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06/06/2024 | FRANCE | N°22/00071

France | France, Cour d'appel de Dijon, 2 e chambre civile, 06 juin 2024, 22/00071


[B] [J] [P]



C/



[M] [B] [P]



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E.A.R.L. [E] [P]

































































































Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le

COUR D'APPEL DE DIJON

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2ème chambre civile



ARRÊT DU 06 JUIN 2024



N° RG 22/00071 - N° Portalis DBVF-V-B7G-F3OI



MINUTE N°



Décision déférée à la Cour : au fond du 06 janvier 2022,

rendue par le tribunal paritaire des baux ruraux de Beaune - RG : 512000023











APPELANTE :



Madame [B] [J] [P]

née le 12 Août 1947 à [Localité 15] (71)

domiciliée

[Adresse 31]

[Localité 8]

Italie



non comparante, repré...

[B] [J] [P]

C/

[M] [B] [P]

[E] [P]

E.A.R.L. [E] [P]

Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le

COUR D'APPEL DE DIJON

2ème chambre civile

ARRÊT DU 06 JUIN 2024

N° RG 22/00071 - N° Portalis DBVF-V-B7G-F3OI

MINUTE N°

Décision déférée à la Cour : au fond du 06 janvier 2022,

rendue par le tribunal paritaire des baux ruraux de Beaune - RG : 512000023

APPELANTE :

Madame [B] [J] [P]

née le 12 Août 1947 à [Localité 15] (71)

domiciliée

[Adresse 31]

[Localité 8]

Italie

non comparante, représentée par Me Jean-Emmanuel ROBERT, avocat au barreau de REIMS, vestiaire : 105

INTIMÉS :

Madame [M] [B] [P]

née le 29 Octobre 1980 à [Localité 28] (71)

domiciliée :

[Adresse 12]

[Localité 30]

Monsieur [E] [P]

né le 13 Octobre 1953 à [Localité 30] (21)

domicilié :

[Adresse 12]

[Localité 30]

non comparants, représentés par Me Jean-Hugues CHAUMARD, membre de la SCP CHAUMARD TOURAILLE, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 96

E.A.R.L. [E] [P] prise en la personne de ses co-gérants en exercice domiciliés de droit au siège social sis :

[Adresse 9]

[Localité 30]

représentée par Me Jean-Hugues CHAUMARD, membre de la SCP CHAUMARD TOURAILLE, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 96

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 30 novembre 2023 en audience publique devant la cour composée de :

Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre,

Leslie CHARBONNIER, Conseiller,

Bénédicte KUENTZ, Conseiller,

Après rapport fait à l'audience par l'un des magistrats de la composition, la cour, comme ci-dessus composée a délibéré.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Maud DETANG, Greffier

DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 08 Février 2024 pour être prorogée au 14 mars 2024, 18 avril 2024, 23 mai 2024 et 06 Juin 2024,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ : par Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre, et par Maud DETANG, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant actes notariés des 3 mai 1975 et 30 juin 1981, M. [W] [P] et Mme [Z] [S] épouse [P] ont donné à bail rural à leur fils, M. [E] [P], diverses parcelles situées sur les communes de [Localité 17], [Localité 30], [Localité 27], [Localité 19] et [Localité 29].

Ces parcelles sont devenues par la suite la propriété de Mme [B] [P], soeur de M. [E] [P].

Par ailleurs, M. [E] [P] était titulaire d'un bail rural verbal sur trois autres parcelles situées sur la commune de [Localité 30], appartenant également à Mme [B] [P].

Le 10 juin 2005, M. [E] [P] et sa fille, Mme [M] [P], ont constitué l'EARL [E] [P], au profit de laquelle les parcelles louées ont été mises à disposition.

Aux termes de deux actes notariés du 13 octobre 2014 ainsi que des 17 juin et 10 juillet 2015, M. [E] [P] a cédé à sa fille [M] [P], avec l'agrément du bailleur, ses droits de preneur sur une partie des parcelles ayant fait l'objet des baux des 3 mai 1975 et 30 juin 1981.

