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22/08/2024 | FRANCE | N°23/01039

France | France, Cour d'appel de Dijon, 2 e chambre civile, 22 août 2024, 23/01039


[O] [S]



[B] [S]



C/



[M] [S]



S.A.S. MANUFACTURE DU BASSIGNY



S.A.R.L. S FINANCIERE DU BASSIGNY



























































































expédition et copie exécutoire

délivrées aux avocats le













COUR D'APPEL DE DIJON



2ème chambre civile



ARRÊT DU 22 AOUT 2024



N° RG 23/01039 - N° Portalis DBVF-V-B7H-GH2E



MINUTE N°



Décision déférée à la Cour : au fond du 17 juillet 2023,

rendue par le tribunal de commerce de Chaumont t - RG : 2022 000116









APPELANTS :



Monsieur [O] [S]

né le [Date naissance 3] 1965 à [Localité 9] (92)



Madame [B] [S]

née le [D...

[O] [S]

[B] [S]

C/

[M] [S]

S.A.S. MANUFACTURE DU BASSIGNY

S.A.R.L. S FINANCIERE DU BASSIGNY

expédition et copie exécutoire

délivrées aux avocats le

COUR D'APPEL DE DIJON

2ème chambre civile

ARRÊT DU 22 AOUT 2024

N° RG 23/01039 - N° Portalis DBVF-V-B7H-GH2E

MINUTE N°

Décision déférée à la Cour : au fond du 17 juillet 2023,

rendue par le tribunal de commerce de Chaumont t - RG : 2022 000116

APPELANTS :

Monsieur [O] [S]

né le [Date naissance 3] 1965 à [Localité 9] (92)

Madame [B] [S]

née le [Date naissance 4] 1966 à [Localité 9] (92)

demeurant tous deux : [Adresse 1]

représentés par Me Pierre DELARRAS, membre de la SELAS ADIDA ET ASSOCIES, avocat au barreau de MACON

INTIMÉS :

Monsieur [M] [S], en ses qualités de président de la société Manufacture du Bassigny et de gérant de la société Financière du Bassigny

né le [Date naissance 2] 1958 à [Localité 11] (75)

domicilié :

[Adresse 8]

[Localité 7]

S.A.S. MANUFACTURE DU BASSIGNY prise en la personne de son représentant en exercice domicilié au siège social sis :

[Adresse 5]

[Localité 6]

S.A.R.L. FINANCIERE DU BASSIGNY prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié au siège social sis :

[Adresse 5]

[Localité 6]

représentés par Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 126

assistée de Me François MIRIKELAM, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 janvier 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre, et Leslie CHARBONNIER, Conseiller. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la cour étant alors composée de :

Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre,

Michèle BRUGERE, Conseiller,

Leslie CHARBONNIER, Conseiller,

qui en ont délibéré.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Maud DETANG, Greffier

DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 28 Mars 2024 pour être prorogée au 2 mai 2024, 27 juin 2024, 4 juillet 2024 et au 22 Août 2024,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ : par Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre, et par Maud DETANG, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

Mmes [B] et [W] [S], et MM.[M] et [O] [S] sont associés au sein de la SARL Financière du Bassigny, dont 94,67 % des parts sont détenues par M. [M] [S].

La société Financière du Bassigny est actionnaire majoritaire (53,84 %) de la SAS Manufacture du Bassigny, au sein de laquelle M. [O] [S] est également actionnaire minoritaire, et qui a pour objet social principal le négoce d'articles de coutellerie, d'hygiène, de beauté, d'accessoires de beauté, d'utilités corporelles, de produits de parapharmacie.

Un litige oppose M. [M] [S] à Mme [B] [S] et M. [O] [S] au sujet de la succession de leur mère.

Se prévalant de mentions humiliantes et malveillantes à l'égard des associés minoritaires dans les documents sociaux publiés, d'entraves à la participation aux assemblées générales et à l'exercice du droit de vote des associés minoritaires conduisant à un fonctionnement anormal des sociétés, Mme [B] [S] et M. [O] [S] ont saisi le tribunal de commerce de Chaumont aux fins de voir désigner aux sociétés Financière de Bassigny et Manufacture de Bassigny un administrateur judiciaire provisoire et subsidiairement un administrateur ad'hoc.

