COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 2
ARRÊT DU 13/07/2010
***
N° de MINUTE :
N° RG : 08/02585
Jugement (N° 05/1854) rendu le 05 Mars 2008
par le Tribunal de Grande Instance de DUNKERQUE
REF : VM/VR
APPELANTE
S.N.C. EIFFAGE CONSTRUCTION COTE D'OPALE
Nouvelle dénomination de l'ENTREPRISE F.THELU & CIE
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 1]. 239
[Localité 14]
représentée par la SCP THERY-LAURENT, avoués à la Cour
assistée de Maître PILLE de la SCP VERLEY-PILLE, avocats au barreau de LILLE
INTIMÉS
S.A. HABITAT 62/59
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 26]
[Localité 17]
représentée par la SCP DELEFORGE FRANCHI, avoués à la Cour
assistée de Maître Chantal LAHAYE, avocat au barreau de LILLE
CABINET AUSIA
Représenté par Messieurs [O] et [Z], architectes,
ayant son siège social [Adresse 21]
[Localité 3] - Belgique
représenté par la SCP COCHEME-KRAUT-LABADIE, avoués à la Cour
ayant pour conseil Maître Alain DEMARCQ, avocat au barreau de LILLE
S.A. BUREAU VERITAS
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 6]
[Localité 22]
représentée par la SCP LEVASSEUR-CASTILLE-LEVASSEUR, avoués à la Cour
assistée de Maître NOGUE substituant Maître VIENOT de la SCP VIENOT BRYDEN, avocat au barreau de PARIS
COMPAGNIE LLOYD'S DE LONDRES et les SOUSCRIPTEURS DU LLOYD'S DE LONDRES
représentée par son mandataire général de France, la Société LLOYD'S FRANCE SAS
pris en sa qualité d'assureur de la Société DEPECKER, société en liquidation judiciaire représentée par son mandataire liquidateur Maître [H],
ayant pour avocat Maître HALFON, avocat au Barreau de PARIS
pris en sa qualité d'assureur de la société BET KERN
ayant pour avocat Maître FINKELSTEIN Nathalie de la SCP COURTOIS & FINKELSTEIN avocats au barreau de PARIS
ayant son siège social [Adresse 10]
[Localité 19]
représentée par la SELARL ERIC LAFORCE, avoués à la Cour
assistée de Maître HALFON, avocat au barreau de PARIS
ayant pour conseil Maître FINKELSTEIN, avocat au barreau de PARIS
S.A.R.L. DE MONTMIRAIL
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 11]
[Localité 4]
représentée par la SELARL ERIC LAFORCE, avoués à la Cour
ayant pour conseil Maître Eric E. HALFON, avocat au barreau de PARIS
ELVIA ASSURANCES venant aux droits de HELVETIA
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 5]
[Localité 18]
représentée par la SELARL Eric LAFORCE, avoué à la Cour
assistée de Maître NOWAK substituant Maître Denis LEQUAI, avocat au barreau de LILLE
CRAMA NORD EST, venant aux droits de la Compagnie SAMDA
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 8]
[Localité 12]
représentée par Maître QUIGNON, avoué à la Cour
assistée de Maître Hugues SENLECQ, avocat au barreau de DUNKERQUE
Maître [L] [H]
ès qualités de liquidateur de la S.A.R.L. DEPECKER
demeurant [Adresse 7]
[Localité 13]
non comparant
SEFERBA
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 28]
[Localité 15]
assignée suivant procès-verbal de recherches conformément à l'article 659 du code de procédure civile
S.A.R.L. SAVIO
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 24]
[Localité 16]
assignée en l'étude de l'huissier, n'ayant pas constitué avoué
INTERVENANTS VOLONTAIRES
Maître [R] [P]
ès qualités de liquidateur de ICS Assurances nommé par ordonnance du Tribunal de Nanterre du 20/3/2008 domicilié en cette qualité au siège de la liquidation [Adresse 2]
demeurant [Adresse 9]
[Localité 23]
Monsieur [G] [D]
ès qualités de liquidateur de ICS Assurances nommé par ordonnance du Tribunal de Nanterre du 20/3/2008 domicilié en cette qualité au siège de la liquidation [Adresse 2]
demeurant [Adresse 20]
[Localité 25]
