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26/03/2003 | FRANCE | N°02/0531

France | France, Cour d'appel de Douai, 4ème chambre, 26 mars 2003, 02/0531


COUR D'APPEL DE DOUAI
ARRET DU 26 Mars 2003
4ème CHAMBRE
Prononcé publiquement le 26 Mars 2003, par la 4éme Chambre des Appels Correctionnels,
Sur appel d'un jugement du T. CORRECT. DE LILLE - 8EME CHAMBRE du 12 OCTOBRE 2001
PARTIES EN CAUSE DEVANT LA COUR X... Patrick, Fils de X... Louis et de G. Paulette De nationalité française, célibataire Gérant de société Prévenu, appelant, sous contrôle judiciaire, non comparant Représenté par Maître DUPONT-MORETTI Eric, avocat au barreau de LILLE (muni d'un pouvoir)
LE MINISTERE PUBLIC : Le Procureur de la Républiq

ue prés le Tribunal de Grande Instance de LILLE appelant, ADMINISTRATION DES DOU...

COUR D'APPEL DE DOUAI
ARRET DU 26 Mars 2003
4ème CHAMBRE
Prononcé publiquement le 26 Mars 2003, par la 4éme Chambre des Appels Correctionnels,
Sur appel d'un jugement du T. CORRECT. DE LILLE - 8EME CHAMBRE du 12 OCTOBRE 2001
PARTIES EN CAUSE DEVANT LA COUR X... Patrick, Fils de X... Louis et de G. Paulette De nationalité française, célibataire Gérant de société Prévenu, appelant, sous contrôle judiciaire, non comparant Représenté par Maître DUPONT-MORETTI Eric, avocat au barreau de LILLE (muni d'un pouvoir)
LE MINISTERE PUBLIC : Le Procureur de la République prés le Tribunal de Grande Instance de LILLE appelant, ADMINISTRATION DES DOUANES DE LILLE, 5, rue de Courtrai - BP 683 - 59033 LILLE CEDEX Partie civile, intimée, non comparante
COMPOSITION DE LA COUR Président : François BARROIS, Conseillers : Charles PINAREL, Georges GAIDON. GREFFIER : Géraldine BAZEROLLE aux débats et au prononcé de l'arrêt.
MINISTERE PUBLIC : Marie-Héléne VALENSI, Substitut général.
DÉROULEMENT DES DÉBATS
A l'audience publique du 26 Février 2003, le Président a constaté l'absence du prévenu.
Ont été entendus Monsieur PINAREL en son rapport ;
Le Ministére Public, en ses réquisitions
Les parties en cause ont eu la parole dans l'ordre prévu par les dispositions des articles 513 et 460 du code de procédure pénale.
le conseil du prévenu a eu la parole en dernier.
Le Président a ensuite déclaré que l'arrêt serait prononcé le 26 Mars 2003.
Et ledit jour, la Cour ne pouvant se constituer de la même façon, le Président, usant de la faculté résultant des dispositions de l'article 485 du code de procédure pénale, a rendu l'arrêt dont la teneur suit, en audience publique, et en présence du Ministére Public et du greffier d'audience.
DÉCISION
VU TOUTES LES PIÉCES DU DOSSIER, LA COUR, APRES EN AVOIR DÉLIBÉRÉ CONFORMÉMENT A LA LOI, A RENDU L'ARRET SUIVANT
Devant le Tribunal Correctionnel de LILLE, X... Patrick était prévenu d'avoir sur le territoire national et notamment dans le département du NORD, entre le mois de mai 1997 et le mois de juin 1998, apporté son concours à des opérations de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un délit, en espéce du délit de proxénétisme aggravé (pluralité de victimes), avec cette circonstance que les faits ont été commis en bande organisée ; faits prévus et réprimés par les articles 324-1 AL.2, 324-2 2°, 324-3, 324-5, 324-7 du code pénal.
