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04/04/2024 | FRANCE | N°23/00558

France | France, Cour d'appel de Dijon, 2 e chambre civile, 04 avril 2024, 23/00558


[M] [E]



S.C.E.A. SCEA DE [Localité 19]



C/



Etablissement Public Local d'Enseignement et de Formation Professionnelle Agricole de [Localité 15] [Localité 16] regroupant l'exploitation agricole [Localité 15] 'FERME DES ANTES'

















































































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Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le

COUR D'APPEL DE DIJON



2ème chambre civile



ARRÊT DU 04 AVRIL 2024



N° RG 23/00558 - N° Portalis DBVF-V-B7H-GFRE



MINUTE N°



Décision déférée à la Cour : au fond du 11 avril 2023,

rendue par le tribunal paritaire des baux ruraux de Chaumont - RG : 21-...

[M] [E]

S.C.E.A. SCEA DE [Localité 19]

C/

Etablissement Public Local d'Enseignement et de Formation Professionnelle Agricole de [Localité 15] [Localité 16] regroupant l'exploitation agricole [Localité 15] 'FERME DES ANTES'

Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le

COUR D'APPEL DE DIJON

2ème chambre civile

ARRÊT DU 04 AVRIL 2024

N° RG 23/00558 - N° Portalis DBVF-V-B7H-GFRE

MINUTE N°

Décision déférée à la Cour : au fond du 11 avril 2023,

rendue par le tribunal paritaire des baux ruraux de Chaumont - RG : 21-00005

APPELANTS :

Monsieur [M] [E]

né le 19 Décembre 1945 à [Localité 12]

domicilié :

[Adresse 14]

[Localité 9]

S.C.E.A. SCEA DE [Localité 19]

[Adresse 26]

[Localité 9]

représentés par Me Damien WILHELEM, membre de la SELARL WILHELEM CHAPUSOT BOURRON, avocat au barreau de HAUTE-MARNE

INTIMÉE :

Etablissement Public Local d'Enseignement et de Formation Professionnelle Agricole de [Localité 15] [Localité 16] regroupant l'exploitation agricole dénommée '[Adresse 18]'

[Adresse 25]

[Localité 8]

représentée par Me Pierre DEVARENNE, membre de la SELAS DEVARENNE ASSOCIES GRAND EST, avocat au barreau de CHALONS-EN-CHAMPAGNE

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 25 janvier 2024 en audience publique devant la cour composée de :

Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre,

Leslie CHARBONNIER, Conseiller,

Sophie BAILLY, Conseiller,

Après rapport fait à l'audience par l'un des magistrats de la composition, la cour, comme ci-dessus composée a délibéré.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Maud DETANG, Greffier

DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 04 Avril 2024,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ : par Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre, et par Maud DETANG, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Faits constants, procédure et prétentions

Depuis plusieurs années, la Scea de [Localité 19], dont le gérant est M. [M] [E], a mis à disposition de l'exploitation agricole dénommée «[Adresse 18]» relevant de l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole de [Localité 15] [Localité 16] (plus loin dénommé l'EPLEFPA) des parcelles destinées à l'exploitation «pour herbe sur pied ».

Les conventions se sont renouvelées d'années en années et portent sur les parcelles dénommées « [Adresse 24] » et « [Adresse 21] » à [Localité 13], pour une surface totale de 23 ha 72 a 40 ca, moyennant paiement d'une redevance.

Par lettre du 30 décembre 2020, M. [M] [E], en qualité de gérant de la SCEA, a fait savoir au directeur de l' EPLEFPA que ne serait pas renouvelée, pour l'année 2021, la convention de mise à disposition des parcelles ainsi dénommée « [Adresse 22] » commune de [Localité 27] et « [Adresse 21] » commune de [Localité 13].

C'est dans ces conditions que l'EPLEFPA a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Chaumont, afin que soit requalifiées en bail rural les conventions de ventes « d'herbes sur pied » conformément à l'article L411-1 du code rural.