représentés par la SCP CONGOS-VANDENDAELE, avoués à la Cour
assistés de Maître Jean-louis POISSONNIER, avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Gisèle GOSSELIN, Président de chambre
Dominique DUPERRIER, Conseiller
Véronique MULLER, Conseiller
---------------------
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Claudine POPEK
DÉBATS à l'audience publique du 26 Avril 2010 après rapport oral de l'affaire par Véronique MULLER
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE ET PAR DEFAUT à l'égard de la Société SEFERBA et la SARL SAVIO et AVANT DIRE DROIT prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 13 Juillet 2010 après prorogation du délibéré en date du 29 Juin 2010 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Gisèle GOSSELIN, Président, et Claudine POPEK, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 20 Avril 2010
***
FAITS ET PROCEDURE
Aux termes d'un marché du 23 avril 1982, la société d'HLM du Pas de Calais et du Nord - aux droits de laquelle se trouve la société HABITAT 62/59 - a confié à la société THELU - entreprise générale, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société EIFFAGE Construction Côte d'Opale (ci-après société EIFFAGE) - la construction d'un ensemble immobilier situé à [Localité 27] moyennant paiement d'un prix de plus de 32 millions de francs. La première tranche de travaux (environ 21 millions de francs) concernait la construction de 85 logements répartis dans 5 bâtiments identifiés par les lettres A à E, la seconde tranche (environ11 millions de francs) concernant 50 logements répartis dans trois bâtiments F à H.
La maîtrise d'oeuvre a été confiée au cabinet AUSIA et au BET KERN (assuré par la société Souscripteurs du LLOYD'S de Londres), et le contrôle technique au bureau VERITAS.
La société THELU a sous-traité :
- le lot menuiseries extérieures à la société DEPECKER, aujourd'hui en liquidation, assurée par la société Souscripteurs du LLOYD'S de Londres,
- le lot verrières aluminium à la société SEFERBA assurée auprès de la société ELVIA Assurances,
- le lot enduits extérieurs à la société SAVIO
- le lot couverture aux sociétés SETTI et LITTORAL COUVERTURE
- le lot étanchéité des terrasses à la société CNEI
Les différents bâtiments ont fait l'objet de procès-verbaux de réception qui se sont échelonnés d'avril 1984 à novembre 1985.
Invoquant d'importants désordres d'infiltration affectant notamment les menuiseries extérieures, la société HABITAT 62/59 a régularisé une déclaration de sinistre auprès de son assureur dommage ouvrage (société ICS Assurances aujourd'hui en liquidation) qui l'a indemnisée à deux reprises en 1990 et 1994. Devant la généralisation du sinistre, le maître de l'ouvrage a ensuite sollicité la désignation d'un expert qui a été nommé par ordonnance de référé du 11 mai 1994.
En cours d'expertise en février 2003, une transaction partielle a été régularisée en ce qui concerne les désordres relatifs aux maçonneries. L'expert a déposé son rapport en juillet 2004.
Par actes d'huissier en date des 5,6,7 et 10 mai 2004, la société THELU a assigné ses sous-traitants et leurs assureurs afin qu'ils soient condamnés à la garantir des éventuelles condamnations pouvant être prononcées à son encontre au profit du maître de l'ouvrage.
Par actes d'huissier en date des 2 et 3 novembre 2004, la société HABITAT 62/59 a assigné la société THELU (devenue EIFFAGE), le cabinet AUSIA, le Bureau VERITAS et la compagnie LLOYD'S ( assureur du BET KERN) aux fins d'obtenir leur condamnation in solidum - sur le fondement de leur responsabilité décennale - au paiement d'une somme principale de 542.480,54 euros en réparation des désordres.