Ledit Tribunal correctionnel de LILLE, par jugement en date du 12 octobre 2001 l'a déclaré coupable et l'a condamné à 2 ans d'emprisonnement avec sursis et à 3 millions de Francs d'amende délictuelle (soit 457 347,05 euros). Il s'agissait à l'égard de X... Patrick d'un jugement contradictoire. Les déclarations d'appel ont été reçues réguliérement, ainsi
- X... Patrick le 17 octobre 2001, son appel visant les dispositions pénales et douanières,
- Monsieur le Procureur de la République le 29 octobre 2001 son appel visant X... Patrick
Le prévenu X... Patrick était présent le 13 novembre 2002 date laquelle l'affaire avait été renvoyée à l'audience du 26 février 2003.Il ne comparaît pas mais a donné un pouvoir écrit à son conseil de le représenter devant la Cour. L'arrêt sera rendu contradictoirement à son égard. La Cour observe que l'appel à l'encontre des dispositions douaniéres du jugement est sans objet pour X..., le prévenu n'a été ni poursuivi ni condamné pour l'infraction douaniére reprochée Véronique Y...
1) ELEMENTS RÉSULTANT DE L'ENQUETE
De l'examen de la procédure résultaient les éléments suivants
A L' ENQUETE INITIALE
Depuis 1994 Véronique Y... (née en ...), se disant prostituée en BELGIQUE y fréquentait Patrick X... (né en ...) avec qui elle vivait à compter de 1997. Le 6 mai 1998 Patrick X... était arrêté en BELGIQUE pour proxénétisme aggravé commis à Kuurne et Ingelmunster du 1er octobre 1996 au 5 mai 1998. Il était détenu jusqu'au 2 octobre 1998. Il se présentait comme dirigeant de la société immobiliére belge S. qui assurait ses seuls revenus soit 100 000 Francs Belges par mois (16 000 Francs par mois). Cette société percevait en espéces les loyers de 2 "bars montants" le S. et le M. soit 122 000 Francs Belges par mois (20 000 Francs) ; ces bars étaient dirigés par Mireille D. La société S. était constituée entre la mére du prévenu Paulette G. et sa compagne Véronique Y... Patrick X... prétendait recevoir également 5 000 Francs par mois du restaurant de son frére situé à CAGNES SUR MER, ce qui avait été démenti par l'enquête. Patrick X... n'était propriétaire d'aucun bien immobilier en BELGIQUE. Il résidait à Kuurne dans une luxueuse maison dotée d'une grande piscine intérieure, propriété de la société S. Condamné en 1987 en BELGIQUE pour proxénétisme de mineur et tenue d'une maison de prostitution, il avait été interdit de gérer ses trois établissements ; il en avait donné la gérance Mireille D. ; elle conservait le S. et le M. alors que le troisiéme était vendu en juin 1997. Au domicile de X... les enquteurs découvraient - des agendas qui comportaient des notes relatives aux prostituées, leur description, leur nationalité, leurs dépenses ; les relevés bancaires de l'une des prostituée Fatima K., - dans son ordinateur étaient retrouvés des fichiers au nom de DANIS et de ses établissements, des courriers au nom de D. pour les services sociaux, une fiche de salaire de l'une des hôtesses, une facture à l'une des serveuses, - des chéques de clients du M., des extraits des comptes bancaires des 3 bars de D., des documents relatifs au fonctionnement fiscal (TVA) ou social des établissements ; - une facture d'électricité du M.au nom de X... Le même comptable recruté par X... et associé avec lui s'occupait des bars de Mireille D. et des affaires du prévenu. Les enquêteurs belges précisaient que les prostituées hongroises citaient Patrick comme le patron des bars. Les comptes de D. et de ses établissements se trouvaient la même agence du KREDIETBANK que les comptes de X... et leur banquier précisait que c'était X... qui avait fait ouvrir ce compte pour D. et que c'était lui qui accomplissait la majorité des opérations bien qu'il ne détienne aucune procuration écrite sur le compte D. Le banquier précisait que X... l'avait invité voir ses affaires et l'avait ainsi conduit au M., établissement à hôtesses qui vendaient des bouteilles