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18/11/2010 | FRANCE | N°09/03534

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 1, 18 novembre 2010, 09/03534


COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 2 SECTION 1



ARRÊT DU 18/11/2010



***



N° de MINUTE :

N° RG : 09/03534



Jugement (N° 09/61)

rendu le 16 avril 2009

par le Tribunal de Commerce de LILLE



REF : CP/CP



APPELANTE



S.A.S. ETABLISSEMENTS [T] agissant poursuites et diligences de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 2]



Représentée par la SCP DELEFORGE FRANCHI, avoués à la Cour

Assistée de Me Eric DELFLY, avocat au

barreau de LILLE



INTIMÉE



S.A.S. BOVIS FLANDRES ARTOIS prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège social [Adresse 1]



Représentée par Me QUIGNON, avoué à la Cour

Ass...

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 1

ARRÊT DU 18/11/2010

***

N° de MINUTE :

N° RG : 09/03534

Jugement (N° 09/61)

rendu le 16 avril 2009

par le Tribunal de Commerce de LILLE

REF : CP/CP

APPELANTE

S.A.S. ETABLISSEMENTS [T] agissant poursuites et diligences de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 2]

Représentée par la SCP DELEFORGE FRANCHI, avoués à la Cour

Assistée de Me Eric DELFLY, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE

S.A.S. BOVIS FLANDRES ARTOIS prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège social [Adresse 1]

Représentée par Me QUIGNON, avoué à la Cour

Assistée de Me Philippe TACK, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Christine PARENTY, Président de chambre

Jean Michel DELENEUVILLE, Conseiller

Dominique CAGNARD, Conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Véronique DESMET

DÉBATS à l'audience publique du 23 septembre 2010 après rapport oral de l'affaire par Christine PARENTY

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 18 novembre 2010 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Christine PARENTY, Président, et Véronique DESMET, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 16 septembre 2010

***

Vu le jugement contradictoire du 16 avril 2009 du tribunal de commerce de Lille ayant dit qu'il n'y avait pas aveu judiciaire de la part de la société BOVIS FLANDRES ARTOIS ni concurrence déloyale de sa part, ayant débouté la société ETABLISSEMENTS [T] de toutes ses demandes, ayant débouté la société BOVIS FLANDRES ARTOIS de sa demande reconventionnelle.

Vu l'appel interjeté le 14 mai 2009 par la société ETABLISSEMENTS [T] ;

Vu les conclusions déposées le 7 septembre 2010 pour la société BOVIS FLANDRES ARTOIS ;

Vu les conclusions déposées le 9 septembre 2010 pour la société ETABLISSEMENTS [T] ;

Vu l'ordonnance de clôture du 16 septembre 2010 ;

La société ETABLISSEMENTS [T] a interjeté appel aux fins d'infirmation du jugement ; elle demande à la Cour de dire et juger que la société BOVIS FLANDRES ARTOIS s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale, de la condamner à lui payer 724000€ à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel subi, 100000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral subi, d'ordonner la cessation, sous astreinte de 5000€ par agissement constaté, de tous agissements constitutifs de concurrence déloyale, de condamner l'intimée à lui payer 50000€ de dommages et intérêts pour résistance abusive, d'ordonner la publication de la décision, de débouter la société BOVIS FLANDRES ARTOIS, de la condamner à 20000 € sur la base de l'article 700 du code de procédure civile et à tous les frais y compris d'huissier et d'expertise.

L'intimée sollicite la confirmation sauf à condamner la société ETABLISSEMENTS [T] au paiement d'une indemnité de 50000€ sur le fondement de l'article 1382 du code civil et 32-1 du code de procédure civile ; elle réclame 20000 € sur la base de l'article 700 du code de procédure civile et sa condamnation à tous les frais et dépens.

La société ETABLISSEMENTS [T] exploite une activité de livraison et d'installation de matériels électroniques, coffres forts, machines outils, matériels d'imprimerie et plus généralement réalise des prestations de transfert d'usines ou de bureaux ; ses titres ont été cédés le 31 mars 2005 à une société HOLDING B FINANCES.

