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02/07/2024 | FRANCE | N°24/00062

France | France, Cour d'appel de Dijon, 1re chambre civile, 02 juillet 2024, 24/00062


S.A.R.L. DOMAINE FRANCOIS 1ER



C/



[I] [U]



S.A.S. CBA - CHATEAU DE BEL AVENIR

































































































Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le

COUR D'APPEL DE DIJON





1ère chambre civile



ARRÊT DU 02 JUILLET 2024



N° RG 24/00062 - N° Portalis DBVF-V-B7I-GKVG



MINUTE N°



Décision déférée à la Cour : jugement du 12 décembre 2023,

rendu par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Mâcon - RG : 23/00659









APPELANTE :



S.A.R.L. DOMAINE FRANCOIS 1ER agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés au...

S.A.R.L. DOMAINE FRANCOIS 1ER

C/

[I] [U]

S.A.S. CBA - CHATEAU DE BEL AVENIR

Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le

COUR D'APPEL DE DIJON

1ère chambre civile

ARRÊT DU 02 JUILLET 2024

N° RG 24/00062 - N° Portalis DBVF-V-B7I-GKVG

MINUTE N°

Décision déférée à la Cour : jugement du 12 décembre 2023,

rendu par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Mâcon - RG : 23/00659

APPELANTE :

S.A.R.L. DOMAINE FRANCOIS 1ER agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés au siège social :

[Adresse 6]

[Localité 5]

représentée par Me Béatrice SAGGIO, membre de la SCP SAGGIO/CHARRET, avocat au barreau de MACON

INTIMÉES :

Madame [I] [U]

née le [Date naissance 1] 1985 à [Localité 9] (71)

[Adresse 2]

[Localité 5]

assistée de Me Véronique GIGNOUX, membre de DIFUCIAL LEGAL BY LAMY, avocat au barreau de LYON, plaidant, et représentée par Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 126, postulant

S.A.S. CBA - CHATEAU DE BEL AVENIR

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Intimée sur appel provoqué

Non représentée

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 30 avril 2024 en audience publique devant la cour composée de :

Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre,

Sophie BAILLY, Conseiller,

Leslie CHARBONNIER, Conseiller,

Après rapport fait à l'audience par l'un des magistrats de la composition, la cour, comme ci-dessus composée a délibéré.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Aurore VUILLEMOT, Greffier

DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 25 Juin 2024 pour être prorogée au 02 Juillet 2024,

ARRÊT : rendu par défaut,

PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ : par Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre, et par Aurore VUILLEMOT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [B] [O] et Mme [I] [U] ont entretenu une relation amoureuse au cours de laquelle ils ont décidé de développer un domaine viticole.

A cet effet, ils ont créé plusieurs structures parmi lesquelles :

- un GFA François 1er

- une SARL dénommée Domaine François 1er.

Suite à la séparation du couple en juin 2020, plusieurs procédures contentieuses ont été engagées. Mme [U] a notamment fait assigner, au cours de l'année 2021, la SARL Domaine François 1er aux fins de se faire rembourser son compte courant d'associé pour la somme de 136 614 euros.

Le 20 décembre 2022, la société Christian Dulion Gold Permission Lda a commandé auprès de la SARL Domaine François 1er, 66 000 bouteilles de vin, pour un montant de 1 138 000 euros HT, commande acceptée le 22 décembre 2022.

Par jugement du 23 décembre 2022, le tribunal de commerce de Mâcon a condamné la SARL Domaine Francois 1er à payer à Mme [U] les sommes suivantes :

- 136 614 euros outre intérêts de droit à compter du 4 mai 2021,

- 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

En exécution de ce jugement signifié à la SARL Domaine François 1er par acte du 10 janvier 2023, Mme [U] a fait pratiquer les mesures d'exécution suivantes :

- par acte du 18 janvier 2023, une saisie attribution entre les mains de la SCA Cave des Producteurs de Grands Vins de [Localité 7], dénoncée le 20 janvier 2023 à la SARL Domaine François 1er

- par acte du 24 février 2023, une saisie attribution entre les mains de la banque Olinda, dénoncée le 28 février 2023 à la SARL Domaine François 1er,

- par acte du 7 mars 2023, une saisie vente entre les mains du tiers détenteur, la SAS CBA -Château de Bel Avenir Production Unique Rebelle 'Pur', dénoncée le 10 mars 2023 à la SARL Domaine Francois 1er.