La société Kokab, actionnaire de la société Manufacture du Bassigny, détentrice de 33,84 % des actions est intervenue volontairement à l'instance.

Par jugement du 17 juillet 2023, le tribunal de commerce de Chaumont a :

- jugé Mme [B] [S] partiellement recevable et mal fondée dans ses demandes ;

- jugé M. [O] [S] partiellement recevable et mal fonde dans ses demandes ;

- pris acte de la radiation de la société Atelier de Maintenance Industrielle et de Chaudronnerie-Amic et constaté qu'aucune action ne peut étre engagée à son encontre,

- déclaré irrecevable pour défaut de qualité à agir la demande de Mme [B] [S] concernant la société Manufacture du Bassigny,

- déclaré irrecevable pour défaut de qualité à agir la demande de la société Kokab concernant la société Financière du Bassigny,

- constaté qu'il n'y a pas mésentente entre M. [O] [S] et Mme [O] [S] d'une part, et M. [M] [S] d'autre part dans la Financière du Bassigny ;

- constaté qu'il n'y a pas mésentente entre Kokab et M. [O] [S] et l'associe majoritaire et dirigeant de la Manufacture du Bassigny ;

- constaté qu'il n'y a pas violation des droits de Mme [B] [S] et M. [O] [S] dans la Financière du Bassigny ;

- constaté qu'il n'y a pas violation des droits de Kokab et M. [O] [S] dans la Manufacture du Bassigny ;

- constaté que les assemblées générales de la Financière du Bassigny et de la Manufacture du Bassigny seront tenues dans des conditions normales ;

- constaté que Manufacture du Bassigny et Financiere du Bassigny sont gérées dans l'intérêt commun ;

- constaté qu'il n'y a pas absence d'affectio societatis dans Financière du Bassigny et Manufacture du Bassigny ;

- constaté que les sociétés Manufacture du Bassigny et Financière du Bassigny ne sont pas exposées à un péril imminent ;

en conséquence et à titre principal,

- rejeté la demande de nomination d'un administrateur provisoire de la société Manufacture du Bassigny ayant pour mission de gérer, administrer et de diriger la Manufacture du Bassigny ;

- rejeté la demande de nomination d'un administrateur provisoire de la société Financière du Bassigny ayant pour mission de gérer, administrer et de diriger la Financière du Bassigny;

à titre subsidiaire,

- rejeté la demande de nomination d'un administrateur ad hoc en qualité d'administrateur de la Manufacture du Bassigny ;

- rejeté la demande de nomination d'un administrateur ad hoc en qualité d'administrateur de la Financière du Bassigny ;

- rejeté les demandes de préjudice d'image et de préjudice moral,

- débouté M. [O] [S] quant à sa demande de paiement chacun de la somme de 5000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile par M. [M] [S] et la société Financière du Bassigny ;

- écarté la demande de condamnations solidaires par M. [M] [S] et la société Financière du Bassigny à payer chacun la somme de 5.000 euros à Mme [B] [S] sur le fondement de l'article 1240 au titre de son préjudice moral ;

- débouté Mme [B] [S] de sa demande de paiement chacun de la somme de 5000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile par M. [M] [S] et la société Financière du Bassigny ;

- condamné Mme [B] [S] à payer à la société Financière du Bassigny la somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné Mme [B] [S] à payer à M. [M] [S], es qualités, la somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [O] [S] à payer à la Société Financière du Bassigny la somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [O] [S] à payer à M. [M] [S], es qualités, la somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Kokab à payer à la société Financière du Bassigny la somme de 2500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Kokab à payer à M. [M] [S], es qualités, la somme de 2500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné la déchéance du bénéfice de l'échelonnement en cas d'impayé de sorte que le total sera immédiatement exigible ;

- condamné Mme [B] [S], M. [O] [S] et la sociéte Kokab aux dépens ;

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

Par déclaration d'appel du 8 août 2023, M. [O] [S] et Mme [B] [S] ont relevé appel de cette décision sauf en ce qu'elle a :

