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24/06/2010 | FRANCE | N°10/00208

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 1, 24 juin 2010, 10/00208


COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 2 SECTION 1



ARRÊT DU 24/06/2010



***



N° de MINUTE :

N° RG : 10/00208 et 10/00444 (jonction)



Jugement (N° 09/4822)

rendu le 16 décembre 2009

par le Tribunal de Commerce de LILLE



REF : JMD/CPJour fixe





PROCEDURE N° 10/00208





APPELANTE



S.A. SITA FRANCE agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 2]
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Représentée par la SCP LEVASSEUR-CASTILLE-LEVASSEUR, avoués à la Cour

Assistée de Me CAVALIE et de Me BOURDEAUT, Avocats au Barreau de PARIS



INTIMÉES



S.A. ESTERRA agissant en la personne de ses rep...

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 1

ARRÊT DU 24/06/2010

***

N° de MINUTE :

N° RG : 10/00208 et 10/00444 (jonction)

Jugement (N° 09/4822)

rendu le 16 décembre 2009

par le Tribunal de Commerce de LILLE

REF : JMD/CPJour fixe

PROCEDURE N° 10/00208

APPELANTE

S.A. SITA FRANCE agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 2]

Représentée par la SCP LEVASSEUR-CASTILLE-LEVASSEUR, avoués à la Cour

Assistée de Me CAVALIE et de Me BOURDEAUT, Avocats au Barreau de PARIS

INTIMÉES

S.A. ESTERRA agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 5]

Représentée par la SCP DELEFORGE FRANCHI, avoués à la Cour

Assistée de Me Denis LEQUAI, avocat au barreau de LILLE

S.A. VEOLIA PROPRETÉ agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 3]

Représentée par la SCP CARLIER-REGNIER, avoués à la Cour

Assistée de Me BAILLOT, avocat au Barreau de PARIS

***

PROCEDURE N° 10/00444

APPELANT :

Monsieur [L] [E]

né le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 6] ([Localité 6])

demeurant [Adresse 4]

Représenté par la SCP LEVASSEUR-CASTILLE-LEVASSEUR, avoués à la Cour

Assisté de Me Eric DELFLY, avocat au barreau de LILLE

INTIMEES :

La SA SITA FRANCE représentée par ses dirigeants légaux

voir ci dessus

La SA VEOLIA PROPRETé représentée par ses dirigeants légaux

voir ci dessus

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Christine PARENTY, Président de chambre

Jean Michel DELENEUVILLE, Conseiller

Sophie VALAY-BRIERE, Conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Véronique DESMET

DÉBATS à l'audience publique du 29 avril 2010 après rapport oral de l'affaire par Jean Michel DELENEUVILLE

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 24 juin 2010 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Christine PARENTY, Président, et Véronique DESMET, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Vu le jugement contradictoire du 16 décembre 2009 du tribunal de commerce de Lille qui, après avoir constaté que le conseil d'administration du 5 octobre 2009, statuant sur la révocation de M. [L] [E], a respecté les statuts en ne requérant que la simple majorité et que cette révocation ne constitue ni un abus de droit ni une fraude, a débouté la SA SITA de ses demandes de nullité de la décision de M. [I] de révoquer M. [S] [F] et de dire nulle la nomination de M. [H] [J], a autorisé la SA ESTERRA à faire publier au greffe du tribunal de commerce de Lille la décision du conseil d'administration du 5 octobre 2009 révoquant le mandat de directeur général délégué de M [L] [E], a dit que si la révocation de M. [L] [E] a été brutale, elle n'est cependant pas abusive, en conséquence, a débouté M. [L] [E] de sa demande d'indemnité de 30 000 € en réparation du préjudice qu'il aurait ainsi subi, la SA ESTERRA ayant indiqué que seules les décisions prises par le conseil d'administration seront publiées, ainsi que du surplus de ses demandes, fins et conclusions, a dit n'y avoir lieu à application du protocole de 1994 et de l'avenant de 1999, a débouté la SA ESTERRA de ses demandes reconventionnelles à titre de dommages intérêts, et a condamné, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, M. [L] [E] et la SA SITA à payer à la SA VEOLIA PROPRETÉ la somme de 10 000 €, M [L] [E] à payer la somme de 10 000 € à la SA ESTERRA et la SA SITA à payer à la SA ESTERRA la somme de 20 000 € ;

