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30/03/2007 | FRANCE | N°06/02138

France | France, Cour d'appel de Douai, Ct0173, 30 mars 2007, 06/02138


ARRET DU 30 Mars 2007

N 509 / 07
RG 06 / 02138
JUGT Conseil de Prud'hommes de BETHUNE EN DATE DU 21 Juin 2002

NOTIFICATION
à parties
le 30 / 03 / 07
Copies avocats
le 30 / 03 / 07
COUR D'APPEL DE DOUAI Chambre Sociale

-Prud'Hommes-
APPELANT :
M. Stéphane X... ...59100 ROUBAIX Représentant : Me Thomas BUFFIN (avocat au barreau de LILLE)

INTIMEE :
S. A. ROQUETTE FRERES Rue de la Haute Loge 62136 LESTREM Représentant : Me Jacques NICOLAS (avocat au barreau de HAUTS DE SEINE) substitué par Me BEAUX en présence de M Michaë

l B..., responsable juridique et social de la société

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBER...

ARRET DU 30 Mars 2007

N 509 / 07
RG 06 / 02138
JUGT Conseil de Prud'hommes de BETHUNE EN DATE DU 21 Juin 2002

NOTIFICATION
à parties
le 30 / 03 / 07
Copies avocats
le 30 / 03 / 07
COUR D'APPEL DE DOUAI Chambre Sociale

-Prud'Hommes-
APPELANT :
M. Stéphane X... ...59100 ROUBAIX Représentant : Me Thomas BUFFIN (avocat au barreau de LILLE)

INTIMEE :
S. A. ROQUETTE FRERES Rue de la Haute Loge 62136 LESTREM Représentant : Me Jacques NICOLAS (avocat au barreau de HAUTS DE SEINE) substitué par Me BEAUX en présence de M Michaël B..., responsable juridique et social de la société

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE
JG. HUGLO : PRESIDENT DE CHAMBRE

P. NOUBEL : CONSEILLER

P. RICHEZ : CONSEILLER

GREFFIER lors des débats : M. ROUE
DEBATS : à l'audience publique du 06 Février 2007
ARRET : Contradictoire prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 Mars 2007, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du nouveau code de procédure civile, JG. HUGLO, Président, ayant signé la minute avec M. ROUÉ, greffier lors du prononcé Faits et procédure ;

M. Stéphane X... a été engagé le 1er avril 1997 par contrat à durée indéterminée par la société ROQUETTE FRERES en qualité de responsable commercial ;
Il devenait le 1er septembre 1999 chef du service export papier carton ondulé ;
Par lettre remise en mains propres le 3 décembre 2001 M. X... a été convoqué à un entretien préalable à son éventuel licenciement fixé au 5 décembre et mis à pied à titre conservatoire ;
L'entretien s'est déroulé le jour prévu ;
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 10 décembre 2001 M. X... a été licencié pour faute grave selon les motifs suivants :
" Ce préalable étant réglé, nous vous avons alors exposé les griefs à votre encontre. Ces griefs sont les suivants :

-Après avoir été alertés dans un premier temps par le Médecin du Travail qui a fait part à la DRH du trouble et de la détresse de certains salariés suite à la circulation et la prise de connaissance d'images et de documents pornographiques dans l'entreprise, il s'est avéré que 2 personnes, travaillant à vos côtés et sous votre supervision, se sont spontanément et librement manifestées auprès de la DRH en apportant les preuves matérielles de ces documents et images pornographiques reçues, depuis plusieurs mois, sur leur messagerie électronique, et ont demandé à ce qu'une démarche officielle soit désormais engagée pour faire cesser ces pratiques devenues insupportables pour elles.
-Ces 2 personnes, qui avaient délégation de courrier (partage de la boîte aux lettres électronique) ont indiqué vous avoir, à plusieurs reprises, mais en vain, demandé de faire cesser ces pratiques qu'elle réprouvaient, et ont mis en avant leurs difficultés personnelles face à ces situations répétées et subies, notamment leur perturbation, leur trouble et leur déstabilisation autant personnelle que professionnelle.
-Devant cette situation, nous nous sommes rendus dans votre bureau, le lundi 3 décembre, en présence de votre Responsable Hiérarchique pour recueillir vos observations ; Vous avez alors reconnu recevoir régulièrement de l'extérieur, depuis plusieurs mois, via la messagerie électronique de l'Entreprise, des fichiers textes et images de nature " légère " et en être en possession sur votre ordinateur portable, mais en prétextant que ceux-ci, à votre sens, n'avaient rien de choquant pour quelqu'un de votre génération. Vous avez également reconnu avoir diffusé, dans l'Entreprise, certains de ces documents, mais uniquement à certaines personnes faisant partie de vos relations privées. Enfin, vous avez reconnu que les 2 secrétaires assistantes qui travaillaient pour vous avaient pris connaissance de ces documents en raison de la délégation de courrier qu'elles possédaient pour ouvrir votre courrier.