- jugé Mme [B] [S] partiellement recevable et mal fondée dans ses demandes ;

- jugé M. [O] [S] partiellement recevable et mal fonde dans ses demandes ;

- pris acte de la radiation de la société Atelier de Maintenance Industrielle et de Chaudronnerie-Amic et constaté qu'aucune action ne peut étre engagée à son encontre,

- déclaré irrecevable pour défaut de qualité à agir la demande de Mme [B] [S] concernant la société Manufacture du Bassigny,

- déclaré irrecevable pour défaut de qualité à agir la demande de la société Kokab concernant la société Financière du Bassigny,

- rejeté les demandes de préjudice d'image et de préjudice moral,

- condamné la société Kokab à payer à la société Financière du Bassigny la somme de  2500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Kokab à payer à M. [M] [S], es qualités, la somme de 2500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par avis du greffe en date du 14 septembre 2013, le conseil de l'appelante a été informé que l'affaire était fixée à l'audience du 18 janvier 2024 en application des dispositions de l'article 905 du code de procédure civile.

Prétentions et moyens de M. [O] [S] et de Mme [B] [S]  :

Au terme de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 janvier 2024, M. et Mme [S] demandent à la cour :

in limine litis

- débouter la Manufacture du Bassigny pour sa demande dénuée de fondement,

sur l'appel principal,

- recevoir Mme [B] [S] et M. [O] [S] recevables et bien fondés en l'ensemble de leurs moyens, fins et conclusions,

y faisant droit,

- infirmer le jugement rendu le 17 juillet 2023 par le tribunal de commerce de Chaumont dans les limites de l'appel et statuant à nouveau :

à titre principal,

- désigner à la demande de M. [O] [S] tel administrateur provisoire qu'il plaira à la cour d'appel, en qualité d'administrateur provisoire de la société Manufacture du Bassigny avec pour mission de gérer, d'administrer et de diriger la Manufacture du Bassigny ;

- fixer sa mission à une durée initiale de six mois, laquelle pourra être reconduite à sa demande sur justification de la situation économique, financière et sociale de la Manufacture du Bassigny et des circonstances le justifiant ;

- fixer la rémunération de l'administrateur provisoire ;

- désigner à la demande de Mme [B] [S] et M. [O] [S] tel administrateur provisoire qu'il plaira à la cour d'appel, en qualité d'administrateur provisoire de la société Financière du Bassigny avec pour mission de gérer, d'administrer et de diriger la Financière du Bassigny ;

- fixer sa mission à une durée initiale de six mois, laquelle pourra être reconduite à sa demande sur justification de la situation économique, financière et sociale de la Financière du Bassigny et des circonstances le justifiant ;

- fixer la rémunération de l'administrateur provisoire ;

à titre subsidiaire :

- nommer à la demande de M. [O] [S] tel mandataire judiciaire qu'il plaira à la cour d'appel en qualité de mandataire ad'hoc de la société Manufacture du Bassigny avec pour mission :

de se faire communiquer les livres et documents sociaux de Manufacture du Bassigny,

d'établir pour chacun des exercices 2017 à 2022 un rapport sur les comptes et la gestion,

de se faire communiquer le contrat de bail établi avec la SCI du dirigeant et le montant du loyer annuel versé par la société depuis 2017,

de se faire communiquer les termes de toute convention conclue entre la société et le dirigeant et toute convention conclue entre la société et l'actionnaire majoritaire,

de convoquer l'assemblée générale des associés pour communiquer ses observations sur les comptes sociaux, proposer les corrections et résolutions nécessaires pour que les comptes soient conformes ,

à terme, d'établir amiablement les conditions de cession des titres détenus par M. [O] [S] dans la Manufacture du Bassigny,