Les biens saisis sont les suivants :

' des cuves contenant du vin

- cuve 4 : [Localité 7] 2021 - Moulin à Vent - Beaujolais Village (4 hl) = 42 hectolitres

- cuve 5 : Moulin à Vent 2019 = 43 hectolitres

- cuve 6 : Chénas 2019 = 37,5 hectolitres

- cuve 9 : Moulin à Vent 2020 = 60 hectolitres

- cuve 11 : Moulin à Vent 2020 = 70 hectolitres

- cuve plafond mobile : Beaujolais Village rouge = 7 hectolitres

- cuve 15 : Moulin à Vent 2020 - Saint-Amour (4 hl) = 20 hectolitres

- cuve 16 : [Localité 8] 2020 = 24,5 hectolitres

- cuve 17 : Moulin à Vent 2019 = 48,5 hectolitres

- cuve inox 18 : [Localité 8] 2019 = 20 hectolitres

- cuve : Chénas 2020 = 26 hectolitres

- cuve : Chénas 2019 = 19,5 hectolitres

- cuve 19 émail : Saint-Amour 2020 = 48 hectolitres

- cuve 17 émail : Saint-Amour 2020 = 48 hectolitres

- cuve 17 émail : Saint-Amour 2020 = 105 hectolitres

- 2 cuves plafond mobile inox : Chénas 2020 de 5,5 hectolitres et Saint-Amour 2020 de 19 hectolitres

' des bouteilles de vin étiquetées et capsulées

- 6 832 bouteilles de Chénas 2018

- 2 154 bouteilles de [Localité 8] 2018

' des bouteilles de vin sur piles

- 2 040 bouteilles de [Localité 7] 2020

- 3 060 bouteilles de Beaujolais Blanc 2020

- 80 magnums de Beaujolais Blanc

- 3 570 bouteilles de Moulin à Vent 2018

- 940 bouteilles de Moulin à Vent 2017

- 373 magnums de Saint-Amour 2017

- 510 bouteilles de Saint-Amour 2018

- 100 magnums de Bourgogne Blanc 2018.

Aucune de ces mesures d'exécution n'a été contestée par la SARL Domaine François 1er.

Par acte du 4 juillet 2023, la société Christian Dulion Gold Permission a saisi le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Mâcon, revendiquant la propriété des 66.000 bouteilles, objet de la vente du 20 décembre 2022, comprises dans les biens saisis le 7 mars 2023.

La SARL Domaine François 1er, partie à l'instance, a notamment présenté les demandes suivantes :

- prononcer la nullité partielle de la saisie-vente, sur le fondement de l'article R.221-50 du code des procédures civiles d'exécution, en ce qu'elle porte sur des stocks de vins en vrac et de bouteilles appartenant à la société Christian Dulion Gold Permission,

- enjoindre à la société Christian Dulion Gold Permission de verser directement entre les mains de Mme [U] lors de l'exécution du contrat, la somme dont cette dernière demeure créancière,

- à titre reconventionnel,

' cantonner la saisie-vente aux bouteilles de vin suivantes représentant une somme de 81 133,80 euros :

. 832 bouteilles de Chénas 2018,

. 1 300 bouteilles de [Localité 8] 2018,

. 1 500 bouteilles de [Localité 7] 2020,

. 3 000 bouteilles de Moulin à Vent,

. 3 060 bouteilles de beaujolais Blanc,

' condamner Mme [U] à lui payer la somme de 600 000 euros de dommages-intérêts pour saisie abusive.