de champagne et qui acceptaient des relations sexuelles avec les clients. Le prévenu s'immisçait ainsi dans la gestion des bars tenus par Mireille D. dans lesquels plusieurs employées se livraient la prostitution. Le 3 juin 1998 5 h 45 Véronique Y... venant de BELGIQUE au volant d'un cabriolet Mercedes 600 SL immatriculé au LUXEMBOURG, était arrêtée par les douaniers à NEUVILLE EN FERRAIN. La jeune femme détenait 10 000 000 Francs Belges en espéces (soit 1 600 000 Francs) ; elle détenait la CNI, le passeport et le Permis de conduire de X... Elle détenait également une lettre et une procuration de son compagnon destinées à la RABOBANK du LUXEMBOURG. Dans ces documents X... enjoignait au banquier de remettre tous les fonds de son compte à Y... et de détruire toute trace de cette opération. Véronique Y... affirmait que la somme de 1,6 millions de Francs qu'elle détenait provenait de son activité prostitutionnelle belge, économies accumulées depuis 7 ans. Toutes les vérifications en BELGIQUE avaient infirmé cette thése : Véronique Y... n'y était pas connue comme prostituée et les établissements où elle déclarait avoir travaillé n'existaient pas - ou ne la connaissaient pas. Patrick X... niait que cette somme lui appartienne. Il avait pourtant indiqué le contraire à Karine P. (D30) et dans le répertoire téléphonique saisi son domicile, il avait noté - "Bq : 52 000 000, - Lux: 2 000 000, - Joni : 3 000 000". Ces sommes correspondent à celles des comptes Karine P. et Paulette G.(12 + 40 millions de Francs Belges) et du compte X... à la RABOBANK. Sur le compte bancaire de Véronique Y... ouvert à la Banque Scalbert Dupont de TOURCOING étaient recensées entre le 1er juillet 1997 et le 1er mai 1998, 22 remises de chéques de 3 000 Francs 16 150 Francs l'une, soit au total une somme de 126 800 Francs. Ces chéques avaient été émis par des clients des bars montants de Mireille D. en réglement des bouteilles de champagne où des ébats sexuels avec les hôtesses. L'ensemble des clients décrivait l'activité prostitutionnelle qui se déroulait dans ces établissements équipés de petits boxes où les hôtesses se livraient à leurs ébats avec les clients. Pour ces faits, Véronique Y... était condamnée pour blanchiment en bande organisée des produits du proxénétisme aggravé et pour transfert sans déclaration de sommes en provenance de l'étranger supérieures 50 000 Francs. Cette condamnation est devenue définitive.
B L'ENQUETE EN BELGIQUE
Le KREDIETBANK de Kuurne abritait 4 comptes bancaires. Le compte de Véronique Y... qui n'enregistrait aucun mouvement. Le compte de la société S. alimenté par les seuls loyers des bars. Le compte de Patrick" X... sans mouvement suspect alimenté par les versements SYNDACO, Le compte de Karine P., soeur de Véronique Y... ouvert le 20 mai 1997 sur la demande de cette derniére, compte dont Karine P... ne s'était jamais occupée. Patrick X... était intervenu en mai 1997 pour que cette ouverture soit réalisée par la KB.
- En mai 1998 ce compte totalisait 12 millions de Francs Belges (2 millions Francs). Le compte de Paulette G., 73 ans, mére de Patrick X... ouvert depuis octobre 1993 était à l'origine un compte numéroté ouvert par X... qui l'avait fait convertir en compte au nom de sa mére. Résidant sur la Cote d'Azur Paulette G. ne s'était jamais occupée de ce compte qui détenait en mai 1998 : 40 millions de FB. (6,6 millions Francs). Patrick X... détenait une procuration sur l'ensemble des comptes S., Karine P. et Paulette G. Véronique Y... avait procuration sur le compte de sa soeur Karine. Le Compte Véronique Y... à la RIGA etamp; Co, par lequel la compagne de X... avait, en 1997 acquis 1 155 actions françaises négociées en espéces en janvier 1998 pour 3 millions de Francs Belges auprés de l'intermédiaire Johnny X... qui affirmait que l'opération s'était déroulée au domicile et en présence de X... qui s'était mêlé de la négociation.