-Afin d'évaluer réellement la nature et la portée de ces fichiers, documents ou images, il vous a été demandé de bien vouloir ouvrir et montrer le contenu de votre ordinateur portable. Pour ce faire, il vous a été proposé que cette consultation soit effectuée en présence d'un témoin ou d'un Représentant du Personnel, ce que vous avez alors accepté.
-Une fois Monsieur Raphaël D... (Délégué Syndical) présent, nous avons constaté que plus de 75 fichiers, regroupés dans un dossier nommé " jokes ", occupaient plus de 40 M. O. sur votre disque dur. L'ouverture d'une partie de ceux-ci a révélé des images, photos et animations à caractère pornographique particulièrement choquantes, pouvant être même traumatisantes pour les personnes qui les ont reçues malgré elles, notamment les deux secrétaires. Par ailleurs, certains de ces fichiers démontraient à l'évidence la circulation ou l'échange de ces documents entre quelques salariés de l'Entreprise par l'intermédiaire de la messagerie électronique de la société.

-Enfin il a été mis en avant que le matériel professionnel mis à votre disposition, en particulier l'ordinateur portable, avait été utilisé à des fins personnelles tout à fait excessives et prohibées par l'article 9 du règlement intérieur de la Société, ce qui a pu être constaté suite à l'accord que vous avez donné, ce Lundi 3 Décembre, en présence du Délégué Syndical appelé comme témoin, de laisser vérifier le contenu de votre PC et que, de plus, vous aviez mis en danger le système informatique de l'Entreprise par des fichiers extérieurs susceptibles de contenir des virus.
Outre la disposition du règlement intérieur précitée, il vous est rappelé qu'une note du 8 février 2001, émanant de la D. S. I. C. et rédigée par Monsieur Didier E..., note qui vous a été transmise le 19 Février ainsi qu'à d'autres utilisateurs, stipulait dans son dernier paragraphe : " En attendant la diffusion de la charte informatique, nous vous demandons de rester vigilants sur les communications que vous pourriez envoyer et recevoir, et de n'utiliser votre messagerie internet que dans le cadre exclusif de votre activité professionnelle. "
L'entretien préalable n'ayant apporté aucun élément susceptible de remettre en cause les griefs qui vous sont reprochés et qui peuvent être résumés ainsi :
1. Actes ayant généré une situation intolérable à l'encontre de personnes placées sous votre supervision, et qui a perturbé non seulement leur activité professionnelle mais aussi leur état psychologique.
2. Utilisation abusive du matériel professionnel mis à votre disposition à des fins personnelles sans aucun rapport avec votre activité et susceptible de causer un dommage au réseau informatique de l'Entreprise.
Nous nous voyons donc dans l'obligation de mettre fin au contrat de travail qui vous lie à notre Entreprise. En effet, cette situation ne peut plus être poursuivie sans dommage pour l'Entreprise et les personnes concernées, et les conséquences immédiates de vos agissements et comportements rendent désormais impossible la poursuite de votre activité au sein de notre Société même pendant un préavis. "
Le 18 décembre 2001 M. X... saisissait le Conseil de prud'hommes de Béthune en contestant son licenciement ;
Par jugement en date du 21 juin 2002, le Conseil de prud'hommes disait le licenciement fondé par une cause réelle et sérieuse mais non constitutive d'une faute grave, condamnait la SA ROQUETTE FRERES à verser à M. X... les sommes de 971,86 euros au titre du salaire afférent à la mise à pied conservatoire,11662,35 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,1166,23 euros au titre des congés payés y afférents,3887,45 euros au titre de l'indemnité de licenciement,1140 euros au titre de l'inutilisation du véhicule de fonction,300 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et rejetait les autres demandes du salarié ;
Le jugement était notifié le 25 juin 2002 et M. X... en interjetait appel le 12 juillet 2002 ;
Par arrêt du 30 avril 2003, la cour d'appel prononçait un sursis à statuer à la suite de la plainte déposée par M. X... envers la société ROQUETTE auprès du Parquet de Béthune ;
Un classement sans suite intervenait le 27 octobre 2005 ;
L'affaire était réaudiencée et faisait l'objet d'une ordonnance de radiation de la cour le 30 mai 2006, les parties n'étant pas en état ;
Elle était réinscrite à la demande de M. X... le 23 août 2006 ;
Vu l'article 455 du nouveau code de procédure civile, tel qu'il résulte du décret n 98-1231 du 28 décembre 1998 ;
Vu les conclusions de M. X... en date du 23 août 2006 et celles de la SA ROQUETTE FRERES en date du 6 février 2007 ;
Les conseils des parties ayant été entendus en leurs plaidoiries qui ont repris les conclusions écrites ;
Attendu que M. X... demande l'infirmation du jugement en ce qu'il a estimé le licenciement fondé par une cause réelle et sérieuse, de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, de condamner l'employeur à lui verser, outre les sommes accordées par le Conseil de prud'hommes, les sommes de 93298,80 euros au titre de l'indemnité de l'article L 122-14-4 du code du travail et de 3000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Attendu que la société ROQUETTE FRERES demande la confirmation du jugement en ce qu'il a dit le licenciement justifié, l'infirmation du jugement en ce qu'il a dit que le licenciement n'était pas fondé par une faute grave, de dire le licenciement fondé par une faute grave, de rejeter les demandes de M. X..., d'ordonner le remboursement des sommes acquittées en exécution du jugement et de condamner M. X... à lui verser la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Sur ce, la Cour ;