Cette procédure a été enrôlée sous le numéro RG 51-21-5.

Par conclusions remises à l'audience du 09 novembre 2021, la Scea de [Localité 19] a indiqué qu'elle n'était propriétaire que des parcelles situées sur la :

- commune de [Localité 13] : zd n°[Cadastre 4], zd n°[Cadastre 6] et zi n°[Cadastre 7],

et que M. [M] [E], également gérant de la Scea de [Localité 19], était personnellement propriétaire des parcelles suivantes objet du litige ainsi désignées :

- commune de [Localité 13]-[Localité 16] : zd n°[Cadastre 5]

- commune de [Localité 27] : b n°[Cadastre 1], b n°[Cadastre 2] et b n°[Cadastre 3].

L' EPLEFPA a attrait ce dernier devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Chaumont.

Cette procédure a été enregistrée sous le N° de RG 51-21-32.

Par jugement du 11 avril 2023, le tribunal paritaire des baux ruraux de Chaumont a :

- ordonné la jonction de la procédure n° 5121-32 avec la procédure n° 5121-5,

- déclaré incompétent le tribunal administratif de Chalons en Champagne pour connaître de cette affaire,

- déclaré irrecevable l'exception de procédure tirée de l'incompétence de ce tribunal pour connaitre de cette affaire,

- dit que les conventions conclues en 2015, 2016, 2017, 2018, 2019 et 2020 entre l'EPLEFPA de [Localité 15] et la Scea de [Localité 19] sont des baux ruraux,

- déclaré régulières les requêtes de saisine du tribunal paritaire des baux ruraux reçues au greffe le 15 mars 2021 et le 10 novembre 2021,

- déclaré recevables les demandes présentées par l' EPLEFPA de [Localité 15] à l'encontre de M. [M] [E],

- dit que les baux ruraux conclus entre 2015 et 2020 entre l' EPLEFPA de [Localité 15] et la Scea de [Localité 19] portent sur :

*les parcelles appartenant à M. [M] [E] cadastrées :

1/sur la commune de [Localité 13] :

section [Cadastre 10] zd n°[Cadastre 5] d'une superficie de 3 ha 52 a 80 ca

2/sur la commune de [Localité 27] :

section B n°[Cadastre 1] [Adresse 11] d'une superficie de 6 ha 50 a 92 ca,

section B n°[Cadastre 2] [Adresse 11] d'une superficie de 1 ha 61 a 33 ca,

section B n°[Cadastre 3] [Adresse 11] d'une superficie de 3 ha 28 a 15 ca,

d'une superficie totale de 14 ha 93 a 20 ca,

*les parcelles appartenant à la Scea de [Localité 19] situées sur la commune de [Localité 13] cadastrées :

section 096 zd n°[Cadastre 4] « [Adresse 20] » d'une superficie de 3ha 88 a 80ca,

section 096 zd n°[Cadastre 7] « [Adresse 21] » d'une superficie totale de 46ha 43a 48ca louée sur la superficie de 4 ha 90 a 40ca,

d'une superficie totale de 8 ha 79 a 20 ca,

- prononcé la nullité du congé de reprise du 30 décembre 2020 délivré par la Scea de [Localité 19],

- ordonné en conséquence à la Scea de [Localité 19] et à M. [M] [E] de libérer les parcelles susvisées faisant l'objet des baux ruraux dans le délai 30 jours après la notification du jugement,

- dit qu'a défaut pour la Scea de [Localité 19] et pour M. [M] [E] d'avoir volontairement libéré les parcelles 30 jours suivant la signification du jugement, il pourra être procédé à leur expulsion ainsi que de leurs biens et de tous occupants de son chef au besoin avec l'assistance de la force publique,

- condamné la Scea de [Localité 19] et M. [M] [E] à payer à l'EPLEFPA de [Localité 15] la somme de 250 euros par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la notification du jugement et durant une période de deux mois,

- condamné la Scea de [Localité 19] et M. [M] [E] à payer 600 euros à l' EPLEFPA de [Localité 15] chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la Scea de [Localité 19] et M. [M] [E] aux entiers dépens,

- rappelé que l'exécution provisoire est de plein droit.

