COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 7 SECTION 2
ARRÊT DU 16/ 12/ 2010
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No MINUTE : No RG : 10/ 00943 Ordonnance (No 08/ 90) rendue le 02 Février 2010 par le Juge aux affaires familiales de DUNKERQUE
REF : CA/ IM
APPELANTE
Madame Mireille Marie-Paul Emilienne Y... épouse Z... née le 13 Août 1954 à DUNKERQUE (59140) demeurant ... 59240 DUNKERQUE
représentée par la SELARL ERIC LAFORCE, avoués à la Cour assistée de Me REY-QUESNEL, avocat au barreau de DUNKERQUE
INTIMÉ
Monsieur Hervé Raymond Marc Cornil Z... né le 04 Novembre 1956 à ESQUELBECQ (59470) demeurant ...
représenté par la SCP THERY-LAURENT, avoués à la Cour assisté de Me Dominique VANBATTEN, avocat au barreau de DUNKERQUE
DÉBATS à l'audience en chambre du Conseil du 04 Novembre 2010, tenue par Cécile ANDRE magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile). Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Christine COMMANS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ Patrick BIROLLEAU, Président de chambre Hervé ANSSENS, Conseiller Cécile ANDRE, Conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé en Chambre du Conseil, par mise à disposition au greffe le 16 Décembre 2010, (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Patrick BIROLLEAU, Président et Christine COMMANS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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Monsieur Hervé Z... et Madame Mireille Y... se sont mariés le 25 février 1995 à ESQUELBECQ sous le régime de la séparation de biens. Aucun enfant n ' est issu de cette union.
Statuant sur la requête en divorce présenté par l ' époux le 10 janvier 2008, le Juge aux affaires familiales du Tribunal de Grande Instance de DUNKERQUE, par ordonnance de non conciliation du 13 mars 2008, a :
- attribué à l ' époux la jouissance du domicile conjugal, qui lui est un bien propre ;
- condamné Monsieur Z... à verser à son épouse une pension alimentaire mensuelle de 1. 800 Euros en exécution de son devoir de secours ;
- attribué la jouissance du véhicule Peugeot 207 à l ' épouse ;
- accordé à l ' épouse une provision pour frais d ' instance de 1. 500 Euros.
Par acte du 1er avril 2008, Monsieur Z... a fait assigner son épouse en divorce sur le fondement de l ' article 242 du Code civil.
Madame Y... a saisi le Juge de la Mise en Etat de conclusions d ' incident tendant à la désignation d ' un expert en matière comptable et financière, pour analyser la situation patrimoniale de l ' époux antérieurement au mariage et au jour du dépôt de la requête en divorce.
Monsieur Z... a conclu au rejet de cette prétention et reconventionnellement, a demandé la réduction de la pension alimentaire au titre du devoir de secours à la somme mensuelle de 750 Euros, à compter du 16 juin 2009, date de la saisine du Juge de la Mise en Etat.
Par ordonnance du 2 février 2010, le Juge de la Mise en Etat a rejeté la demande d ' expertise, ramené la pension alimentaire mise à la charge de l ' époux à la somme mensuelle de 1. 300 Euros par mois à compter du mois de janvier 2010 inclus et laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens d ' incident.
Madame Y... a formé appel de cette ordonnance le 10 février 2010 et par ses dernières conclusions signifiées le 3 novembre 2010, elle demande à la Cour, par réformation, de :
- fixer la pension alimentaire due au titre du devoir de secours à la somme mensuelle de 1. 800 Euros ;
- ordonner une mesure d ' expertise comptable et financière qui déterminera la situation patrimoniale des époux antérieurement au mariage et la situation patrimoniale de chacun d ' eux au jour du dépôt de la requête en divorce.