Par jugement en date du 5 mars 2008, le Tribunal de grande instance de DUNKERQUE a, pour l'essentiel :
- prononcé la mise hors de cause de la société DE MONTMIRAIL et de la CRAMA du Nord Est,
- constaté la prescription de l'action initiée par la société HABITAT 62/59 à l'encontre du cabinet AUSIA et du Bureau Véritas pour les désordres affectant les bâtiments F,G et H,
- laissé à la charge de la société HABITAT 62/59 une part de responsabilité à hauteur de 5% pour les désordres affectant les menuiseries extérieures et de 60% pour les désordres affectant l'isolation thermique,
- déclaré pour le surplus la société THELU, le cabinet AUSIA et le bureau VERITAS responsables des désordres, en fixant leur part respective de responsabilité, les condamnant à se garantir mutuellement des condamnations prononcées,
- condamné Maître [H] es qualités de liquidateur de la société DEPECKER, la société SEFERBA et la société SAVIO à relever et garantir la société THELU des condamnations mises à sa charge,
- condamné la société THELU à payer à la CRAMA la somme de 800 euros au titre des frais irrépétibles,
- avant dire droit, ordonné la réouverture des débats en invitant la société HABITAT 62/59 à présenter un décompte précis des sommes réclamées lot par lot et tenant compte des indemnités déjà versées par l'assureur dommages-ouvrage.
Par déclaration reçue au greffe le 14 avril 2008, la société EIFFAGE Construction Côte d'Opale, venant aux droits de la société THELU, a relevé appel de ce jugement.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
* Dans ses dernières conclusions signifiées le 10 novembre 2009, la société EIFFAGE demande à la Cour de :
- renvoyer l'affaire devant le Tribunal de DUNKERQUE s'agissant de la fixation des sommes devant revenir à la société HABITAT 62/59,
- déclarer irrecevables les demandes formées par Maître [P] et M. [D] en leurs qualités de liquidateurs de la société ICS Assurances,
- réformer le jugement déféré,
- déclarer prescrite l'action engagée par la société HABITAT 62/59,
- à titre subsidiaire, condamner in solidum Maître [H] es qualités, la compagnie LLOYD'S, les sociétés SEFERBA, ELVIA et SAVIO sur le fondement de l'article 1134 du code civil, et le cabinet AUSIA, le bureau VERITAS et la compagnie LLOYD'S sur le fondement de l'article 1382 à la garantir de l'ensemble des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre,
- condamner les mêmes au paiement de la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.
* Par conclusions signifiées le 16 mars 2010, la société HABITAT 62/59 demande à la Cour de :
- confirmer le jugement déféré,
- lui donner acte de ce qu'elle accepte sa part de responsabilité telle que préconisée par l'expert,
- en conséquence, condamner solidairement la société EIFFAGE, le cabinet AUSIA et le bureau VERITAS au paiement de la somme de 558.969,70 euros, avec indexation et intérêts à compter du 3 novembre 2004,
- condamner solidairement la société EIFFAGE, le cabinet AUSIA et le bureau VERITAS au paiement d'une somme de 8.000 euros au titre des frais irrépétibles.
* Par conclusions signifiées le 7 décembre 2009, le cabinet AUSIA forme appel incident et demande pour l'essentiel à la cour de :
- réformer le jugement déféré,
- déclarer irrecevable comme prescrite l'action engagée par la société HABITAT 62/59 à son encontre,
- subsidiairement, débouter les parties de leurs demandes à son égard,
- condamner la société HABITAT 62/59 au paiement de la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles.
* Par conclusions signifiées le 10 décembre 2009, la société Bureau VERITAS forme appel incident et demande pour l'essentiel à la cour de :
- déclarer prescrite l'action de la société HABITAT 62/59,
- subsidiairement, prononcer sa mise hors de cause,
- condamner la société EIFFAGE au paiement de la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles.
* Par conclusions signifiées le 22 mars 2010, le LLOYDS de Londres forme appel incident et demande pour l'essentiel à la cour :
* en sa qualité d'assureur du BET KERN de :
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il n'a retenu aucune responsabilité à son égard,
et en ce qu'il a déclarées prescrites les demandes relatives aux bâtiments F,G et H,
- réformer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que l'assignation avait été délivrée à une date postérieure à l'extinction de la prescription décennale et débouter la société HABITAT 62/59 de ses demandes,
- condamner le cabinet AUSIA ou à défaut la société HABITAT 62/59 au paiement de la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles.
