S.A. AST GROUPE
C/
[W] [V]
[P] [K]
expédition et copie exécutoire
délivrées aux avocats le
COUR D'APPEL DE DIJON
1re chambre civile
ARRÊT DU 30 JUILLET 2024
N° RG 23/01523 - N° Portalis DBVF-V-B7H-GKAZ
MINUTE N°
Décision déférée à la Cour : ordonnance de référé du 27 novembre 2023,
rendue par le président du tribunal judiciaire de Dijon - RG : 23/00592
APPELANTE :
S.A. AST GROUPE, immatriculée au RCS de Lyon N° 392 549 820, prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés au siège
[Adresse 3]
[Localité 2]
Assistée de Me Basile DE TIMARY, avocat au barreau de LYON, plaidant, et représentée par Me Véronique PARENTY-BAUT, membre de la SELAS ADIDA ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON, postulant, vestiaire : 38
INTIMÉS :
Monsieur [W] [V]
né le 15 Octobre 1987 à [Localité 6] (21)
[Adresse 1]
[Localité 4]
Madame [P] [K]
née le 27 Mars 1987 à [Localité 5] (21)
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentés par Me Alexis TUPINIER, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 101
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 mars 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Sophie BAILLY, Conseiller, et Bénédicte KUENTZ, Conseiller. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la cour étant alors composée de :
Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre,
Sophie BAILLY, Conseiller,
Bénédicte KUENTZ, Conseiller,
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Aurore VUILLEMOT, Greffier
DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 28 Mai 2024 pour être prorogée au 02 Juillet puis au 30 Juillet 2024,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ : par Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre, et par Aurore VUILLEMOT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [W] [V] et Mme [P] [K], qui souhaitaient faire édifier une maison d'habitation sur une parcelle leur appartenant située [Adresse 1] à [Localité 4], ont signé avec la société AST Groupe, le 5 novembre 2021, un contrat de construction de maison individuelle (CCMI) pour un montant forfaitaire de 154 718 euros.
Le contrat prévoyait un délai de réalisation des travaux de 15 mois à compter de l'ouverture du chantier.
La déclaration d'ouverture du chantier a été déposée le 29 juin 2022, de sorte que la réception devait en principe intervenir au plus tard le 29 septembre 2023, sauf en cas de survenance d'une cause légitime de suspension du délai.
Le 13 octobre 2023, une réunion de pré-réception a été réalisée sur place afin de constater l'achèvement des équipements. A l'issue de cette réunion, un rendez-vous a été proposé pour la réception le 3 novembre 2023.
La société AST Groupe a par ailleurs émis, le 13 octobre 2023, l'appel de fonds correspondant à l'achèvement des équipements d'un montant de 30 943,61 euros TTC.
Le 3 novembre 2023, M. [V] et Mme [K] se sont présentés à l'adresse de la construction, et ont constaté l'absence de la société AST Groupe.
Par acte du 16 novembre 2023, les consorts [V] et [K] ont fait attraire la société AST Groupe devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Dijon aux fins de voir :
- condamner la SA AST Groupe à leur remettre les clés du bien sis [Adresse 1], sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, à compter de la signification de l'ordonnance à venir,
- condamner la SA AST Groupe à terminer les travaux listés dans l'assignation, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, à compter de la signification de l'ordonnance à venir,
- se réserver le pouvoir de liquider l'astreinte,
- dire et juger qu'ils séquestreront la somme de 38 679,50 euros sur le compte Carpa de [Localité 5], correspondant au solde du prix des travaux,
- condamner la SA AST Groupe à leur payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SA AST Groupe aux entiers dépens de l'instance,
- ordonner que l'exécution aura lieu au seul vu de la minute de l'ordonnance.
Par ordonnance réputée contradictoire du 27 novembre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Dijon :
- a condamné la SA AST Groupe à remettre les clés de la maison individuelle située [Adresse 1] à [W] [V] et [P] [K], sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, à compter de la signification de l'ordonnance,
- s'est réservé le pouvoir de liquider l'astreinte,
- a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de condamnation à terminer les travaux sous astreinte, et débouté [W] [V] et [P] [K] de leur demande de ce chef,
- a donné acte à [W] [V] et à [P] [K] de ce qu'ils offrent de séquestrer la somme de 38 679,50 euros sur un compte Carpa,
- a condamné la SA AST Groupe à payer à [W] [V] et [P] [K] la somme totale de 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- a condamné la SA AST Groupe aux entiers dépens,
- a ordonné que l'exécution de l'ordonnance aura lieu au seul vu de la minute.