Elle sollicite la condamnation de Monsieur Z... aux dépens et à une indemnité de 2. 000 Euros au titre de l ' article 700 du Code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes, elle fait valoir que :
- lorsque les époux se sont mariés, Monsieur Z... exploitait un magasin de meubles qu ' il tenait de son père et avait deux salariés ; Madame Y... a travaillé de façon acharnée dans cette entreprise, comme conjoint collaborateur, sans salaire, et grâce aux fruits de son travail a fait prospérer ce commerce, qui au jour du dépôt de la requête en divorce comptait plus de dix salariés ;
- l ' accroissement du patrimoine de Monsieur Z... durant le mariage a été considérable, en particulier sur le plan immobilier, et ses revenus professionnels lui ont permis d ' acheter en 2007 deux véhicules automobiles luxueux ; les ressources déclarées du mari, même d ' environ 10. 000 Euros par mois, ne permettent pas d ' expliquer à elles-seules les acquisitions immobilières et améliorations apportées à l ' entreprise ;
- l ' expertise comptable des patrimoines de chacun des époux est indispensable pour apprécier les demandes de prestation compensatoire et de dommages et intérêts pour enrichissement sans cause qu ' elle a formées dans le cadre de l ' instance en divorce ;
- les revenus de Monsieur Z..., depuis le dépôt de la requête, ont baissé de façon vertigineuse mais la masse salariale de l ' entreprise et les achats ont progressé ; son train de vie ne s ' est pas modifié ; il existe un faisceau d ' indices démontrant la dissimulation de sa situation financière réelle.
Aux termes de ses conclusions signifiées le 27 octobre 2010, Monsieur Z..., formant appel incident, demande à la Cour de ramener à la somme mensuelle de 750 Euros la pension alimentaire mise à sa charge en exécution de son devoir de secours, à compter du 16 juin 2009, et de confirmer l ' ordonnance entreprise en ce qu ' elle a rejeté la demande d ' expertise comptable.
Il conteste toute volonté de dissimulation de l ' activité de son entreprise, régulièrement déclarée selon les règles comptables et fiscales en vigueur, et soutient que l ' évolution de celle-ci était tout-à-fait favorable avant qu ' il ne rencontre Madame Y....
Il affirme que la croissance de l ' entreprise est le fruit de son travail et des investissements réalisés grâce à de nombreux prêts bancaires, et rappelle que si son épouse participait certes à cette activité, elle se consacrait également à des tâches ménagères.
Il rappelle qu ' il a réglé le passif fiscal de son épouse au moment du mariage et qu ' il n ' est pas démontré que son investissement personnel ait excédé l ' obligation de contribuer aux charges du mariage.
Il estime que l ' expertise est inutile dès lors que les bilans seront communiqués aux débats et qu ' elle n ' a pas pour vocation de pallier la carence des parties en matière de preuve.
Enfin, il rappelle que son revenu mensuel ne cesse de chuter et que cette situation justifie une baisse importante de la pension alimentaire au titre du devoir de secours.