Vu l'appel interjeté le 15 janvier 2010 par la SA SITA France (dossier 10/208) ;

Vu l'appel interjeté le 21 janvier 2010 par M. [L] [E] (dossier n°10/444) ;

Vu l'ordonnance du premier président ayant autorisé la SA SITA France a assigner la SA ESTERRA et la SA VEOLIA PROPRETÉ pour l'audience du 25 mars 2010 ;

Vu les assignations des 26 et 29 janvier 2010 délivrées aux sociétés ESTERRA et VEOLIA PROPRETÉ ;

Vu le renvoi de l'affaire à l'audience du 29 avril 2010 à la demande des avoués des parties ;

Vu les conclusions déposées le 15 janvier 2010 pour la SA SITA France ;

Vu les conclusions déposées le 11 mars 2010 pour la SA ESTERRA ;

Vu les conclusions déposées le 15 mars 2010 pour la SA VEOLIA PROPRETÉ ;

Attendu que la note en délibéré déposée le 23 juin 2010 pour la SA SITA France sera déclarée irrecevable par application de l'article 445 du code de procédure civile ;

**

Attendu que la société SITA FRANCE a interjeté appel aux fins de débouté des sociétés ESTERRA et VEOLIA PROPRETÉ de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions et leur condamnation solidaire, ou l'une à défaut de l'autre, à lui payer 75 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, faire constater que les décisions des 10 septembre 2009 de révocation de M. [S] [F] de ses fonctions de directeur général adjoint et son remplacement par M. [H] [J], et du 5 octobre 2009 de révocation M. [L] [E] de ses fonctions de directeur général délégué, sont nulles et de nul effet en ce qu'elles ont été prises en violation des statuts de la société, et/ou en contrariété à l'intérêt social, et/ou dans l'intérêt exclusif de la société VEOLIA PROPRETÉ et au détriment de la société SITA FRANCE, et/ou dans des conditions constitutives d'un abus de droit, que de surcroît que la décision de nomination du 10 septembre 2009 de Monsieur [H] [J] est nulle comme entachée de fraude, pour en déduire que M. [S] [F] conserve son statut de directeur général adjoint de la société ESTERRA et que Monsieur [L] [E] conserve son statut de directeur général délégué de ladite société, que Monsieur [J] n'occupe pas valablement le poste de directeur général adjoint de la société et qu'il ne devra en conséquence ni demeurer en l'état dans l'entreprise ni constituer en quoi que ce soit une charge pour la société ESTERRA au titre de ses fonctions passées ; elle demande enfin qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle se réserve de demander tous dommages et intérêts, directement ou ut singuli ;

Attendu que M. [L] [E] demande la jonction des procédures enregistrées sous les numéros 10/208 et 10/444, qu'il soit jugé que sa révocation est nulle, faute notamment de respect de la majorité prévue à l'article 17 des statuts de la société ESTERRA, en conséquence que la société VEOLIA PROPRETÉ soit condamnée, solidairement avec la société ESTERRA, à lui payer 30 000 € en réparation de son préjudice consécutif à la révocation brutale et abusive de son mandat social, subsidiairement à sa révocation dans des conditions vexatoires, qu'il soit aussi jugé que sa révocation est dépourvue de motifs réels et sérieux et que la société VEOLIA PROPRETÉ, subsidiairement solidairement avec la société ESTERRA, soit condamnée à lui payer 100 000 € de dommages et intérêts à ce titre, outre la condamnation de la société VEOLIA PROPRETÉ, subsidiairement solidairement avec la société ESTERRA, à lui payer 10 000 € pour la couverture de ses frais irrépétibles ;

