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30/03/2007 | FRANCE | N°06/01805

France | France, Cour d'appel de Douai, Ct0229, 30 mars 2007, 06/01805


ARRET DU 30 Mars 2007

N 714 / 07
RG 06 / 01805
JUGT Conseil de Prud'hommes de LANNOY EN DATE DU 21 Juin 2006

NOTIFICATION
à parties
le 30 / 03 / 07
Copies avocats
le 30 / 03 / 07
COUR D'APPEL DE DOUAI Chambre Sociale

-Prud'Hommes-
APPELANT :
SA SOFT SOLUTIONS 2 Allée Lavoisier Cityparc 59650 VILLENEUVE D'ASCQ Représentant : Me Jean CORNU (avocat au barreau de LILLE)

INTIME :
M. Vincent Y...... 59155 FACHES THUMESNIL Représentant : Me Philippe LEFEVRE (avocat au barreau de LILLE) substitué par Me CHEVALIER

DEBATS

: à l'audience publique du 01 Février 2007
Tenue par A. COCHAUD-DOUTREUWE magistrat chargé d'instruire l'affai...

ARRET DU 30 Mars 2007

N 714 / 07
RG 06 / 01805
JUGT Conseil de Prud'hommes de LANNOY EN DATE DU 21 Juin 2006

NOTIFICATION
à parties
le 30 / 03 / 07
Copies avocats
le 30 / 03 / 07
COUR D'APPEL DE DOUAI Chambre Sociale

-Prud'Hommes-
APPELANT :
SA SOFT SOLUTIONS 2 Allée Lavoisier Cityparc 59650 VILLENEUVE D'ASCQ Représentant : Me Jean CORNU (avocat au barreau de LILLE)

INTIME :
M. Vincent Y...... 59155 FACHES THUMESNIL Représentant : Me Philippe LEFEVRE (avocat au barreau de LILLE) substitué par Me CHEVALIER

DEBATS : à l'audience publique du 01 Février 2007
Tenue par A. COCHAUD-DOUTREUWE magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré, les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : A. GATNER
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE
B. MERICQ : PRESIDENT DE CHAMBRE

H. LIANCE : CONSEILLER

A. COCHAUD-DOUTREUWE : CONSEILLER

ARRET : Contradictoire prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 Mars 2007, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du nouveau code de procédure civile, B. MERICQ, Président, ayant signé la minute avec M.. ROUÉ, greffier lors du prononcéLe 21 octobre 2002, la société Soft Solutions a embauché Vincent Y..., en qualité de chef de projet ;