Mme [U] qui, pour l'essentiel, s'opposait à la demande de la société Christian Dulion Gold Permission, a notamment demandé au juge de l'exécution de cantonner la saisie-vente à hauteur de la quantité de vins et de bouteilles correspondant au quantum de sa créance restant due, soit 73 183,20 euros, sous réserve de la désignation d'un expert qui procédera à la valorisation du stock saisi aux frais de la société Christian Dulion Gold Permission.

Par jugement du 12 décembre 2023, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Mâcon a :

- ordonné la distraction, sans délai, au profit de la société Christian Dulion Gold Permission Lda de 66.000 bouteilles indûment saisies le 7 mars 2023 et dont la SAS Château de Bel Avenir Production Unique Rebelle 'Pur' est restée gardien, soit :

12 000 bouteilles de Moulin à Vent millésime 2019,

28 000 bouteilles de Saint Amour millésime 2020,

20 000 bouteilles de Moulin à Vent millésime 2020,

6 000 bouteilles de Chenas millésime 2018,

- annulé pour ce qui concerne ces vins la saisie du 7 mars 2023 et cantonné cette saisie au surplus des biens saisis,

- dit irrecevables les demandes relatives au paiement du prix de vente des vins par la société Christian Dulion Gold Permission Lda,

- dit irrecevable la demande de la société Château de Bel Avenir Production Unique Rebelle 'Pur' relative au retrait des vins stockés dans ses chais,

- débouté les parties de leurs demandes de dommages et intérêts,

- condamné Mme [U] à payer aux sociétés Christian Dulion Gold Permission Lda et Domaine François 1er la somme de 3000 euros chacune en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [U] aux entiers dépens de l'instance.

Après avoir essuyé de multiples difficultés pour exécuter le jugement du 12 décembre 2023, le commissaire de justice, mandaté par la société Christian Dulion Gold Permission Lda, s'est présenté le 23 janvier 2024, dans les locaux du tiers-saisi afin de procéder :

- à l'inventaire et à l'enlèvement du vin appartenant à cette société, déjà embouteillé, soit les 6 000 bouteilles de Chénas 2018

- à l'inventaire du vin stocké en cuve et à des prélèvements d'échantillons.

Il a trouvé à l'extérieur des locaux, exposées aux intempéries, 6 449 bouteilles de Chénas 2018 sur les 6 832 saisies, qu'il a emportées.

Il a découvert que du vin en vrac avait été déplacé dans une autre cave, avait été changé de cuve et même mélangé.

Ces constatations ont conduit la société Domaine François 1er à présenter, le 26 janvier 2024, une requête au juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Mâcon, qui, par ordonnance du 30 janvier 2024, a enjoint au tiers saisi, la SAS CBA - Château de Bel Avenir Production Unique Rebelle 'Pur', de restituer sans délai à :

- la société Christian Dulion Gold Permission Lda, ou à toute personne mandatée par elle, les 66 000 bouteilles de vin indument saisies le 7 mars 2023,

- la société Domaine François 1er, tous les autres vins saisis le 7 mars 2023, sous le contrôle du commissaire de justice ayant pratiqué la saisie, la société Domaine François 1er étant désignée gardien de ceux-ci.

Cette ordonnance a été exécutée le 2 février 2024, étant observé que certaines des bouteilles saisies étaient manquantes et que les vins en cuve n'ont pu être présentés ni dans leur état au jour de la saisie, ni même dans leur état déclaré par le tiers saisi le 23 janvier 2024.

Le 5 février 2024, la société Christian Dulion Gold Permission Lda a annulé la vente du 22 décembre 2022 sauf en ce qu'elle porte sur 6 000 bouteilles de Chénas 2018, les autres bouteilles ne pouvant pas être conditionnées puis livrées compte tenu de l'état du vin en vrac.

*****

Par déclaration du 8 janvier 2024, la SARL Domaine François 1er a interjeté appel du jugement du 12 décembre 2023, dont elle ne critique que la disposition l'ayant déboutée de sa demande indemnitaire pour saisie abusive, son recours n'étant en conséquence dirigé qu'à l'encontre de Mme [U].