Le 5 décembre 2023, la société AST Groupe a relevé appel de cette décision en toutes ses dispositions, à l'exception de celles disant n'y avoir lieu à référé sur la demande de condamnation à terminer les travaux sous astreinte, et déboutant [W] [V] et [P] [K] de leur demande de ce chef.
Elle a fait signifier sa déclaration d'appel et l'avis de fixation de l'affaire à bref délai par acte du 18 décembre 2023.
Entre temps, la réception a été prononcée, avec des réserves, selon procès-verbal du 8 décembre 2023.
Des réserves complémentaires ont été dénoncées par les consorts [V] et [K] par courrier du 13 décembre 2023.
Par courrier en réponse du 15 décembre 2023, la société AST Groupe a contesté certaines de ces réserves.
Aux termes du dispositif de ses conclusions notifiées le 8 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens développés au soutien de ses prétentions, la société AST Groupe demande à la cour, au visa des articles 834 et 835 du code de procédure civile, de l'article 1219 du code civil et de l'article R. 231-7 du code de la construction et de l'habitation, de :
- réformer l'ordonnance de référé rendue par le président du tribunal judiciaire de Dijon le 27 novembre 2023 en ce qu'elle :
. l'a condamnée à remettre les clés de la maison individuelle située [Adresse 1] à [W] [V] et [P] [K], sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, à compter de la signification de l'ordonnance,
. a réservé au juge des référés le pouvoir de liquider l'astreinte,
. a donné acte à [W] [V] et à [P] [K] de ce qu'ils offrent de séquestrer la somme de 38 679,50 euros sur un compte Carpa,
. l'a condamnée à payer à [W] [V] et [P] [K] la somme de totale de 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
. l'a condamnée aux entiers dépens,
Statuant à nouveau,
- rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions de M. [V] et Mme [K],
- condamner in solidum M. [V] et Mme [K] au paiement d'une provision d'un montant de 30 943,61 euros au titre de la partie exigible du prix de la construction,
- condamner in solidum M. [V] et Mme [K] au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum M. [V] et Mme [K] aux entiers dépens de la première instance et de la procédure d'appel.
M. [V] et Mme [K], bien qu'ayant constitué avocat le 5 janvier 2024, n'ont pas déposé de conclusions.
La clôture a été prononcée le 19 mars 2024, juste avant l'ouverture des débats.
La société AST Groupe a communiqué le 3 avril 2023 une note en délibéré pour répondre à la cour, qui a soulevé à l'audience le caractère nouveau de sa demande reconventionnelle en paiement d'une provision.
MOTIFS
Sur la condamnation sous astreinte à remettre les clés
En vertu des dispositions de l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
Le juge des référés du tribunal judiciaire de Dijon a condamné sur ce fondement la société AST Groupe à remettre les clés de la maison individuelle située [Adresse 1] à M. [V] et Mme [K], sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance, en retenant que :
- il n'était pas contestable que le délai d'exécution des travaux était expiré et que la société AST Groupe avait manqué à ses engagements en ne se rendant pas au rendez-vous fixé pour la réception,
- les consorts [V] et [K] ayant un enfant et devant quitter leur logement le 27 novembre 2023, ils justifiaient d'un motif d'urgence pour voir ordonner sous astreinte la condamnation de la société AST Groupe à remettre les clés du logement.
Pour contester cette décision, l'appelante invoque des stipulations du CCMI, prises en conformité avec les dispositions de l'article 1219 du code civil (exception d'inexécution) et R. 231-7 du code de la construction et de l'habitation, prévoyant que :
'Le maître d'ouvrage s'engage à régler l'ensemble des factures d'ores et déjà émises et non réglées, à la réception, dans les conditions définies à l'article L. 231-7 du code de la construction et de l'habitation, ci-après repris à l'article 3-3. Il ne pourra en aucun cas être procédé à la réception prévue à l'article 2.9 tant que le maître d'ouvrage ne sera pas à jour des règlements prévus à l'article 3.3. Le délai de livraison contractuelle étant en ce cas, par ailleurs suspendu'.