M. [E] [P] a par ailleurs cédé à sa fille le bail verbal qu'il détenait.

Par acte notarié du 30 novembre 2020, M. [E] [P] a acquis une partie des terres données en location, de sorte que Mme [B] [P] demeure propriétaire uniquement des parcelles louées suivantes :

- sur la commune de [Localité 19], cadastrées section D n°[Cadastre 3] et [Cadastre 5],

- sur la commune de [Localité 30], cadastrées section AO n°[Cadastre 2], [Cadastre 4] et [Cadastre 6], section AZ n°[Cadastre 14], [Cadastre 7] et [Cadastre 10], section AC n°[Cadastre 1], et enfin section AT n°[Cadastre 11] et [Cadastre 13].

Soutenant que Mme [M] [P] n'exploitait plus personnellement les parcelles prises en location, Mme [B] [P] l'a fait convoquer devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Beaune, ainsi que M. [E] [P] et l'EARL [E] [P], aux fins de voir prononcer la résiliation des baux litigieux et condamner solidairement les défendeurs au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 6 janvier 2022, le tribunal paritaire des baux ruraux de Beaune a :

- débouté Mme [B] [P] de sa demande de résiliation des baux portant sur les parcelles situées :

sur la commune de [Localité 19], section D n°[Cadastre 3] et [Cadastre 5],

sur la commune de [Localité 30], cadastrées section AO n°[Cadastre 2], [Cadastre 4] et [Cadastre 6], section AZ n°[Cadastre 14], [Cadastre 7] et [Cadastre 10], section AC n°[Cadastre 1], ainsi que section AT n°[Cadastre 11] et [Cadastre 13],

- débouté également Mme [P] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et l'a condamnée sur ce fondement à payer à Mme [M] [P], M. [E] [P] et à l'EARL [E] [P] la somme de 800 euros,

- condamné Mme [B] [P] aux dépens.

Pour se déterminer ainsi, le tribunal a retenu que le reproche fait à la locataire de méconnaître son obligation de se consacrer à l'exploitation des parcelles mises à disposition relevait de l'application de l'article L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime et non de l'article L. 411-35, puisque le manquement invoqué par la bailleresse était insuffisant à lui seul à caractériser une cession de bail. Il a estimé qu'il était établi que l'activité de Mme [B] [P], qui exploite un fonds de commerce de librairie à [Localité 18] (63), n'était pas compatible avec une participation effective et permanente aux travaux d'exploitation du domaine viticole [E] [P]. Il a toutefois relevé que le prononcé de la résiliation du bail pour ce motif était subordonné à la démonstration préalable par le bailleur d'un préjudice, et considéré qu'il n'en était en l'espèce pas justifié.

Par courrier recommandé daté du 14 janvier 2022 et reçu au greffe le 17 janvier 2022, Mme [B] [P] a relevé appel de cette décision en toutes ses dispositions.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 25 octobre 2023, Mme [B] [P] demande à la cour, au visa des dispositions des articles L. 411-35 et suivants du code rural et de la pêche maritime, de :

- la déclarer recevable et bien fondée son appel,

- infirmer le jugement rendu en date du 6 janvier 2022 portant le N° RG 51-20-000023 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Beaune en ce qu'il :

l'a déboutée de sa demande de résiliation des baux portant sur les parcelles situées sur la commune de [Localité 19], section D n°[Cadastre 3] et [Cadastre 5], et sur la commune de [Localité 30], cadastrées section AO n°[Cadastre 2], [Cadastre 4] et [Cadastre 6], section AZ n°[Cadastre 14], [Cadastre 7], [Cadastre 10], section AC n°[Cadastre 1], section AT n°[Cadastre 11] et [Cadastre 13],

l'a également déboutée de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et l'a condamnée sur ce fondement à payer à Mme [M] [P], M. [E] [P] et à l'EARL [E] [P] la somme de 800 euros,

l'a condamnée aux dépens,

Statuant de nouveau,

- prononcer la résiliation des baux cédés à Mme [M] [P] et portant sur les parcelles sises :

Commune de [Localité 19] :

parcelle cadastrée section D n°[Cadastre 3], [Adresse 22], d'une contenance de 7 ares et 2 centiares, en nature de vignes,

parcelle cadastrée section D n° [Cadastre 5], [Adresse 21], d'une contenance de 18 ares et 99 centiares, en nature de vignes,