Par conclusions du 11 mars 2024, Mme [U] a formé un appel incident et par acte du 12 mars 2024, elle a régularisé un appel provoqué à l'égard de la société CBA-Château de Bel Avenir Production Unique Rebelle 'Pur', tiers saisi.

Aux termes du dispositif de ses conclusions notifiées le 26 avril 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens développés au soutien de ses prétentions, la société Domaine François 1er demande à la cour, au visa des articles L.111-7 et R.121-2 du code des procédures civiles d'exécution, ainsi que des articles 1240 et 1241 du code civil, de :

' infirmer le jugement dont appel uniquement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts,

Et, statuant à nouveau,

' déclarer recevable sa demande indemnitaire,

' condamner Mme [U] à lui payer la somme de 900 000 euros à titre de dommages et intérêts, soit :

- 247 573,22 euros au titre de l'impossibilité pour elle de réaliser ses vendanges 2023,

- 160 000 euros compte tenu de son éviction du groupe Hexagone 'Domaine et Terroirs',

- 24 000 euros compte tenu de la perte de sa cliente Maison Cavaille,

- 15 417,44 euros compte tenu de la perte de son partenariat avec M. [S] [C],

- 400 000 euros au titre de la perte de chance de pouvoir livrer et contracter avec la société Christian Dulion Gold Permission Lda,

- 23 210 euros au titre de la perte de valeur du vin en vrac lui appartenant,

- 30 000 euros au titre du préjudice moral d'image qu'elle a subi,

' rejeter toute autre demande,

' condamner Mme [U] au paiement d'une somme de 4 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de la présente instance.

Aux termes du dispositif de ses conclusions notifiées le 22 avril 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens développés au soutien de ses prétentions, Mme [U] demande à la cour, au visa des articles L.121-2, R.211-30 et R221-51 du code des procédures civiles d'exécution, de :

' infirmer le jugement dont appel en ce qu'il l'a condamnée à payer une somme de 3 000 euros à la SARL Domaine François 1er au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens,

Et statuant à nouveau,

' écarter des débats la lettre du conseil de l'appelante adressée à la cour le 9 avril 2024,

' juger que la SARL François 1er n'a pas contesté la saisie du 7 mars 2023 et que son action en réparation pour saisie abusive est irrecevable,

' juger que la SARL François 1er n'a pas respecté les dispositions de l'article R. 211-30 du code des procédures civiles d'exécution,

' débouter intégralement la SARL Domaine François 1er de tous ses moyens, fins, appel et conclusions,

' confirmer le jugement dont appel pour le surplus,

Subsidiairement, si par extraordinaire, le 'tribunal' faisait droit en tout ou partie aux demandes de dommages et intérêts de la SARL Domaine François 1er,

' condamner la SAS CBA-Château de Bel Avenir Production Unique Rebelle 'Pur' à la relever et la garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre,

En tout état de cause,

' condamner la SARL Domaine François 1er à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

' condamner la société Domaine François 1er et la SAS CBA-Château de Bel Avenir Production Unique Rebelle 'Pur' :

- à lui verser chacune la somme de 8 000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile

- aux entiers dépens de l'instance.

La SAS CBA-Château de Bel Avenir Production Unique Rebelle 'Pur', citée selon les modalités de l'article 656 du code de procédure civile, n'a pas constitué avocat.

La clôture a été prononcée le 30 avril 2024.

MOTIVATION

Sur la demande tendant à écarter des débats la lettre adressée à la cour par le conseil de l'appelante le 9 avril 2024

Par cette lettre, l'appelante expose que l'appel provoqué du tiers saisi par l'intimée est 'purement dilatoire et a pour vocation de différer le prononcé de l'arrêt à venir' et attire l'attention de la cour sur les conséquences particulièrement dommageables d'un renvoi de l'audience du 30 avril 2024.

Cette lettre restée sans incidence sur le déroulement de la procédure ne saisit la cour d'aucune demande et ne contient aucun moyen de défense.

Elle ne fait donc pas partie des débats au sens strict du terme et la demande tendant à l'en écarter est donc sans objet.