* en sa qualité d'assureur de la société DEPECKER de :
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande formée à son encontre.
* Par conclusions signifiées le 14 septembre 2009, la société ELVIA Assurance demande à la cour de :
- dire l'action principale prescrite,
- débouter les sociétés HABITAT 62/59 et EIFFAGE de leurs demandes,
- à titre subsidiaire, la mettre hors de cause,
- condamner la société EIFFAGE au paiement de la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.
* Par conclusions signifiées le 12 novembre 2008, la société DE MONTMIRAIL demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a mise hors de cause. Elle sollicite condamnation de la société EIFFAGE à lui verser une somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles.
* Par conclusions signifiées le 12 novembre 2008, la CRAMA NORD EST demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a mise hors de cause. Elle sollicite condamnation de la société EIFFAGE à lui verser une somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.
* Par conclusions signifiées le 15 avril 2010, Maître [P] et M. [D], es qualités de liquidateurs de la société ICS ASSURANCES, assureur dommages-ouvrage de la société HABITAT 62/59 demandent à la cour de :
- leur donner acte de leur intervention volontaire,
- condamner la société EIFFAGE, solidairement avec l'ensemble des intervenants à la construction, au paiement des sommes de 10.247,03 euros et 3.170,29 euros revalorisées sur la base de l'indice BT 01,
- condamner les LLOYD'S de LONDRES, en leur qualité d'assureur de la société DEPECKER, solidairement avec l'ensemble des intervenants à la construction, au règlement d'une somme de 1.995 euros avec même revalorisation
- les condamner solidairement au paiement de la somme de 3.500 euros au titre des frais irrépétibles.
Les sociétés SEFERBA et SAVIO, bien que régulièrement citées, n'ont pas constitué avoué.
Maître [H] en qualité de liquidateur de la société DEPECKER n'a pas constitué avoué et n'a pas été cité.
L'analyse des moyens des parties sera effectuée à l'occasion de la réponse qui sera apportée aux écritures opérantes.
DISCUSSION
I - Sur la mise hors de cause de la société DE MONTMIRAIL et de la CRAMA
*Le premier juge a mis hors de cause la société DE MONTMIRAIL au motif qu'elle n'avait que la qualité de courtier en assurances.
Bien qu'ayant intimé la société DE MONTMIRAIL, la société EIFFAGE ne critique en aucune manière la décision l'ayant mise hors de cause, et ne forme aucune demande à son encontre. Aucun appel incident n'a été régularisé à l'encontre de la société DE MONTMIRAIL.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a mis hors de cause la société DE MONTMIRAIL. Il lui sera alloué une somme de 1.000 euros au titre de ses frais irrépétibles, cette somme étant mise à la charge de la société EIFFAGE qui l'a intimée inutilement.
*Le premier juge a également mis hors de cause la CRAMA du Nord Est, au motif qu'il n'était pas justifié de sa qualité d'assureur de la société SAVIO.
Bien qu'ayant intimé la CRAMA, la société EIFFAGE ne critique en aucune manière la décision l'ayant mise hors de cause, et ne forme aucune demande à son encontre. Aucun appel incident n'a été régularisé à l'encontre de la CRAMA.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a mis hors de cause la CRAMA et lui a alloué une somme de 800 euros au titre de ses frais irrépétibles. Il lui sera en outre alloué une somme de 1.000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel, cette somme étant mise à la charge de la société EIFFAGE qui l'a intimée inutilement.
II - SUR LA RECEVABILITE de l'action principale formée par la société HABITAT 62/59 à l'encontre des maîtres d'oeuvre et du bureau de contrôle technique
Il résulte de l'article 2270, dans sa version applicable au présent litige, que toute personne physique dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 et suivants est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, après 10 ans à compter de la réception des travaux.
Il résulte également de l'article 2244, dans sa version applicable au présent litige, qu'une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription.