Attendu que la société ESTERRA demande la jonction des procédures enregistrées sous les numéros 10/208 et 10/444, le débouté de la société SITA FRANCE et celui de M. [L] [E] de toutes leurs demandes, fins et conclusions et que lui soit accordée l'autorisation de faire publier au registre du commerce et des sociétés de Lille la décision du conseil d'administration de la société ESTERRA du 5 octobre 2009 de révoquer le mandat de directeur général délégué de Monsieur [L] [E], la confirmation du jugement et la condamnation de la société SITA FRANCE et de M. [L] [E], respectivement, à lui payer 35 000 € et 20 000 € pour la couverture de ses frais irrépétibles d'appel ; subsidiairement elle demande que soient déclarées irrecevables, comme étant non fondées en droit, les demandes d'annulation de la décision du conseil d'administration du 5 octobre 2009 de révoquer le mandat de directeur général délégué de M. [L] [E], du président directeur général du 10 septembre 2009 de mettre fin à la mise à disposition de M. [S] [F], et celle du même jour de faire bénéficier la société ESTERRA de la mise à disposition de M. [H] [J], plus subsidiairement encore qu'il soit jugé que la société SITA FRANCE ne rapporte pas la preuve de son préjudice et qu'en tout état de cause, qu'elle n'a subi aucun préjudice du fait des décisions contestées ; elle demande à titre reconventionnel qu'il soit jugé que la société SITA FRANCE a engagé sa responsabilité en ayant poursuivi en justice la société ESTERRA et qu'elle soit condamnée à lui payer 60 000 € à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice financier ainsi que la somme de 100 000 € à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral et d'image, avec intérêts et anatocisme à compter de la date de ses conclusions ;

Attendu que la société VEOLIA PROPRETÉ demande la jonction des procédures enregistrées sous les numéros 10/208 et 10/444, le débouté de la société SITA FRANCE et de M. [L] [E], la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de la société SITA FRANCE et de M. [L] [E] à lui payer, respectivement, 30 000 € et 15 000 € du chef de l'article 700 du code de procédure civile ;

SUR CE :

Attendu qu'il convient d'ordonner la jonction du dossier n°10/444 avec celui enregistré sous le numéro 10/208 ;

Attendu que la société ESTERRA, autrefois appelée TRU, a pour activité la collecte de déchets ménagers et industriels, notamment dans le périmètre de la Communauté urbaine de Lille ; que la SA SITA (RCS NATERRE n° 552 149 908) et la SA VEOLIA PROPRETÉ sont entrées à son capital en 1967, chacune à hauteur de 45 %, puis ont, le 30 mars 1994, à la suite du départ des dirigeants fondateurs, adopté un protocole visant à se partager les postes de direction ; que l'article 17 des statuts a été modifié pour donner au conseil d'administration, statuant à la majorité des ¿, le pouvoir de nomination du directeur général et d'embauche des cadres dirigeants ; que le 23 juillet 1999 les sociétés SITA et VEOLIA PROPRETÉ se sont interdit d'acquérir le capital resté entre les mains des fondateurs de la société ESTERRA ; que la société SITA a, le 18 décembre 2000, cédé 19 207 actions ESTERRA à une société dénommée SITA FRANCE (RCS NANTERRE 775 690 035), avant d'être radiée du registre du commerce le 3 juin 2003 par suite de son absorption par la société SUEZ ENVIRONNEMENT à compter du 1er janvier 2003 ; que le 28 mars 2003 l'assemblée générale extraordinaire de la société ESTERRA a mis à jour les statuts en fonction de la loi NRE en adoptant un article 19 III relatif à la nomination d'un directeur général délégué ; que M. [D] [I] a été élu et réélu président du conseil d'administration et directeur général depuis 1994 ; que M. [L] [E] a été désigné directeur général délégué le 1er janvier 2008 tandis que M. [F] est devenu directeur général adjoint le 6 avril 2009, l'un et l'autre étant détachés de la société SITA FRANCE pour être mis à la disposition de la société ESTERRA ;

Attendu que la société VEOLIA PROPRETÉ a, entre juin 2007 et avril 2009, acquis 4098 actions appartenant à différentes personnes physiques, portant sa participation au capital de la société ESTERRA à 54,22 % ; que la société SITA FRANCE, estimant qu'elle aurait dû être informée des intentions de la société VEOLIA PROPRETÉ, et les discussions subséquentes tendant à obtenir une rétrocession en sa faveur de la moitié des actions acquises par la société VEOLIA PROPRETÉ n'ayant pas abouti, a, par acte du 29 juillet 2009, assigné cette dernière, ainsi que la société ESTERRA, devant le tribunal de commerce de Nanterre en vue de faire rétablir la parité au sein du capital de leur filiale commune, ce qu'elle a obtenu par un jugement du 22 janvier 2010, non assorti de l'exécution provisoire, frappé d'appel devant la Cour de Versailles, le tribunal l'ayant par ailleurs déboutée de sa demande de dissolution de la société ESTERRA ;