La Scea de [Localité 19] et M. [M] [E] ont relevé appel du jugement par déclaration au greffe du 25 avril 2023.

Par jugement du 13 décembre 2023, le tribunal paritaire des baux ruraux a rectifié une erreur matérielle concernant les modalités d'expulsion précisant que le délai de 30 jours pour libérer les lieux en suite duquel l'expulsion pourra avoir lieu commence à courir à compter de la notification du jugement et non de sa signification.

Selon conclusions notifiées le 24 janvier 2024, auxquelles ils se sont référés à l'audience, la Scea de [Localité 19] et M. [M] [E] demandent à la cour, de':

- réformer le jugement entrepris en ses dispositions sauf en ce qu'il a ordonné la jonction des procédures n°51 21-32 et 51 21-5,

statuant à nouveau :

Vu les articles 75 et 81 du code de procédure civile,

- se déclarer incompétent au profit des juridictions de l'ordre administratif et en particulier le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne,

- renvoyer l'EPLEFPA lycée agricole [17] à se pourvoir ainsi qu'il avisera,

- condamner l'EPLEFPA lycée agricole [17] à payer à la Scea de [Localité 19] la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner l'EPLEFPA lycée agricole [17] aux entiers dépens,

Subsidiairement

Vu les articles 4, 9 et 56 du code de procédure civile,

- dire et juger nulle la saisine du tribunal paritaire des baux ruraux,

- dire et juger que la demande est irrecevable, faute pour la Scea de [Localité 19] de disposer d'une qualité à défendre dans la procédure,

- débouter l'EPLEFPA lycée agricole [17] de l'ensemble de ses demandes dirigées contre la Scea de [Localité 19] et M. [M] [E],

- rejeter le moyen d'irrecevabilité de l'appel.

Selon conclusions d'intimés et d'appel incident notifiées le 24 janvier 2024, auxquelles il s'est référé à l'audience, l'EPLEFPA de [Localité 15] [Localité 16] demande à la cour de':

Vu les articles L.311-1, L.411-1, L.811-8 et R.811-9 du code rural,

A titre principal,

- déclarer que le jugement rectificatif du 13 décembre 2023 a autorité de la chose jugée et que les appelants ont acquiescé à cette décision.

en conséquence,

- déclarer M. [E] et la SCEA De [Localité 19] irrecevables en leurs demandes,

A titre subsidiaire,

- les déclarer mal fondés.

en tout état de cause,

- confirmer, le jugement rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux de Chaumont du 11 avril 2023 (RG 51-21-000005 - minute 7/2023) sauf en ce qu'il a rejeté les demandes d'indemnisation formulées à l'encontre de la SCEA de [Localité 19] et M. [M] [E] et en ce qu'il a dit qu'a défaut pour ladite SCEA et pour M. [M] [E] d'avoir volontairement libéré les parcelles 30 jours suivant la signification du présent jugement, il pourra être procédé à leur expulsion ainsi que de leurs biens et de tous occupants de son chef au besoin avec l'assistance de la force publique,

et, statuant à nouveau sur ces demandes :

- condamner la SCEA de [Localité 19] à lui payer la somme de 13 191 euros à titre de dommages et intérêts pour privation de jouissance sur les parcelles au titre de l'année 2021, 2022 et 2023,

- condamner M. [M] [E] à lui payer la somme de 22 395 euros à titre de dommages et intérêts pour privation de jouissance sur les parcelles au cours de l'année 2021, 2022 et 2023,

- dire qu'à défaut pour la SCEA de [Localité 19] et pour M. [M] [E] d'avoir volontairement libéré les parcelles 30 jours suivant la notification du présent jugement, il pourra être procédé à leur expulsion ainsi que de leurs biens, et de tous occupants de leur chef, au besoin avec l'assistance de la force publique.