Sur le bien fondé du licenciement ;
Attendu que la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée limitée du préavis sans risque de compromettre les intérêts légitimes de l'employeur ;
Attendu qu'aux termes des dispositions de l'article L. 122-14-2 du code du travail, l'employeur est tenu d'énoncer le ou les motifs du licenciement dans la lettre prévue à l'article L. 122-14-1 du même code ;
Que la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d'autres griefs que ceux énoncés dans celle-ci, peu important les motifs allégués antérieurement ou en cours de procédure ;
Attendu qu'en l'espèce, la lettre de licenciement est motivée comme la cour l'a citée dans la partie Faits et procédure du présent arrêt ;
Attendu, sur le second grief, que, si une charte de l'utilisation de l'outil informatique était en cours d'élaboration au sein de la société ROQUETTE, celle-ci n'était pas encore formalisée lors du licenciement ; qu'en revanche, un mémorandum du 8 février 2001 adressé au personnel indiquait : " en attendant la diffusion de cette charte, nous vous demandons de rester vigilants sur les communications que vous pourriez envoyer et recevoir, et de n'utiliser votre messagerie internet que dans le cadre exclusif de votre activité professionnelle " ;
Attendu que le salarié a droit, même au temps et sur le lieu de travail, au respect de l'intimité de la vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; que l'employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur ;
Que M. X... fait valoir sans être contredit sur ce point qu'il recevait une centaine de messages Emails professionnels par semaine, soit 3200 courriels de mars à décembre 2001 ; que les messages à titre privé produits par l'employeur sont au nombre de 28 ; qu'il n'y a donc pas eu d'abus dans l'utilisation de la messagerie ;
Que le second grief n'est pas constitué ;
Attendu, sur le premier grief, que l'employeur produit en de multiples exemplaires l'attestation de Mme F..., assistante commerciale qui était sous la direction de M. X..., datée du 26 février 2002 qui témoigne que, depuis la mise en place d'outlook express au sein de l'entreprise, elle avait une délégation systématique de tous les messages E mails reçus par M. X... ; qu'il s'agissait d'une pratique générale de l'entreprise pour assurer le suivi des dossiers ; que Mme G... avait une délégation automatique des messages à partir de l'ordinateur de Mme F... ; qu'elle a commencé à recevoir des messages émanant de tiers adressés à M. X... comportant des textes grossiers ou des images à caractère pornographique ; qu'elle a demandé à M. X... de cesser de tels transferts ; que celui-ci lui a assuré avoir installé un filtre mais les messages ne cessaient pas ; qu'il a alors supprimé la délégation automatique, ce qui n'a pas tardé à causer des problèmes professionnels ; qu'elle a constaté que la délégation automatique avait été restaurée et qu'elle a de nouveau reçu des messages comportant des images pornographiques ; que Mme H..., sa collègue qui la remplaçait lorsqu'elle était absente, s'est confiée à M. I... qui faisait partie du service et qui devait prochainement intégrer la direction des ressources humaines ;
Que, devant les services de la gendarmerie, Mme F... a effectué des déclarations plus nuancées et a indiqué que M. X... n'était pas informé de la délégation de messagerie existant entre son ordinateur et celui de Mme G... ; qu'avant les vacances d'août 2001, elle en a avisé M. X... qui lui a demandé de supprimer la délégation pendant ses congés ; qu'il ne voulait pas que Mme G... puisse accéder à des dossiers contenus dans son ordinateur ; que, fin mars 2001, elle a commencé à recevoir des photographies et des clips vidéo ; qu'à cette époque elle n'était pas offusquée ; qu'ensuite, elle fit part de son désaccord à M. X... qui lui avait dit que cela ne se reproduirait plus ; qu'elle a continué à recevoir de tels messages de temps à autre de mars à juin 2001 ; qu'il y avait des périodes où elle ne recevait rien sans qu'elle puisse savoir si M. X... avait supprimé sa délégation ou faisait un tri ; qu'en septembre et octobre 2001, pendant le voyage de M. X... aux Etats Unis, de nouveau elle a reçu de tels messages ; qu'elle avait un surcroît de travail à trier et supprimer ces messages ; que c'est Mme G... qui la première en a parlé à la médecine du travail ; qu'elle a en effet copié certains messages sur une disquette à la demande de M. J..., directeur des ressources humaines, en utilisant sa délégation en provenance de l'ordinateur de M. X... puisqu'elle n'avait pas accès à cet ordinateur celui-ci étant protégé par un mot de passe ;
