COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 2
ARRÊT DU 28/10/2009
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N° MINUTE :
N° RG : 08/07868
Jugement (N° 06A996) rendu le 23 Septembre 2008
par le Tribunal de Commerce de VALENCIENNES
REF : BM/PC
APPELANTE
Société Civile Immobilière [B]
agissant en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par la SCP LEVASSEUR-CASTILLE-LEVASSEUR, avoués à la Cour
assistée de Maître BOUCHART membre de la SCP VANHELDER BOUCHART, avocats au barreau de VALENCIENNES
INTIMÉE
Société Anonyme AXA
agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés
ayant son siège social [Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par la SCP CONGOS-VANDENDAELE, avoués à la Cour
assistée de Maître Philip REISENTHEL, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS à l'audience publique du 30 Septembre 2009 tenue par Bernard MERICQ magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Claudine POPEK
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Bernard MERICQ, Président de chambre
Fabienne BONNEMAISON, Conseiller
Véronique MULLER, Conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 28 Octobre 2009 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bernard MERICQ, Président et Claudine POPEK, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 3 septembre 2009
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LA COUR,
FAITS ET PROCÉDURE :
1. La cour d'appel de Douai est saisie d'un litige en lien avec la rénovation et l'aménagement d'un immeuble sis [Adresse 5] (59) pour le compte de la société civile immobilière (SCI) [B], maître de l'ouvrage ; ce chantier a, après un descriptif du maître d'oeuvre M. [R] (à l'enseigne 'Cabinet Iros'), été confié en vertu d'un marché de travaux signé le 12 mars 2004 à [D] [E] épouse [P], celle-ci exploitant une activité de bâtiment (maçonnerie générale) sous l'enseigne 'Entreprise générale de bâtiment S. [P]' avec pour responsable de l'activité [U] [P] ; était prévu l'aménagement d'un rez-de-chaussée commercial et d'appartements privés en étages.
La SCI [B] ayant constaté des malfaçons, désordres et inachèvements divers a obtenu la désignation d'un expert judiciaire en la personne de M. [Y] [K] (lequel a établi son rapport le 28 novembre 2005) puis a agi en justice contre [D] [P] et contre son assureur, la société (SA) Axa assurances IARD mutuelle (Axa), laquelle a dénié sa garantie en ce que l'ouvrage n'avait pas fait l'objet de réception.
[D] [P] a été déclarée en liquidation judiciaire le 23 avril 2007, Me [X] [F] étant désigné liquidateur.
2. Selon jugement réputé contradictoire rendu le 23 septembre 2008, auquel il est entièrement fait référence pour l'exposé des données de base du procès et des prétentions et moyens respectifs des parties des parties comparantes (Me [F], ès qualités, n'ayant pas comparu), le tribunal de commerce de Valenciennes a pour l'essentiel :
- fait droit à l'action principale dirigée par la SCI [B] contre [D] [P] puis Me [F], ès qualités, et fixé la créance de réparation de la SCI [B] au passif de la procédure collective de [D] [P],
- débouté la SCI [B] de son action dirigée contre la compagnie Axa.
3. La SCI [B] a relevé appel de ce jugement, n'intimant que la compagnie Axa.
PRÉTENTIONS ET MOYENS ACTUELS DES PARTIES :
1. La SCI [B] reprend et précise devant la cour, à fins d'infirmation du jugement déféré en ses dispositions qui concernent la compagnie Axa, ses moyens et prétentions de première instance ; en substance, elle fait valoir d'une part que les désordres et malfaçons constatés relèvent de la responsabilité décennale du constructeur [D] [P], d'autre part qu'elle-même (la SCI [B]) a manifesté l'intention non équivoque de réceptionner l'ouvrage, ce qu'elle offre de prouver par divers éléments et indices de son dossier.
Elle sollicite en conséquence de voir dire la garantie de la compagnie Axa engagée en tant qu'assureur décennal de [D] [P].
2. La société (SA) Axa France reprend, à fins de confirmation, ses moyens de défense de première instance : pour l'essentiel et une fois rappelé qu'elle est poursuivie comme assureur décennal de l'entreprise de [D] [P], elle soutient que l'ouvrage confié par la SCI [B] à [D] [P] n'a pas fait l'objet de réception et qu'il ne pouvait être envisagé une telle formalité compte tenu de ce que les travaux ont été abandonnés par le constructeur [D] [P] et que le marché tel que convenu à l'origine n'a pas été soldé ; à titre subsidiaire et au cas où une réception tacite serait prononcée, elle fait valoir que les malfaçons relevées soit au constat d'huissier soit au rapport d'expertise doivent être considérées comme des réserves engageant la responsabilité contractuelle de [D] [P], non assurée ; elle ajoute qu'en toute hypothèse les dommages immatériels ne sont pas couverts.