- nommer à la demande de Mme [B] [S] et de M. [O] [S] tel mandataire judiciaire qu'il plaira à la cour d'appel en qualité de mandataire ad'hoc de la société Financière du Bassigny avec pour mission :

de se faire communiquer les livres et documents sociaux de Financière du Bassigny ;

d'établir pour chacun des exercices 2017 à 2023 un rapport sur les comptes et la gestion ;

de se faire communiquer le contrat de bail établi avec la SCI du dirigeant et le montant du loyer annuel versé par la société depuis 2017 ;

de se faire communiquer les termes de toute convention conclue entre la société et le dirigeant et toute convention conclue entre la société et l'actionnaire majoritaire ;

de convoquer l'assemblée générale des associés pour communiquer ses observations sur les comptes sociaux, proposer les corrections et résolutions nécessaires pour que les comptes soient conformes ;

à terme, d'établir amiablement les conditions de cession des titres détenus par M. [O] [S] et Mme [B] [S] dans la Financière du Bassigny ;

sur l'appel incident adverse,

- débouter Manufacture du Bassigny de ses demandes de condamnation de M. [O] [S] au paiement de la somme de 87.500 euros au titre des préjudices causés,

- débouter la Financière du Bassigny de ses demandes de condamnation de M. [O] [S] au paiement de la somme de 7.500 euros au titre de son préjudice d'image,

- débouter la Financière du Bassigny au titre de ses demandes de condamnation de Mme [B] [S] au paiement de la somme de 20.000 euros au titre de son préjudice d'image,

en tout état de cause,

- réformer le dispositif du jugement constatant qu'il n'existe pas de mésentente entre M. [O] [S] et Mme [O] [S] d'une part, et M. [M] [S] d'autre part, le jugement du tribunal de commerce de Chaumont relevant manifestement d'une erreur matérielle sur ce point,

- réformer le dispositif du jugement ordonnant la déchéance du bénéfice de l'échelonnement en cas d'impayé de sorte que le total sera immédiatement exigible, le jugement du tribunal de commerce de Chaumont relevant manifestement d'une erreur matérielle sur ce point,

- condamner solidairement M. [M] [S], la Financière du Bassigny et la Manufacture du Bassigny à payer à M. [O] [S] une indemnité d'un montant de 5.000 euros en réparation de son préjudice pour avoir publié des documents sociaux dégradants et humiliants,

- condamner solidairement M. [M] [S] et la Financière du Bassigny a payer chacun la somme de 5.000 euros à Mme [B] [S] au titre de son préjudice pour avoir publié des documents sociaux dégradants,

- condamner solidairement M. [M] [S] et la Financière du Bassigny à payer chacun la somme de 10.000 euros à M. [O] [S] sur le fondement de l'article 700,

- condamner solidairement M. [M] [S] et la Financière du Bassigny a payer chacun la somme de 10.000 euros à Mme [B] [S] au titre de l'article 700,

- condamner solidairement M. [M] [S] et la Manufacture du Bassigny à payer la somme de 10.000 euros à M. [O] [S] sur le fondement de l'article 700,

- condamner solidairement la société Manufacture du Bassigny, Financière du Bassigny et M. [M] [S] en tous les dépens d'appel, outre les dépens de première instance.

Les consorts [S] font valoir que :

- la mésentente des associés/actionnaires fait obstacle à la tenue normale des assemblées générales et paralyse le fonctionnement des sociétés,

- la gestion des sociétés est contraire à leurs intérêts et ne sert que ceux du dirigeant au profit d'une société concurrente (Ultim) constituée par l'épouse de M [M] [S],

- la vie sociale étant accaparée par les conflits, cette société n'a pas de perspective de développement, son chiffre d'affaires est en baisse et elle perd des clients,

- la société est utilisée pour une activité de vente de pièces détachées de moto étrangère à son objet social,

- les règles statutaires et légales ne sont pas respectées : les associés/ actionnaires ne peuvent obtenir du dirigeant des informations claires sur la gestion, ni sur les conventions conclues entre les sociétés et lui, les rapports de gestion ne comportant aucune des dispositions obligatoires de l'article L.225-100-1 du code de commerce et les comptes sociaux n'étant pas sincères.