- débouter la SCEA de [Localité 19] et M. [M] [E] de toutes leurs demandes, fins et prétentions,

- condamner solidairement la SCEA de [Localité 19] et M. [M] [E] à lui payer la somme de 5 000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières conclusions des parties pour un exposé complet de leurs moyens.

Sur ce la cour,

Il convient de relever que l'appel ne porte pas sur la question de la jonction des procédures.

1/ Sur la question de la compétence de l'ordre judiciaire

Les appelants invoquent une clause insérée aux contrats pour se prévaloir de la compétence du juge administratif précisant que le contrat est conclu entre la SCEA et une personne morale de droit publique exerçant une mission de service public celle de l'enseignement et en concluent qu'il s'agit d'un acte administratif s'agissant de l'exécution même du service public, l'intimé ne démontrant pas, selon eux, en quoi l'activité exercée sur les parcelles serait étrangère à sa mission d'enseignement professionnel.

En l'espèce, la clause invoquée par l'établissement intimé prévoit que le tribunal administratif de Chalons-en-Champagne sera seul compétent pour connaître de toute contestation relative à cette convention.

Or, l'adjonction d'une clause attributive de compétence à la juridiction administrative est insuffisante à évincer la compétence des juridictions judiciaires, en l'absence de clauses exorbitantes telles une autorisation liée à la personne, ou encore l'obligation de suivre des instructions strictes s'agissant de la gestion du bien loué.

Contrairement à ce que soutient l'intimé, il n'existe aucune clause exorbitante du droit commun dans les conventions.

En conséquence, les conventions dont s'agit ne faisant naître entre les parties que des rapports de droits privés, c'est à bon droit que les premiers juges ont exclu la compétence des juridictions administratives au profit de celle des juridictions judiciaires.

2/ Sur la question de la nullité de la requête

Les appelants invoquent la nullité, pour vice de forme, de la requête de l'établissement d'enseignement au motif que les parcelles ne sont pas désignées autrement que par le lieudit et la commune (pas de désignation cadastrale).

Or, l'article 885 du code de procédure civile dispose que la demande est formée et le tribunal saisi par requête remise ou adressée au greffe du tribunal ou par acte d'huissier de justice adressé à ce greffe conformément aux dispositions des articles 54, 56 à l'exception de ses deuxième et cinquième alinéas, et 57.

Dans tous les cas, la demande doit indiquer, même de façon sommaire, les motifs sur lesquels elle repose.

Les demandes soumises à publication au fichier immobilier sont faites par acte d'huissier de justice.

L'article 54 du code de procédure civile prévoit que la demande initiale est formée par assignation ou par requête remise ou adressée au greffe de la juridiction. La requête peut être formée conjointement par les parties.

Lorsqu'elle est formée par voie électronique, la demande comporte également, à peine de nullité, les adresse électronique et numéro de téléphone mobile du demandeur lorsqu'il consent à la dématérialisation ou de son avocat. Elle peut comporter l'adresse électronique et le numéro de téléphone du défendeur.

A peine de nullité, la demande initiale mentionne :

1° L'indication de la juridiction devant laquelle la demande est portée ;

2° L'objet de la demande ;

3° a) Pour les personnes physiques, les nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance de chacun des demandeurs ;

b) Pour les personnes morales, leur forme, leur dénomination, leur siège social et l'organe qui les représente légalement ;

4° Le cas échéant, les mentions relatives à la désignation des immeubles exigées pour la publication au fichier immobilier ;

5° Lorsqu'elle doit être précédée d'une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative, les diligences entreprises en vue d'une résolution amiable du litige ou la justification de la dispense d'une telle tentative ;

6° L'indication des modalités de comparution devant la juridiction et la précision que, faute pour le défendeur de comparaître, il s'expose à ce qu'un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire.