Attendu que M. [D] [I] a, le 20 juillet 2009, exclu M. [F], directeur général adjoint depuis le 6 avril 2009, du comité de direction de la société ESTERRA avant de lui notifier sa mise à pied à compter du 10 septembre 2009 ; qu'il a parallèlement, par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 septembre 2009, porté à la connaissance de la société SITA FRANCE qu'il était mis fin à la convention de mise à disposition intéressant ce dernier à compter du 11 septembre 2009, puis a, le 10 septembre 2009, désigné M. [H] [J] en remplacement de M. [F] en qualité de directeur général adjoint ;

Attendu que le conseil d'administration de la société ESTERRA a, dans sa séance du 5 octobre 2009, sur la proposition du directeur général, voté la révocation de M. [L] [E], directeur général délégué, par 3 voix (les représentants de la société VEOLIA PROPRETÉ) contre 3 (celles des représentants de SITA FRANCE), la voix du président, M. [I] étant prépondérante ;

Attendu que la société SITA FRANCE a, par acte du 14 octobre 2009, assigné à jour fixe les sociétés VEOLIA PROPRETÉ et ESTERRA devant le tribunal de commerce de Lille pour faire déclarer nulles les révocations de MM [F], directeur général adjoint, et [E], directeur général délégué, et la nomination de M. [J] en remplacement de M. [F] ; que M. [E] est intervenu volontairement à l'instance ; que le tribunal a rendu le jugement entrepris ;

**

Sur les demandes principales de la société SITA FRANCE et de M. [L] [E]

Attendu qu'il importe de souligner que les protocoles de 1994 et 1999 n'ont intéressé que les sociétés SITA et VEOLIA PROPRETÉ, à l'exclusion des autres associés de la société ESTERRA et de la société ESTERRA elle-même ; que c'est vainement que la société SITA FRANCE les invoque au soutien de son action, faute de justifier qu'elle intervient dans la présente instance aux droits de la société SITA ;

Attendu que la seule question posée à la Cour porte sur les conditions dans lesquelles MM [F], directeur général adjoint, et [E], directeur général délégué, ont été démis de leurs fonctions, et si M. [I] a pu valablement remplacer M. [F] par M. [J] ;

Sur la révocation de M. [E]

Sur les conditions de la révocation

Attendu que l'article 19 des statuts de la société ESTERRA est consacré aux pouvoirs du conseil et des organes de direction ; que le paragraphe III, alinéa 3, dispose que les directeurs généraux délégués sont nommés par le conseil d'administration et peuvent être révoqués par ce dernier à tout moment, sur proposition du directeur général, ' dans les conditions fixées par la loi ' ; que l'article L. 225-37 du code de commerce prévoit que les décisions du conseil d'administration sont prises à la majorité des membres présents ou représentés, à moins que les statuts ne prévoient une majorité plus forte ;

Attendu que M. [E] a été nommé directeur général délégué à compter du 1er janvier 2008 par le conseil d'administration de la société ESTERRA ; qu'il a été reconduit dans ses fonctions, sur la proposition de M. [I], directeur général, le 29 juin 2009 ; qu'il en a été démis par le conseil d'administration, statuant à la majorité simple, le 5 octobre 2009, après avoir été entendu en ses explications ; qu'il a immédiatement abandonné ses fonctions, la société ESTERRA ayant notifié dans le même temps à son employeur, la société SITA FRANCE, qu'elle mettait fin à la convention de mise à disposition de l'intéressé ;

Attendu que c'est vainement que la société SITA FRANCE et M. [E] soutiennent que l'article 17 des statuts trouvait à s'appliquer pour la révocation de ce dernier ; que si cet article 17 prévoit que le conseil d'administration, statuant exceptionnellement à la majorité des ¿ de ses membres en exercice, nomme le directeur général et procède à l'embauche des cadres dirigeants, il ne saurait être interprété comme régissant également la révocation du directeur général délégué, les rédacteurs des statuts ayant réservé un article spécial, l'article 19 III, à ce type de délibération ; qu'au surplus cet article 17 ne traitant que de l'entrée des intéressés (le directeur général et les cadres dirigeants) dans le collège de direction de la société ESTERRA (sous la forme d'une nomination ou d'une embauche), la Cour ne peut, sans travestir les termes du pacte social, considérer qu'il a aussi vocation à gouverner la révocation de ceux-ci, notamment celle du directeur général délégué ; qu'accessoirement enfin, il importe de noter que M. [E] ne peut revendiquer la qualité de cadre dirigeant faute d'être lié à la société ESTERRA par un contrat de travail ;