Commune de [Localité 30] :

parcelle cadastrée section AO n° [Cadastre 2], [Adresse 23], en nature de vignes, d'une contenance de 35 ares 59,

parcelle cadastrée section AO n°[Cadastre 4], [Adresse 23], en nature de vignes, d'une contenance de 20 ares et 73 centiares,

parcelle cadastrée section AO n°[Cadastre 6], [Adresse 23], en nature de vignes, d'une contenance de 12 ares et 15 centiares,

parcelle cadastrée section AZ n°[Cadastre 10], [Adresse 20], en nature de vignes, d'une contenance de 20 ares et 86 centiares,

parcelle cadastrée section AZ n°[Cadastre 7], [Adresse 20], en nature de vignes, d'une contenance de 23 ares et 15 centiares,

parcelle cadastrée section AZ n°[Cadastre 14], [Adresse 20], en nature de terre, d'une contenance de 7 ares et 60 centiares,

parcelle cadastrée section AC n°[Cadastre 1], [Adresse 25], en nature de terre et vignes, d'une contenance de 88 ares 79 centiares,

parcelle cadastrée section AT n°[Cadastre 11], [Adresse 24], en nature de terre, d'une contenance de 1 ares et 71 centiares,

parcelle cadastrée section AT n°[Cadastre 13], [Adresse 24], en nature de terre, d'une contenance de 16 ares et 13 centiares,

En conséquence,

- ordonner l'expulsion de M. [E] [P], Mme [M] [P] et l'EARL [E] [P] ainsi que de tout occupant de leur chef, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt, des parcelles suivantes :

Commune de [Localité 19] :

parcelle cadastrée section D n°[Cadastre 3], [Adresse 22], d'une contenance de 7 ares et 2 centiares, en nature de vignes,

parcelle cadastrée section D n° [Cadastre 5], [Adresse 21], d'une contenance de 18 ares et 99 centiares, en nature de vignes,

Commune de [Localité 30] :

parcelle cadastrée section AO n° [Cadastre 2], [Adresse 23], en nature de vignes, d'une contenance de 35 ares 59,

parcelle cadastrée section AO n°[Cadastre 4], [Adresse 23], en nature de vignes, d'une contenance de 20 ares et 73 centiares,

parcelle cadastrée section AO n°[Cadastre 6], [Adresse 23], en nature de vignes, d'une contenance de 12 ares et 15 centiares,

parcelle cadastrée section AZ n°[Cadastre 10], [Adresse 20], en nature de vignes, d'une contenance de 20 ares et 86 centiares,

parcelle cadastrée section AZ n°[Cadastre 7], [Adresse 20], en nature de vignes, d'une contenance de 23 ares et 15 centiares,

parcelle cadastrée section AZ n°[Cadastre 14], [Adresse 20], en nature de terre, d'une contenance de 7 ares et 60 centiares,

parcelle cadastrée section AC n°[Cadastre 1], [Adresse 25], en nature de terre et vignes, d'une contenance de 88 ares 79 centiares,

parcelle cadastrée section AT n°[Cadastre 11], [Adresse 24], en nature de terre, d'une contenance de 1 ares et 71 centiares,

parcelle cadastrée section AT n°[Cadastre 13], [Adresse 24], en nature de terre, d'une contenance de 16 ares et 13 centiares,

- condamner solidairement Mme [M] [P], M. [E] [P] et l'EARL [E] [P] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle soutient que la résiliation des baux aurait dû être prononcée à raison de l'existence d'un apport ou d'une cession prohibée des baux à l'EARL [E] [P] sans l'agrément du bailleur, ne nécessitant pas la démonstration d'un grief. Elle affirme en effet que Mme [M] [P], seule titulaire des baux objet du litige, a cessé toute activité agricole pour créer sa librairie dans le Puy-de-Dôme, cet abandon des baux au profit d'un tiers constituant une véritable cession du bail.

