La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/06/2010 | FRANCE | N°09/02137

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 7 section 1, 10 juin 2010, 09/02137


COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 7 SECTION 1



ARRÊT DU 10/06/2010



***





N° MINUTE :

N° RG : 09/02137



Jugement (N° 08/00565)

rendu le 23 Janvier 2009

par le Tribunal de Grande Instance de SAINT OMER



REF : BUL/CB





APPELANT



MINISTERE PUBLIC



représenté par Mr TAILHARDAT substitut Général

Parquet de Monsieur le Procureur Général

Cour d'Appel de Douai



INTIMÉ



Madame [F] [L]

©e le [Date naissance 1] 1928 à [Localité 7]

[Adresse 5]

[Localité 6]



Comparante en personne

Assistée de Me Eve THIEFFRY, avocat au barreau de LILLE



Adoption simple de Monsieur [E] [W]

né le [Date naissance 4] 1984 à [Localité 9]...

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 7 SECTION 1

ARRÊT DU 10/06/2010

***

N° MINUTE :

N° RG : 09/02137

Jugement (N° 08/00565)

rendu le 23 Janvier 2009

par le Tribunal de Grande Instance de SAINT OMER

REF : BUL/CB

APPELANT

MINISTERE PUBLIC

représenté par Mr TAILHARDAT substitut Général

Parquet de Monsieur le Procureur Général

Cour d'Appel de Douai

INTIMÉ

Madame [F] [L]

née le [Date naissance 1] 1928 à [Localité 7]

[Adresse 5]

[Localité 6]

Comparante en personne

Assistée de Me Eve THIEFFRY, avocat au barreau de LILLE

Adoption simple de Monsieur [E] [W]

né le [Date naissance 4] 1984 à [Localité 9] (PAKISTAN)

[Adresse 2]

[Localité 10] GRANDE BRETAGNE

DÉBATS à l'audience en chambre du Conseil du 22 Avril 2010, tenue par Alain LALLEMENT et Marie-Charlotte DALLE qui ont entendu les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui ont rendu compte à la Cour dans son délibéré.

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Gina CHIROLA

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Alain LALLEMENT, Président de chambre

Bénédicte UGUEN LAITHIER, Conseiller

Marie-Charlotte DALLE, Conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 10 Juin 2010 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Alain LALLEMENT, Président et Gina CHIROLA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

*****

Par requête enregistrée le 5 juin 2008, [F] [L] a saisi le tribunal de grande instance de Saint Omer aux fins de voir prononcer l'adoption simple par elle de [E] [W] et de dire que ce dernier s'appellera désormais [E] [L]-[W].

Par jugement du 23 janvier 2009, le tribunal de grande instance de Saint Omer a fait droit aux prétentions de la requérante et ordonné la mention de ladite adoption sur les registres de l'état civil.

Le ministère public a interjeté appel de cette décision par acte du 23 mars 2009 et demande à la Cour, aux termes de ses écritures déposées le 18 mai 2009, d'infirmer le jugement déféré.

A l'appui de ses prétentions, le ministère public se prévaut des dispositions de l'article 370-3 du code civil, selon lesquelles le consentement à l'adoption est régi par la loi personnelle de l'adopté, pour soutenir que [E] [W], sujet pakistanais, ne peut valablement consentir à une adoption que sa loi nationale prohibe.

Il fait encore observer que la décision attaquée poserait une difficulté d'exécution puisqu'elle serait impossible à transcrire en marge de l'acte de naissance de l'intéressé et qu'elle ne recevrait application qu'en France où [E] [W] ne réside même pas.

[F] [L] a conclu le 18 juin 2009 à la confirmation du jugement déféré et à la condamnation du ministère public à lui verser la somme de 2000 Euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, l'intimée fait valoir qu'elle est âgée de 78 ans et qu'après une vie particulièrement remplie, tournée vers l'altruisme et le sens du partage, elle se consacre au secours des personnes dans le besoin, en particulier des étrangers migrants, qui tentent de survivre aux alentours de [Localité 8] dans l'espoir d'une vie meilleure en Angleterre.

Elle soutient qu'un lien fort s'est tissé entre elle et [E] [W], qui lui-même a vécu la douleur de l'abandon par sa mère biologique, alors que les circonstances de la vie l'ont quant à elle privé de son désir de devenir mère. Elle ajoute que ce véritable lien quasi filial les a conduits naturellement vers un projet d'adoption à la suite d'une vie commune d'un mois et d'une relation épistolaire de plus de deux ans depuis le départ d'[E] vers l'Angleterre.