Prétentions et moyens des sociétés Financière de Bassigny, Manufacture de Bassigny et de M [M] [S] :

Selon leurs dernières écritures notifiées par voie électronique le 10 janvier 2024, les sociétés Financière de Bassigny, Manufacture de Bassigny et M [M] [S], entendent voir :

- confirmer le jugement sauf en ce qu'il a rejeté les demandes de préjudice d'image et de préjudice moral,

- l'infirmer sur ce point,

et statuant à nouveau,

s'agissant de la société Manufacture du Bassigny :

- condamner M. [O] [S] à payer à la société Manufacture du Bassigny la somme de 87.500 euros en réparation des préjudices causés,

s'agissant de la société Financière du Bassigny :

- condamner Mme [B] [S] à payer à la société Financière du Bassigny la somme de 20.000 euros en réparation de son préjudice d'image,

- condamner M. [O] [S] à payer à la société Financière du Bassigny la somme de 7.500 euros en réparation de son préjudice d'image,

en tout état de cause :

- débouter Mme [B] [S] de sa demande de condamnation solidaire de M. [M] [S] et de la société Financière du Bassigny à lui payer chacun la somme de 5.000 euros au titre de son préjudice pour avoir publié des documents sociaux dégradants ;

- débouter M. [O] [S] de sa demande de condamnation solidaire de M. [M] [S] et des sociétés Financière du Bassigny et Manufacture du Bassigny à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de son préjudice pour avoir publié des documents sociaux dégradants et humiliants ;

- condamner solidairement Mme [B] [S] et M. [O] [S] à payer chacun à la société Financière du Bassigny la somme de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner solidairement M. [O] [S] à payer à la société Manufacture du Bassigny la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner solidairement Mme [B] [S] et M. [O] [S] à payer chacun à M. [M] [S] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les intimés relèvent que la société Kokab a acquiescé au jugement et que Mme [S] est irrecevable à agir à l'encontre de la société Manufacture de Bassigny, n'en étant pas actionnaire.

Ils contestent que le litige successoral opposant les consorts [S] et la mésentente entre certains associés entraînent une paralysie des sociétés et soutiennent que le fonctionnement comme l'exploitation de ces dernières sont normaux.

Ils réclament la réparation des préjudices causés aux sociétés et à leur dirigeant par la diffusion d'informations malveillantes, mensongères et dénigrantes à leur endroit, et le harcèlement auquel se livrent les appelants et qui outrepasse le droit de critique reconnu aux associés/ actionnaires.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des moyens des parties.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 11 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DECISION :

1°) sur la recevabilité des demandes de Mme [S] [B] :

Si Mme [S] n'a pas la qualité d'associée de la société Manufacture de Bassigny et ne dispose donc ni de l'intérêt, ni de la qualité à agir à l'égard de cette dernière, la cour ne peut manquer de relever que Mme [S] ne présente, devant elle, aucune demande à l'encontre de cette partie, de telle sorte qu'elle ne peut être déclarée irrecevable.

2°) sur la demande de désignation d'un administrateur provisoire :

Il convient de rappeler qu'une société est instituée par un contrat conclu entre ses associés et qu'il est de principe que le juge n'a pas à s'immiscer dans la vie des sociétés.

Il en résulte que la désignation judiciaire d'un administrateur provisoire d'une société reste une mesure exceptionnelle qui suppose rapporter la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent.

Ainsi que le démontrent l'essentiel des pièces versées aux débats, les relations entre les membres de la famille [S] sont totalement gangrénées par le conflit opposant les héritiers de Mme [Y] [S] dans le règlement de la succession de cette dernière, décédée en [Date décès 10] 2017. Dans ce contexte, les protagonistes se sont livrés à des échanges réciproques d'écrits dénigrants, sarcastiques, malveillants, voire haineux, qui ont donné lieu à une procédure pénale à l'encontre de Mme [B] [S] et de MM. [O] et [M] [S], ainsi qu'à leur condamnation par le tribunal correctionnel de Versailles le 30 novembre 2022, dont les deux premiers ont rélevé appel.

Il y a lieu de relever que Mme [Y] [S] n'était pas associée dans les sociétés Financière du Bassigny et Manufacture du Bassigny, de telle sorte que ces dernières n'entrent pas dans le périmètre de sa succession.

