imprudence quelconque n'est en toute hypothèse utilement démontrée à son égard.

Si le défendeur fait état de la valorisation d'E.T.P.N. arrêtée en 1997 par le CREDIT DU NORD, ce qui démontrerait qu'il ne la critique pas, la banque pour sa part entend rétorquer qu'il n'est pas acquis qu'elle ait eu connaissance de la dégradation de l'entreprise entre cette estimation et la situation au 1er semestre 2001. Si tel avait été le cas, elle ne se serait pas engagée dans cette opération de rachat, étant précisé qu'elle a accordé sa caution solidaire dans le cadre de la garantie de passif dont bénéficiait la société I.T.P.S., garantie qui n'a pas été actionnée et qui est arrivée à expiration le 31 décembre 2003. Le manque de diligence de Monsieur [R] en sa qualité de gérant de la société I.T.P.S. est ici avéré.

Le CREDIT DU NORD, qui réfute toute responsabilité à l'égard de la caution, rappelle que :

l'obligation générale du banquier ne s'entend qu'à l'égard de la caution profane, Monsieur [R] étant caution dirigeante (son épouse aussi en sa qualité de comptable),

le débiteur principal est la société I.T.P.S. et non la société E.T.P.N. de sorte que la banque ne peut être concernée par les développements de la caution sur les prétendues défaillances du prêteur de deniers,

le compte d'E.T.P.N. géré par la banque a toujours présenté un solde largement créditeur traduisant en outre une augmentation de trésorerie,

la banque n'avait aucune obligation d'effectuer à l'encontre d'E.T.P.N. des recherches d'informations permettant de vérifier si l'opération envisagée était financièrement réalisable, l'établissement requérant n'étant pas juge de l'opportunité d'une opération de crédit,

tout démontre en l'espèce que chaque partie était au moins sur un pied d'égalité quant à l'information sur la situation financière d'E.T.P.N., la société I.T.P.S. et ses dirigeants cautions détenant les moyens de recueillir tous renseignements utiles à ce titre avant de parapher l'acte d'acquisition des parts,

le caractère irréaliste de l'opération n'est pas reproché à la banque.

Le CREDIT DU NORD considère qu'il ne peut sérieusement lui être reproché la détermination du prix de cession des parts E.T.P.N. alors qu'elle n'a pas été partie au compromis de vente sous condition suspensive signé le 5 octobre 2000. La banque n'avait aucune qualité pour fixer ce prix et on ne peut lui reprocher d'avoir accordé un prêt sans avoir sollicité la situation fin de trimestre précédant l'accord du concours. C'est au requérant et à ses conseils qu'il revenait de procéder à certaines vérifications. Le prêt de 4.000.000 francs était déjà fixé dans le compromis au titre de la condition suspensive de sorte que ce montant n'était pas forcément lié à la détermination du prix de cession et à la valorisation des titres. Si le prix de cession a finalement été porté à 4.500.000 francs, c'est de fait la somme de 4.000.000 francs qui a été réglée compte tenu de la déduction des salaires et charges sociales de Monsieur [M].

La dégradation importante des résultats d'E.T.P.N. ne pouvait résulter de la seule gestion d'un compte de cette société par la banque, compte qui est toujours demeuré largement créditeur. Enfin, sur les prétendues irrégularités aux dispositions du Code de commerce et l'absence de désignation d'un commissaire aux comptes au sein d'E.T.P.N., le CREDIT du NORD précise qu'il n'assistait pas aux assemblées générales. En outre, il n'est pas sûr que l'irrégularité des bilans soit acquise dès lors que la procédure pénale engagée à l'initiative de Monsieur [R] n'a pas permis de l'établir.

* * *

Motifs de la décision :

Sur la demande en nullité du cautionnement pour cause de dol :

Attendu qu'il revient à la partie qui allègue un vice du consentement sans lequel elle n'aurait jamais pris un engagement comme caution d'en démontrer la réalité ;

Qu'à ce titre, Monsieur [E] [R] soutient que le CREDIT DU NORD, qui a sollicité sa caution ainsi que celle de son épouse lors de l'octroi du prêt à la société I.T.P.S., a intentionnellement omis de porter à leur connaissance les récentes informations en sa possession ' ou qui auraient dû l'être ' sur la mauvaise santé économique et financière de la société E.T.P.N. dont la précédente personne morale s'apprêtait à acquérir les parts ;

