[I] [J] [K]
[Y] [K]
C/
[V] [K]
Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le
COUR D'APPEL DE DIJON
3ème Chambre Civile
ARRÊT DU 04 JUILLET 2024
N° RG 24/00225 - N° Portalis DBVF-V-B7I-GLP7
MINUTE N°
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du juge de la mise en état du 05 février 2024,
rendue par le tribunal judiciaire de Dijon - RG : 23/00634
APPELANTS :
Monsieur [I] [J] [K]
né le [Date naissance 6] 1972 à [Localité 13] (21)
domicilié :
[Adresse 12]
[Localité 5]
Monsieur [Y] [K]
né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 13] (21)
domicilié :
[Adresse 10]
[Localité 4]
représentés par Me Sandrine OLIVEIRA, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 139
INTIMÉE :
Madame [V] [K]
née le [Date naissance 2] 1974 à [Localité 13] (21)
domiciliée :
[Adresse 15]
[Adresse 15]
[Localité 11]
représentée par Me Nadège FUSINA, membre de la SELARL ETIK-AVOCATS, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 103
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 16 mai 2024 en audience publique devant la cour composée de :
Frédéric PILLOT, Président de Chambre,
Anne SEMELET-DENISSE, Conseiller,
Marie-Dominique TRAPET, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,
Après rapport fait à l'audience par l'un des magistrats de la composition, la cour, comme ci-dessus composée a délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Sylvie RANGEARD,
DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 04 Juillet 2024,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ : par Frédéric PILLOT, Président de Chambre, et par Sylvie RANGEARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
M. [Z] [K] et Mme [N] [U] se sont mariés le [Date mariage 8] 1970 devant l'officier d'état civil de la commune de [Localité 14], sans avoir fait précéder leur union d'un contrat de mariage.
[Z] [K] est décédé le [Date décès 9] 2007 en laissant pour lui succéder son épouse et leurs trois enfants communs :
- M. [Y] [K], né le [Date naissance 1] 1970,
- M. [I] [K], né le [Date naissance 6] 1972,
- Mme [V] [K], née le [Date naissance 2] 1974.
[T] [K], né le [Date naissance 7] 1930, frère de M. [Z] [K], est décédé le [Date décès 3] 2014.
Célibataire sans enfant, [T] [K] laisse pour lui succéder les trois enfants de son frère [Z] [K], soit ses trois neveux [Y], [I] et [V] [K].
Par acte authentique du 28 décembre 2005 reçu par Me [R], notaire associé à [Localité 13], [Z] [K] et [T] [K] avaient procédé au partage de la succession de leurs parents, frères et s'urs prédécédés.
Par acte authentique du même jour, également reçu par Me [R], [T] [K] avait fait donation des biens immobiliers reçus dans le partage de la succession de ses parents à messieurs [Y] et [I] [K].
Par acte d'huissier de justice du 28 février 2023, Mme [V] [K] a fait assigner M. [Y] [K] et M. [I] [K] devant le tribunal judiciaire de Dijon, afin de voir ordonner l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de M. [T] [K], tout en sollicitant l'annulation de la donation consentie le 28 décembre 2005 par le défunt aux défendeurs, ce pour insanité d'esprit et subsidiairement pour dol et violences.
Par ordonnance du 05 février 2024, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Dijon a :
- déclaré Mme [V] [K] recevable en ses demandes,
- condamné in solidum M. [Y] et M. [I] [K] aux dépens de l'incident,
- réservé les demandes formées au titre des frais irrépétibles.
Par déclaration en date du 13 février 2024, M. [I] [K] et M. [Y] [K] ont interjeté appel de l'ordonnance entreprise.
Selon le dernier état de leurs conclusions transmises par voie électronique le 06 mai 2024, M. [I] [K] et M. [Y] [K], appelants, demande à la cour d'infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,
- de constater la prescription des actions en nullité et en recel successoral engagées par Mme [V] [K] à l'encontre de ses deux frères M. [I] et M. [Y] [K] et portant sur la donation du 28 décembre 2005,
- en conséquence, déclarer Mme [V] [K] irrecevable en ses demandes,
- débouter Mme [V] [K] de toutes demandes plus amples ou contraires,
- condamner Mme [V] [K] à payer à M. [I] [K] une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [V] [K] à payer à M. [Y] [K] une somme de 3 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Selon le dernier état de ses conclusions transmises par voie électronique le 13 mai 2024, Mme [V] [K], intimée, demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance en date du 5 février 2024,
- débouter Mrs [I] et [Y] [K] de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions,
- y ajoutant, condamner in solidum Mrs [I] et [Y] [K] à payer à Mme [V] [K] une indemnité de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum Mrs [I] et [Y] [K] à supporter la charge des dépens de la procédure d'appel lesquels seront recouvrés par la SELARL ETIK-AVOCATS conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
La clôture a été ordonnée le 14 mai 2024 et l'affaire a été fixée pour être examinée à l'audience du 16 mai 2024.