Attendu que Mme G... confirme dans son attestation, produite en de multiples exemplaires par la société ROQUETTE, qu'elle avait une délégation automatique des messages reçus par MM. K... et L... ainsi que de Mme F... ; qu'elle recevait ainsi indirectement les messages reçus par M. X... ; qu'elle a pu lire ainsi, lors des remplacements de sa collègue, des messages où " les femmes étaient traitées de façon dégradante " ; qu'elle a fait part à sa collègue de cette situation en lui demandant d'insister pour que de tels messages n'arrivent plus sur leurs postes de travail ; qu'elle a signalé ces faits à M. I... puis au médecin du travail lors de la visite annuelle ;
Attendu que cette visite annuelle a eu lieu le 23 novembre 2001 ;
Que, devant les services de la gendarmerie, Mme G... a toutefois indiqué qu'elle n'avait pas d'accès direct à la messagerie de M. X... mais seulement à celle de Mme F... ; qu'elle pouvait lire la messagerie de M. X... à son insu ; que la délégation lui avait été donnée par Mme F... et qu'elle ne pouvait affirmer que ses supérieurs en soient informés ; que Mme F... lui a fait part qu'il y avait des messages à caractère pornographique sur la messagerie de M. X... et lui a fait lire certains messages ; qu'elle a trouvé des photographies pornographiques lors des remplacements de sa collègue ; que celle-ci par ailleurs lui faisait voir les vidéos ; qu'à la demande de M. J..., directeur des ressources humaines, Mme F... et elle même ont copié les messages sur une disquette après la visite au médecin du travail ;
Que le médecin du travail, Mme M..., atteste qu'elle a reçu Mme G... le 23 novembre 2001 et que celle-ci présentait une souffrance psychologique importante et déstabilisante due à la réception répétée de documents non professionnels à caractère pornographique ; qu'elle lui a fait part de ce qu'une autre collègue était également perturbée ; que celle-ci lui a téléphoné l'après midi même pour lui dire que cela durait depuis plusieurs mois ; qu'elle leur a conseillé d'alerter le service du personnel ; qu'elle même en a parlé le 23 novembre 2001 à Mme N..., responsable de la gestion des ressources humaines des départements commerciaux ;
Que M. O..., responsable du personnel, déclare avoir été alerté par Mme N... le 26 novembre 2001, et avoir eu un entretien à ce sujet avec le médecin du travail le 27 novembre ; que, le lendemain, Mmes G... et F... se sont fait connaître ;
Que, des attestations produites par l'employeur de M. O... et de M. P..., directeur commercial adjoint, il résulte que, le 3 décembre 2001, ils se sont présentés au bureau de M. X..., accompagnés de M. J..., directeur des ressources humaines, et ont demandé à M. X... son accord pour consulter son ordinateur et notamment ses messages E mails ; que celui-ci a donné son accord sur la pression de M. J... qui indiquait que l'ouverture de l'ordinateur se ferait sinon par huissier de justice ou par les services de police ; que cela a été fait en présence de M. D..., délégué syndical ; que des messages ont été consultés et qu'un dossier intitulé " jokes " a été ouvert ; que ce dossier comprenait 70 fichiers comprenant des textes, des images et des animations vidéo à caractère pornographique ;
Que M. D..., devant les services de la gendarmerie, déclare avoir été appelé par M. J... le 3 décembre 2001 pour le rejoindre dans le bureau de M. X... ; que M. J... a demandé à M. X... l'accès à ses fichiers d'ordinateur en lui précisant que, s'il refusait, il y aurait une saisie par huissier ou par la police nationale en mentionnant la possibilité d'entamer des poursuites judiciaires ; que M. X... par intimidation a donné le code d'accès et que M. J... a consulté non seulement la messagerie mais aussi un dossier intitulé " jokes " où il est allé directement ; qu'il l'a ouvert et a présenté les messages, les photographies et les animations vidéo à caractère pornographique ; qu'il a proposé alors à M. X... la démission " pour sauver son honneur " ou la mise à pied pour licenciement ;
Attendu que l'ouverture de la messagerie du salarié a eu lieu avec son accord et en présence du délégué syndical ;
Attendu que l'employeur produit les messages en cause ; que la cour constate qu'il s'agit de messages transférés de M. X... à Mme F... avec la mention " transféré automatiquement par une règle " ; que ces messages comportent quelques rares phrases grossières avec des fichiers joints avec les mentions jpg ou DSCN qui démontrent qu'il s'agit de photographies ; que des vidéos figurent aussi en fichiers joints ; qu'aucune photographie ni vidéo n'est produite ;
Que M. X... ne conteste pas qu'il s'agissait d'images à caractère pornographique ou humoristique ;
Que ces messages commencent le 15 mars 2001 et se terminent le 12 juillet 2001 pour reprendre le 22 octobre 2001 jusqu'au 29 novembre 2001 ; qu'un seul message transféré à Mme G... est produit et daté du 29 novembre 2001 ; qu'il s'agit d'un message mentionnant simplement : " y'a pas en avant ! ! ! " avec une vidéo dont la nature n'est pas précisée ;
Attendu que figurent au dossier un Email de M. X... adressé à M. Q... le 9 mars 2001 disant : " comme tu le vois, je dispose désormais d'une adresse professionnelle. Cela sera plus facile pour communiquer car je pourrai lire tes messages au quotidien (chez moi je vérifie ma boîte qu'occasionnellement !). Pour la bonne forme, il faut éviter de m'envoyer autre chose que du texte sur mon E-mail pro et le reste sur mon adresse privée " ainsi qu'une attestation de M. R..., employé dans une autre société, qui témoigne que M. X... lui avait demandé depuis plusieurs mois d'arrêter tout envoi de messages à caractère sexuel ou pornographique et que ce type de messages s'étant largement généralisé dans le monde professionnel il n'avait pas tenu compte des avertissements de M. X... ;