SUR CE :
Attendu que l ' ordonnance de non conciliation du 13 mars 2008 a mis à la charge du mari une pension alimentaire au titre du devoir de secours d ' un montant mensuel de 1. 800 Euros ; que le magistrat conciliateur retenait pour Monsieur Z... des revenus mensuels de 8. 433 Euros ; que s ' agissant de Madame Y..., il était mentionné qu ' elle était conjoint collaborateur, sans salaire, et qu ' il convenait de prévoir pour elle un loyer au titre de ses charges ;
Attendu que Monsieur Z... exploite depuis de nombreuses années un commerce de fabrication et de vente de meubles ;
Qu ' il produit aux débats les documents comptables et fiscaux de son activité pour l ' exercice 2008, s ' achevant au 30 juin 2008 ; que le résultat net comptable est de 54. 835 Euros alors qu ' il était de 137. 306 Euros pour l ' exercice 2007 (le revenu imposable déclaré était alors de 116. 802 Euros) ; que si l ' intimé n ' apporte pas d ' explication particulière à une diminution aussi importante du résultat, il convient seulement d ' observer que le chiffre d ' affaires net est passé de 1. 516. 800 Euros à 1. 405. 006 Euros, tandis que les charges ont diminué dans des proportions moindres, de 1. 441. 404 à 1. 369. 667 Euros ;
Attendu que pour l ' exercice 2009, ce chiffre d ' affaire a encore diminué et s ' établit à 1. 389. 761 Euros, tandis que les charges ont augmenté à 1. 381. 118 Euros ; que le résultat net comptable n ' est plus que de 19. 920 Euros ; qu ' il est constant que l ' intimé, seul décideur de son entreprise, est en mesure d ' agir en partie sur le poids des charges ; qu ' il aurait été opportun qu ' il apporte des précisions sur les raisons de l ' accroissement de celles-ci ;
Attendu qu ' il démontre avoir déclaré au titre de ses revenus 2009 des sommes imposables de 31. 462 Euros ; qu ' il déclare également un déficit de revenus fonciers de 2. 098 Euros mais ne s ' explique pas davantage sur les loyers qu ' il percevrait et les charges afférentes à ces biens immobiliers ;
Attendu qu ' il démontre verser un impôt sur le revenu de 1. 690 Euros en 2009 mais ne plus être soumis à l ' impôt sur le revenu pour 2010 ;
Attendu qu ' il bénéficie de la jouissance du domicile conjugal, s ' agissant d ' un immeuble qui lui est propre, situé au-dessus du commerce qu ' il exploite ; qu ' il ne verse aucune pièce relativement à ses charges ;
Attendu qu ' à l ' exception d ' un véhicule Toyota, il n ' apparaît pas que Monsieur Z... soit encore propriétaire de véhicules coûteux ; que le train de vie des époux, plusieurs années avant la séparation, est sans intérêt au regard du présent litige ; que les témoignages se contentant de faire état de propos tenus par l ' épouse, au sujet du patrimoine de son mari, ne peuvent faire preuve de quelque fait que ce soit ;
Attendu qu ' il n ' est pas établi au vu de ses avis d ' imposition qu ' il disposerait d ' un patrimoine mobilier de nature à lui procurer des revenus réguliers ; que s'il verse aux débats l ' acte de vente d ' un immeuble sis à TETEGHEM lui appartenant en propre, en août 2008, au prix de 225. 000 Euros, il n'est pas démontré que ces fonds génèrent des intérêts dont il aurait la jouissance ; qu ' en tout état de cause, il n ' y a pas lieu de tenir compte de la valeur de son patrimoine, dès lors qu ' il ne produit pas de revenus, pour évaluer le montant de la pension alimentaire au titre du devoir de secours ;
Attendu que Madame Y... qui commente abondamment les pièces comptables produites par l ' intimé ne communique pas la moindre pièce relative à ses ressources, ni avis d ' imposition, ni relevé de la Caisse d ' Allocations Familiales, ni justificatif de Pôle Emploi ;
Qu ' elle reste muette sur ses revenus actuels, ce que relevait déjà le premier juge ;
Attendu qu ' il n ' est pas contestable, au vu des attestations produites par l ' intimé lui-même, que son épouse assurait très régulièrement les fonctions d ' accueil et de vente au magasin, voire d ' entretien, ce que son relevé de carrière établi par le RSI confirme ; que son éventuelle absence de rémunération pendant ces années sera le cas échéant prise en compte dans le cadre d ' une demande de prestation compensatoire ou de dommages et intérêts sur le fondement de l ' enrichissement sans cause, mais est sans lien avec sa demande au titre du devoir de secours ;