C L'ENQUETE AU LUXEMBOURG
Au LUXEMBOURG se trouvaient d'autres comptes bancaires. Un compte ouvert la RABOBANK au nom de la société X..., société constituée le 12 décembre 1996 entre Véronique Y..., Patrick X... et leur comptable belge K. X... était à l'origine de la création de X... dont il détenait 99 % des actions. X... avait pour dirigeante statutaire Véronique Y...; le siége social était une simple boîte au lettres. Le 5 décembre 1996 X... avait déposé 3 millions de Francs Belges en espéces pour l'ouverture de ce compte sur lequel il avait procuration. Ce compte totalisait en septembre 1998 : 437 133 Francs Luxembourgeois (73 000 Francs). Un compte personnel de Patrick X... à la RABOBANK ouvert le 30 janvier 1997 par l'intéressé. Ce compte totalisait en septembre 1998 : 4 027 299 Francs Belges (670 000 Francs). Un compte de la société irlandaise L. au CRÉDIT EUROPÉEN ouvert le 19 mai 1998 par Véronique Y... aprés l'incarcération de X... Véronique Y... avait demandé dans l'urgence le 19 mai 1998 la création de cette société écran l'intermédiaire luxembourgeois qui avait déjà créée X... Dés la création Véronique Y... accordait à Cécile X... soeur du prévenu, une procuration lui permettant de gérer la société. Le compte totalisait en septembre 1998 -: 2 640 000 Francs Belges (440 000 Francs) et 2 167 000 $ néo-zélandais.
D) LES MOUVEMENTS BANCAIRES
Le compte KB de Karine P. avait été alimenté entre mai 1997 et début 1998 par 6 versements de 2 000 000 Francs Belges réalisés chacun en espéces par 12 000 000 Francs Belges en mai 1998. Il totalisait (2 millions Francs). Le compte KB Paulette G. totalisait en mai 1998 : 40 000 000 Francs Belges (6,6 millions Francs). Il avait été alimenté par des versements espéces de Patrick X..., de 10 millions de Francs Belges par an. C'était X... qui avait demandé pour une meilleure rentabilité de convertir les sommes du Franc Belge en US$ puis en $NZ. L'enquête établissait de multiples appels téléphoniques entre Véronique Y... et le prévenu écroué ainsi que diverses visites de Véronique Y... à la prison. Peu aprés l'arrestation de X..., Véronique Y... avait pris attache avec le KREDIETBANK pour retirer les sommes des comptes Paulette G. et Karine P. Le 18 mai 1998 elle avait accompagné Paulette G. au KREDIETBANK où elle avait vidé le compte des 40 millions de Francs Belges, elle obtenait un chéque de 2 167 000 $ néo-zélandais. Dés le lendemain 19 mai 1998 Véronique Y... accompagnait Paulette G. au LUXEMBOURG pour déposer ce chéque sur le compte de la société L. et elle y rajoutait la somme en espéces de 2 640 000 Francs Belges (440 000 Francs). Véronique Y... avait souhaité un autre établissement que la RABOBANK. La mére du prévenu affirmait avoir agi ainsi sur les instructions de son fils écroué. Le 2 juin 1998 aprés une visite X..., Véronique Y... accompagnait sa soeur Karine au KREDIETBANK et retirait 12 millions de Francs Belges en espéces du compte Karine P. Elle conservait cette somme et était interpellée le lendemain matin en FRANCE avec 10 millions de Francs Belges. Aussitôt cette interpellation connue, Cécile X..., la soeur du prévenu intervenait auprés du KREDIETBANK afin que soient détruites les procurations dont bénéficiait Patrick X... sur les comptes Karine P. et Paulette G. Selon le banquier Cécile X... considérait que la découverte de ces procurations serait accusatrice pour son frère. Le 8 juillet 1998 ce même banquier était nouveau sollicité par Cécile X... et l'avocat belge de Patrick X... afin d'effacer tout lien entre Paulette G et la Sté SYNDACO. Le banquier modifiait alors le patronyme G. en G. sur les ordinateurs centraux du KB. Le 29 juin 1998 Cécile X... munie d'un pouvoir de Véronique Y... se rendait au LUXEMBOURG et vidait le compte de la Sté LEVAI INVESTISMENTS Ltd au CRÉDIT EUROPÉEN récupérant 2 chéques représentant 2 167 000 $ néo-zélandais et 2 640 000 Francs Belges. Elle n'a jamais voulu révéler la destination des fonds.