Elle se plaint de ce que depuis le mois de mai 2007, elle est confrontée à une succession de démissions de salariés, suivie d'embauches massives par une société concurrente, la société BOVIS FLANDRES ARTOIS, créée le 4 juin 2007 ; elle fait état de plusieurs départs de salariés, chez elle depuis très longtemps, qui ont été embauchés par l'intimée et de la captation de sa clientèle par elle.

Elle estime que l'embauchage de ses anciens salariés par la société BOVIS FLANDRES ARTOIS est fautif car leur départ et leur embauche simultanés se sont fait de manière MASSIVE, que l'identité des lettres de démission suivie de leur réemploi par le même employeur caractérise la déloyauté, que ce départ massif est entouré d'autres circonstances qui attestent de la mise en place d'un projet commun puisque la société BOVIS FLANDRES ARTOIS dispose de nombreuses informations du fichier clientèle, que toutes ces embauches se sont faites moyennant des rémunérations plus élevées, que ce débauchage a permis à la société BOVIS FLANDRES ARTOIS d'exploiter les connaissances acquises par les salariés lors de leur emploi précédent et de permettre le démarrage de son activité qui n'a été possible que grâce à çà puisque l'intégralité du personnel de la société BOVIS FLANDRES ARTOIS provient des ETABLISSEMENTS [T], ce que souligne le rapport d'expertise de Madame [Z]. Elle ajoute que ces départs ont désorganisé son département manutention et qu'elle a été incapable de se positionner sur certains chantiers.

Elle précise que ces départs sont massifs mais surtout organisés autour d'un projet commun mis en place par Monsieur [M], chef de file dans la succession des démissions et la société BOVIS, que même si elle a été incapable d'obtenir copies des factures et devis emportés par Monsieur [M] du fait de son attitude et de l'attitude de la société BOVIS FLANDRES ARTOIS qui a fait obstruction aux opérations des huissiers, l'expertise a souligné une totale similitude dans la rédaction des devis, des commentaires sur les devis, le fait que des devis signés par Monsieur [M] pour le compte des ETABLISSEMENTS [T] ont été réalisés par la société BOVIS FLANDRES ARTOIS avec les mêmes clients, l'intervention de Monsieur [M] dans les actes reprochés étant avérée.

Elle indique rapporter la preuve que Monsieur [M] a gardé contact avec Madame [G], sa chef comptable, pour échanger des informations relatives à son personnel, sa comptabilité, sa clientèle, ses affaires judiciaires, que ces échanges par messageries démontrent la tentative de Monsieur [M] de manipuler l'équipe dirigeante de la société ETABLISSEMENTS [T], son intention de nuire et d'alimenter la société BOVIS FLANDRES ARTOIS en informations. Elle repousse les arguments de la société BOVIS FLANDRES ARTOIS développés au dernier moment selon lesquels : M. [M] était propriétaire de l'ordinateur portable, objet du constat, ce dont elle n'apporte pas la preuve : la messagerie aurait continué à fonctionner sans qu'il le sache tandis qu'elle reconnaît par ailleurs que ce dernier a envoyé de faux messages : elle aurait outrepassé l'esprit de l'ordonnance l'autorisant à examiner les messageries de M. [M] et de Mme [G] alors qu'elle s'y est conformée.

Elle repousse les arguments de la société BOVIS FLANDRES ARTOIS, affirmant avoir eu jusqu'en 2007 une gestion parfaitement saine, rappelant que les observations de son adversaire sur sa politique sociale sont inopérantes et hors débat puisque c'est le départ massif qui est en jeu ; elle critique le bien fondé des attestations versées par lui.

En ce qui concerne le détournement de clientèle, elle plaide l'usage de procédés déloyaux résidant dans la prospection systématique de l'entreprise rivale, l'utilisation par un salarié du fichier clientèle de son ancien employeur, le dénigrement, faits avérés grâce à l'expertise dans le cadre de laquelle la société BOVIS FLANDRES ARTOIS a validé le tableau des clients communs.