En l'espèce, le cabinet AUSIA, le bureau VERITAS et la compagnie LLOYD'S en sa qualité d'assureur du BET KERN, soutiennent que plus de 10 ans se sont écoulés entre l'ordonnance de référé désignant l'expert le 11 mai 1994 et l'assignation au fond qui leur a été délivrée par le maître de l'ouvrage, les 2 et 3 novembre 2004, de sorte que l'action de ce dernier serait prescrite, soutenant au surplus que - contrairement à ce qui est soutenu par le maître de l'ouvrage - l'ordonnance du 2 mai 1995 procédant à une extension de la mission de l'expert n'a aucun effet interruptif à leur égard dès lors qu'elle a été rendue sur requête, sans qu'ils soient appelés à la procédure, et que l'ordonnance ultérieure refusant la rétractation ne leur a jamais été signifiée.
Il est constant que plus de 10 années se sont écoulées entre l'ordonnance du 11 mai 1994 et le 2 novembre 2004.
Les seuls actes invoqués par le maître de l'ouvrage, comme susceptibles d'avoir interrompu la prescription, sont d'une part l'ordonnance rendue sur requête le 2 mai 1995, d'autre part l'ordonnance subséquente du 22 juin 1995 refusant sa rétractation.
L'ordonnance du 2 mai 1995 ne peut avoir aucun effet interruptif de prescription dès lors qu'il n'existe aucune citation en justice, ni aucune interpellation de celui qu'on veut empêcher de prescrire. Cette ordonnance sur requête a fait l'objet d'une demande de rétractation présentée en référé devant le Président du Tribunal de DUNKERQUE à la demande de la seule société THELU (EIFFAGE).
L'ordonnance de référé du 22 juin 1995 refusant de rétracter l'ordonnance sur requête est uniquement rendue entre la société THELU et le maître de l'ouvrage. Elle n'a pas été signifiée aux maîtres d'oeuvre ni au bureau de contrôle technique. Il ne s'agit pas d'une décision modifiant une mesure d'expertise, puisqu'elle ne fait que débouter la société THELU de sa demande de rétractation, la seule décision modifiant l'expertise étant l'ordonnance sur requête du 2 mai 1995, dont il a été exposé qu'elle n'avait aucun caractère interruptif.
Il n'est ainsi justifié d'aucune demande en justice signifiée par le maître de l'ouvrage au cabinet AUSIA, au bureau VERITAS ou à la compagnie LLOYD'S entre l'ordonnance de référé initiale du 11 mai 1994 et l'assignation au fond délivrée à ces sociétés les 2 et 3 novembre 1994.
Le jugement déféré sera donc réformé, et l'action introduite par la société HABITAT 62/59 à l'encontre du cabinet AUSIA, du bureau VERITAS et de la compagnie LLOYD'S en sa qualité d'assureur du BET KERN sera déclarée prescrite.
Il sera alloué au cabinet AUSIA, au bureau VERITAS et à la compagnie LLOYD'S en sa qualité d'assureur du BET KERN une somme de 2.000 euros chacun au titre de leurs frais irrépétibles.
III - Sur l'action formée par la société HABITAT 62/59 à l'encontre de la société EIFFAGE
3-1 - Recevabilité de l'action engagée par la société HABITAT 62/59 à l'encontre de la société EIFFAGE
La société EIFFAGE soutient - comme le maître d'oeuvre et le bureau technique - que plus de 10 ans se sont écoulés entre l'ordonnance de référé désignant l'expert le 11 mai 1994 et l'assignation au fond qui lui a été délivrée par le maître de l'ouvrage, le 3 novembre 2004, de sorte que l'action de ce dernier serait prescrite à son égard.
Il a été démontré que l'ordonnance sur requête du 2 mai 1995 ne pouvait avoir aucun effet interruptif de prescription dès lors qu'il n'existe aucune citation en justice.