Sur la demande indemnitaire de la SARL François 1er pour saisie abusive

Cette demande est fondée sur les articles suivants :

- l'article L.213-6 du code de l'organisation judiciaire selon lequel le juge de l'exécution connaît des demandes en réparation fondées sur l'exécution ou l'inexécution dommageables des mesures d'exécution forcée,

- l'article L.111-7 du code des procédures civiles d'exécution dont il résulte que si le créancier a le choix des mesures propres à assurer l'exécution du titre dont il dispose, l'exécution de ces mesures ne peut excéder ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le paiement de sa créance,

- l'article L.121-2 du même code selon lequel le juge de l'exécution a le pouvoir d'ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d'abus de saisie.

La demande indemnitaire de l'appelante est également fondée sur les articles 1240 et 1241 du code civil. Elle ne peut prospérer que s'il est démontré que Mme [U] a commis une faute et que par cette faute, il a été causé un préjudice à la société Domaine François 1er.

Sur la recevabilité de la demande

Mme [U] soutient que l'action en contestation de la saisie et l'action en réparation pour saisie abusive sont étroitement liées et que la seconde ne peut être exercée que dans le délai de la première.

Elle se réfère de manière inopérante aux dispositions de l'article R.211-11 du code des procédures civiles d'exécution, ce texte n'étant relatif qu'aux saisies attributions et n'étant pas applicable aux saisies ventes.

Si l'article R. 221-53 du code des procédures civiles d'exécution ouvre un délai d'un mois à compter de la signification de la saisie vente pour contester la saisissabilité des biens compris dans la saisie, l'article R. 221-54 du même code énonce que La nullité de la saisie pour vice de forme ou de fond autre que l'insaisissabilité des biens compris dans la saisie peut être demandée par le débiteur jusqu'à la vente des biens saisis.

Par ailleurs, ainsi que le fait justement valoir l'appelante, l'action en réparation fondée sur l'exécution dommageable d'une mesure d'exécution forcée est autonome.

En conséquence, la fin de non-recevoir soulevée par Mme [U] ne peut être accueillie.

Sur le bien fondé de la demande

L'appelante reproche d'une part à Mme [U] d'avoir procédé à une saisie vente dont l'étendue était disproportionnée dès le 7 mars 2023, cette disproportion s'étant accrue au fur et à mesure que la saisie attribution pratiquée le 18 janvier 2023, entre les mains de la SCA Cave des Producteurs de Grands Vins de [Localité 7] produisait effet. Consécutivement, elle lui reproche de ne pas avoir cantonné la saisie.

Elle lui fait grief d'autre part de n'avoir ni accepté des ventes amiables dans des conditions qui lui auraient permis d'être désintéressée, ni d'avoir effectivement procédé à la vente aux enchères publiques des biens saisis.

A titre liminaire, la cour observe que les parties évoquent de manière inutile les biens compris dans la vente conclue le 22 décembre 2022 entre l'appelante et la société Christian Dulion Gold Permission Lda, dès lors que ces biens ne pouvaient pas être saisis. En conséquence, Mme [U] ne peut pas soutenir que le produit de la vente résiduelle sur les 6 000 bouteilles de Chénas 2018 devait lui revenir en exécution de la saisie vente du 7 mars 2023. Par ailleurs, la société Domaine François 1er qui n'a pas contesté la saisissabilité des biens vendus le 22 décembre 2022 dans le délai prescrit par l'article R.221-53 du code des procédures civiles d'exécution ne peut pas lui faire grief de ne pas avoir pu disposer des dits biens.

Il ressort des pièces produites aux débats, et il est d'ailleurs admis par l'appelante, que depuis 2022, en raison d'un litige l'opposant à la SAS CBA - Château de Bel Avenir Production Unique Rebelle 'Pur', elle n'avait plus accès aux bouteilles et au vin en vrac qu'elle avait entreposés dans les locaux de celle-ci.