Elle indique qu'elle a un préjudice qui s'infère nécessairement des actes déloyaux contestés, que la faute réside dans la déloyauté de la société BOVIS FLANDRES ARTOIS qui a fait un aveu judiciaire pendant l'expertise en proposant une conciliation et en acceptant sa responsabilité dans la perte de clientèle de la société ETABLISSEMENTS [T], que son préjudice est représenté par une baisse de chiffre d'affaire en 2007 dans le secteur manutention à rapprocher de celui dégagé par la société BOVIS FLANDRES ARTOIS dans le même temps auprès des clients détournés, justement évalué par l'expertise à 724 K€ qu'elle sollicite.

Elle souligne la mauvaise foi de son adversaire qui a retardé la solution du litige tout en admettant sa responsabilité lors de l'expertise.

La société intimée réplique tout d'abord sur l'aveu judiciaire en rappelant qu'il ne peut avoir lieu devant un expert qui de surcroît a confondu absence de contestation et aveu et dont les méthodes sont contestables ; puis elle conteste s'être jamais livrée à une quelconque manoeuvre pour débaucher le personnel des ETABLISSEMENTS [T]. Elle précise qu'une nouvelle politique sociale a été mise en place en mars 2005 par la nouvelle direction de la société ETABLISSEMENTS [T] qui a voulu décapiter l'encadrement du groupe et a mené une politique conduisant au départ volontaire ou non volontaire de 22 salariés sur 50 en 18 mois. Elle relate qu'en définitive c'est six salariés qui sont venus chez elle qui n'étaient liés par aucune clause de non concurrence et qu'elle n'a pas démarchés ; elle affirme que l'embauche de ces six salariés parmi lesquels ne figure aucun cadre n'a pu désorganiser la société ETABLISSEMENTS [T] laquelle n'apporte aucune preuve de cette prétendue désorganisation, que l'expert n'a pas conclu au débauchage, que les trois conditions cumulatives imposées par la Cour de cassation pour caractériser un débauchage fautif manquent puisque les dits salariés ont rempli toutes leurs obligations envers la société ETABLISSEMENTS [T], n'ont pas été embauchés suite à des offres de salaires anormalement élevées, et que leur départ ne peut être qualifié de massif. Elle demande d'écarter les constats de mai 2010 faits sur un ordinateur qui appartenait personnellement à Monsieur [M], qui a envoyé de faux messages sur son ancienne messagerie professionnelle car il savait que la société ETABLISSEMENTS [T] l'utilisait, qu'il n'en ressort aucune manoeuvre de déstabilisation.

Elle fait valoir que la société ETABLISSEMENTS [T] n'apporte aucun élément justificatif d'un soit disant dénigrement, que le seul fait qu'il ait pu y avoir un déplacement de clientèle ne suffit pas puisqu'elle n'a fait aucune manoeuvre de démarchage, que la baisse du chiffre d'affaires réside dans le fait que certaines sociétés déjà clientes du groupe BOVIS FLANDRES ARTOIS ont su qu'il ouvrait une agence dans le Nord, que la société ETABLISSEMENTS [T] assurait mal son suivi, que son chiffre d'affaires est en réalité en hausse sur les années considérées par sa tendance déjà amorcée à se détacher du secteur manutention pour se concentrer sur le déménagement. Elle ajoute que depuis plusieurs mois, la société ETABLISSEMENTS [T] multipliait les devis trop élevés et mécontentait sa clientèle par ses refus d'appel d'offres répétés et ses transports bâclés, comme en attestent les clients et les tableaux récapitulatifs, que les clients dits communs étaient en fait des clients existants ou potentiels, qu'elle n'a jamais démarchés. Elle en conclut que la société ETABLISSEMENTS [T] n'apporte pas la preuve du lien entre sa perte de chiffre d'affaires et la création de la société BOVIS FLANDRES ARTOIS, qu'au contraire, il est démontré que cette baisse n'est due qu'aux propres insuffisances des ETABLISSEMENTS [T], au courant d'affaires existant déjà entre le groupe BOVIS FLANDRES ARTOIS et certains clients et la loi du marché, que le préjudice plaidé par l'appelante n'est nullement établi ; elle conteste l'évaluation qui en a été faite par l'expert qui a commis de nombreuses erreurs en occultant des éléments de calcul, en évaluant le fonds de commerce des ETABLISSEMENTS [T] à partir du résultat de BOVIS FLANDRES ARTOIS. Elle estime l'action abusive et génératrice de dommages et intérêts.