A titre subsidiaire, s'il était retenu que le manquement du preneur relève des dispositions de l'article L. 411-37 du code rural, elle fait valoir qu'une telle situation lui cause nécessairement un préjudice dès lors que, même si l'exploitation des terres est assurée par l'EARL [E] [P], elle se trouve privée d'un locataire en mesure de répondre aux obligations contractuelles et aux dispositions des articles 1719, 1767 et suivants du code civil, ainsi que de l'article L. 415-8 du code rural.

En leurs dernières conclusions notifiées le 6 janvier 2023, Mme [M] [P], M. [E] [P] et l'EARL [E] [P] demandent à la cour de :

- dire et juger Mme [B] [P] mal fondée en son appel,

- l'en débouter purement et simplement,

- confirmer le jugement entrepris,

- condamner Mme [B] [P] à leur payer la somme de 2 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils contestent la motivation du jugement retenant que Mme [M] [P] n'exploite plus les terres données à bail, en faisant valoir que Mme [B] [P] échoue à rapporter la preuve de ses allégations, alors qu'il n'est pas interdit à un viticulteur de procéder à des investissements immobiliers ou d'acquérir un fonds de commerce, et que la librairie est principalement tenue par un salarié. Ils précisent que les parcelles continuent à être soigneusement entretenues et exploitées par l'EARL [E] [P], sous la direction et le contrôle permanent et effectif des associés et co-gérants exploitants, [M] et [E] [P].

Ils considèrent que l'appelante ne justifie en tout état de cause pas du préjudice qu'elle subirait du fait de la méconnaissance par la locataire de son obligation de se consacrer à l'exploitation des parcelles mises à disposition, ainsi que requis par l'application des articles L. 411-31 et L. 411-37 du code rural, alors qu'en l'état des parcelles vendues, le montant du fermage est désormais très réduit, et que même précédemment, il avait toujours été honoré.

MOTIFS

En application de l'article L. 411-31, II, du code rural et de la pêche maritime, le bailleur peut demander la résiliation du bail s'il justifie d'un des motifs suivants :

1° Toute contravention aux dispositions de l'article L. 411-35 ;

2° Toute contravention aux dispositions du premier alinéa de l'article L. 411-38 ;

3° Toute contravention aux obligations dont le preneur est tenu en application des articles L. 411-37, L. 411-39, L. 411-39-1 si elle est de nature à porter préjudice au bailleur [...].

L'article L. 411-35 dispose en son alinéa 1er que, sous certaines réserves qu'il précise, toute cession de bail est interdite, sauf si la cession est consentie, avec l'agrément du bailleur, au profit du conjoint ou du partenaire d'un pacte civil de solidarité du preneur participant à l'exploitation ou aux descendants du preneur ayant atteint l'âge de la majorité ou ayant été émancipés.

L'article L. 411-37, I, prévoit que le preneur associé d'une société à objet principalement agricole peut sous certaines conditions mettre à la disposition de celle-ci, pour une durée qui ne peut excéder celle pendant laquelle il reste titulaire du bail, tout ou partie des biens dont il est locataire.

Il précise en son III qu'en cas de mise à disposition, le preneur qui reste seul titulaire du bail doit, à peine de résiliation, continuer à se consacrer à l'exploitation de ces biens, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation.

Le tribunal paritaire des baux ruraux de Beaune a débouté Mme [B] [P] de sa demande de résiliation des baux cédés à Mme [M] [P] en considérant que si les manquements du preneur, constitués par l'absence de participation effective et directe à l'exploitation des terres louées, étaient établis, la bailleresse ne justifiait pas du préjudice en lien avec ces manquements.

S'ils contestent à titre principal toute cessation d'exploitation par Mme [M] [P], les intimés reprennent en revanche leur moyen, retenu par les premiers juges en se fondant sur l'application combinée des articles L. 411-31, II, 3° et L. 411-37 du code rural, relatif à l'absence de préjudice subi par Mme [B] [P] et à ses conséquences.

Comme le fait valoir l'appelante, il doit toutefois être considéré que le preneur qui, après avoir mis le bien loué à la disposition d'une société, ne participe plus aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation, abandonne la jouissance du bien loué à cette société et procède ainsi à une cession prohibée du droit au bail à son profit (Cass. 3e civ., 12 oct. 2023, n° 21-20.212. - Cass. 3e civ., 12 oct. 2023, n° 21-22.101).