Attendu qu'il est acquis que le CREDIT DU NORD, de concert avec le CREDIT AGRICOLE, a accordé le 14 avril 2001 à la société I.T.P.S. un concours bancaire pour sa part d'un montant de 259.163,33 euros réparti en un prêt de 182.938,82 euros remboursable sur sept ans et pour le surplus en une ouverture de crédit pour cinq années, la banque ayant le même jour obtenu la caution solidaire des époux [R]-[W], chacun à concurrence de 168.456,16 euros comprenant le principal, les intérêt, les commissions, les frais et les accessoires dont l'indemnité de remboursement anticipé ;

Attendu qu'il est constant que, par jugement du 2 mai 2003, le tribunal de grande instance de BETHUNE, statuant en matière commerciale, a ouvert à l'encontre de la société I.T.P.S. une procédure de redressement judiciaire, laquelle a été convertie en liquidation judiciaire par décision de la même juridiction en date du 19 décembre 2003, l'établissement prêteur de deniers ayant aussitôt déclaré sa créance entre les mains du mandataire judiciaire qui notifiait courant août 2005 au créancier l'absence de toute perspective de recouvrement d'une quelconque somme ;

Qu'auparavant, par jugement du 20 juin 2002, la liquidation judiciaire de la société E.T.P.N. avait été prononcée par le tribunal de commerce de LILLE ;

Attendu qu'il n'est guère contesté par Monsieur [R] que la situation de la société I.T.P.S., débiteur principal en l'occurrence, n'est pas vraiment l'objet du débat contrairement à celle de la société E.T.P.N. compte tenu de la spécificité de l'opération envisagée, la S.A.R.L. I.T.P.S. n'ayant été constituée que dans l'unique but de racheter l'intégralité des parts de la précédente, la holding prenant à sa charge exclusive le remboursement des concours bancaires négociés notamment avec le CREDIT DU NORD si bien que l'équilibre de l'opération reposait entièrement sur les dividendes reçus de la société E.T.P.N. et devant permettre le remboursement des prêts, Monsieur [R], en sa qualité de gérant de la S.A.R.L. I.T.P.S., ayant pris le soin de communiquer au CREDIT DU NORD le 16 novembre 2000 et via le cabinet de conseils juridiques JURINORD le schéma de financement de l'opération ;

Qu'il n'a pas été contesté par le défendeur qu'au temps de cette opération, il avait acquis une expérience certaine dans le secteur des travaux publics et qu'il avait à ce titre remis au CREDIT DU NORD un curriculum vitae y faisant expressément référence ;

Qu'il n'a pas non plus été réfuté par l'intéressé que son épouse bénéficiait de connaissances certaines en comptabilité, ce qui a d'ailleurs amené cette dernière à coopérer courant août 2001 avec le Cabinet d'expertises comptables SOREN pour répondre à ses interrogations sur certaines données relatives à la société E.T.P.N. ;

Qu'ainsi, la banque requérante peut à bon droit opposer à Monsieur [R] notamment sa qualité de caution « dûment avertie », ce qui ne l'autorise pas pour autant à se retrancher derrière sa qualité de co-contractant de la seule société I.T.P.S. pour tenter d'échapper à toute critique de la part de la caution dès lors que la banque avait aisément pu se convaincre au vu du schéma de l'opération que la réussite de celle-ci dépendait entièrement de la situation économiquement et financièrement saine de la société E.T.P.N. ;

Qu'à ce titre, il n'est pas discuté que le CREDIT DU NORD tenait en ses livres un compte ouvert au nom de cette personne morale, ce qui lui permettait d'accéder à certaines données, lesquelles révèlaient que le solde de ce compte avait constamment été largement créditeur notamment dans les temps qui ont précédé l'octroi des concours bancaires à la société I.T.P.S. et l'engagements des cautions ;

Que la banque avait obtenu communication des bilans, les derniers recensements remontant à novembre 2000 et l'on ne peut à ce sujet douter de la vigilance de cet établissement dans la collection des données comptables de sa cliente puisque l'absence de communication du bilan clos le 31 décembre 1997 l'avait contrainte à solliciter l'inscription de la société E.T.P.N. en classification E.R.E. (entreprises à risques élevés) ;

Que les recensements ultérieurs lui avaient d'ailleurs suggéré de revenir sur cette inscription en vue de la sortie de cette société de cette classification ;