En conséquence, les biens saisis le 7 mars 2023 par Mme [U] étaient, indépendamment des effets de la saisie-vente litigieuse, déjà matériellement indisponibles et ils le seraient manifestement restés jusqu'à l'issue du contentieux opposant l'appelante à la SAS CBA- Château de Bel Avenir Production Unique Rebelle 'Pur'. Or, ce contentieux est toujours en cours.

Finalement, ce sont les difficultés d'exécution du jugement dont appel, rencontrées par la société Christian Dulion Gold Permission Lda, suivies de l'ordonnance sur requête du 30 janvier 2024 qui ont permis à l'appelante de rentrer en possession des bouteilles saisies.

Si l'appelante n'a pas pu rentrer en possession du vin en vrac en exécution de l'ordonnance du 30 janvier 2024, c'est en raison du comportement de la SAS CBA- Château de Bel Avenir Production Unique Rebelle 'Pur', qui, malgré la saisie et sa qualité de tiers saisi gardien de ce vin, a procédé à des déplacements et à des mélanges.

D'ailleurs, au § 3 de la page 19 de ses conclusions, la société Domaine François 1er reconnaît que la 'perte' du vin en vrac n'est pas de la responsabilité de Mme [U].

En conséquence, l'appelante ne peut qu'être déboutée de sa demande indemnitaire en ce qu'elle porte sur la somme de 23 210 euros au titre de la perte de valeur du vin en vrac.

Au regard de ce qui précède, ce n'est donc qu'à compter du 2 février 2024 que l'indisponibilité juridique des bouteilles, consécutive à la saisie vente du 7 mars 2023 a pu générer un préjudice pour l'appelante, constituée comme gardienne des biens saisis.

Il en résulte que les fautes reprochées à Mme [U] sont nécessairement sans lien de causalité avec les préjudices suivants :

- l'impossibilité pour l'appelante de réaliser les vendanges 2023 au titre de laquelle elle réclame 247 573,22 euros de dommages-intérêts, étant observé qu'il n'est pas soutenu que Mme [U] aurait commis un abus de droit en pratiquant la saisie attribution du 16 janvier 2023 entre les mains de la SCA Cave des Producteurs de Grands Vins de [Localité 7], alors que c'est cette saisie qui a conduit à ce que les revenus, attendus par l'appelante de cette coopérative, soient versés à Mme [U],

- son éviction du groupe Hexagone 'Domaines et Terroirs' au titre de laquelle elle réclame 160 000 euros de dommages-intérêts, dès lors qu'il ressort de sa pièce 102 que cette éviction, actée dès le 26 janvier 2024, est consécutive aux arrêts de livraisons au cours de l'année 2023,

- la perte du client Maison Cavaillé au titre de laquelle elle réclame 24 000 euros de dommages-intérêts, dès lors qu'il ressort de sa pièce 101 que la perte de ce client était actée dès le 8 janvier 2024,

- la perte de son partenariat avec M. [S] [C], au titre de laquelle elle réclame 15 417,44 euros de dommages-intérêts, dès lors qu'il ressort de sa pièce 100 que la perte de ce partenariat remonte au 6 septembre 2023.

' sur la perte de chance de pouvoir livrer et contracter avec la société Christian Dulion Gold Permission Lda au titre de laquelle il est réclamé 400 000 euros de dommages-intérêts

L'appelante rappelle que la vente du 22 décembre 2022 a été résolue en ce qu'elle portait sur du vin en vrac devant être conditionné en 60 000 bouteilles d'une valeur HT de 1 060 000 euros.

Mais il a été dit ci-dessus que la perte du vin en vrac n'était pas imputable à Mme [U], si bien que le préjudice consécutif à cette résolution partielle de la vente du 22 décembre 2022 ne peut pas davantage lui être imputé.