Il est manifeste qu'une profonde mésentente oppose Mme [B] [S] et M. [O] à M. [M] [S] et que si elle porte sur un sujet étranger à la gestion des sociétés dans lesquelles ils sont associés, elle imprègne la vie de ces dernières ainsi que le révèlent les mentions dans les rapports de gestion et les procès-verbaux d'assemblée générale.

Il apparaît que concernant la société Manufacture du Bassigny, ces documents font état d'évènements sans rapport avec l'activité de la société tenant notamment à l'état de santé d'[O] [S], à sa condamnation non définitive par le tribunal correctionnel, aux procédures judiciaires relatives à la succession, qu'ils sont ponctués de remarques aussi inutiles que désobligeantes (ex : « M. [O] [S], peu intéressé par notre société, n'est pas présent, une fois de plus », « M. [O] [S], qui depuis plus de 10 ans n'a jamais été présent.. est représenté par Me [V]»), et que les réponses apportées par le dirigeant aux questions posées par M. [O] [S], représenté par Me [V], huissier de justice, peuvent se révèler volontairement lacunaires.

Ainsi, les procès-verbaux établis lors des assemblées générales des 24 novembre 2021, 15 juin 2023 et 15 juin 2023 indiquent :

- « question : quelles sont les aides reçues pendant la crise sanitaire et pour quel montant ' réponse : pour des montants non significatifs »,

- « question : quel est le montant des loyers et charges versés par la société au propriétaire des locaux ' réponse : montants inchangés »,

- «  question : les subventions d'exploitation sont passées de 14.500 euros en début d'exercice à 4400 euros en fin d'exercice. Qui les a versées et qu'ont elles financé ' réponse : je n'ai pas d'explication sur la baisse de ces subventions. Je ne les décide pas mais notre société s'évertue à bénéficier des subventions auxquelles elle a droit ».

Néanmoins, à l'examen des pièces produites, il ne peut qu'être constaté que depuis 2017, les assemblées générales de la SARL Financière du Bassigny comme de la SAS Manufacture du Bassigny se sont systématiquement tenues chaque année, que les associés y ont été convoqués, que le dirigeant des deux sociétés a préalablement communiqué aux associés ses rapports de gestion, que ces assemblées générales ont notamment délibéré sur l'approbation des comptes sociaux et l'affectation des résultats.

Si M. [O] [S] soutient que son droit de vote qu'il a exprimé par correspondance a été bafoué lors des assemblées générales des 26 juin 2019 et 28 juillet 2020, les statuts de la société Manufacture du Bassigny ne prévoient pas de faculté de vote par correspondance de l'associé en cas de convocation de l'assemblée générale, laquelle est obligatoire pour l'approbation des comptes annuels et l'affectation des résultats.

Il en est de même pour la société Financière du Bassigny, dont les statuts prévoient que les décisions collectives des associés sont prises en assemblée ou par consultation écrite sans envisager de possibilité de vote par correspondance dans le cadre de l'assemblée générale, ce que le gérant a rappelé dans une note aux associés du 6 novembre 2023.

Le laconisme des réponses apportées par M. [M] [S] à certaines questions posées par M. [O] [S] et la société Kokab sur les comptes de la société Manufacture du Bassigny ne suffit pas non plus à caractériser une violation du droit à l'information de l'associé lequel n'a pas de caractère absolu, alors qu'il n'est pas contesté que les associés ont pu prendre connaissance des comptes sociaux, des rapports de gestion ainsi que des rapports spéciaux du commissaire aux comptes et qu'ils ne peuvent valablement se prévaloir de manquements aux dispositions de l'article L.225-100-1 du code de commerce relatives au contenu du rapport de gestion, alors que l'application de ces dispositions aux sociétés par actions simplifiées est expressément exclue par l'article L.227-1 du même code.

En conséquence, les graves dissenssions opposant trois des associés de la société Financière du Bassigny et deux des actionnaires de la société Manufacture du Bassigny n'ont entrainé aucun blocage, ni paralysie de leurs organes sociaux, comme de leur fonctionnement.

S'il est invoqué à l'encontre de M.[M] [S], une gestion des deux sociétés contraire à l'intérêt social, ces allégations ne se trouvent confortées par aucun élément soumis à la cour.