Attendu que la révocation de M. [E] n'a pas été adoptée en violation de la loi ou des statuts ;

Sur les motifs de la révocation

Attendu que l'article L. 225-55 du code de commerce dispose que la révocation, décidée sans juste motif, peut donner lieu à des dommages et intérêts ; que M. [E] demande 30 000 € en réparation des conditions vexatoires dans lesquelles est intervenue sa révocation, ainsi que 100 000 € en réparation du préjudice qu'il dit avoir subi pour avoir été révoqué sans cause réelle et sérieuse ;

Sur le non-respect des instructions du PDG

Attendu que la société ESTERRA indique que son PDG a, par courriel doublé d'une lettre recommandée avec accusé de réception du 29 juillet 2009, à la veille de son départ en vacances, spécialement attiré l'attention de M. [L] [E] sur le suivi des appels d'offres en cours, l'invitant à se rapprocher de lui avant de répondre à l'un de ces appels d'offres et plus généralement à le tenir informé, même sur son lieu de vacances, de l'évolution des affaires en cours ; que M. [L] [E] n'a pas accusé réception de ces instructions et n'a jamais répondu aux instructions reçues ; qu'à son retour de congés, le PDG a découvert, par une lettre du vice-président délégué de la Communauté urbaine de Lille du 11 septembre 2009, que des demandes de renseignements complémentaires avaient été envoyées, l'une par M. [F] le 19 août 2009 qui n'est arrivée à destination que le 24 août 2009, l'autre le 4 septembre 2009, au-delà de la date limite du 21 août 2009, par laquelle M. [L] [E] insistait pour obtenir des informations complémentaires ' déterminantes pour élaborer notre offre ' ; qu'elle en déduit que M. [L] [E] a, par sa légèreté, mis en péril la société ESTERRA dont l'avenir dépendait de l'octroi du marché de collecte des déchets encombrants par la Communauté urbaine de Lille ;

Attendu que M. [L] [E] ne conteste pas avoir négligé de rendre compte au PDG, M. [I], auquel il a simplement fait parvenir le dossier d'appel d'offres de la Communauté urbaine de Lille sur son lieu de vacances pour signature sans l'informer des questions complémentaires qu'il entendait poser à cette collectivité publique ; qu'il ne conteste pas davantage n'avoir pas respecté le calendrier édicté par cette dernière pour la constitution des dossiers d'appels d'offres, prévoyant notamment que les questions complémentaires parvenues au-delà du 21 août 2009 resteraient sans réponse ; qu'il affirme qu'il suivait une stratégie personnelle consistant ' par des questionnements successifs, à provoquer des réponses susceptibles d'alimenter des référés précontractuels en cas d'échec de la procédure d'appel d'offre ', sans expliquer comment des questions restées sans réponse car parvenues à destination au-delà de la date limite du 21 août 2009 étaient susceptibles de constituer un moyen de nature à fonder un référé précontractuel susceptible de faire mieux triompher la cause de la société ESTERRA ;

Attendu de surcroît qu'il ne s'explique pas sur son choix d'user de telles méthodes conflictuelles, qui n'ont jamais été celles de la société ESTERRA dans ses relations avec la Communauté urbaine de Lille, de nature à porter préjudice à la société dans ses futurs rapports avec la collectivité publique concédante ;

Attendu qu'il ne peut arguer du fait que le dossier a été soumis à M. [I] sur son lieu de vacances pour signature et que la société ESTERRA a finalement été retenue de préférence à ses concurrents pour estimer que ses choix stratégiques, contestables, n'ont finalement que peu d'intérêt, alors que la société ESTERRA était fondée, à cette époque, à en conclure qu'il agissait en son sein au service de son employeur, la société SITA FRANCE, en vue de compléter la demande de dissolution judiciaire portée par ce dernier devant le tribunal de commerce de Nanterre ; qu'il s'ensuit que le grief est fondé ;

Attendu que la société ESTERRA indique encore que son PDG avait tout autant attiré l'attention de M. [L] [E], le 29 juillet 2009, sur l'importance du plan de prévention de la pandémie grippale, la Communauté urbaine de Lille ayant, dès le 12 juin 2009, insisté sur l'importance de prévoir une collecte ininterrompue des ordures ménagères en cas d'épidémie ; qu'au 5 octobre 2009 le Plan de Continuité d'Activités n'était pas opérationnel, notamment du fait que l'entreprise ne disposait que de 22 000 masques ne permettant de couvrir que 8 jours d'activité, et que le CHSCT n'avait pas été consulté ;