Le compte RABOBANK X... Ce compte avait été alimenté entre février et octobre 1997 par 3 transferts de 2 000 000 Francs Belges chacun provenant de la société CEPIKES (2 sous couvert d'achat des actions S. et 1 sans motif ). Ce compte avait également reçu en février 1997, 1 dépôt en espéces de 2 millions Francs Belges du comptable K. puis en janvier 1998, 1 versement espéces de 3 millions de Francs Belges par X... Les sommes étaient trés rapidement retirées en espéces soit sur instructions de X... soit par lui-même. 11 millions de Francs Belges avaient transité par ce compte entre février 1997 et mai 1998. Véronique Y... détenait une procuration et une lettre datées du 1er mai 1998 dans lesquels X... demandait à la RABOBANK de solder ce compte personnel et de détruire les traces de cette opération. Le 8 septembre 1998 les deux prévenus étant écroués ce sera Fabrice I., fils de Cécile X... et neveu du prévenu qui, muni d'une procuration de Patrick X... datée du 4 septembre 1998 videra ce compte en retirant de la RABOBANK les 4 027 299 Francs Belges (670 000 Francs) en espéces. La destination de ces fonds n'a pas été retrouvée. Le compte RABOBANK société X... avait été alimenté par 4 versements d'espéces pour 9 millions de Francs Belges entre novembre 1996 et septembre 1997. Deux de ces versements au moins (3 millions et 2 millions) provenaient de X... un troisiéme provenait de son comptable K. Le compte X... avait été débité en mai, et octobre 1997 de 4 millions de Francs Belges afin d'acheter X... ses actions S. II avait déjà été débité en février 1997 d'un transfert de 2 millions de Francs Belges au profit de X... Le 8 septembre 1998 K le comptable et associé du prévenu, muni d'une procuration de Patrick X... vidait le compte de la Sté X... à la RABOBANK des 437 133 Francs Belges en espéces (73 000 Francs). Il n'expliquera pas la destination des fonds.
ETENDUE DES FAITS DONT LA COUR EST SAISIE
L'Ordonnance de renvoi devant le Tribunal Correctionnel du 19 septembre 2000 a précisé qu'il était reproché à X... d'avoir sur le territoire national et dans le département du Nord, entre le mois de mai 1997 et le mois de juin 1998, apporté son concours à des opérations de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un délit de proxénétisme aggravé (pluralité de victimes), avec cette circonstance que les faits ont été commis en bande organisée. Cette ordonnance accordait un non-lieu partiel à Véronique Y... pour les faits de blanchiment aggravés commis en BELGIQUE au motif que ces faits commis hors du territoire de la République n'avaient ni été dénoncés officiellement par la BELGIQUE ni été précédés d'une plainte de la victime comme l'exigeaient les dispositions de l'article 113-6 du Code Pénal. Le Juge d'instruction puis le Tribunal correctionnel ont retenu dans leur saisine les opérations réalisées sur le compte SCALBERT-DUPONT de Véronique Y... ouvert à TOURCOING et celles résultant de la détention par Véronique Y... des 10 000 000 Francs Belges provenant du compte de Karine P. Malgré les liens de connexité qui unissent les opérations réalisées en BELGIQUE, au LUXEMBOURG et en FRANCE qui forment un tout indivisible, la Cour n'est donc valablement saisie à l'encontre de Patrick X... que des éléments dont le juge d'instruction avait décidé de saisir le tribunal correctionnel : les opérations réalisées sur le compte SCALBERT DUPONT de Véronique Y... et la détention par Véronique Y... des 10 000 000 Francs Belges provenant du compte de Karine P.