3. L'exposé et l'analyse plus amples des moyens et des prétentions des parties seront effectués à l'occasion de la réponse qui sera apportée à leurs écritures opérantes.
* * *
DISCUSSION :
1. Le jugement est définitif dans les rapports de procédure entre la SCI [B] et [D] [P] (Me [F], ès qualités).
2. Les documents produits aux débats démontrent que :
+ de ce que l'entreprise [P] a établi dès l'origine un échéancier des paiements par le maître de l'ouvrage prévoyant comme date du dernier règlement le 1er octobre 2004, il se déduit que les travaux convenus en mars 2004 étaient censés être terminés en fin septembre 2004 ; une attestation en ce sens confirme ce point,
+ en janvier 2005, l'entreprise [P] (voir sa lettre du 20 janvier 2005) répondait aux critiques du maître de l'ouvrage, contestait le retard prétendu, soutenait que 'les appartements sont terminés depuis un moment' et s'expliquait sur des détails de finition et d'équipement de l'immeuble, notamment en lien avec EDF,
+ dès novembre 2004 puis à nouveau en début 2005, la SCI [B] a entrepris de louer les appartements en étages puis, à partir de 2006, le rez-de-chaussée commercial,
+ dès novembre 2004 (semaine 48), la SCI [B] a fait aménager une cuisine équipée puis a fait livrer des meubles,
+ le 10 janvier 2005, la SCI [B] a obtenu la certification de la conformité de l'immeuble à l'alimentation au gaz,
+ la SCI [B], même à admettre qu'elle n'a pas réglé l'intégralité du chantier tel qu'évalué a posteriori par M. [K], a respecté les situations de travaux présentées par l'entreprise [P] en sorte qu'elle a toujours été à jour de ses règlements par rapport à la facturation émise,
+ si un constat d'huissier de justice a constaté l'abandon apparent du chantier le 8 mars 2005, M. [K] a été plus précis pour constater que le marché convenu avait été exécuté à hauteur de 87 %.
De ces éléments combinés, la cour retient que l'entreprise [P] a considéré le chantier terminé en janvier 2005 et que la SCI [B], ayant réglé la facturation émise à son nom, a pris possession de l'immeuble sans objection du constructeur, lequel n'a plus émis de facture postérieurement : cette situation caractérise une réception tacite de l'ouvrage.
3. Même à analyser les désordres et malfaçons comme des réserves à la réception, il y a lieu de prendre en considération que [D] [P], assignée en référé en mars 2005, n'a pas proposé de remédier aux problèmes dénoncés au constat du 8 mars 2005 dans des conditions qui auraient permis la levée des réserves.
Ultérieurement, la mise en liquidation judiciaire de [D] [P] a rendu impossible tous travaux de réfection à envisager par l'entreprise [P].
Cette situation conduit à décider que les désordres et malfaçons relevés dans l'immeuble [B] sont susceptibles d'entrer dans le champ de la garantie décennale due par l'entreprise [P], couverte par la société Axa.
4. Le rapport d'expertise de M. [K] ne fait l'objet d'aucune critique technique.
Il peut donc servir de base utile pour trancher le présent procès.
La plupart des désordres et malfaçons relevés par cet expert relèvent de la garantie décennale car l'immeuble est rendu impropre à sa destination : il en est ainsi notamment des ouvrages suivants :
* les escaliers intérieurs ne respectent pas les normes réglementaires, leur largeur n'est pas même conforme aux espaces qui avaient été réservés dans la maçonnerie, elle est encore moins compatible avec les exigences posées par la famille [B] dont plusieurs enfants souffrent de handicap, ce qui était connu de l'entreprise [P] (rapport p. 19 et 20),
* les tuyaux de chauffage sanitaire ayant été positionnés de façon erratique et sans relevé précis d'emplacement, l'expert M. [K] a constaté dès 2005 des fuites importantes.
En principe, donc, la police Axa doit jouer.