Il en résulte qu'en dehors du cas de l'article 54 4° du code de procédure civile concernant les demandes nécessitant une publication, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, l'article 885 du code de procédure civile n'exige aucunement que la requête précise la désignation cadastrale des parcelles, objet du litige, dès lors que les renseignements donnés permettent de les reconnaître, ce qui est le cas en l'espèce.

La demande visant à voir annuler la requête est donc rejetée.

3/ Sur la fin de non recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée

L'établissement public intimé conclut à l'irrecevabilité des demandes au motif que le jugement rectificatif, qui est soumis aux mêmes règles que la décision rectifiée, n'a pas fait l'objet d'un appel de sorte qu'il est définitif et revêtu de l'autorité de la chose jugée.

Selon l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

L'autorité de la chose jugée doit être vérifiée au regard de la première décision et la décision rectificative ne bénéficie de l'autorité de la chose jugée que lorsque la première est revêtue de l'autorité de la chose jugée.

En effet, les dispositions issues d'une requête en rectification d'erreur matérielle, à laquelle il a été fait droit, n'ont d'autre vocation que de s'adjoindre à celles figurant dans le jugement précédent, pour aboutir après correction de l'erreur qui l'affectait, à une décision judiciaire unique dont les deux décisions la composant sont soumises à un régime identique de voies de recours.

Alors que le premier jugement a fait l'objet d'un appel et n'est donc pas revêtu de l'autorité de la chose jugée, la décision rectificative n'est pas revêtue d'une telle autorité.

En conséquence, la fin de non recevoir doit être écartée.

4/ Sur la fin de non recevoir tirée du défaut de qualité

Soutenant, dans le cadre de cette procédure, qu'elle n'est propriétaire que de trois parcelles sur les sept concernées, la SCEA appelante conclut à l'irrecevabilité des demandes formées à son encontre au titre des parcelles dont elle n'est pas propriétaire au motif qu'elle n'a pas qualité à défendre les concernant.

Il est constant, à la lecture des relevés de propriété produits aux débats que M. [M] [E] est propriétaire des parcelles de terres désignées :

Commune de [Localité 13]':

Section 96 ZD n°[Cadastre 5]

Commune de [Localité 27]

Section B n°[Cadastre 1] à [Cadastre 3]

La SCEA de [Localité 19] est quant à elle propriétaire des parcelles désignées':

Commune de [Localité 13]':

Section [Cadastre 10] ZD n°[Cadastre 4]

Section [Cadastre 10] ZD n°[Cadastre 6]

Section [Cadastre 10] ZI n°[Cadastre 7].

La cour constate que les conventions depuis 2015 sont signées au nom de la SCEA de [Localité 19] par M. [M] [E], en qualité de gérant, et qu'elles portent pour partie sur des parcelles appartenant à ce dernier.

Les premiers juges ont relevé, à juste titre, que M. [M] [E] avait signé tous les ans les conventions pour l'ensemble des parcelles dont les siennes et que la SCEA de [Localité 19] avait perçu tous les ans une contrepartie financière pour la location des parcelles, dont celles appartenant à M. [M] [E].

Il ne saurait, dans ces conditions, être reproché à l'établissement intimé, convaincu par la propriété apparente de la SCEA de [Localité 19] sur l'ensemble des parcelles, de ne pas avoir vérifié la propriété des parcelles en cause auprès des services de la publicité foncière.

Alors que M. [M] [E] est intervenu aux conventions en qualité de gérant de la SCEA tout en engageant des parcelles lui appartenant, en laissant percevoir la contrepartie financière de la mise à disposition par la personne morale et en refusant le renouvellement pour l'ensemble des parcelles, par son comportement il a contribué à la création de l'apparence de propriété au profit de la SCEA de [Localité 19].

Il en résulte que le défaut de qualité à défendre ne peut être valablement opposé.

Le jugement déféré doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non recevoir.

5/ Sur la question de la qualification des conventions et de l'application du statut du fermage

Les appelants soutiennent que les conventions conclues entre les parties portaient sur une vente d'herbe, activité excluant la notion d'exploitation au sens des dispositions du code rural.