Attendu cependant que M. [L] [E] indique que le PCA avait été confié à M. [F], démis de ses fonctions par M. [I] le 11 septembre 2009, et de ce fait incapable de tenir la réunion du comité de direction (CODIR) du 14 septembre au cours duquel il devait recueillir les informations indispensables ; qu'il a, le 16 septembre 2009, demandé aux membres du CODIR de lui faire parvenir par courriels les renseignements utiles, ajoutant que le plan finalisé devait être remis au PDG le 28 septembre 2009 à l'occasion d'une ultime réunion du CODIR qui a été annulée à l'initiative de ce dernier ; que le PCA a été présenté au CHSCT le 29 septembre 2009 ; qu'il ajoute que le nombre de masques a été déterminé en concertation avec la Médecine du Travail ; qu'il s'ensuit que le grief n'est pas fondé ;

Sur la signature de la convention de détachement de M. [F]

Attendu que la société ESTERRA indique encore que M. [L] [E] a, le 11 mars 2009, apposé sa signature au bas de la convention de détachement de M. [F], la liant de ce fait à la société SITA FRANCE, alors que le PDG n'en avait pas été informé et que ce document n'avait pas été remis aux services administratifs compétents de la société ESTERRA ; que cependant il est constant que M. [F] ne pouvait se mettre au service de la société ESTERRA qu'en devenant son salarié, ce qui n'était pas la pratique habituelle, ou qu'en étant détaché par son employeur, la société SITA FRANCE ; que ce dernier statut a été choisi et accepté par la société ESTERRA, comme le démontre le fait qu'elle a remboursé à la société SITA FRANCE les salaires que celle-ci a versés à l'intéressé jusqu'à la fin de sa mission ; que le grief n'est pas fondé ;

Sur la perte de confiance

Attendu que la société ESTERRA indique que, compte tenu de la dégradation des relations entre ses deux principaux associés, la société SITA FRANCE et la société VEOLIA PROPRETÉ, son PDG a cherché immédiatement à prévenir toute difficulté de fonctionnement en s'assurant de la loyauté des dirigeants mis à disposition par la société SITA FRANCE qui avait ouvert les hostilités devant le tribunal de commerce de Versailles ; qu'il n'a pas été rassuré par l'absence de réponse de M. [L] [E] à sa lettre de mission du 29 juillet 2009, dont l'objectif était de vérifier qu'il continuait à agir au mieux des intérêts de la société ESTERRA ;

Attendu que M. [L] [E] répond vainement que cette lettre n'appelait d'autre réponse que celle des faits, alors que, précisément, il a été démontré ci-dessus que ses agissements n'ont nullement servi les intérêts bien compris de la société ESTERRA dans la gestion du dossier d'appel d'offres pour la collecte des encombrants dans le ressort de la Communauté urbaine de Lille ; que la perte de confiance a pu dès lors légitimement fonder la décision du 5 octobre 2009 de révocation de M. [L] [E] par le Conseil d'administration ;

Attendu en conséquence que M. [L] [E] sera débouté de l'ensemble de ses prétentions ;

Sur les demandes de la société ESTERRA à l'encontre de M. [L] [E]

Attendu qu'il est équitable de laisser à la charge de la société ESTERRA les frais irrépétibles qu'elle a engagés, tant en première instance qu'en cause d'appel pour répliquer à M. [L] [E], les arguments et les moyens de défense qu'elle a développés à cette fin se confondant, dans leur très grande majorité, avec ceux opposés à la société SITA FRANCE ; que le jugement attaqué sera infirmé en ce sens ;

Sur la révocation de M. [F]

Attendu que la société SITA FRANCE soutient que l'article 17 des statuts, selon lequel le conseil d'administration de la société ESTERRA, statuant exceptionnellement à la majorité des ¿ de ses membres en exercice, nomme le directeur général et procède à l'embauche des cadres dirigeants, avait vocation à s'appliquer pour la révocation de M. [F], qu'elle avait mis à la disposition de la société ESTERRA en qualité de directeur général adjoint ;

Attendu que c'est vainement qu'elle invoque les protocoles conclus entre les sociétés SITA et la société VEOLIA PROPRETÉ en 1994 et en 1999 prévoyant un partage des postes de responsabilité au sein de la société ESTERRA entre leurs émissaires, la société SITA FRANCE n'ayant pas été partie à ces conventions ;