[F] [L] précise que son entourage témoigne de la sincérité de cette démarche mutuelle et prétend qu'elle s'inscrit dans la logique d'une vie dédiée aux autres.

L'intimée soutient enfin que les conditions de différence d'âge et de consentement à l'adoption sont réunies, dès lors que [E] [W] étant majeur les dispositions de l'article 370-3 du code civil invoquées par le ministère public ne lui sont pas applicables, et que la démarche ainsi entreprise n'est nullement constitutive d'un détournement de l'institution de l'adoption.

Suivant arrêt du 10 septembre 2009 la présente Cour a sursis à statuer, invité le ministère public à verser aux débats la loi pakistanaise de filiation sur laquelle il fonde son appel et renvoyé l'affaire à l'audience du 19 novembre 2009.

A l'audience du 22 avril 2010 à laquelle l'affaire a finalement été plaidée, le ministère public et l'intimée, assistée de son conseil, ont repris oralement les termes de leurs écritures.

DISCUSSION

SUR LA LOI APPLICABLE :

Attendu qu'en vertu de l'article 360 du code civil l'adoption simple est permise quel que soit l'âge de l'adopté, lequel doit néanmoins consentir personnellement à l'adoption s'il est âgé de plus de treize ans ;

Attendu que l'article 370-3 du même code dispose par ailleurs que si les conditions de l'adoption sont soumises à la loi nationale de l'adoptant, l'adoption d'un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France ;

Que cependant, s'il est de nationalité pakistanaise, [E] [W] était majeur à la date de la requête en adoption déposée par [F] [L] le 5 juin 2008 pour être né à [Localité 9] (Pakistan) le [Date naissance 3] 1984 ;

Que par conséquent les dispositions du deuxième alinéa de l'article 370-3 susvisé, qui visent exclusivement le mineur étranger, ne lui sont pas applicables, en sorte que les conditions de la présente adoption sont régies par la seule loi de l'adoptant, soit en l'occurrence la loi française.

SUR LES CONDITIONS DE L'ADOPTION :

Attendu que conformément aux dispositions de l'article 353 du code civil insérées dans le chapitre relatif à l'adoption plénière mais applicables à l'adoption simple par le renvoi expressément prévu à l'article 361 du même code, l'adoption est prononcée à la requête de l'adoptant si les conditions de la loi sont remplies et si l'adoption est conforme à l'intérêt de l'enfant et non susceptible de compromettre la vie familiale, dans l'hypothèse où l'adoptant aurait des descendants ;

Attendu qu'en premier lieu la Cour observe que les conditions relatives à l'âge de l'adoptant et à la différence d'âge entre celui-ci et l'adopté, prescrites par les articles 343-1 et 344 du code civil, sont réunies en l'espèce dès lors que [F] [L] est âgée de 82 ans et [E] [W] de 26 ans ;

Que le consentement de [E] [W] à son adoption par [F] [L] a par ailleurs été dûment recueilli le 23 octobre 2007 par Dar&Co, notaires à [Localité 10] (Royaume Uni), où résidait déjà l'intéressé ; que ledit consentement n'a pas été rétracté à ce jour ;

Que l'intimée n'ayant pas de descendant, l'adoption requise n'est pas susceptible de compromettre la vie familiale au sens de l'article 353 alinéa 2 du code civil ;

Attendu qu'il ressort des pièces versées aux débats que [F] [L] a fait la connaissance de [E] [W] en octobre 2005 alors qu'elle venait en aide à un groupe de jeunes migrants ; qu'au delà de l'aide qu'elle procure de façon habituelle aux personnes en situation difficile, il apparaît qu'une relation singulière s'est concrétisée entre elle et [E] [W] ; qu'elle a en effet hébergé le jeune homme à son domicile durant quelques semaines, ce que confirme Madame [O] [R], son auxiliaire de vie, qui relate y avoir rencontré l'intéressé en novembre 2005 ;

Que des liens particulièrement forts, de nature filiale, se sont tissés entre les deux protagonistes en dépit de la courte durée de leur vie commune ; qu'à l'issue de celle-ci il apparaît que [F] [L] a aidé moralement et financièrement celui qu'elle appelle déjà 'son fils' dans sa démarche de départ vers la Grande-Bretagne, qui a abouti, après plusieurs tentatives, moyennant un concours financier non négligeable de la part de l'intimée ;