La société THELU (EIFFAGE)a cependant sollicité, en référé, la rétractation de cette ordonnance sur requête. Dans son ordonnance de référé du 22 juin 1995, le Président du Tribunal de Grande instance de DUNKERQUE précise que le maître de l'ouvrage s'est opposé à la demande de rétractation, ce dernier ayant ainsi sollicité - au cours de la procédure et de manière contradictoire à l'égard de la société THELU - la confirmation de l'ordonnance rendue en ce qu'elle étendait la mission de l'expert notamment à la composition des murs extérieurs des différentes constructions.
Ce faisant, le maître de l'ouvrage a bien formé une demande en justice contre celui qu'il voulait empêcher de prescrire, cette demande formalisée par l'ordonnance du 22 juin 1995 interrompant ainsi la prescription à son égard, de sorte que l'assignation au fond du 3 novembre 2004 a bien été délivrée moins de 10 ans après le dernier acte interruptif de prescription.
Il sera en outre observé que la société HABITAT 62/59 - demanderesse à la procédure d'extension de la mission de l'expert - garde cette qualité dans la procédure sur rétractation de l'ordonnance initiale, de sorte que sa demande a bien été accueillie et qu'il n'est ainsi pas possible de faire application de l'article 2247 du code civil invoqué par la société EIFFAGE pour l'hypothèse d'un rejet de la demande.
L'action intentée par la société HABITAT 62/59 à l'encontre de la société EIFFAGE sera donc déclarée recevable.
3-2 - Sur la responsabilité de la société EIFFAGE
La société HABITAT 62/59 recherche la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale, et subsidiairement sur la responsabilité de droit commun, pour quatre types principaux de désordres relevés par l'expert, affectant les éléments suivants : menuiseries extérieures, toitures terrasses et coursives, couverture tuiles, et isolation thermique.
- menuiseries extérieures en bois
Par des motifs pertinents qui ne sont pas critiqués et que la cour adopte, le premier juge a retenu que les désordres généralisés (utilisation d'un bois inadapté, malfaçons) affectant les menuiseries extérieures les rendaient impropres à leur destination.
L'expert a laissé au maître d'ouvrage une part de responsabilité dans la survenance du dommage à hauteur de 5%, ce que ce dernier accepte.
La société EIFFAGE est responsable, à l'égard du maître de l'ouvrage, du travail réalisé par son sous-traitant chargé du lot menuiseries, à savoir la société DEPECKER.
L'expert a indiqué que le maître d'oeuvre, le bureau de contrôle et la société DEPECKER, chargée du lot menuiseries, avaient concouru à la production du dommage.
La société EIFFAGE, le maître d'oeuvre et le bureau de contrôle doivent normalement supporter une responsabilité in solidum à l'égard du maître de l'ouvrage. Cependant, l'action introduite contre le maître d'oeuvre et le bureau de contrôle étant déclarée prescrite, la société EIFFAGE supportera seule, à l'égard du maître de l'ouvrage, la responsabilité du désordre.
- toitures terrasses et coursives
L'expert a relevé des infiltrations d'eau sous les toitures terrasses, provenant de malfaçons dans l'exécution des travaux (relevés d'étanchéité, solins...). Il indique que les coursives souffrent également de défauts dans les relevés d'étanchéité.
Ces désordres entraînent d'importantes infiltrations d'eau dans les appartements, et affectent l'ensemble des bâtiments rendant ainsi l'ouvrage impropre à sa destination, de sorte que la garantie décennale leur est applicable.
L'expert a indiqué que le maître d'oeuvre, le bureau de contrôle et les entrepreneurs chargés des lots toiture et étanchéité avaient concouru à la production du dommage.
Les sociétés ayant réalisé ces travaux sont des sous-traitants de la société EIFFAGE (SETI, LITTORAL COUVERTURE et CNEI). Compte tenu de la prescription de l'action à l'encontre du maître d'oeuvre et du bureau de contrôle, la société EIFFAGE, responsable du travail réalisé par ses sous-traitants, supportera seule la responsabilité du désordre.
- couverture en tuiles
L'expert indique que les défauts des couvertures en tuiles sont assez limités et qu'il s'agit de 'revoir des solins et noquets latéraux, de crocheter certaines tuiles et de régler les pentes des gouttières'. Il a estimé le coût de reprise des couvertures à la somme de 3.558,47 euros.