Il en résulte que, dans ce cas, le bailleur peut solliciter la résiliation du bail sur le fondement des articles L. 411-31, II, 1° et L. 411-35 du code rural, sans être tenu de démontrer un préjudice.

Au soutien de sa demande de résiliation, Mme [B] [P] fait valoir que Mme [M] [P] exploite depuis le mois de mai 2020, à travers la société Incipit qu'elle a constituée le 24 septembre 2019, un fonds de commerce de librairie situé à [Localité 18], commune où elle a fixé sa résidence. Elle précise que cette activité est incompatible avec la poursuite de l'exploitation des parcelles louées.

Elle verse aux débats, outre les statuts de la société Incipit, un article publié sur le site du journal La Montagne le 28 mai 2020 annonçant l'ouverture de la librairie '[26]', illustré par une photographie de Mme [M] [P] et de son compagnon, une page du site chez-mon-libraire.fr mentionnant des horaires d'ouverture de 9 h à 12 h 15 et de 14 h 30 à 19 h du mardi au samedi ainsi que le dimanche matin, et des extraits de la page Facebook de la librairie, mettant en avant les multiples événements organisés au sein de ce commerce.

Mme [B] [P] a également mandaté un agent de recherches privées qui a déposé plusieurs rapports de mission concluant :

- que Mme [M] [P] a été vue sur la voie publique à [Localité 18] et dans sa librairie à diverses reprises entre le 11 septembre 2021 et le 30 septembre 2021,

- que selon des investigations menées entre le 23 mars 2022 et le 29 avril 2022, Mme [M] [P] réside à [Localité 16] et travaille au sein de la librairie '[26]' à [Localité 18],

- que Mme [M] [P] a été vue travailler au sein de sa librairie entre le 2 septembre 2023 et le 12 septembre 2023, et ce alors que selon un message posté par M. [E] [P] sur les réseaux sociaux, les vendanges débutaient le 11 septembre 2023 au matin.

Les intimés soutiennent en réplique que la librairie est principalement tenue par le salarié de Mme [M] [P], et que celle-ci continue à être investie dans l'exploitation du domaine, aux côtés de son père, co-gérant de l'EARL.

Toutefois, comme déjà souligné par les premiers juges, s'il est versé aux débats une attestation établie le 4 juin 2021 par la société Incipit ' dirigée par Mme [M] [P] ' certifiant que M. [T] [G] a été employé du 3 juin 2020 au 31 mai 2021 en tant que vendeur librairie, les intimés n'indiquent pas pourquoi ils ne produisent pas le contrat de travail de ce dernier, dont ils n'expliquent en outre pas comment il pourrait seul assurer l'ouverture du commerce durant toute la semaine et le dimanche matin.

Par ailleurs, quatre des attestations produites par Mme [M] [P], M. [E] [P] et l'EARL [E] [P] sont peu circonstanciées en ce qu'elles font seulement mention de rencontres régulières avec Mme [M] [P] dans le cadre de relations commerciales, professionnelles ou de voisinage. La cinquième attestation, émanant de l'assistant de direction du Domaine [E] [P], qui indique 'côtoyer régulièrement Mme [M] [P] et recevoir quotidiennement de sa part les consignes pour gérer le Domaine et transmettre celles-ci aux salariés', ne précise pas les modalités des contacts quotidiens dont il est fait état ni, plus généralement, les conditions de fonctionnement de l'exploitation viticole.

Ces attestations, datées du 7 juin 2021 ou du 15 juin 2021, sont en outre toutes antérieures aux constatations faites par l'agent de recherches privées mandaté par Mme [B] [P], aucune pièce actualisée n'étant produite par les intimés.

Au vu des pièces et explications fournies par les parties, et compte tenu de l'éloignement géographique du lieu de situation de la librairie et du temps que requiert son exploitation, c'est à juste titre que le tribunal paritaire des baux ruraux de Beaune a considéré que l'activité de libraire désormais exercée par Mme [M] [P] était incompatible avec une participation effective et permanente à l'exploitation des parcelles en nature de vigne données à bail par Mme [B] [P].