Qu'une relation épistolaire a été entretenue depuis lors entre [F] [L] et [E] [W] de façon réciproque et particulièrement soutenue au cours des années 2006 et 2007 ; qu'il est justifié également par les factures France Telecom qu'elle produit pour la période considérée mais également pour les années 2008 et 2009 que cette relation épistolaire s'est doublée de contacts téléphoniques nombreux et réguliers ;

Que [F] [L] démontre en outre, par la production de pièces bancaires (transferts de fonds internationaux et mandats), avoir expédié régulièrement des subsides à [E] [W] en Grande-Bretagne, ce que confirment Monsieur et Madame [J], qui précisent qu'outre l'aide pécuniaire et les courriers qu'elle lui expédie, [F] [L] apporte à [E] [W] tout le soutien qu'une mère peut donner à son fils ;

Que la lecture des longues correspondances adressées par le jeune homme à l'intimée témoigne de l'affection manifestement non feinte qu'il porte à celle-ci ; qu'il n'est pas anodin d'observer qu'il appelle [F] [L] 'ma chère maman' ('my dear Mom') ; qu'il y exprime également son souci de prendre soin de l'intéressée et de venir à son secours, comme doit le faire un fils vis à vis d'un parent ;

Que les témoignages émanant de relations amicales ou sociales versés aux débats par [F] [L] viennent confirmer que celle-ci est sincèrement animée par la volonté de délivrer le jeune [E] [W] de la situation douloureuse dans laquelle il se trouve et de l'aider à accéder à une vie meilleure ; que ce projet est unanimement décrit par ces témoins

comme étant primordial pour elle et constituant même sa 'raison de vivre' ; que Monsieur [K] [U] précise ainsi que l'intimée fait preuve d'un véritable instinct maternel à l'égard du jeune homme et que son projet lui semble être d'une profonde sincérité ;

Que [F] [L] s'est même rendue à [Localité 10] où réside [E] [W] en dépit de son âge et de sa difficulté à se mouvoir ;

Que l'ensemble des éléments ci-dessus analysés démontrent suffisamment qu'étant animée par une réelle intention de créer un lien de filiation avec [E] [W], [F] [L] ne poursuit pas un but étranger à l'institution de l'adoption, ce qu'au demeurant le Ministère Public ne conteste pas ;

Que ce projet apparaît enfin conforme à l'intérêt de [E] [W] puisqu'il lui permet de traduire au plan juridique la réalité sociologique de ses liens avec [F] [L] qu'il considère aujourd'hui comme sa mère et dont il pourra ainsi porter le nom ;

Qu'eu égard à la nature des relations entre l'adoptant et l'adopté et à la sincérité manifeste de l'adoption simple requise par [F] [L] , la Cour estime que l'adoption envisagée est légitime et que l'impossibilité de sa transcription sur l'acte de naissance étranger de l'adopté ne saurait y faire obstacle ainsi que l'allègue le Ministère Public ;

Que le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.

Attendu en outre que conformément aux dispositions de l'article 1175 du code de procédure civile la juridiction saisie d'une demande d'adoption simple se prononce en la même forme sur la demande de modification du nom de l'adopté ; qu'en l'espèce, les premiers juges ont donc à raison fait droit à la demande d'adjonction du nom [L] à celui de [W] afin que l'adopté se nomme désormais [E] [L]-[W] ;

Qu'en cela également le jugement entrepris sera confirmé.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES :

Attendu qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la requérante à l'adoption la charge des frais irrépétibles exposés par elle dans la présente instance ; qu'elle sera donc déboutée de sa prétention sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Que les dépens d'appel resteront à la charge du Trésor Public.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Confirme le jugement rendu le 23 janvier 2009 par le tribunal de grande instance de Saint-Omer dans toutes ses dispositions.

Déboute [F] [L] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dit que les dépens d'appel resteront à la charge du Trésor Public.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

G. CHIROLAA. LALLEMENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 7 section 1
Numéro d'arrêt : 09/02137
Date de la décision : 10/06/2010

Références :

Cour d'appel de Douai 71, arrêt n°09/02137 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-06-10;09.02137 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award