ANALYSE DE CES FAITS ET DELITS DE BLANCHIMENT PREVUS AUX ARTICLES 324-1 al.2 et 324-2 du CODE PENAL
A ) CONDITION PREALABLE : L'EXISTENCE D'UNE INFRACTION PRINCIPALE CONNUE
Les explications de Véronique Y... sur l'origine des 10 000 000 Francs Belges qu'elle détenait se sont avérées mensongéres de même que celles sur l'origine des 126 800 Francs déposés sur son compte ; Véronique Y... a été définitivement condamnée pour avoir ainsi blanchi ces fonds issus du proxénétisme aggravé. Aucune des ressources officielles avérées du prévenu n'explique les dépôts que X... réalisait en espéces entre mai 1997 et début 1998 sur le compte Karine P. pour 12 000 000 Francs Belges dont 10 000 000 Fancs Belges étaient détenus par Véronique Y... , ni la détention par sa compagne de multiples chéques de clients des bars déposés sur le compte Scalbert Dupont. Patrick X... avait déjà géré les bars en cause et avait été condamné pour le proxénétisme qu'il y avait organisé. Demeurant propriétaire des murs il visitait réguliérement ces établissements dont la configuration des lieux décrite par les clients révélait clairement qu'elle était destinée permettre la prostitution des hôtesses. Il y avait conduit son banquier afin de lui présenter la nature de ses affaires que le banquier avait immédiatement comprise comme étant la tenue de bars à prostituées. Gérant et "mouvementant" les comptes, D. a approvisionnés par ces établissements, X... détenait des chéques de clients de ces bars, semblables ceux déposés sur le compte de Véronique Y... à la Scalbert Dupont. Il détenait des documents internes au fonctionnement des établissements et en assurait certaines dépenses y compris celles des prostituées ; il répertoriait dans ses agendas certaines de ces jeunes femmes. Ces éléments démontrent que Patrick X... a sciemment tiré profit de la prostitution d'autrui et en a partagé les produits provenant de plusieurs hôtesses des bars tenus par Mireille D. Il connaissait donc parfaitement l'origine illicite des fonds qu'il manipulait ou avait confiés à sa compagne Véronique Y... Le prévenu connaissait si bien l'origine de ces fonds qu'il en avait déposé une partie sur un compte ouvert au nom de la soeur de sa compagne, qu'il avait confié à cette dernière une lettre demandant à son banquier luxembourgeois de détruire toute trace des retraits que réaliserait Véronique Y... et qu'il avait chargé sa soeur Cécile d'obtenir du banquier belge qu'il détruise tout trace des procurations détenues par X... sur les comptes Karine P. et Paulette G. ainsi que toute trace entre sa mére Paulette G. et sa société S. La multiplication de ces précautions par le prévenu une fois incarcéré en BELGIQUE pour proxénétisme confirme qu'il savait détenir des fonds issus du proxénétisme aggravé.
B) ELEMENT MATERIEL DU BLANCHIMENT
Entre 1996 et 1998, l'enquête révéle que Patrick X... a été à l'origine de l'ouverture de plusieurs comptes en BELGIQUE puis au LUXEMBOURG, comptes ouverts au nom de tiers : proches parents, proches de sa compagne, sociétés écran créées ad hoc sans activité réelle. Pour mettre en place ce réseau X... a recouru à l'aide de spécialistes de l'ingénierie financiére belges et luxembourgeois spécialement rémunérés. Il a détenu procuration sur ces comptes qu'il a "mouvementés" et qui ont enregistré des opérations croisées ou successives. Il a également utilisé le compte français de sa compagne Véronique Y... Le prévenu a ainsi mis en place un véritable circuit financier et bancaire international destiné à recevoir les fonds illicites issus du proxénétisme auquel il se livrait. La mise en place de ce réseau, dans lequel figure le compte Karine P., a permis à X... de placer les importantes liquidités produites par le proxénétisme sur des comptes appartenant à des tiers puis d'opérer des retraits en espéces : ce procédé dissimulait ainsi l'origine des fonds, leur appartenance à X... puis leur destination finale et leur nouveau détenteur. Le fonctionnement de certains comptes permettait de convertir en devises étrangéres les Francs Belges déposés en espéces ou de réaliser des transferts vers l'étranger au profit de X... sous prétexte de lui acheter des actions sans valeur ; chaque dépôt important entraînait des placements bancaires immédiats qui produisaient des intérêts. Les retraits finaux systématiques en espéces éliminaient là encore toute possibilité d'identifier X... comme le détenteur final des fonds ; tel était le cas du retrait des 12 000 000 Francs Belges à Véronique Y... sur le compte de sa soeur Karine le 2 juin 1998 dont elle détenait encore 10 000 000 Francs Belges le lendemain en France. X... est bien à l'origine de ce retrait. Cette opération se situe aussitôt aprés une visite de sa compagne à la prison, elle se place une dizaine de jours aprés un semblable retrait opéré par Véronique Y... sur le compte de Paulette G. dans la même agence, Paulette G. indiquant avoir agi sur les instructions de son fils incarcéré ; elle précédait à une opération semblable commandée par écrit de X... à Véronique Y... et visant le compte luxembourgeois du prévenu. Enfin la remise de chéques des clients des bars à sa compagne qui les déposait sur un compte en France, puis utilisait les fonds illicites pour des dépenses luxueuses, parfums, restaurants... permettait à X... de dissimuler une partie des produits du proxénétisme en utilisant le compte d'un tiers dans un systéme bancaire étranger à la BELGIQUE. Au vu de ces éléments, Patrick X... a ainsi apporté son concours à des opérations de placement, de dissimulation et de conversion des produits du proxénétisme aggravé et tout particuliérement pour les fonds déposés sur le compte Scalbert Dupont et pour les fonds provenant du compte Karine P.