Que, toutefois, cette attestation de M. R... mentionne également que M. X... lui avait dit qu'il avait désormais une adresse Email personnelle et qu'il s'apprêtait début décembre 2001 à modifier son carnet d'adresses, ce qui n'est pas exact puisqu'il résulte du message Email adressé par M. X... à M. Q... le 9 mars 2001 qu'il avait déjà une adresse Email personnelle chez lui ; que cela n'ôte toutefois pas la véracité des autres faits mentionnés dans l'attestation de M. R... ;
Attendu que M. X... produit une attestation de Mme S..., assistante commerciale ayant travaillé avec lui, qui témoigne avoir eu connaissance de filtres mis en place par M. X... afin que son assistante Mme F... ne puisse avoir accès à certains messages Emails à caractère privé ; qu'elle n'a jamais constaté que Mmes F... et G... étaient perturbées par la lecture de certains messages ; qu'elle a rencontré Mme F... à sa demande, laquelle était embarrassée et lui a affirmé qu'elle avait subi des pressions de la part du service du personnel pour dire que la lecture de certains messages l'avait choquée ; que cette attestation est corroborée par celle de M. L..., ingénieur support technique et développement, qui témoigne que Mme F... lui a indiqué avoir subi des pressions le 4 décembre 2001 de la part de la direction des ressources humaines pour dire que la réception de ces messages la gênait ; que M. L... atteste par ailleurs qu'il n'a jamais constaté que Mmes G... et F... étaient perturbées par la réception des messages de M. X... et qu'il a eu connaissance de l'installation de filtres sur la messagerie de M. X... ;
Qu'il produit également l'attestation de M. DE T...V..., cadre commercial ayant eu Mme G... sous sa responsabilité qui témoigne que, lors de sa réception de départ, Mme G... a déclaré en parlant de M. X... : " ce n'est pas un petit jeune d'une trentaine d'années qui va me donner des ordres ! Je vais lui en faire voir de toutes les couleurs ! " ;
Attendu que le salarié a droit, même au temps et sur le lieu de travail, au respect de l'intimité de la vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; que l'employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur ;
Que ce droit au respect de l'intimité de la vie privée, même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur, implique nécessairement le droit pour le salarié de transmettre son adresse Email professionnelle à son entourage privé ; que le salarié a le droit d'utiliser à des fins privées le matériel informatique mis à sa disposition par l'employeur dès lors que cette utilisation demeure raisonnable et ne remet pas en cause l'accomplissement par le salarié de ses fonctions ;
Que la protection de la vie privée constitue une liberté fondamentale ; que celle-ci ne saurait varier selon que le salarié travaille dans une entreprise où a été mis en place un système de transfert automatique de la messagerie ou non ;
Que, dès lors que l'employeur a procédé à la mise en place au sein de ses services d'un transfert automatique de la messagerie de certains de ses salariés envers d'autres, il lui appartient de prendre les mesures nécessaires afin de préserver l'intimité de la vie privée de ses salariés ; que seul l'envoi volontaire par le salarié de messages à caractère personnel vers d'autres salariés et de nature à les perturber psychologiquement pourrait constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement ;
Que, dès lors, la cour ne peut retenir en tant que grief l'état perturbé revendiqué par Mme G... dès lors que l'enquête de gendarmerie a démontré, ce que Mme F... reconnaît d'ailleurs, que c'est à l'insu de M. X... qu'une délégation opérant un transfert automatique de la messagerie a été installée sur l'ordinateur de Mme F... de façon à ce que Mme G... reçoive les messages reçus par celle-ci ; que, lorsque M. X... a appris l'existence de cette délégation vers l'ordinateur de Mme G..., il a demandé sa suppression ;
Que M. U...ne peut dès lors se voir imputer la transmission sur l'ordinateur de Mme G... des messages qu'il recevait à titre privé ;
Qu'en ce qui concerne Mme F..., la cour constate que celle-ci ne s'est jamais plainte à la direction de la situation ; que les attestations de Mme S... et de M. L..., qui sont toujours salariés de la société ROQUETTE, montrent que Mme F... n'était pas particulièrement perturbée par ces messages alors même que Mme G... a indiqué que c'est Mme F... qui l'invitait à venir voir les messages et les vidéos ; que ce n'est qu'à la suite de la plainte de Mme G... au médecin du travail que Mme F... a fait part de la situation ; que les messages ont cessé le 12 juillet 2001 pour reprendre le 22 octobre 2001 jusqu'au 29 novembre 2001 ; que la cour constate que les messages comportent certes quelques propos grossiers mais que les photographies et les vidéos ne figurent qu'en fichiers joints ce qui suppose que le destinataire fasse l'acte positif d'ouvrir ce fichier ou de l'enregistrer sur le disque dur de l'ordinateur avant de l'ouvrir ; que M. X... conteste avoir remis en place la délégation à Mme F... à compter du 22 octobre 2001 ; qu'il affirme avoir mis en place des filtres et que cela est corroboré par les attestations de Mme S... et de M. L... ;