La cour fait référence, pour le surplus de l'exposé des moyens des parties et de leurs prétentions, à leurs dernières conclusions récapitulatives sus-visées, en application de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
- Sur la recevabilité des demandes de Mme [V] [K]
L'ordonnance entreprise, écartant la fin de non-recevoir tirée de la prescription, a déclaré Mme [V] [K] recevable en ses demandes.
M. [I] [K] et M. [Y] [K] sollicitent l'infirmation de l'ordonnance entreprise sur ce point.
Ils rappellent que la donation litigieuse a été réalisée par l'acte notarié du 28 décembre 2005, qu'elle a été publiée et enregistrée à la conservation des hypothèques le 02 mars 2006, que la nullité d'une libéralité pour insanité d'esprit ayant pour objet d'assurer la protection d'un disposant contre lui-même, est une nullité relative qui ne peut être engagée que par le disposant et de son vivant, que lors du décès du disposant seuls ses héritiers ab intestat ou ses légataires universels peuvent engager cette action, que Mme [V] [K] avait la qualité pour agir mais que son action en nullité pour insanité d'esprit est prescrite.
Ils exposent que Mme [V] [K] n'a personnellement engagé aucune démarche ensuite du décès de son oncle, qu'elle est restée inactive durant plus de huit ans alors qu'elle ne pouvait agir en nullité que jusqu'aux 17 avril 2019, et l'action n'ayant été engagée que le 28 février 2023 se trouve donc prescrite.
Ils expliquent que le délai de prescription court à partir du décès du disposant, que la nullité pour dol ou violence est également une nullité relative et se prescrit par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l'exercer, ou à compter du jour où les violences ont cessé, qu'ils n'ont jamais commise de man'uvres dolosives ou de violences et que cette action est également prescrite depuis le 17 avril 2019.
Ils indiquent que l'action en recel successoral se prescrit également par cinq ans, que dans la mesure où la donation litigieuse n'a jamais été dissimulée puisque passée devant notaire, puis publiée et enregistrée à la conservation des hypothèques dès le mois de mars 2006, Mme [V] [K] aurait pu en avoir connaissance dès le décès de son oncle si elle n'avait négligé le règlement de cette succession pendant plus de 8 ans, l'intimée ne pouvant se prévaloir de ses propres turpitudes.
Mme [V] [K] sollicite la confirmation de l'ordonnance entreprise sur ce point.
Elle soutient, concernant sa demande de nullité de la donation du 28 décembre 2005 pour insanité, qu'il convient de faire application de l'article 2234 du code civil, que le point de départ de la prescription de la nullité pour insanité d'esprit, se situe au jour du décès du testateur, ou au jour où celui qui attaque l'acte en a eu connaissance, qu'il en est de même de l'action en nullité d'une donation quand bien même, elle aurait fait l'objet d'une publication au registre de la publicité foncière, et qu'elle a été dans l'impossibilité totale de découvrir l'existence de la donation du 28 décembre 2005 avant la demande de renseignements hypothécaires du 17 février 2022.
En droit, aux termes de l'article 901 du Code civil, « Pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol, ou la violence ».
L'action en nullité d'une libéralité, qu'elle soit entre vifs ou à cause de mort, est ouverte au disposant lui-même de son vivant et à ses héritiers légaux, après son décès.
L'article 2224 du Code civil précise que, « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».
Il résulte de l'application combinée des nouveaux articles 1144 et 2224 du code civil que l'action en contestation d'un testament pour insanité, dol ou violence est soumise à la prescription quinquennale, dont le point de départ se situe au plus tôt à la date du décès ou à celle où la partie concernée a pris connaissance du testament ou de la donation objet de la contestation.