Ces éléments démontrent que les défauts de la couverture sont limités, qu'ils n'entraînent aucune impropriété de destination ni aucune atteinte à la solidité de l'ouvrage, et ne ressortent pas de la garantie décennale.
Ni l'expert ni le maître de l'ouvrage n'arguent d'une quelconque faute imputable à l'entreprise de couverture. Le rapport d'expertise relève uniquement la nécessité d'une 'révision' des solins et noquets, et d'un 'réglage' des pentes des gouttières, de sorte qu'aucune faute de l'entreprise n'est caractérisée.
Le jugement déféré sera donc réformé sur ce point, le maître de l'ouvrage étant débouté de toutes ses demandes au titre de la réparation de la couverture.
- isolation thermique.
L'expert a indiqué que le développement des condensations et des moisissures provenait de deux facteurs, à savoir d'une part la présence de ponts thermiques due à une mauvaise conception des parois ou à la pose défectueuse de l'isolant, ainsi qu'à la mauvaise utilisation des VMC par les occupants.
Il s'agit d'un désordre généralisé entraînant des condensations et moisissures, de sorte qu'il relève de la garantie décennale.
Pour tenir compte de la mauvaise utilisation des VMC par les occupants, l'expert a toutefois laissé au maître d'ouvrage une part de responsabilité à hauteur de 60% ce que ce dernier accepte.
Contrairement à ce que soutient la société EIFFAGE, l'expert n'a retenu aucun lien entre les désordres d'isolation thermique et les désordres de maçonnerie ayant fait l'objet d'une transaction. En sa qualité d'entreprise générale, la société EIFFAGE est donc responsable des désordres à hauteur de 40%, in solidum avec le maître d'oeuvre et le bureau technique.
Compte tenu de la prescription de l'action à l'encontre du maître d'oeuvre et du bureau technique, la société EIFFAGE supportera seule la responsabilité du désordre à hauteur de 40%.
3-3- sur la réparation des désordres
Il résulte de l'article 568 du code de procédure civile que la cour d'appel peut évoquer les points non jugés en première instance si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive.
La société HABITAT 62/59, présente un décompte précis des sommes qu'elle réclame afin de répondre à la demande formée par les premiers juges, sollicitant la condamnation de la société EIFFAGE, solidairement avec le bureau d'études et le maître d'oeuvre, ce qui s'analyse en une demande d'évocation du quantum de la réparation.
Il apparaît effectivement de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive, de sorte que la cour évoquera la question de la réparation du préjudice.
Conformément à l'estimation de l'expert, la société HABITAT 62/59 sollicite paiement des sommes suivantes :
- menuiseries extérieures :373.062,31 euros
- étanchéité des terrasses et coursive : 43.447,97 euros
- couverture tuiles : 3.558,47 euros
- isolation thermique : 32.032,21 euros
sous-total 1 :452.100,96 euros
- dépenses pour expertise : 2.334,62 euros
- barre de corps : 2.384,30 euros
- travaux de menuiserie avant 1995 : 38.236,28 euros
- réparation en cours d'expertise : 41.314,38 euros
- verrières aluminium : 2.110,00 euros
- sous-total 2 :538.480,54 euros
Et non pas 542.480,54 (erreur d'addition)
- à ajouter : factures postérieures : 57.222,66 euros
- à déduire ( responsabilité laissée à la charge du maître de l'ouvrage, soit 5% du lot menuiseries et 60% du lot isolation thermique)
- 40.733,50 euros
total :554.969,70 euros
(au lieu de 558.969,70 euros)
S'agissant du principal poste de préjudice relatif aux menuiseries extérieures, la société EIFFAGE fait observer que la réparation des désordres ne correspond pas à un remplacement à l'identique, dès lors que le maître de l'ouvrage a choisi de remplacer les menuiseries bois par des menuiseries en PVC, voire en aluminium.