Que, si le salarié savait qu'il existait une pratique de délégation automatique de la messagerie puisqu'il est reconnu qu'il s'agissait d'une pratique générale de l'entreprise, il est démontré qu'il est parvenu à mettre en place un filtrage des messages ou à faire cesser la délégation puisqu'aucun message n'est produit pour la période du 12 juillet au 22 octobre 2001 ; qu'aucun élément du dossier ne permet de déterminer qui est à l'origine du rétablissement du transfert automatique de la messagerie de M. X... vers celle de Mme F... à compter du 22 octobre 2001 ; que la charge de la preuve de la faute grave pèse sur l'employeur ; qu'il lui appartient donc de démontrer que c'est le salarié qui est à l'origine du transfert de messagerie à compter du 22 octobre 2001, ce que l'employeur ne fait pas en l'espèce ;
Que le premier grief n'est dès lors pas constitué ;
Attendu que la lettre de licenciement évoque par ailleurs l'existence d'un dossier intitulé " jokes " sur lequel le salarié avait en fait placé les fichiers joints reçus en annexe des messages privés et dans lequel figuraient notamment des photographies et des vidéos à caractère pornographique ;
Que l'ouverture de ce dossier intitulé " jokes " et qui présentait de ce fait un caractère privé et non professionnel a toutefois eu lieu en présence du salarié et avec son accord ;
Que l'ordinateur de M. X... avait un mot de passe et n'était pas accessible à des tiers ; que ce dossier avait un intitulé démontrant son caractère privé ;
Qu'en l'absence de toute charte informatique réglementant l'utilisation de l'ordinateur mis à la disposition des salariés, et dès lors que ceux-ci ont droit à la protection de leur vie privée même au temps et sur le lieu du travail, l'existence d'un tel dossier inaccessible aux tiers, dès lors qu'il n'est pas soutenu que ces images ou vidéos mettaient en cause des mineurs ou que les fichiers concernés relevaient d'activités illicites, ne constitue pas une cause réelle et sérieuse de licenciement ;
Qu'aucun élément n'est apporté par la société ROQUETTE quant aux perturbations du système informatique évoquées dans la lettre de licenciement ;
Attendu, enfin, que la société ROQUETTE invoque le caractère propre à l'entreprise, étant une société ancienne de famille attachée à un certain nombre de valeurs morales ;
Attendu toutefois que le contrat de travail de M. X... ne contient aucune clause spécifique à cet égard ; que, par ailleurs, le caractère propre de l'employeur ne peut être reconnu à une entreprise industrielle et commerciale présente sur le marché de l'agrochimie extrayant l'amidon et ses dérivés, en l'absence de tout élément objectif quant au caractère propre de son activité ;
Que la cour estime en conséquence le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Que le jugement sera infirmé de ce chef ;
Attendu que compte tenu des circonstances de la rupture, de la brutalité de celle-ci, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, de son ancienneté dans l'entreprise et de l'effectif de celle-ci, la cour estime que le préjudice subi doit être fixé à la somme de 50000 euros en application des dispositions de l'article L. 122-14-4 du code du travail ;
Qu'il y a lieu de confirmer le jugement quant aux indemnités de préavis et de licenciement, au salaire afférent à la mise à pied conservatoire et à la somme due au titre de l'inutilisation du véhicule de fonction, dont les quantums ne sont pas contestés ;
Sur l'application d'office des dispositions de l'article L122-14-4 du code du travail en faveur de l'ASSEDIC ;
Attendu que le salarié ayant plus de deux ans d'ancienneté et l'entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient d'ordonner le remboursement par l'employeur fautif à l'ASSEDIC des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement dans la limite de trois mois en application des dispositions de l'article L. 122-14-4 du code du travail ;
Sur la demande formée par M. X... au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Attendu qu'il convient à cet égard de lui allouer pour l'ensemble de la procédure une indemnité dont le montant sera précisé au dispositif de la présente décision sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Sur la demande d'indemnité au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile formulée par la SA ROQUETTE ;
Attendu que la partie succombe dans ses prétentions et est condamnée aux entiers dépens ;
Qu'il convient donc de rejeter sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Sur les intérêts ;
Attendu que conformément aux dispositions des articles 1153 et 1153-1 du code civil, les condamnations prononcées emportent intérêts au taux légal :
-à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour l'indemnité compensatrice de préavis, de licenciement, le salaire et ses accessoires et d'une façon générale pour toutes sommes de nature salariale ;-à compter de la présente décision pour les sommes de nature indemnitaire ;