Selon l'article L491-1 du code rural et de la pêche maritime, il est créé, dans le ressort de chaque tribunal judiciaire, au moins un tribunal paritaire des baux ruraux qui est seul compétent pour connaître des contestations entre bailleurs et preneurs de baux ruraux relatives à l'application des titres Ier à VI et VIII du livre IV du présent code.

Par suite, en application de l'article L411-1 du code rural et de la pêche maritime, toute mise à disposition à titre onéreux d'un immeuble à usage agricole en vue de l'exploiter pour y exercer une activité agricole définie à l'article L311-1 est régie par les dispositions du présent titre, sous les réserves énumérées à l'article L411-2. Cette disposition est d'ordre public.

Il en est de même, sous réserve que le cédant ou le propriétaire ne démontre que le contrat n'a pas été conclu en vue d'une utilisation continue ou répétée des biens et dans l'intention de faire obstacle à l'application du présent titre :

- de toute cession exclusive des fruits de l'exploitation lorsqu'il appartient à l'acquéreur de les recueillir ou de les faire recueillir ;

- des contrats conclus en vue de la prise en pension d'animaux par le propriétaire d'un fonds à usage agricole lorsque les obligations qui incombent normalement au propriétaire du fonds en application des dispositions du présent titre sont mises à la charge du propriétaire des animaux.

La preuve de l'existence des contrats visés dans le présent article peut être apportée par tous moyens.

Le régime applicable à l'établissement public d'enseignement intimé relève des dispositions des articles L811-8 et suivants du code rural et de la pêche maritime.

L'article R811-9 du même code précise que les exploitations agricoles et les ateliers technologiques des établissements publics locaux d'enseignement et de formation professionnelle agricoles sont des unités de production à vocation pédagogique.

L'exploitation agricole est une unité de production de matières premières, vendues en l'état ou après première transformation, qui assure à ce titre les fonctions économiques, environnementales et sociales prévues à l'article L311-1.

La vente d' herbe est définie à l'article L.411-1 alinéa 2 du code rural et de la pêche maritime comme «toute cession exclusive des fruits de l'exploitation lorsqu'il appartient à l'acquéreur de les recueillir ou de les faire recueillir'». Il s'agit donc de la vente d'une récolte d'herbe sur pied, le prix de l'herbe étant facturé par le propriétaire du fonds à l'agriculteur qui récolte l' herbe et se l'approprie.

L'article L.411-1 alinéa 2 précité pose une présomption de fraude à l'encontre des ventes d'herbe de sorte que les contrats de vente d'herbe sont présumés soumis au statut du fermage.

Pour échapper au statut du fermage, il appartient au bailleur de démontrer que le preneur ne conserve pas l'exclusivité de la récolte sur tout ou partie des parcelles et que l'intention n'était pas d'échapper à l'application du statut du fermage.

Or, en l'espèce il est relevé que les conventions conclues entre les parties se sont renouvelées chaque année depuis au moins 2015 sans que les conventions ne précisent les circonstances particulières imposant au propriétaire des parcelles de confier la récolte des fruits de l'exploitation à un tiers.

Par suite, les conventions ont été conclues pour une année entière.

Les déclarations de mise en pâture pour les années 2000 et 2001, produites aux débats et qui limitent la période de mise en pâture du 25 avril 2000 au 30 novembre 2000, concernent le lieudit "[Adresse 23]" sur la commune de [Localité 27], distinctes des parcelles litigieuses situées au lieudit "[Adresse 11]".

L'attestation de Mme [H] [F], responsable d'exploitation, qui soutient qu'après le départ des bovins début novembre, les pâtures sont utilisées par la SCEA dans la rotation des chevaux jusqu'en avril, ne permet pas d'identifier les parcelles concernées.

Il n'est donc pas établi que la SCEA de [Localité 19] exploite les parcelles litigieuses en propre, en plaçant des chevaux au pré.