Notamment, s'il est allégué une gestion destinée à vider la société Manufacture du Bassigny de sa substance au profit de l'EURL Ultim créée le 19 mai 2018 par Mme [Z] [S], cette dernière, dont l'objet social est l'achat et la vente de produits pharmaceutiques et para-pharmaceutiques, n'a réalisé qu'un chiffre d'affaires moyen de 35.600 euros sur les quatre exercices 2020 à 2023, alors que celui de la société Manufacture du Bassigny dépasse les 300.000 euros sur la même période.

Il est établi qu'en 2020 et 2021, le numéro Siren de la société Manufacture du Bassigny a été associé au compte créé sur le site « Le Bon coin » par une entité VJ2T pour y procéder à la vente de pièces détachées de motocyclettes. Si cette activité ne correspond en rien à son objet social, il n'est pas établi qu'elle a été exploitée par la société Manufacture du Bassigny elle-même.

Ces éléments ne permettent pas de caractériser une gestion des deux sociétés qui se révèlerait contraire à l'intérêt social.

Les comptes sociaux de la société Manufacture du Bassigny révèlent une érosion significative de son chiffre d'affaires passé de 536.700 euros au 31 décembre 2016 à 312.900 euros au 31 décembre 2022. Le résultat d'exploitation connaît quant à lui une évolution plutôt déficitaire notamment sur les trois derniers exercices 2020 à 2022.

Concernant la société Financière du Bassigny, société holding, ses résultats d'exploitation demeurent bénéficiaires depuis l'exercice 2020.

Par ailleurs, il est justifié de l'absence de toute inscription de sûreté du chef des sociétés Financière du Bassigny et Manufacture du Bassigny dont rien ne permet de penser qu'elles seraient défaillantes à l'égard de leurs créanciers.

Il n'est dès lors pas démontré que les deux sociétés seraient confrontées à un péril imminent qui justifierait une intervention judiciaire et la décision du tribunal de commerce sera confirmée en ce qu'elle a rejeté les demandes en nomination d'un administrateur judiciaire.

3°) sur la désignation d'un mandataire ad'hoc :

Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de dysfonctionnement des organes sociaux et de péril imminent, il n'apparaît pas nécessaire de désigner aux sociétés un mandataire ad'hoc.

La décision des premiers juges sera donc confirmée sur ce point.

4°) sur les demandes indemnitaires de Mme [B] [S] et de M. [O] [S] :

Les appelants se prévalent de l'insertion de propos dégradants dans les procès- verbaux d'assemblée générale et rapports de gestion des sociétés.

Ainsi que la cour a pu le relever précédemment, les rapports de gestion établi par M. [M] [S] en sa qualité de président de la société Manufacture du Bassigny et de gérant de la société Financière du Bassigny, et les procès-verbaux des assemblées générales comportent des remarques inutiles stigmatisant le comportement d'associé d'[O] [S] et dont la formulation se veut ouvertement négative, ainsi que des appréciations relatives à la santé mentale de l'intéressé.

L'inutilité et la subjectivité de ces remarques leur confère un caractère blessant constitutif d'une faute dont la responsabilité ne peut incomber qu'au seul dirigeant et non aux sociétés.

La diffusion de ces informations, restreinte aux seuls associés et membres de la famille [S], qui ne pouvaient qu'en être déjà informés, conduira la cour à considérer qu'il n'a pu en résulter qu'un préjudice limité.

Le jugement de première instance qui a rejeté la demande indemnitaire de M. [O] [S] sera infirmé et M.[M] [S] sera condamné à lui verser la somme de 1000 euros à titre de dommages-intérêts.

Mme [B] [S] ne rapporte pas la preuve de propos diffamatoires à son encontre tenus par M. [M] [S] à l'occasion de l'exercice de ses droits d'associée de la société Financière du Bassigny qui justifieraient l'octroi de dommages-intérêts.

Le jugement critiqué sera confirmé sur ce point.

5°) sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts :

Les sociétés Manufacture du Bassigny et Financière du Bassigny se prévalent d'une multitude de courriels adressés par M. [O] [S] et Mme [B] [S] discréditant les organes de direction des sociétés, mettant en cause la gestion de M. [M] [S], diffusant des informations mensongères et malveillantes.