Attendu que conformément à l'article 1153-1, second alinéa, du code civil, les condamnations confirmées emportent les intérêts au taux légal à compter de la décision déférée ;
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement en ce qu'il a dit le licenciement fondé par une cause réelle et sérieuse et au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Dit le licenciement de M. Stéphane X... non fondé par une cause réelle et sérieuse ;
Condamne la SA ROQUETTE FRERES à verser à M. X... les sommes de 971,86 euros (neuf cent soixante et onze euros et quatre vingt six centimes) au titre du salaire afférent à la mise à pied conservatoire,11662,35 euros (onze mille six cent soixante deux euros et trente cinq centimes) au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,1166,23 euros (mille cent soixante six euros et vingt trois centimes) au titre des congés payés y afférents,3887,45 euros (trois mille huit cent quatre vingt sept euros et quarante cinq centimes) au titre de l'indemnité de licenciement,1140 euros (mille cent quarante euros) au titre de l'inutilisation du véhicule de fonction,50000 euros (cinquante mille euros) au titre de l'indemnité de l'article L 122-14-4 du code du travail,3000 euros (trois mille euros) au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Rejette la demande de la SA ROQUETTE au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Ordonne le remboursement par l'employeur fautif à l'ASSEDIC des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement dans la limite de trois mois en application des dispositions de l'article L. 122-14-4 du code du travail ;
Dit que conformément aux dispositions des articles 1153 et 1153-1 du code civil, les condamnations prononcées emportent intérêts au taux légal :
-à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour l'indemnité compensatrice de préavis, de licenciement, le salaire et ses accessoires et d'une façon générale pour toutes sommes de nature salariale ;-à compter de la présente décision pour les sommes de nature indemnitaire ;