Attendu qu ' elle démontre s ' acquitter d ' un loyer résiduel de 161 Euros-la quittance démontrant qu ' elle perçoit l ' allocation de logement-et d ' une taxe d ' habitation de 526 Euros pour 2009 ; qu ' elle doit naturellement s ' acquitter de toutes les charges habituelles de la vie quotidienne (eau, électricité, assurances, téléphone...) ;
Attendu que si les explications de Monsieur Z... quant à la forte baisse du résultat de son activité, concomitante à la séparation, demeurent très insuffisantes, il n ' en reste pas moins que ses revenus professionnels ont de fait diminué ;
Que de surcroît, la Cour, en l ' absence de tout élément sur les revenus de l ' appelante, ne saurait maintenir à un niveau de l'importance de celui fixé par le magistrat conciliateur la pension alimentaire mise à la charge de l ' époux ;
Attendu qu ' en conséquence, la Cour estime qu ' il convient de réduire à la somme de 1. 000 Euros par mois la pension alimentaire au titre du devoir de secours, à compter de la décision entreprise ;
Attendu que l ' ordonnance entreprise sera réformée en ce sens ;
Sur la demande d'expertise
Attendu que l'appelante sollicite sur le fondement de l'article 255- 9o et 10o du Code civil la désignation d'un expert-comptable pour apprécier les patrimoines des époux, avant le mariage et postérieurement à l'ordonnance de non conciliation, ainsi que la croissance de la situation financière de l'époux depuis le mariage et l'industrie développée par elle-même dans son commerce ;
Qu'elle justifie sa demande par les prétentions qu'elle forme dans le cadre de l'instance en divorce, précisément une prestation compensatoire et des dommages et intérêts au titre de l'enrichissement sans cause ;
Attendu que Monsieur Z... est tenu de produire les justificatifs de ses ressources et charges, et de justifier de son patrimoine dans le cadre de la demande de prestation compensatoire ; qu'il n'apparaît nullement qu'il se soit opposé à fournir des pièces quelconques relatives à la situation de son entreprise, qu'il communique d'ailleurs en partie pour les besoins du présent incident ; que dans le cas contraire, il en serait tiré toutes les conséquences ;
Attendu qu'il ne ressort pas davantage des pièces versées aux débats que Monsieur Z... tenterait de dissimuler une partie de son patrimoine ; qu'il convient une fois de plus de rappeler que l'appréciation du devoir de secours ne requiert que la justification de ses revenus et charges, et non de l'intégralité de son patrimoine ;
Attendu que dans ces conditions, une expertise-comptable n'apparaît pas utile à l'appréciation de l'activité déployée par l'épouse dans le cadre de l'entreprise de son mari, d'un enrichissement sans cause dont aurait bénéficié l'époux, ou encore d'une disparité dans les conditions de vie respectives de chacun ;
Attendu enfin que le premier juge a exactement rappelé que l'expertise ne pouvait être ordonnée dans le but de pallier la carence des parties en matière de preuve ;
Attendu qu'il convient de débouter l'appelante de sa demande en ce sens, ainsi que l'a justement apprécié l'ordonnance entreprise ;
Sur les dépens
Attendu que chaque partie conservera la charge de ses dépens engagés en cause d'appel, la décision déférée étant confirmée du chef des dépens de première instance ;
Attendu qu'il y a lieu de débouter Madame Y... de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
Confirme l'ordonnance entreprise en ses dispositions rejetant la demande d'expertise-comptable formée par Madame Mireille Y... ;
La réforme quant à la pension alimentaire au titre du devoir de secours ;
Condamne Monsieur Hervé Z... à verser à Madame Mireille Y... la somme mensuelle de 1. 000 Euros en exécution de son devoir de secours, et ce à compter de l'ordonnance entreprise ;
Dit que cette pension alimentaire sera indexée sur l'indice national des prix à la consommation des ménages urbains, série France entière, publié par l'INSEE et révisée chaque année en fonction de la variation de cet indice à la date anniversaire de la décision entreprise ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens d'incident engagés en première instance et en cause d'appel.
Le Greffier, Le Président,
Christine COMMANS Patrick BIROLLEAU