SUR CE

En observation liminaire, la Cour écartera la notion d'aveu judiciaire invoquée par la société ETABLISSEMENTS [T] qui prend appui sur des déclarations qui le constitueraient faites par son adversaire devant l'expert ; il sera rappelé que l'aveu judiciaire tire sa force de ce qu'il est recueilli par le juge. En outre, il ne peut être issu d'une absence de contestation. La Cour dit qu'il n'y a pas eu aveu judiciaire.

Sur les agissements constitutifs de concurrence déloyale

Sur le débauchage du personnel

Il résulte des pièces versées aux débats que de mai à juillet 2007, 6 salariés ont quitté la société ETABLISSEMENTS [T] pour être embauchés pratiquement aussitôt par la société BOVIS FLANDRES ARTOIS, créé le 4 juin 2007, faisant partie du groupe BOVIS, réunissant 600 personnes et 21 agences. Parmi ces salariés figuraient 2 chauffeurs, un manutentionnaire, deux chefs d'équipe et une assistante commerciale ; sauf pour Monsieur [P] et pour Monsieur [M], qui ont bénéficié d'un avantage en termes de poste et de salaires, les autres salariés ont été embauchés à un salaire similaire ou presque. Il est indéniable que ces six salariés ont constitué l'intégralité du personnel de la nouvelle société BOVIS.

Pour autant, au vu du principe de la liberté du travail, d'autres conditions doivent être présentes pour que soit caractérisé un débauchage fautif.

L'existence d'une mauvaise ambiance au sein de la société ETABLISSEMENTS [T] depuis le changement de direction a été relevée par l'expert ; elle est confortée par le fait que d'autres départs de salariés ont eu lieu en dehors de ceux qui ont rejoint la société BOVIS FLANDRES ARTOIS.

La jurisprudence retient comme fautif le recrutement massif de personnel dont le débauchage a été organisé. Or la preuve d'un démarchage effectué par BOVIS FLANDRES ARTOIS n'est pas ici rapportée. On ne trouve pas de trace d'une quelconque organisation autour du changement d'employeur de ces six salariés : les lettres de démission, pour aussi simultanées qu'elles soient, sont dans leur rédaction parfaitement classiques et on ne peut parler d'identité commune ; les rémunérations obtenues ne sont pas toutes plus importantes ou dans le cas où elles le sont, cela est justifié par l'occupation d'un poste supérieur. Par ailleurs, les salariés avaient rempli leurs obligations et n'étaient limités par aucune disposition contractuelle faisant échec à leur emploi dans une société concurrente. Aucune manoeuvre positive d'approche des salariés n'a été mise en lumière. Au contraire, ils affirment qu'ils ont fait un choix spontané en raison de la mauvaise ambiance rejaillissant sur leurs perspectives personnelles.

Reste la question de savoir si leur départ était susceptible de désorganiser le fonctionnement de l'entreprise concurrente. À cet égard, il convient de s'interroger sur le point de savoir s'il a déstabilisé la société ETABLISSEMENTS [T]. Tout d'abord, la Cour remarque que les 6 salariés en question n'avaient pas une forte qualification professionnelle, que s'agissant de la baisse du chiffre d'affaires dans le département manutention de la société ETABLISSEMENTS [T], elle était déjà amorcée et que le chiffre d'affaires global n'ayant pas été atteint, il n'est pas hâtif d'en déduire que la société ETABLISSEMENTS [T] avait fait d'autres choix commerciaux, qu'il faudrait démontrer que la société ETABLISSEMENTS [T] a été décapitée, et mise dans l'impossibilité de faire face à ses commandes. Le dossier ne le démontre pas. En l'absence de manoeuvre déloyale, la seule circonstance que certains clients aient suivi le salarié avec lequel ils étaient en contact dans l'ancienne société dans la nouvelle ne caractérise pas à elle seule cette désorganisation. En bref reste plausible l'hypothèse qu'ils aient été découragés en même temps par le climat social et aient préféré de leur chef changer d'employeur. En outre, la preuve n'a pas été rapportée que Monsieur [M] aurait quitté l'entreprise ETABLISSEMENTS [T] avec des documents.