Que si les diligences de Monsieur [T] [S], expert judiciaire commis dans le cadre de l'information judiciaire ouverte sur la plainte déposée par Monsieur [R], confirment le caractère non sincère de certaines écritures comptables de cette personne morale (l'expert énonce que la situation intermédiaire au 30 septembre 2000 a son résultat net après impôt surévalué d'environ 20 % et ses capitaux propres surévalués d'environ 10%), sans omettre de surcroît le non-respect de la législation sur le droit des sociétés et la nomination du commissaire aux comptes, laquelle est toutefois survenue de manière tardive en 2001, la caution ne peut utilement reprocher à la banque un manque de vigilance dans ses rapports avec la société E.T.P.N. et moins encore son abstention fautive quant à la communication de données qui auraient à ses dires été en sa possession, ce qui n'est pas démontré ;

Qu'en effet, exiger en l'espèce d'un établissement financier initialement chargé de la simple gestion d'un compte bancaire qu'il vérifie la sincérité des comptes et bilans de sa cliente et s'immisce dans son organisation au point d'y relever un manquement grave des organes décisionnels aux dispositions impératives du droit des sociétés est déraisonnable et juridiquement injustifié ;

Qu'on signalera sur ce point, ce que suggère la lecture des conclusions du rapport d'expertise judiciaire visé ci-dessus, que Monsieur [N][O] du Cabinet SECOB, commissaire aux comptes nommé au cours de l'assemblée générale du 31 janvier 2001, n'a pas mentionné en son rapport général sur l'exercice clos au 30 juin 2001 d'irrégularité résultant de l'absence de désignation d'un commissaire aux comptes au cours de l'exercice précédent ni relevé d'anomalie significative dans les comptes annuels, lesquels étaient qualifiés de réguliers, sincères et donnant une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la société à la fin de l'exercice, autant d'affirmations qui seront contestées par Monsieur [S] ;

Qu'en considération de sa qualité de caution dirigeante de la société I.T.P.S., qui plus est doté d'une expérience non contestée dans le domaine du B.T.P. et assisté des conseils d'un cabinet d'avocats spécialisés, Monsieur [E] [R] ne démontre pas en l'état des éléments réunis au dossier que le CREDIT DU NORD lui aurait dissimulé des éléments dont il ne disposait pas déjà lui-même si bien que la rétention d'informations qu'il reproche à cet établissement financier à son endroit n'est pas acquise ;

Qu'en conséquence, en écartant le moyen développé par le défendeur au titre du vice du consentement et de la nullité subséquente du cautionnement souscrit, les premiers juges ont fait une appréciation pertinente des arguments qui leur étaient soumis, leur décision devant sur ce point être confirmée ;

Sur les demandes en paiement de la banque :

Attendu, sur le montant des sommes réclamées par la banque, point sur lequel Monsieur [R] n'a pas explicité de critique précise, que le tribunal de grande instance de BETHUNE a repris les décomptes du CREDIT DU NORD tout en tenant compte des dividendes effectivement versés au créancier par le mandataire judiciaire nonobstant la perspective initiale d'impossibilité de recouvrer la moindre somme dans le cadre de la procédure collective de paiements ;

Qu'en procédant de la sorte, la juridiction du premier degré a correctement arrêté la créance de la banque à l'égard de la caution, dans la limite de ses engagements contractuels, ce qui devra être confirmé ;

Sur la responsabilité de la banque dans cette opération :

Attendu que la mise en jeu de la responsabilité du CRÉDIT DU NORD au titre de l'opération litigieuse impose à Monsieur [R] de justifier d'un comportement fautif de la banque à son égard, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre ces deux premiers éléments ;

Que l'intéressé reproche à ce titre à la banque trois manquements à ses obligations au vu de la détermination erronée du prix dans la convention de cession et du défaut d'alerte relativement à la détérioration de la situation d'E.T.P.N. comme à la tenue irrégulière des comptes de la personne morale ;

Que, sur le premier grief, il résulte des pièces transmises par la caution que la convention de cession de part régularisée en avril 2001 avait été précédée d'un compromis signé le 5 octobre 2000, le prix de base étant arrêté à 3.750.000 francs sur la base de l'exercice clos le 31 décembre 1999, ce prix étant susceptible de corrections en fonction de l'évolution des capitaux propres et sur la base d'une situation intermédiaire arrêtée au 30 septembre 2000, son montant définitif ayant été arrêté à 4.500.000 francs ;

Qu'il doit toutefois être rappelé que le CRÉDIT DU NORD était totalement étranger à la rédaction du compromis, cet établissement n'ayant été avisé du montage en question que courant novembre 2000 ;