Attendu que si effectivement, le directeur général adjoint est un cadre dirigeant, pour l'embauche duquel l'article 17 des statuts exige une délibération du conseil d'administration de la société ESTERRA à la majorité des ¿, il n'en va certainement pas de même en cas de mise à disposition d'un de ses salariés par la société SITA FRANCE selon une convention conforme aux exigences du code du travail ;

Attendu qu'à défaut de disposition statutaire spéciale, le PDG de la société ESTERRA avait le pouvoir de révoquer le directeur général adjoint le 10 septembre 2009, après lui avoir interdit de participer au Comité de Direction dès le 20 juillet 2009 ; que cette révocation n'a pas porté préjudice à M. [F], qui a continué à percevoir son salaire de son employeur, la société SITA FRANCE ;

Sur la nomination de M. [J]

Attendu que la société SITA FRANCE conteste la nomination de M. [J] en qualité de directeur général adjoint en remplacement de son salarié, M. [F], par le PDG de la société ESTERRA ; que sa demande ne peut prospérer en ce qu'elle repose sur le pacte d'actionnaires issu des protocoles de 1994 et 1999, auxquels elle n'était pas partie, prévoyant un partage des postes de direction de la société ESTERRA entre les sociétés VEOLIA PROPRETÉ et SITA ; que M. [J] n'a pas été embauché par la société ESTERRA mais simplement mis à sa disposition par la société VEOLIA PROPRETÉ, de sorte que l'article 17 des statuts n'avait pas à être appliqué ; qu'aucune fraude ne peut être reprochée à la société ESTERRA ou à son PDG dès lors que l'article 17 des statuts n'avait pas à s'appliquer ; qu'il importe enfin de relever que la société SITA FRANCE n'a pas émis la moindre observation lorsque son salarié M. [F] a été accepté au sein de la société ESTERRA dans des conditions strictement identiques à celles qui ont présidé à l'entrée en fonction de M. [J] ;

Sur la violation de l'intérêt social

Attendu que la société SITA FRANCE soutient que les décisions de révocation de ses deux salariés, M. [L] [E] et M. [S] [F], sont contraires à l'intérêt social en ce qu'elles ont privé la société ESTERRA de collaborateurs d'excellence, l'exposant au surplus à un risque indemnitaire évident ;

Attendu qu'il est classiquement admis que l'intérêt social constitue le guide de l'action des mandataires sociaux mais qu'il n'est retenu que dans le cadre d'actions visant à sanctionner ces derniers pour abus de biens sociaux, abus de minorité ou de majorité, pour apprécier le juste motif de révocation des dirigeants, ou pour la désignation d'un administrateur provisoire, d'un expert en gestion ou d'un séquestre ; qu'en dehors de ces cas bien précis, le principe selon lequel le juge n'a pas à s'immiscer dans la gestion des personnes morales doit prévaloir ; que la Cour, faisant application de cette règle, considère qu'elle n'a pas à examiner les mérites personnels de MM [E] et [F] pour en déduire que leur éviction a, ou n'a pas, porté atteinte à l'intérêt bien compris de la société ESTERRA ;

Attendu que l'argument selon lequel l'éviction des intéressés a exposé la société ESTERRA à un risque indemnitaire est sans portée, sauf à considérer que le chef d'entreprise ne peut jamais rompre un engagement dès lors qu'il s'expose à une action en dommages et intérêts de la part de son cocontractant ;

Sur l'abus de droit

Attendu que la société SITA FRANCE affirme enfin que la révocation de MM [E] et [F] et la nomination de M. [J] constituent un abus de droit perpétré par M. [I] pour faciliter la mainmise du groupe industriel qui l'emploie (la société VEOLIA PROPRETÉ) sur la société ESTERRA et, par voie de conséquence, pour servir ses intérêts personnels ; que cette notion d'abus de droit est essentiellement fiscale mais a pu, exceptionnellement, servir de fondement à une action de nature civile ; qu'elle n'est qu'une catégorie d'abus sanctionnés plus généralement au nom de l'intérêt social, lequel, ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, n'a pas été méconnu par le conseil d'administration de la société ESTERRA lorsqu'il a décidé de révoqué M. [L] [E] de ses fonctions ou par le PDG quand il a mis fin à la convention de mise à disposition de M. [F] et a remplacé ce dernier par M. [J] ;