La société ETABLISSEMENTS [T] croit voir dans la similitude entre les documents émis par les deux sociétés la preuve que Monsieur [M] était le chef de file d'un projet construit dès l'origine mais encore faut-il que cette similitude sorte de la banalité, qu'elle corresponde à un système qui fasse appel à une originalité issue d'autres sources que la simple réminiscence des salariés. Tel n'est pas le cas, même si l'expert parle 'de similitude frappante des commentaires' sur les devis, que l'activité commune justifiait.

Elle en veut pour preuve également ce qu'elle appelle les manoeuvres de déstabilisations pratiquées par Monsieur [M], dans ses échanges avec une salariée de la société ETABLISSEMENTS [T] avec laquelle il est resté en liens. Il apparaît que Monsieur [M] ayant réalisé que son ancien employeur ouvrait les messages d'une ancienne adresse mail a tenté par ce biais d'y mettre 'des fausses nouvelles'. Si le ton employé n'est guère bienveillant à l'égard des dirigeants de la société ETABLISSEMENTS [T], force est de constater que les termes correspondent davantage à une vengeance personnelle plutôt qu'à des échanges d'informations sensibles, des manoeuvres de déstabilisation ou une véritable intention de nuire puisque ces conversations sont censées ne pas être partagées avec des tiers et ne reflète qu'une guerre intestine sans choix réel de stratégie. De surcroît, la preuve est apportée à la Cour que l'ordinateur, objet du constat, appartient à Monsieur [M]. Dès lors, la Cour n'est guère convaincue du rôle prépondérant joué par Monsieur [M] ni de la théorie du complot ourdi pour déstabiliser la société ETABLISSEMENTS [T].

Dans ces conditions, la Cour confirme que l'embauche des salariés de la société ETABLISSEMENTS [T] par BOVIS FLANDRES ARTOIS n'est pas un acte de concurrence déloyale.

Sur le détournement de clientèle

Comme il a été dit plus haut le seul fait pour un salarié d'avoir entraîné un déplacement de clientèle vers le nouvel employeur ne constitue pas à lui seul un acte de concurrence déloyale ; même le démarchage est licite et il est nécessaire de démontrer qu'ont été employés des procédés déloyaux, des manoeuvres de captation du ou des clients.

Au cas d'espèce, ne sont pas démontrées les manoeuvres en question. La société nouvellement créée fait partie d'un groupe existant déjà dans le Nord, et déjà présent auprès d'un certain nombre de clients, comme le conseil de la société BOVIS FLANDRES ARTOIS en apporte la preuve ; si des clients en commun ont existé, il n'est pas établi que le contact aurait été pris grâce à un détournement de fichier dont la société ETABLISSEMENTS [T] a accusé Monsieur [M], son ancien salarié, sans réussir à en faire la preuve. Au delà, la perte de chiffre d'affaires de la société ETABLISSEMENTS [T] en secteur manutention en 2007 ne résulte pas uniquement du prétendu détournement, si détournement il y a, et là se pose à la juridiction le problème du lien avec les agissements prétendus.