ELEMENT INTENTIONNEL DU BLANCHIMENT
Les divers indices matériels retrouvés au domicile du prévenu et énumérés ci-dessus, ses agissements décrits par le banquier belge, ses manoeuvres décrites supra afin de dissimuler son implication dans le fonctionnement des multiples comptes bancaires belges et luxembourgeois, ses instructions destinées à effacer toute trace des opérations bancaires réalisées par sa compagne démontrent que X... se livrait au proxénétisme en BELGIQUE et qu'il avait parfaitement connaissance de l'origine illicite des fonds qu'il plaçait et dissimulait au moyen de son réseau bancaire international ; ces opérations ayant pour but d'utiliser le systéme bancaire afin de détruire toute trace de l'origine des fonds, d'éviter que le véritable détenteur final ne soit identifié et de faire fructifier les produits directs du proxénétisme.
CIRCONSTANCE AGGRAVANTE DE BANDE ORGANISEE
Pour les mêmes faits reprochés à X... Véronique Y... a été définitivement condamnée du chef de blanchiment commis en bande organisée. La compagne de X... a sciemment retiré et dissimulé des fonds du compte de sa soeur Karine sachant qu'ils provenaient du proxénétisme, elle a sciemment dissimulé sur son compte personnel les produits de ce même proxénétisme. Le banquier belge a admis avoir sciemment laissé X... ouvrir des comptes bancaires puis agir sur les comptes de Mireille D. et sur les comptes de Karine P. ou Paulette G. sachant que les fonds provenaient de bars dans lesquels se développait une prostitution contrôlée par le prévenu. Ainsi le prévenu, sa compagne et son banquier formaient une bande organisée, ils ont établi une entente en vue de la préparation du blanchiment poursuivi, plusieurs faits matériels analysés ci-dessus ayant caractérisé cette préparation.
IMPUTABILITE DES FAITS AU PREVENU
La défense de X... a déposé des conclusions aux fins de relaxe du prévenu. Il y est indiqué que X... poursuivi en BELGIQUE pour proxénétisme ne pouvait se voir simultanément reprocher en France le blanchiment des produits de son proxénétisme. Il est affirmé que l'auteur du délit principal ne peut être le blanchisseur des produits de ce délit. Selon ces conclusions, le texte commanderait cette interprétation: le blanchiment est le fait de faciliter par tout moyen, la justification mensongére de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect (article 324-1 du Code Pénal) Le blanchiment étant une infraction de conséquence, l'auteur de l'infraction initiale serait un sujet passif à l'action publique pour le délit de blanchiment. La prévention ici retenue est celle prévue par l'article 324-1 al.2 qui dispose que constitue également un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit. Ce blanchiment est distinct de celui prévu par l'alinéa 1er de l'article 324-1 du Code Pénal qu'évoquent les conclusions.