L'expert n'a fourni aucune explication technique permettant de justifier l'emploi de PVC ou d'aluminium à la place du bois exotique initialement prévu, et la société HABITAT 62/59 ne s'est pas expliquée sur ce point.
La cour observe que le lot menuiseries extérieures était initialement chiffré à la somme de 712.282 francs HT (devis du 23 avril 1982), soit 108.586 euros HT (127.697,14 euros TTC) pour des menuiseries en bois exotiques, et que le maître de l'ouvrage sollicite désormais paiement d'une somme de plus de 400.000 euros TTC à ce titre ( 373.000 euros + 57.222 euros de factures postérieures), ce qui - sauf incidence de l'évolution du coût de la construction - ne paraît pas correspondre à une réparation à l'identique.
Il convient donc d'ordonner la réouverture des débats pour permettre au maître de l'ouvrage de fournir toutes explications utiles quant au mode réparatoire choisi s'agissant des menuiseries extérieures. Le maître de l'ouvrage devra également détailler le montant de 57.222,66 euros sollicité au titre de 'factures postérieures'.
Il convient de surseoir à statuer sur le surplus des demandes, et notamment sur les appels en garantie et l'intervention volontaire de Maître [P] et M. [D] es qualités, étant observé que Maître [H] ès qualités n'a pas été assigné dans les termes de l'article 908 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a mis hors de cause la société DE MONTMIRAIL et la CRAMA et en ce qu'il a alloué à cette dernière une somme de 800 euros au titre de ses frais irrépétibles,
CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a laissé à la charge de la société HABITAT 62/59 une part de responsabilité dans la survenance des désordres à hauteur de 5% pour les désordres affectant les menuiseries extérieures et de 60 % pour les désordres affectant l'isolation thermique,
INFIRME le jugement déféré pour le surplus,
DECLARE prescrite l'action introduite par la société HABITAT 62/59 à l'encontre du cabinet AUSIA, du bureau VERITAS et de la compagnie LLOYD'S en sa qualité d'assureur du BET KERN,
DECLARE recevable l'action introduite par la société HABITAT 62/59 à l'encontre de la société EIFFAGE Construction Côte d'Opale,
DECLARE la société EIFFAGE Construction Côte d'Opale responsable des désordres affectant les menuiseries en bois (à hauteur de 95%), l'étanchéité des toitures terrasses et des coursives (100%), l'isolation thermique (à hauteur de 40%),
ORDONNE la réouverture des débats pour permettre à la société HABITAT 62/59 d'une part de fournir toutes explications utiles quant au mode réparatoire choisi s'agissant des menuiseries extérieures (PVC au lieu de bois exotique), d'autre part de détailler le montant de 57.222,66 euros sollicité au titre de 'factures postérieures',
SURSEOIT à statuer sur le surplus des demandes, et notamment sur les appels en garantie formés par la société EIFFAGE à l'encontre de ses sous-traitants et sur l'intervention volontaire de Maître [P] et M. [D] ès qualités,
CONSTATE que Maître [H] ès qualités n'a pas été régulièrement cité,
CONDAMNE la société HABITAT 62/59 à payer au cabinet AUSIA, au bureau VERITAS et à la compagnie LLOYD'S en sa qualité d'assureur du BET KERN une somme de 2.000 euros chacun au titre de leurs frais irrépétibles,
CONDAMNE la société EIFFAGE Construction Côte d'Opale à payer à la société DE MONTMIRAIL et à la CRAMA la somme de 1.000 euros chacune, au titre de leurs frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
CONDAMNE la société HABITAT 62/59 aux dépens de la première instance et de l'instance d'appel exposés par le cabinet AUSIA, le bureau VERITAS et la compagnie LLOYD'S en sa qualité d'assureur du BET KERN, avec distraction pour les dépens d'appel au profit des SCP COCHEME, LABADIE, COQUERELLE et LEVASSEUR CASTILLE, et LAFORCE conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
RENVOIE à la conférence de mise en état du mardi 26 Octobre 2010,
RESERVE les dépens exposés par les autres parties.
Le Greffier,Le Président,
Claudine POPEKGisèle GOSSELIN