Il ressort des pièces 148 à 150 du dossier de l'appelante que la société Christian Dulion Gold Permission Lda a, le 5 mars 2024, maintenu sa commande des 6 000 bouteilles de Chénas 2018, commande qu'elle a complétée avec les bouteilles suivantes :

- 2 500 bouteilles de Moulin à Vent 2018 - prix HT de 20 euros la bouteille = 50 000 euros HT

- 1 500 bouteilles de [Localité 8] 2018 - prix HT de 15 euros la bouteille = 22 500 euros HT

- 2 000 bouteilles de [Localité 7] 2020 - prix HT de 20 euros la bouteille = 40 000 euros HT

- 2 000 bouteilles de Beaujolais blanc - prix HT de 15 euros la bouteille = 30 000 euros HT.

Par courrier des 7 et 18 mars 2024, le conseil de la SARL Domaine François 1er a demandé au commissaire de justice ayant pratiqué la saisie vente du 7 mars 2023, d'informer Mme [U] de cette possibilité de vente amiable et d'autoriser cette vente moyennant un paiement par la société Christian Dulion Gold Permission Lda, entre ses mains directement.

Le 22 mars 2024, Maître [J] a répondu en ses termes : 'A la suite du cantonnement ordonné par le juge de l'exécution dans son jugement du 12.12.2023, Madame [I] [U] n'est pas opposée à la vente de certaines bouteilles de vins saisies à la Société CHRISTIAN DULION GOLD PERMISSION. / Je vous rappelle cependant qu'en aucun cas le stock vendu ne peut être déplacé avant le paiement du prix, que l'acquéreur doit par écrit indiquer le délai dans lequel il s'offre à verser le prix proposé, qui sera versé entre mes mains uniquement. / Le transfert de la propriété et la délivrance des biens sont subordonnés au paiement et à la Mainlevée'.

Cette réponse n'équivaut nullement à une opposition à la vente envisagée si bien qu'il ne peut pas être reproché à Mme [U] d'avoir refusé la vente amiable de biens saisis, la cour observant que les raisons pour lesquelles la société Christian Dulion Gold Permission Lda n'a pas donné suite à la commande ne sont pas précisées.

Dans ces circonstances, il ne peut pas sérieusement être reproché à Mme [U] de n'avoir pas procédé à la vente aux enchères des bouteilles saisies, une telle vente générant des frais et le montant de son produit étant aléatoire.

En mars 2024, la saisie-attribution pratiquée le 16 janvier 2023 entre les mains de la SCA Cave des Producteurs de Grands Vins de [Localité 7] avait produit la somme globale de 69 852,34 euros, alors que la créance de Mme [U] s'élevait initialement en principal à 136 614 euros.

Eu égard à la valeur des bouteilles saisies et récupérées le 4 février 2024 par l'appelante et au solde résiduel de la créance de Mme [U], il est certain qu'elle a maintenu une saisie vente disproportionnée. Il est néanmoins curieux pour l'appelante de faire grief à Mme [U] de ne pas avoir cantonné la saisie alors que dans le cadre de son appel, elle ne critique pas la disposition du jugement du 12 décembre 2023, ayant rejeté sa demande de cantonnement à moins de 10 000 bouteilles.

En toute hypothèse, il n'est ni allégué, ni a fortiori établi, que la société Christian Dulion Gold Permission Lda aurait renoncé à acquérir les bouteilles pour lesquelles elle avait fait une offre le 5 mars 2024, en raison des modalités de la vente à respecter compte tenu de la saisie mise en oeuvre, dont elle n'ignorait d'ailleurs rien.Ainsi, le lien de causalité entre la perte de chance de vendre à cette société et le maintien d'une saisie disproportionnée n'est pas démontré.

L'appelante doit donc être déboutée de sa demande indemnitaire en ce qu'elle porte à hauteur de 400 000 euros sur ce poste de préjudice.

' sur le préjudice moral d'image

La SARL Domaine François 1er allègue un préjudice d'image qu'elle relie d'une part au fait qu'elle n'a pas été en mesure de procéder aux vendanges en 2023 et d'autre part à la perte de ses relations professionnelles avec Hexagone 'Domaines et Terroirs', Maison Cavaillé et M. [C].

Dès lors que ni l'un, ni l'autre de ces événements ne sont en lien de causalité avec la saisie vente du 7 mars 2023, le préjudice d'image qui en découle ne l'est pas davantage.