Elle fait valoir que sa facture adressée aux consorts [V] et [K] le 13 octobre 2023 pour un montant de 30 943,61 euros et correspondant à l'étape 'Achèvement des équipements' (rendant le prix exigible à hauteur de 95 %) n'a pas été réglée, malgré les mises en demeure qu'elle justifie avoir adressées aux intimés les 8 et 16 novembre 2023. Elle précise avoir adressé le 27 novembre 2023 aux maîtres de l'ouvrage un courrier leur notifiant l'arrêt du chantier jusqu'à parfaite régularisation de la situation, comme prévu par le contrat.
Les consorts [V] et [K] ne discutent pas ce défaut de paiement, qu'ils ont expressément reconnu dans leur assignation, l'expliquant par la présence d'un certain nombre de non-façons ou malfaçons.
La société AST Groupe conteste leurs allégations, et précise que quand bien même elles auraient été justifiées, les points litigieux auraient dû simplement faire l'objet de réserves à la réception, mais que rien n'autorisait les intimés à ne pas payer l'appel de fonds correspondant à l'achèvement des travaux.
Les moyens développés par l'appelante, qui se prévaut d'une inexécution fautive des obligations des maîtres de l'ouvrage justifiant la suspension de ses obligations, constituent une contestation sérieuse de nature à faire obstacle à la demande de condamnation sous astreinte de la société AST Groupe à procéder à la remise des clés.
L'ordonnance dont appel sera en conséquence infirmée de ce chef, étant toutefois précisé qu'il ressort du procès-verbal de constat établi par Maître [U] le 8 décembre 2023 lors des opérations de réception, que les clés de la maison ont été remises à cette occasion aux consorts [V] et [K].
Sur la demande reconventionnelle en paiement d'une provision
La société AST Groupe sollicite à titre reconventionnel la condamnation de M. [V] et Mme [K] au paiement de la somme de 30 943,61 euros, montant de l'appel de fonds correspondant à l'achèvement des équipements, sur le fondement des dispositions de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile permettant au juge des référés d'accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.
La cour a soulevé à l'audience le caractère nouveau de cette demande, sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile qui dispose qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
La société AST Groupe indique en réponse qu'elle n'était pas comparante en première instance car elle n'a pas disposé d'un délai suffisant pour constituer avocat.
Elle ajoute que, conformément aux dispositions de l'article 564 du code de procédure civile, elle est recevable à soumettre à la cour cette demande reconventionnelle qui vise à faire écarter les prétentions formées par la partie adverse en première instance. Elle relève à cet égard que les consorts [V] et [K] ont sollicité, et obtenu, l'autorisation de placer la somme litigieuse sous séquestre, et précise que sa demande ne tend qu'à obtenir la réformation de cette décision, et donc le rejet des demandes des maîtres de l'ouvrage, dès lors qu'elle est contrainte d'obtenir une décision définitive sur le sort de cette somme avant d'espérer un règlement.
Sur le premier point, ainsi que l'a retenu le juge des référés, le délai de six jours écoulé entre la délivrance de l'assignation à la société AST Groupe, en ses locaux et entre les mains d'une assistante juridique, et la date de l'audience, a permis à la société AST Groupe de disposer d'un délai suffisant au sens de l'article 486 du code de procédure civile pour préparer sa défense.
En tout état de cause, l'ordonnance du 27 novembre 2023, qui se contente de donner acte à [W] [V] et à [P] [K] de ce qu'ils offrent de séquestrer la somme de 38 679,50 euros sur un compte Carpa, ne tranche aucune prétention concernant le solde du prix.
En conséquence, la société AST Groupe ne peut utilement se prévaloir de l'existence d'une exception au principe de prohibition des prétentions nouvelles.
Il convient dès lors de déclarer irrecevable sa demande reconventionnelle en paiement d'une provision.
Sur les frais de procès
Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d'appel doivent être supportés par M. [V] et Mme [K].
L'ordonnance dont appel sera en outre réformée en ce qu'elle a condamné la société AST Groupe à payer à M. [V] et Mme [K] une somme de 600 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'équité commande en revanche de laisser à la charge de la société AST Groupe l'intégralité des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme l'ordonnance du 27 novembre 2023 en toutes ses dispositions critiquées,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Déboute M. [V] et Mme [K] de leur demande tendant à voir condamner sous astreinte la société AST Groupe à leur remettre les clés de la maison individuelle située [Adresse 1],
Déclare irrecevable la demande reconventionnelle de la société AST Groupe tendant à voir condamner M. [V] et Mme [K] à lui payer une provision d'un montant de 30 943,61 euros,
Déboute les parties de leurs demandes présentées en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [V] et Mme [K] aux dépens de première instance et d'appel.
Le greffier Le président