*

Attendu que le jugement attaqué sera confirmé en ce qu'il a débouté la société SITA FRANCE de l'ensemble de ses prétentions et M. [L] [E] de sa demande de dommages et intérêts, et a autorisé la société ESTERRA à faire publier la révocation de son directeur général délégué ;

Attendu qu'il est équitable de condamner la société SITA FRANCE à payer à la société ESTERRA la somme de 15 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, s'ajoutant à l'indemnité procédurale de 20 000 € accordée par les premiers juges ;

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Sur la demande reconventionnelle de la société ESTERRA

Attendu que la société ESTERRA se présente comme la victime de l'acharnement judiciaire de l'un de ses associés à 45 %, la société SITA FRANCE qui a, notamment, choisi la procédure à jour fixe pour mieux entraver la défense de l'adversaire et agi parallèlement en référé pour faire interdire la publication des trois décisions litigieuses, en vue de circonvenir le tribunal de commerce de Nanterre devant lequel elle a demandé la dissolution judiciaire de sa filiale ; qu'elle ajoute que son PDG doit absolument être entouré de proches collaborateurs fiables et qu'une condamnation de la société SITA FRANCE pour procédure abusive la mettrait à l'abri du conflit opposant cette dernière à la société VEOLIA PROPRETÉ ; qu'elle demande 60 000 € pour la réparation de son préjudice financier constitué par le temps passé dans l'urgence à organiser sa défense, ainsi que 100 000 € pour la réparation de son préjudice moral caractérisé notamment par une atteinte à son image et à sa réputation ;

Attendu cependant que le temps passé par ses salariés ou ses conseils, même dans l'urgence, pour organiser la défense de la société ESTERRA ne lui ouvre pas droit à des dommages et intérêts, faute de détails précis sur les charges supplémentaires susceptibles d'avoir été ainsi générées, mais uniquement à une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ce qui lui a été accordé ci-dessus ;

Attendu que la société ESTERRA, outre le fait qu'elle ne démontre pas avoir subi une atteinte à son image et à sa réputation, ne chiffre pas, à l'aide d'un décompte détaillé soumis à la critique contradictoire de son adversaire, le préjudice qu'elle dit avoir supporté de ce chef ;

Attendu que sa demande sera rejetée ;

**

Sur l'action à l'encontre de la société VEOLIA PROPRETÉ

Attendu que la société VEOLIA PROPRETÉ soulignant à juste titre que la société SITA FRANCE ne formule aucune demande à son encontre alors qu'elle l'a attraite à la présente instance, il est équitable de condamner la société SITA FRANCE à lui payer 10 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Attendu que M. [L] [E] sera débouté de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société VEOLIA PROPRETÉ ; qu'il est toutefois équitable de laisser à la charge de cette dernière ses frais irrépétibles d'appel et de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a condamné M. [L] [E], solidairement avec la société SITA FRANCE, à lui payer la somme de 10 000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort, par arrêt mis à disposition au greffe,

Ordonne la jonction du dossier n°10/444 avec celui enregistré sous le numéro 10/208,

Déclare irrecevable la note en délibéré déposée le 23 juin 2010 pour la SA SITA France.

Confirme le jugement attaqué en ce qu'il a

- débouté M. [L] [E] et la société SITA FRANCE de l'ensemble de leurs prétentions et a autorisé la société ESTERRA à faire publier la révocation de son directeur général délégué au greffe du tribunal de commerce de Lille,

- débouté la société ESTERRA de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de la société SITA FRANCE,

- condamné M. [L] [E], solidairement avec la société SITA FRANCE, à payer à la société VEOLIA PROPRETÉ la somme de 10 000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile,

L'infirme pour le surplus,

Condamne la société SITA FRANCE à payer à la société ESTERRA la somme de 15 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, s'ajoutant à l'indemnité procédurale de 20 000 € accordée par les premiers juges,

Condamne la société SITA FRANCE à payer à la société VEOLIA PROPRETÉ la somme de 10 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société SITA FRANCE et M. [L] [E] aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés, pour ceux d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,

Véronique DESMETChristine PARENTY


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 2 section 1
Numéro d'arrêt : 10/00208
Date de la décision : 24/06/2010

Références :

Cour d'appel de Douai 21, arrêt n°10/00208 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-06-24;10.00208 ?
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