La charge de la preuve du délai de prescription incombe à celui qui invoque cette fin de non-recevoir.
Il est de principe que la publication d'un acte au registre de la publicité foncière, ne fait pas, à elle seule, faute de procurer une connaissance effective de la date de cette vente, courir un délai de forclusion.
Il sera liminairement relevé que dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 8 mars 2017 de la première chambre civile concernant la prescription de l'action en nullité pour insanité, sous l'empire de l'ancien article 1304 du code civil, l'acte de donation litigieux mentionnait que le frère se prétendant lésé était représenté à l'acte par un clerc de notaire en vertu d'un pouvoir sous seing privé, de sorte qu'il ne pouvant prétendre ignorer l'acte, le délai de prescription courant ainsi nécessairement à compter du décès, ce principe n'étant pas applicable à la cause puisque Mme [V] [K] n'était ni présente ni représentée à l'acte.
Il est ainsi considéré qu'une différence de typologie juridique entre deux types déterminés d'altération de la volonté, l'insanité d'esprit et le vice du consentement, ne doit pas nécessairement entraîner des divergences systématiques de leurs régimes juridiques notamment en matière de prescription.
En l'espèce, alors que [T] [K] est décédé le [Date décès 3] 2014, c'est en vain que Messieurs [I] et [Y] [K] estiment que la prescription serait intervenue le 17 avril 2019 pour en déduire que l'action introduite par Mme [K] selon assignation du 28 février 2023 serait prescrite.
Si la donation a effectivement été publiée et enregistrée à la conservation des hypothèques le 02 mars 2006, Mme [V] [K] qui avait quitté la ferme familiale en 1997, n'a jamais été informée d'un projet de donation ni de sa concrétisation par ses frères, alors même que la régularisation de l'acte n'a pas changé l'organisation familiale, rappelant que depuis que leur père avait pris sa retraite, Messieurs [I] et [Y] [K] exploitaient les terres familiales provenant de leurs grands-parents, [P] et [F] [K], aucune modification matérielle de l'exploitation n'étant perceptible pour la s'ur.
Rien au dossier ne permet de considérer que Mme [V] [K] ait eu connaissance de cette publication antérieurement à la consultation du fichier en février 2022, les échanges de mail entre les parties fin 2021 et début 2022 démontrant à l'inverse une prise de conscience progressive de celle-ci (PI 6-7-10).
Les frères [K], qui reconnaissent ne pas avoir informé leur s'ur de la donation litigieuse, échouent donc à rapporter la preuve, qui leur incombe, d'une connaissance antérieure de celle-ci par leur s'ur [V], laquelle se trouvait donc dans l'impossibilité d'agir.
Surabondamment, l'état d'incapacité de M. [T] [K], atteint de déficience mentale depuis son enfance avec besoin d'une assistance constante, comme médicalement établi par le certificat du docteur [E] du 22 juin 1974 faisant état d'une IPP de 90 %, et conforté par différents témoignages, ne permettait pas à Mme [V] [K] de supposer du principe même d'une donation intra-familiale avant consultation du fichier immobilier, aucune ignorance blâmable de faits pertinents ne pouvant dès lors être caractérisée pour ne pas avoir initiée une procédure judiciaire, ce quand bien même la donation litigieuse, dissimulée, remonterait à plus de 17 ans et alors même que les opérations successorales n'ont pas été réalisées.
Dans ces conditions, à défaut de connaissance effective antérieure de la donation par Mme [K], le point de départ du délai de prescription doit être fixé à la date de consultation du fichier immobilier, soit le 17 février 2022, de sorte que c'est par une juste appréciation que le premier juge a déclaré recevables les demandes de Mme [K] introduites par assignations du 28 février 2023.
L'ordonnance entreprise sera confirmée.
- Sur les autres demandes
Messieurs [I] et [Y] [K] supporteront les entiers dépens d'appel.
Il est équitable de condamner in solidum Messieurs [I] et [Y] [K] à verser à Mme [V] [K] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme l'ordonnance entreprise en ses dispositions soumises à la Cour,
Y ajoutant,
Condamne complémentairement in solidum Messieurs [I] et [Y] [K] à verser à Mme [V] [K] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 code de procédure civile,
Condamne in solidum Messieurs [I] et [Y] [K] aux entiers dépens d'appel,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Le Greffier, Le Président,