Ce délit est un délit autonome. Les éléments constitutifs de ce blanchiment sont différents du délit principal de proxénétisme. L'élément matériel du proxénétisme visé consiste à tirer profit de la prostitution d'autrui, en partager les produits, embaucher, entraîner ou détourner une personne en vue de la prostitution ou à exercer sur elle une pression pour qu'elle se prostitue. Il différe des opérations de placement, de dissimulation et de conversion du produit de ce proxénétisme. Ces opérations ont consisté en l'espéce, en l'ouverture de multiples comptes bancaires dans trois pays européens au nom de tiers ou de société écrans afin d'y faire transiter d'importantes sommes en espéces qui disparaissaient aprés un ultime retrait en liquide. Ces faits se sont commis en des endroits et des moments distincts de ceux du proxénétisme, une partie des opérations de blanchiment s'étant même réalisée aprés l'incarcération du prévenu et l'arrêt du proxénétisme. L'élément moral des deux délits est différent ; l'un vise à exploiter sciemment la prostitution d'autrui, l'autre à détourner le systéme bancaire ou financier afin de rendre licites des fonds d'origine criminelle. Les intérêts protégés par les deux incriminations différent : protéger la liberté individuelle et sexuelle des prostituées d'une part, protéger les systémes bancaires et financiers en évitant qu'ils ne soient utilisés des fins criminelles d'autre part. Ainsi l'auteur de l'infraction principale X... a transformé juridiquement le produit du proxénétisme par d'autres actes répréhensibles en réalisant des opérations de placement et de dissimulation propres un circuit de blanchiment ; les faits matériels et intentionnels des deux qualifications infractionnelles différent et rendent inopérant le principe non bis in idem implicitement soulevé par la défense du prévenu. De plus cette régle uniquement prévue par le Code Pénal au stade de l'exécution des peines (art.132-4 CP) pour les condamnations étrangéres définitives (art. 113-9 CP) est inapplicable au cas de poursuites concurrentes pendantes devant des juridictions distinctes française et étrangére comme en l'espéce. Au vu de ces éléments le délit de blanchiment peut être valablement imputé à Patrick X... Les conclusions de l'intéressé seront rejetées comme mal fondées. Tous les éléments analysés dans les développements ci-dessus suffisent à la Cour pour déclarer le prévenu coupable du délit reproché.
LES PENALITES
Compte tenu de la personnalité du prévenu Patrick X..., de ses antécédents et des circonstances des agissements dont il est coupable, les dispositions du jugement relatives aux pénalités seront modifiées. La peine d'emprisonnement ferme à laquelle la Cour aura notamment recours est seule à même de permettre une juste répression des faits d'une extrême gravité retenus à l'encontre de X... rendant inadaptée l'application d'une peine alternative à l'emprisonnement. Au regard de l'extrême gravité des faits reprochés et de l'importance de la peine privative de liberté prononcée pour les sanctionner, un mandat d'arrêt doit être décerné pour garantir l'exécution de la sanction intervenue l'encontre de Patrick X... qui est en fuite et serait installé en BELGIQUE hors du territoire de la République.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant publiquement et contradictoirement l'égard de Patrick X... et par défaut à l'égard de l'Administration des douanes.
Constate que l'appel du prévenu à l'encontre des dispositions douaniéres du jugement est sans objet
Rejette les conclusions du prévenu
Confirme la déclaration de culpabilité du prévenu
Réforme les sanctions pénales initialement prononcées
Condamne Patrick X... à la peine de 3 ans d'emprisonnement dont 2 ans avec sursis simple ainsi qu'à la peine de 150 000 Euros d'amende.
Décerne mandat d'arrêt à l'encontre de Patrick X...
La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 120 euros dont est redevable le condamné.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 02/0531
Date de la décision : 26/03/2003

Analyses

BLANCHIMENT - Blanchiment par concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion d'un produit d'un crime ou d'un délit - Auteur - Auteur de l'infraction principale - Possibilité - /

Lorsque l' auteur d'une l'infraction principale de proxénétisme en transforme le produit par d'autres actes répréhensibles en réalisant des opérations de placement et de dissimulation propres à un circuit de blanchiment, les faits matériels et intentionnels des deux qualifications infractionnelles diffèrent et rendent inopérant le principe non bis in idem


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.douai;arret;2003-03-26;02.0531 ?
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