Que si la caution énonce que l'augmentation du prix a été indûment justifiée par une prétendue évolution des capitaux propres (ce qui de fait est bien repris par Monsieur [S] en son rapport, page 99: 1.270 KF au 31 décembre 1998, 2.381 KF au 31 décembre 1999 et 3.351 KF au 30 septembre 2000), le caractère non sincère des pièces comptables pour l'exercice clos le 31 décembre 2000 comme cela a déjà été évoqué précédemment ne permet nullement d'en reporter une quelconque part de responsabilité sur l'établissement créancier dont il a été rappelé qu'on ne pouvait exiger de lui qu'il se livre à un examen de la fiabilité des documents comptables remis par E.T.P.N. ;

Que les anomalies dénoncées par la caution au titre de la convention de cession ne sont de fait explicites que depuis le contrôle a posteriori des bilans comptables et l'accomplissement par l'expert judiciaire de ses diligences, encore que les conclusions de ce dernier n'ont aucunement permis de renvoyer les dirigeants de la société cédante devant la juridiction répressive, le magistrat instructeur ayant rendu une ordonnance de non-lieu confirmée en toutes dispositions par la chambre de l'instruction ;

Que cette même circonstance de défaut de sincérité des écritures comptables pour l'exercice clos le 31 décembre 2000 prive de toute pertinence le reproche articulé contre le CREDIT DU NORD au titre du défaut d'exercice de son devoir d'alerte de la caution ;

Qu'en outre, comme cela a déjà été précédemment relevé, la circonstance que des irrégularités aient été commises au sein de la société E.T.P.N. notamment quant à la désignation tardive d'un commissaire aux comptes alors que deux des critères légaux étaient réunis ne saurait relever de la responsabilité du banquier auquel un concours financier a été demandé ;

Que, pour ce qui relève des autres griefs évoqués de manière diffuse par Monsieur [R], la circonstance que l'entreprise E.T.P.N. ait noué avec une société N.T.P. des relations d'affaires dans le cadre de la sous-traitance n'est pas de nature à caractériser un risque insoupçonné par la société cessionnaire de concurrence puisque son gérant, Monsieur [Z], expose à l'expert judiciaire (page 21 du rapport) que ces deux personnes morales n'avaient pas la même clientèle ;

Qu'au surplus, le fait que le CRÉDIT DU NORD ait vainement recherché à partir de 1997 un repreneur pour le compte de la société E.T.P.N. n'autorise pas à conclure de façon automatique que cette entreprise n'avait aucune perspective d'avenir, cette recherche ayant finalement cessé en 1999 ;

Qu'enfin, si les banques ont effectivement accordé aux époux [R]-[W] un prêt complémentaire, la pièce versée par le défendeur aux débats ne mentionne aucunement sur celui émanant du CREDIT DU NORD qu'il s'agissait d'un concours en vue de l'acquisition d'un bien immobilier, la pièce en question (n°11) mentionnant uniquement un « contrat de prêt personnel » de sorte qu'il ne peut en être tiré les conclusions suggérées par l'intéressé sur une prétendue volonté de la banque de détacher ce concours supplémentaire du dossier de financement global soumis à son comité d'engagement ;

Qu'en définitive, aucune faute n'est utilement démontrée contre le CREDIT DU NORD et c'est à raison que les premiers juges ont débouté Monsieur [R] de ce moyen, le jugement devant être confirmé également de ce chef ;

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Attendu que l'issue de la cause justifie que les dépens de première instance aient été mis à la charge exclusive de Monsieur [R], ce qui sera aussi le sort des dépens en cause d'appel ;

Que l'équité commande de fixer en faveur d ela banque une indemnité de procédure de 1.500 € en cause d'appel, celle arrêtée au titre de la procédure de première instance étant confirmée ;

* * *

PAR CES MOTIFS ;

Statuant publiquement et contradictoirement ;

Confirme le jugement querellé en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant, condamne Monsieur [R] à payer à la S.A. CRÉDIT DU NORD une indemnité de procédure de 1.500 (mille cinq cents) euros ;

Condamne Monsieur [E] [R] aux dépens d'appel dont distraction au profit de la S.C.P. d'avoués LEVASSEUR-CASTILLE-LEVASSEUR.

LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,

A. DESBUISSONSP. CHARBONNIER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 8 section 1
Numéro d'arrêt : 10/02202
Date de la décision : 17/02/2011

Références :

Cour d'appel de Douai 81, arrêt n°10/02202 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2011-02-17;10.02202 ?
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