Il résulte de l'analyse des comptes de la société ETABLISSEMENTS [T] que son chiffre d'affaires global sur 2007 est en hausse, comme sa rentabilité et sa trésorerie, l'expert retenant ces éléments comme traducteurs d'une situation financière SAINE ; il est aisé pour l'adversaire d'en déduire que la société ETABLISSEMENTS [T] a courant 2007 privilégié d'autres secteurs dont celui du déménagement, a fortiori que la baisse du secteur manutention était déjà amorcée avant le départ des six salariés ; en 2008 la hausse du Chiffre d'affaires se poursuit. De surcroît, les pièces versées aux débats par la société BOVIS FLANDRES ARTOIS démontrent suffisamment que la société ETABLISSEMENTS [T] a cessé de répondre aux appels d'offres en ce domaine et que le lien entre cette absence de réponse et le départ des salariés est fragilisé par les témoignages des clients qui se plaignent de la qualité des prestations de la société ETABLISSEMENTS [T], des ses prix estimés trop chers et de son manque de suivi. Dès lors il était aisé pour la concurrence, dont BOVIS FLANDRES ARTOIS qui apporte la preuve qu'elle répondait aux appels d'offre, de récupérer les clients mécontents. Face au chiffre d'affaires qu'elle pouvait espérer de ces appels d'offre, par exemple en décembre 2007, soit 6 mois après le départ des salariés, il est difficile d'imaginer qu'elle ne pouvait pas dans ce laps de temps restructurer le secteur manutention de sorte de le rendre opérationnel, qu'il apparaît plus clairement que son inertie a correspondu à une nouvelle orientation. En tous cas la Cour constate qu'elle a négligé les clients et n'a pas veillé à la qualité de ses prestations de sorte qu'il est impossible d'attribuer la perte du Chiffre d'affaires en ce domaine au départ des 6 salariés. Faute de ce lien, la correspondance relevée par l'expert entre le montant du Chiffre d'affaires perdu d'un côté et le montant du Chiffre d'affaires gagné de l'autre est insuffisante à en pallier l'absence.

De manière superflue, la Cour remarque que pour un certain nombre de clients dits 'communs', le choix de BOVIS FLANDRES ARTOIS s'est fait selon les règles classiques de la concurrence commerciale et dans les limites légales. Le préjudice allégué s'expliquant par d'autres faits que ceux liés au débauchage des salariés, il n'en est pas rapporté la preuve. La Cour confirme le jugement sur ce deuxième point.

Sur le dénigrement

A l'instar du tribunal, la Cour considère qu'il n'est pas rapporté la preuve de ce dénigrement, les premiers commentaires officiellement négatifs sur la société ETABLISSEMENTS [T] étant contenus dans les conclusions du conseil de la société BOVIS FLANDRES ARTOIS dans le cadre du débat judiciaire et à l'appui de son argumentation. L'emploi de ces propos dans le cadre de la procédure que la société ETABLISSEMENTS [T] considère comme dénigrant n'apporte pas la preuve de leur emploi auprès de la clientèle. L'argument sera rejeté.

En conséquence de toutes ces observations, c'est l'ensemble des demandes de la société ETABLISSEMENTS [T] qui sera rejeté.

Sur la demande de dommages et intérêts formulée par la société BOVIS

A l'instar du tribunal, la Cour remarque qu'à l'issue du départ de ses salariés, la SAS ETABLISSEMENTS [T] pouvait envisager d'introduire une action en justice de bonne foi, l'appréciation inexacte de ses droits ne constituant pas une faute ; la Cour confirme le débouté.

Par contre, il est équitable de lui allouer une somme de 10000€ sur la base de l'article 700 du code de procédure civile.

Succombant, la société ETABLISSEMENTS [T] sera déboutée de la demande qu'elle a formulée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Déboute la société BOVIS FLANDRES ARTOIS de sa demande de dommages et intérêts ;

Déboute la société ETABLISSEMENTS [T] de l'ensemble de ses demandes ;

Y ajoutant,

Condamne la société ETABLISSEMENTS [T] à payer à la société BOVIS FLANDRES ARTOIS 10000€ sur la base de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens y compris les frais d'expertise et d'huissier dont distraction au profit de Maître Quignon, avoué à la Cour, conformément à l'article 699 du code de procédure civile

LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,

Véronique DESMETChristine PARENTY


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 2 section 1
Numéro d'arrêt : 09/03534
Date de la décision : 18/11/2010

Références :

Cour d'appel de Douai 21, arrêt n°09/03534 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-11-18;09.03534 ?
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