5. Il convient cependant d'examiner les contestations ponctuelles émises, quant au caractère décennal prétendu de certains désordres, par la société Axa :
# gros oeuvre - problèmes sur linteaux du rez-de-chaussée (p. 10) : M. [K] n'a relevé qu'un désordre esthétique et la SCI [B] ne cherche pas à démontrer qu'il se serait agi en réalité d'un désordre évolutif mettant en jeu la solidité de l'immeuble,
# trappe d'accès au sous-sol et escalier d'accès à la cave (p. 12) : M. [K] caractérise que cet aménagement est en l'état impraticable en sorte qu'il est impropre à sa destination,
# tableaux et linteaux des fenêtres (p. 14) : il s'agit d'un désordre généralisé, l'entreprise [P] ayant mal pris les cotes des fenêtres à poser puis ayant, sur douze fenêtres, aménagé une ouverture de dimensions erronées, ce qui l'a amenée à réaliser des calfeutrements de mortier de dimensions et d'épaisseur variables : ce remède 'de bricolage' mis en oeuvre systématiquement par l'entreprise [P] conduit à considérer qu'à terme bref et certain ces ouvrages perdront leur solidité et leur étanchéité à l'air ou à l'eau en sorte que le désordre est décennal,
# porte de chaufferie (p. 18) : l'entreprise [P] a posé en extérieur une porte qui ne peut supporter les contraintes climatiques en sorte qu'elle est à terme bref et certain condamnée à perdre toute solidité : le désordre est décennal,
# défaillances de l'installation électrique (p. 28) : en l'état constaté par M. [K], l'installation électrique n'est pas utilisable correctement et en sécurité : il s'agit dès lors d'un désordre décennal, garanti par la société Axa en ce que, aux conditions particulières de la police multirisque artisan souscrite par [D] [P], l'activité 'électricité basse et moyenne tension' a été déclarée,
# moins values pour une porte palière mal positionnée et deux châssis d'occasion (p. 31) : rien ne permet de considérer que ces problèmes affectent la solidité de l'immeuble ou le rendraient impropre à sa destination.
6. En considération des chiffres déterminés par M. [K], des désordres retenus comme de nature décennale, de la nécessaire exclusion du désordre seulement esthétique et des moins-values non de nature décennale (en tout le chiffre de : 810 + 1 200 + 350 = 2 360,00 €) et du solde restant dû à l'entreprise [P] (14 976,03 €), la société Axa doit sa garantie à l'entreprise [P] pour le chiffre de :
36 331,19 - 2 360,00 - 14 976,03 = 18 995,16 € TTC.
7. La SCI [B] revendique également la prise en charge par la société Axa de '13 000 € pour les postes jugés irréparables par l'expert' : sur ce point, les conclusions prises à hauteur d'appel par la SCI [B] sont des plus concises mais la lecture de son assignation introductive d'instance permet de comprendre qu'elle vise en
réalité des ouvrages et défectuosités que l'expert a constatés mais dont il n'a pu évaluer un quelconque coût de réfection compte tenu des sondages destructifs qui auraient été à réaliser (par exemple : traces d'amiante non prises en considération par l'entreprise [P], impossibilité d'accès au sous-sol, etc...).
Cependant, la réclamation de la SCI [B] repose ici plus sur un raisonnement que sur la démonstration que seraient en cause la solidité de l'immeuble ou sa conformité à sa destination.
La réclamation ne peut être retenue.
8. La SCI [B] revendique encore une indemnisation pour le 'retard de livraison' à hauteur de 28 600,00 €.
Cependant, sa propre thèse qui postule une réception tacite caractérisée par une prise de possession dès novembre 2004 voire au plus tard en mars 2005 empêche de caractériser un retard de livraison susceptible d'entraîner des pénalités de retard.
En tout cas, il s'agit d'un poste de préjudice qui n'est pas couvert par la police d'assurance décennale Axa.
9. Il en va de même du 'préjudice moral', s'agissant d'un préjudice immatériel qui, en ce qu'il est pour l'essentiel la conséquence du retard de livraison prétendu (et non garanti), ne peut être considéré comme découlant directement d'un préjudice matériel garanti.
* * *
PAR CES MOTIFS :
Statuant dans les limites de l'appel, non opposable à Me [F], ès qualités :
- infirme le jugement déféré ;
ET, STATUANT À NOUVEAU :
- dit que la société Axa doit sa garantie à [D] [P], en application de la police multirisque artisan souscrite le 23 avril 1999 sous le n° 1119192604, des désordres de nature décennale relevés dans l'immeuble de la SCI [B] ;
- condamne la société Axa en tant qu'assureur décennal de [D] [P] à payer à la SCI [B] les sommes suivantes :
+ 18 995,16 € TTC (dix huit mille neuf cent quatre vingt quinze euros et seize cts) au titre de la garantie décennale
+ 2 000,00 € (deux mille euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile, pour la totalité de l'instance ;
- rejette tous autres moyens et prétentions plus amples ;
- condamne la société Axa en tant qu'assureur décennal de [D] [P] aux entiers dépens de la première instance (y compris référé antérieur et coût de la mesure d'expertise de M. [K]) et de l'instance d'appel, avec pour ces derniers faculté de recouvrement direct en application de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SCP Levasseur-Castille-Levasseur, avoués.
LE GREFFIER,LE PRESIDENT,
C. POPEKB. MERICQ