Le 5 août 2002, elle a embauché Jocelyn Z..., en qualité d'assistante chef de projet.
Le 16 septembre 2003, elle a embauché Sarah C..., en qualité, également, d'assistante chef de projet.
Le 22 novembre2004, ces trois salariés faisaient l'objet d'une mise à pied conservatoire.
Le 8 décembre 2004, ils étaient licenciés pour faute lourde.
Par jugement en date du 21 juin 2006, le conseil de prud'hommes de Lannoy disait que le licenciement de Vincent Y... reposait non pas sur une faute lourde mais sur une cause réelle et sérieuse et condamnait la société Soft Solutions à lui payer les sommes suivantes :
*2358,41 € àtitre de salaire pour la mise à pied conservatoire, * 7714,29 € à titre de préavis, outre congés payés y afférents, *2432,06 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés, *1829,23 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, * 600 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société Soft Solutions a interjeté appel de cette décision.
Elle soutient que le licenciement est bien fondé sur une faute lourde.
Elle expose que, le 22 novembre 2004, s'apercevant de manoeuvres bizarres dans l'utilisation des ordinateurs par quatre salariés, elle faisait effectuer un constat d'huissier sur les dits ordinateurs ;
Que l'huissier de justice constatait que ces salariés détournaient la fonction " net send " de Windows pour s'adresser des messages en temps réel sans transiter par la messagerie ;
Que, lors de l'impression de ces messages, l'huissier de justice constatait qu'ils contenaient des propos injurieux et insultants envers les salariés de la société et son dirigeant ;
Que les disques durs étaient alors démontés et mis sous scellés, en présence des salariés concernés, lesquels avaient, au préalable, arrêté leur machine ;
Qu'elle rapporte, ainsi, la preuve des faits reprochés à chaque salarié, à savoir le détournement à des fins personnelles du réseau informatique de l'entreprise pour adresser et recevoir des messages à caractère ordurier et insultant, pendant les heures de travail.
Que cette situation était susceptible d'entraîner des conséquences particulièrement graves.
Elle soutient par ailleurs que le " net send " utilisé par les trois salariés ne peut être assimilé à des correspondances privées ; que de plus le journal du " net send " a été ouvert par un huissier de justice, en présence des salariés concernés, lesquels ne s'y sont pas opposés et ont reconnu qu'il s'agissait de leur ordinateur et de leur mot de passe ; que la preuve rapportée par constat d'huissier est valable.
Elle s'attache enfin à démontrer la gravité de la faute commise résultant notamment du contenu des messages (propos racistes, d'ordre sexuel, dénigrement de l'entreprise, volonté de faire partir les salariés).
Elle demande la condamnation de Vincent Y... à lui payer la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Vincent Y... demande que le jugement dont appel soit confirmé en ce qu'il a écarté la faute lourde et en ce qu'il lui a octroyé le salaire pendant la mise à pied, l'indemnité compensatrice de préavis outre congés payés y afférents, le solde de congés payés acquis, l'indemnité conventionnelle de licenciement et une indemnité au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Qu'il soit réformé en ce qu'il a retenu l'existence d'une cause réelle et sérieuse et qu'il l'a débouté de sa demande de rappel de prime.
Il soutient que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse et demande la condamnation de la société Soft Solutions à lui payer les sommes suivantes :
*15432 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, * 2571,43 € à titre de rappel de prime, * 1500 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Il explique le fonctionnement du " net send " et soutient que le moyen de preuve utilisé est illicite car les messages dont s'agit sont des communications entre salariés ; que les " net send " sont assimilables à des " e mail " et que l'employeur ne pouvait procéder à leur consultation et à leur impression.
Il soutient également que le constat d'huissier versé aux débats est dénué de valeur probante dans la mesure où les fichiers ont pu être déplacés, ou modifiés, ou manipulés ; Que d'ailleurs des fichiers ont bien été manipulés et que le nombre de messages a été volontairement gonflé ; qu'il existe de nombreux doublons ;
Que par ailleurs certains fichiers édités ne proviennent pas des ordinateurs des salariés licenciés mais ont été édités à partir de l'administration du réseau et qu'ils ont été obligatoirement manipulés avant l'arrivée de l'huissier ;
Qu'en tout état de cause, l'utilisation des " net send " n'est pas fautive ; que tous les collaborateurs de l'entreprise utilisaient ce moyen de communication ;
Que cette utilisation ne présente aucun caractère dangereux ;
Que le contenu des messages ne permet pas qu'une sanction lui soit infligée ; qu'il ressortit à son droit à la liberté d'expression.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement
La lettre de licenciement adressée au salarié qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d'autres griefs que ceux énoncés dans celle-ci, est ainsi libellée :
".... Nous avons découvert que vous avez utilisé, en le détournant, le réseau informatique de l'entreprise destiné normalement à stocker les messages systèmes pour les analyses de dysfonctionnement de la machine et ceci à des fins personnelles.
Ce système n'est pas fait à cette fin et, ce faisant, vous détruisez systématiquement les messages systèmes avant que leur analyse soit possible.
Cette pratique est d'autant plus grave que la destruction des messages systèmes peut entraîner des dysfonctionnements sur tout le réseau informatique de l'entreprise, ce que vous ne pouviez ignorer.
Par ailleurs, l'utilisation détournée est effectuée pour communiquer des messages personnels, de manière abondante et permanente, et ceci pendant vos heures de travail.
Nous avons constaté également que les messages ont un caractère ordurier et insultant à l'égard de vos collègues, de votre hiérarchie, de l'entreprise et de la Direction.
Vous dénigrez systématiquement l'entreprise et la Direction, pendant vos heures de travail, notamment en détournant un système informatique qui n'est pas fait pour cela et en détruisant des messages systèmes utiles pour l'entreprise.
Votre intention de nuire à l'entreprise est également caractérisée par le fait que vous avez tenté systématiquement de faire partir les autres salariés de l'entreprise, notamment les nouveaux arrivants, en dénigrant systématiquement la direction et l'entreprise, notamment en mettant gravement en doute l'honnêteté de la Direction.
Un tel comportement qui caractérise la volonté de nuire à l'entreprise en suscitant des départs de salariés et en la dénigrant systématiquement en interne par tous moyens pour créer une ambiance de travail exécrable, rend impossible le maintien de votre contrat de travail et impose la rupture immédiate de celui-ci. ".
La faute lourde, comme la faute grave, est celle qui par sa nature rend impossible sans risque de compromettre les intérêts légitimes de l'employeur la continuation du contrat de travail même pendant la durée limitée du préavis ; elle suppose au surplus, l'intention de nuire du salarié.
Il convient, en la cause, de rechercher si la société Soft Solutions rapporte la preuve, dont la charge lui incombe, des faits reprochés à Vincent Y... et dans l'affirmative si ces faits présentent le caractère de faute lourde au sens sus-visé.
Pour rapporter la preuve des faits reprochés à Vincent Y..., à l'appui de son licenciement, à savoir l'existence des messages litigieux, la société Soft Solutions verse uniquement aux débats un procès verbal de constat, établi par Maître D..., huissier de justice à Lille, lequel, à la requête de la société Soft Solutions, a imprimé les messages de la journée du 22 novembre 2004 stockés sur le disque dur de l'ordinateur de chacun des salariés concernés et, après avoir constaté que les machines de ces salariés avaient été arrêtées par eux-mêmes, en a extrait les disques durs et les a placés sous scellés déposés dans le coffre-fort de la société, et les messages litigieux annexés au dit procès verbal.
Il est établi que Maître D... a imprimé les messages litigieux hors la présence des salariés dont d'agit.
Cela résulte des énonciations du procès verbal lui-même et les parties l'ont admis à l'audience.
Contrairement à ce que prétend la société Soft Solutions, les " net send " sont un procédé de communication électronique ; il s'agit purement et simplement d'une fonction messagerie.
En effet, par avis en date du 27 février 2004, le groupe de travail dit " groupe 29 ", organe consultatif européen indépendant créé par l'article 29 de la directive 95 / 46 / CE, a adopté un avis portant sur les communications de prospection directe non sollicitées selon l'article 13 de la directive 2002 / 85 / CE, portant sur la vie privée et les communications électroniques aux termes duquel les communications " net send " adressées, comme en l'espèce, directement à une adresse IP, sont des courriers électroniques.
Les " net send " entrent bien ainsi dans la définition du courrier électronique et sont couverts par le secret de la correspondance.
Par application des dispositions de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 9 du code civil, de l'article 9 du nouveau code de procédure civile et de l'article L 120-2 du code du travail, " tout salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de sa vie privée ; celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; l'employeur ne peut, dés lors, sans violation de cette liberté fondamentale, prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui, grâce à un courrier informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où son employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur ".
La société Soft Solutions ne pouvait prendre connaissance et imprimer les messages " net send " litigieux contenus sur le disque dur des ordinateurs de ces salariés.
En prenant connaissance des dits messages, même par l'intermédiaire d'un huissier de justice, la société Soft Solutions a violé le principe du respect du secret des correspondances.
Le procès-verbal de constat sus visé, en ce que les messages litigieux qui y sont annexés ont été ouverts et imprimés, constitue un moyen de preuve illicite, dès lors qu'il implique nécessairement une atteinte à la vie privée, insusceptible d'être justifiée, eu égard à son caractère disproportionné, par les intérêts légitimes de l'employeur.
Dès lors, la société Soft Solutions ne pouvait se fonder pour retenir l'existence d'une faute sur les éléments annexés au dit procès-verbal.
Il est par contre établi par l'attestation établie par Georges E..., informaticien, que Vincent Y... s'est livré de manière régulière et fréquente à des manipulations pour supprimer des fichiers logs de son système informatique pour effacer les traces d'une utilisation non autorisée.
Ces faits, mentionnés dans la lettre de licenciement, sont constitutifs d'une faute justifiant le prononcé d'un licenciement pour cause réelle et sérieuse
Il convient en conséquence de confirmer sur ce pont le jugement déféré.
Sur les conséquences du licenciement
Il convient de confirmer la décision dont appel en ce qui concerne l'indemnité de préavis, et les congés payés y afférents, le salaire durant la mise à pied et les congés payés les premiers juges ayant fait une exacte appréciation des conséquences du licenciement prononcé.
Sur la demande de rappel de prime
Le jugement déféré sera, sur ce point, également confirmé.
En effet, Vincent Y... ne faisait plus partie de l'effectif de la société à la date où ces primes auraient dû lui être réglée et, il est expressément prévu à son contrat de travail que : " ces primes sont attribuées si le salarié fait toujours partie de l ‘ effectif de la société à la date de leur attribution. ".
Sur les dépens et l'article 700 du nouveau code de procédure civile
La société Soft Solutions ayant échoué en ses demandes sera condamnée aux dépens et déboutée de sa demande formée au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Vincent Y... sera également débouté de sa demande formée au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme en toutes ses dispositions le jugement dont appel.
Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Condamne la société Soft Solutions aux dépens.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Ct0229
Numéro d'arrêt : 06/01805
Date de la décision : 30/03/2007