Que conformément à l'article 1153-1, second alinéa, du code civil, les condamnations confirmées emportent les intérêts au taux légal à compter de la décision déférée ;
Condamne la SA ROQUETTE aux entiers dépens de première instance et d'appel.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Ct0173
Numéro d'arrêt : 06/02138
Date de la décision : 30/03/2007

Analyses

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - Employeur - Pouvoir de direction - Etendue - Contrôle et surveillance des salariés - Courrier électronique - / JDF

Le salarié a droit, même au temps et sur le lieu de travail, au respect de l'intimité de la vie privée, qui implique en particulier le secret des correspondances. D'une part, même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur, ce droit emporte nécessairement celui pour le salarié de transmettre son adresse e-mail professionnelle à son entourage privé, et cette protection de la vie privée ne saurait varier selon que le salarié travaille ou non dans une entreprise où a été mis en place un système de transfert automatique de la messagerie. Il appartient donc à l'employeur, à partir du moment où il a mis en place un système de transfert automatique de la messagerie de certains de ses salariés envers d'autres, de prendre les mesures nécessaires afin de préserver l'intimité de leur vie privée ; seul le caractère volontaire de l'envoi par un salarié de messages à caractère personnel vers d'autres salariés et de nature à les perturber psychologiquement pourrait constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement. D'autre part, en l'absence de toute charte informatique réglementant l'utilisation de l'ordinateur mis à la disposition des salariés, l'existence sur l'ordinateur d'un salarié, protégé par mot de passe le rendant inaccessible à des tiers, d'un dossier intitulé « jokes » contenant notamment des vidéos et des photographies à caractère pornographique, ne constitue pas une cause réelle et sérieuse de licenciement dès lors qu'un tel dossier, inaccessible aux tiers, dont l'intitulé démontrait son caractère privé, était un dossier personnel et qu'il n'était pas soutenu que ces images ou vidéos mettaient en cause des mineurs ou relevaient d'activités illicites


Références :

Décision attaquée : Conseil de prud'hommes de Béthune, 21 juin 2002


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.douai;arret;2007-03-30;06.02138 ?
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