Elles produisent un certain nombre de ces courriels et en justifient par des constats d'huissier et attestations.

Il apparaît que les destinataires de ces envois ont été aussi bien des membres de la famille [S] au sujet de la succession de Mme [Y] [S], que des salariés de la société Manufacture du Bassigny, des associés de cette dernière, mais également les services fiscaux, des notaires, le commissaire aux comptes de la société et des partenaires commerciaux de celle-ci.

La teneur de ces courriels met expressément en cause la gestion des sociétés, la sincérité de leur comptes sociaux, M. [M] [S] étant accusé de les avoir falsifiés, d'avoir commis des abus de biens sociaux et autres malversations et d'être à l'origine de la liquidation judiciaire de la société Amic.

En mettant ainsi en cause de manière outrancière et par de simples affirmations non étayées, les organes dirigeants des sociétés Manufacture du Bassigny et Financière du Bassigny, les auteurs de ces courriels ont causé un préjudice à ces dernières par leur diffusion auprès de leurs partenaires commerciaux et au sein du tissu économique local. Même si les deux sociétés ne justifient pas avoir subi de pertes économiques résultant d'une atteinte à leur image et à leur crédit, elles peuvent valablement se prévaloir d'un préjudice moral lié à cette atteinte.

En conséquence, le jugement qui a rejeté les demandes indemnitaires sera infirmé et la cour condamnera M. [O] [S] et Mme [B] [S] à verser chacun la somme de 5.000 euros à chacune des deux sociétés à titre de dommages-intérêts.

6°) sur les demandes au titre d'erreurs matérielles :

Les constats dont le tribunal de commerce a émaillé le dispositif de son jugement ne constituent pas des réponses à des prétentions, mais à des moyens présentés par les parties au soutien de leur demande. A ce titre, le constat de l'absence de mésentente entre les associés relève de l'appréciation souveraine par le tribunal des éléments de fait qui lui ont été soumis et non d'une erreur matérielle qu'il n'y a pas lieu de rectifier.

Concernant la mention du dispositif par laquelle le tribunal a ordonné la déchéance du bénéfice de l'échelonnement en cas d'impayé de sorte que le total sera immédiatement exigible, si elle répond à une prétention des défendeurs, ni ces derniers, ni le tribunal ne se sont expliqués sur les motifs de cette disposition, dont la cour peine à comprendre le lien avec le litige et qu'il y aura lieu d'infirmer.

PAR CES MOTIFS :

Déclare Mme [B] [S] recevable en ces demandes devant la cour,

Confirme le jugement du tribunal de commerce de Chaumont en date du 17 juillet 2023 sauf en ce qu'il a :

- rejeté les demandes d'indemnisation présentées par M. [O] [S] et les sociétés Manufacture du Bassigny et Financière du Bassigny,

- ordonné la déchéance du bénéfice de l'échelonnement en cas d'impayé de sorte que le total sera immédiatement exigible,

statuant à nouveau,

Condamne M. [M] [S] à payer à M. [O] [S] la somme de 1000 euros à titre de dommages-intérêts,

Condamne M. [O] [S] à payer à la SAS Manufacture du Bassigny et à la SARL Financière du Bassigny la somme de 5.000 euros chacune à titre de dommages-intérêts,

Condamne Mme [B] [S] à payer à la SAS Manufacture du Bassigny et à la SARL Financière du Bassigny la somme de 5.000 euros chacune à titre de dommages-intérêts,

Condamne solidairement Mme [B] [S] et M. [O] [S] aux dépens de l'instance d'appel,

Condamne solidairement Mme [B] [S] et M. [O] [S] à payer indivisément à la SAS Manufacture du Bassigny et à la SARL Financière du Bassigny, la somme complémentaire en cause d'appel de 3000 euros,

Rejette la demande présentée par M. [M] [S] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Dijon
Formation : 2 e chambre civile
Numéro d'arrêt : 23/01039
Date de la décision : 22/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-08-22;23.01039 ?
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