Dans la mesure où, ainsi qu'explicité ci-dessus, un tel comportement s'analyse en une cession prohibée du droit au bail au profit de l'EARL [E] [P], justifiant la résiliation du bail sans que le bailleur soit tenu de démontrer un préjudice, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande présentée à cette fin par Mme [B] [P].

Il convient ainsi de prononcer la résiliation des baux cédés à Mme [M] [P] et portant sur les parcelles situées :

- sur la commune de [Localité 19], cadastrées section D n°[Cadastre 3] et [Cadastre 5],

- sur la commune de [Localité 30], cadastrées section AO n°[Cadastre 2], [Cadastre 4] et [Cadastre 6], section AZ n°[Cadastre 14], [Cadastre 7] et [Cadastre 10], section AC n°[Cadastre 1], et enfin section AT n°[Cadastre 11] et [Cadastre 13].

Il sera en outre ordonné à Mme [M] [P] ainsi qu'à tous occupants de son chef et notamment l'EARL [E] [P], de libérer lesdites parcelles dans le mois suivant la notification du présent arrêt, à défaut de quoi il pourra être procédé à son expulsion.

Les circonstances de la présente affaire ne justifient en revanche pas d'assortir cette obligation d'une astreinte.

Mme [M] [P], M. [E] [P] et l'EARL [E] [P], parties succombantes, seront condamnés in solidum aux dépens de première instance et d'appel.

L'équité commande en outre d'allouer à Mme [B] [P], qui seule peut y prétendre, une indemnité de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés en première instance et à hauteur de cour.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Beaune du 6 janvier 2022 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et ajoutant,

Prononce la résiliation des baux cédés à Mme [M] [P] et portant sur les parcelles situées :

Commune de [Localité 19] :

parcelle cadastrée section D n°[Cadastre 3], [Adresse 22], d'une contenance de 7 ares et 2 centiares, en nature de vignes,

parcelle cadastrée section D n° [Cadastre 5], [Adresse 21], d'une contenance de 18 ares et 99 centiares, en nature de vignes,

Commune de [Localité 30] :

parcelle cadastrée section AO n° [Cadastre 2], [Adresse 23], en nature de vignes, d'une contenance de 35 ares 59,

parcelle cadastrée section AO n°[Cadastre 4], [Adresse 23], en nature de vignes, d'une contenance de 20 ares et 73 centiares,

parcelle cadastrée section AO n°[Cadastre 6], [Adresse 23], en nature de vignes, d'une contenance de 12 ares et 15 centiares,

parcelle cadastrée section AZ n°[Cadastre 10], [Adresse 20], en nature de vignes, d'une contenance de 20 ares et 86 centiares,

parcelle cadastrée section AZ n°[Cadastre 7], [Adresse 20], en nature de vignes, d'une contenance de 23 ares et 15 centiares,

parcelle cadastrée section AZ n°[Cadastre 14], [Adresse 20], en nature de terre, d'une contenance de 7 ares et 60 centiares,

parcelle cadastrée section AC n°[Cadastre 1], [Adresse 25], en nature de terre et vignes, d'une contenance de 88 ares 79 centiares,

parcelle cadastrée section AT n°[Cadastre 11], [Adresse 24], en nature de terre, d'une contenance de 1 ares et 71 centiares,

parcelle cadastrée section AT n°[Cadastre 13], [Adresse 24], en nature de terre, d'une contenance de 16 ares et 13 centiares,

Ordonne à Mme [M] [P] ainsi qu'à tous occupants de son chef et notamment l'EARL [E] [P], de libérer lesdites parcelles dans le mois suivant la notification du présent arrêt,

Autorise son expulsion, à défaut de départ volontaire dans ce délai,

Dit n'y avoir lieu à astreinte,

Condamne in solidum Mme [M] [P], M. [E] [P] et l'EARL [E] [P] aux dépens de première instance et d'appel,

Condamne in solidum Mme [M] [P], M. [E] [P] et l'EARL [E] [P] à payer à Mme [B] [P] une somme de 2 000 sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Dijon
Formation : 2 e chambre civile
Numéro d'arrêt : 22/00071
Date de la décision : 06/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-06;22.00071 ?
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