Analyses

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - Employeur - Pouvoir de direction - Etendue - Contrôle et surveillance des salariés - Courrier électronique - / JDF

La fonction « net send » de Windows relève bien d'un procédé de communication électronique, consistant purement et simplement en une fonction messagerie, comme l'a énoncé l'avis adopté le 27 février 2004 par le « groupe 29 », organe consultatif européen indépendant créé par l'article 29 de la directive 95/46/CE, aux termes duquel les communications « net send » adressées, comme en l'espèce, directement à une adresse IP, sont des courriers électroniques. Les « net send » entrent donc bien dans la définition du courrier électronique et sont couverts par le secret de la correspondance. En conséquence, un employeur ne peut pas prendre connaissance et imprimer les messages « net send » litigieux contenus sur le disque dur des ordinateurs de salariés incriminés puisqu'en prenant connaissance desdits messages, même par l'intermédiaire d'un huissier de justice, il viole le principe du respect du secret des correspondances. Par suite, le procès-verbal de constat dressé par l'huissier requis, en ce que les messages litigieux qui y sont annexés ont été ouverts et imprimés, hors la présence des salariés dont s'agit, constitue un moyen de preuve illicite ne pouvant servir de fondement pour retenir l'existence d'une faute, dès lors qu'il implique nécessairement une atteinte à la vie privée, insusceptible d'être justifiée, eu égard à son caractère disproportionné, par les intérêts légitimes de l'employeur


Références :

Décision attaquée : Conseil de prud'hommes de Lannoy, 21 juin 2006


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.douai;arret;2007-03-30;06.01805 ?
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