L'appelante se réfère en outre aux courriers du 29 janvier et du 5 février 2024, reçus de la société Christian Dulion Gold Permission Lda (cf pièces 130 et 138). Si elle les qualifie de 'particulièrement sévère', force est de constater que cette société est parfaitement consciente des difficultés que la SARL Domaine François 1er a rencontrées et qu'elle les impute essentiellement aux comportements de la SAS CBA- Château de Bel Avenir Production Unique Rebelle 'Pur', voire de Mme [U].

En outre, malgré ces courriers, la société Christian Dulion Gold Permission Lda a passé le 5 mars 2024 une commande de vins à l'appelante.

Il ressort de ces éléments que l'image de la société Domaine François 1er était préservée dans ses rapports avec la société Christian Dulion Gold Permission Lda.

En conséquence, la demande indemnitaire présentée par l'appelante au titre de ce poste de préjudice doit être rejetée.

Mme [U] n'étant pas condamnée au paiement de dommages-intérêts, son appel en garantie à l'encontre de la SAS CBA- Château de Bel Avenir Production Unique Rebelle 'Pur' est sans objet.

Sur la demande indemnitaire de Mme [U] pour procédure abusive

Au soutien de cette demande, Mme [U] affirme que la SARL Domaine François 1er est de mauvaise foi et qu'elle n'entend pas exécuter le jugement du tribunal de commerce du 23 décembre 2022.

Toutefois, la demande de Mme [U] n'est pas fondée sur les dispositions du dernier alinéa de l'article 1231-6 du code civil. Elle est fondée sur le fait que la société Domaine François 1er aurait commis un abus de droit en présentant à son encontre une demande indemnitaire et en interjetant appel du jugement du 12 décembre 2023 l'ayant déboutée de cette demande.

Or, un tel abus de droit ne peut pas être déduit du seul rejet de cette demande. Et le contexte global dans lequel s'inscrit le présent litige permet d'exclure toute malice, intention de nuire ou erreur grossière de la part de la société Domaine François 1er.

En conséquence, la cour déboute Mme [U] de sa demande.

Sur les frais de procès

Le chef du jugement du 12 décembre 2023 par laquelle le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Mâcon a mis les dépens de première instance à la charge de Mme [U] est parfaitement fondé eu égard aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

Il en est de même du chef de ce jugement l'ayant condamnée à payer une somme de 3 000 euros à la SARL Domaine François 1er en application de l'article 700 du code de procédure civile, étant rappelé qu'avant l'introduction de l'instance par la société Christian Dulion Gold Permission Lda, tant cette société que l'appelante avaient vainement tenté de parvenir à un accord avec Mme [U] qui considérait à tort que la vente du 22 décembre 2022 ne pouvait pas lui être opposée.

Mme [U] est donc déboutée de son appel incident.

Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, les dépens d'appel doivent être supportés par la SARL Domaine François 1er.

En cause d'appel, les conditions d'application de l'article 700 du code de procédure civile ne sont réunies qu'en faveur de Mme [U].

Dans les circonstances particulières de l'espèce, alors qu'en outre elle succombe en certaines de ses demandes, la cour laisse à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Dit que la demande de Mme [I] [U] tendant à écarter des débats la lettre que le conseil de la SARL François 1er lui a adressée le 9 avril 2024 est sans objet,

Déclare recevable la demande indemnitaire présentée par la SARLDomaine François 1er,

Confirme les dispositions critiquées du jugement dont appel par lesquelles le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Mâcon a :

- débouté la SARL Domaine François 1er de sa demande indemnitaire,

- condamné Mme [I] [U] aux dépens et à payer à la SARL Domaine François 1er la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Y ajoutant,

Déboute Mme [I] [U] de sa demande indemnitaire pour procédure abusive,

Condamne la SARL Domaine François 1er aux dépens d'appel,

Dit n'y avoir lieu à aucune application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Dijon
Formation : 1re chambre civile
Numéro d'arrêt : 24/00062
Date de la décision : 02/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-02;24.00062 ?
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