Le seul fait que le propriétaire des parcelles ait conservé l'entretien de ces dernières à sa charge n'est pas de nature à écarter le statut du fermage alors que comme le font observer les appelants la contrepartie versée par l'établissement intimé est supérieur à la valeur du fermage.

La perception des indemnisations en cas de gibier par le propriétaire des parcelles ne permet pas davantage d'exclure le statut du fermage.

La preuve n'étant pas rapportée que le preneur n'aurait pas l'exclusivité de la récolte de foin, et en l'absence de circonstances particulières justifiant du recours à une telle convention de vente d'herbe, les premiers juges ont à bon droit qualifié les conventions soumises à la juridiction de baux ruraux de sorte que le jugement déféré est confirmé sur ce point.

6/ Sur la nullité du congé

En application de l'article L411-47 du code rural et de la pêche maritime, le bailleur qui entend s'opposer au renouvellement de la location doit notifier'congé'au preneur par acte extrajudiciaire, c'est-à-dire par acte d'huissier de justice.

Il s'agit d'une formalité substantielle à laquelle il ne peut pas être suppléé par l'envoi d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

Le manquement à la formalité substantielle prévue par l'article L411-47 du code rural et de la pêche maritime constitue une irrégularité de fond qui entraîne la nullité d'ordre public du'congé'de sorte que la preuve de l'existence d'un grief n'est pas nécessaire.

En l'espèce, c'est à bon droit que les premiers juges ayant constaté que le congé avait été délivré par la SCEA appelante par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 30 décembre 2020 en ont déduit qu'il était nul et de nul effet.

Le jugement est donc encore confirmé sur ce point, tout comme des chefs subséquents concernant la libération des lieux et l'expulsion de la SCEA de [Localité 19] et de M. [M] [E] ainsi que ses modalités.

La cour constate que la question du point de départ du délai avant expulsion a fait l'objet d'un jugement rectificatif du tribunal paritaire des baux ruraux du 13 décembre 2023 qui a dit "qu'à défaut pour la SCEA de [Localité 19] et pour M. [M] [E] d'avoir volontairement libéré les parcelles 30 jours suivant la notification du présent jugement, il pourra être procédé à leur expulsion ainsi que de leurs biens, et de tous occupants de son chef, au besoin avec l'assistance de la force publique".

L'appel incident de l'établissement intimé de ce chef est donc sans objet.

7/ Sur l'appel incident concernant la demande de dommages-intérêts

Pour obtenir l'allocation de dommages-intérêts, l'établissement intimé soutient que depuis l'introduction de l'instance, la SCEA de [Localité 19] l'a empêchée de jouir des parcelles louées, soulignant que l'exploitation dégage en moyenne une marge brute de 500 euros l'hectare, ce qui donne pour les parcelles appartenant à la SCEA, d'une surface de 8,7940 ha, une somme de 4 397 pour une année, soit 13 191 euros pour les années 2021 à 2023 et pour les parcelles appartenant à M. [M] [E], d'une surface de 14,93 ha, une somme de 7 465 euros, soit 22 395 euros pour les trois années.

La cour observe que pour justifier de la perte de sa marge brute, l'établissement intimé produit des documents internes afférents aux campagnes 2020 et 2022 qui ne sont pas authentifiés par le comptable.

En tout état de cause, il résulte de l'étude de ces documents que l'établissement a dégagé une marge brute plus importante en 2022 de sorte que la perte de marge alléguée n'est pas établie.

Il n'est produit aux débats aucune facture justifiant de l'achat éventuel de fourrage généré par l'absence d'exploitation des parcelles litigieuses.

Le jugement déféré ne peut être que confirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation de l'établissement d'enseignement.

8/ Sur les demandes accessoires

Le jugement déféré est confirmé sur les dépens et les frais irrépétibles.

La SCEA de [Localité 19] et M. [M] [E], parties succombantes, sont condamnés in solidum aux dépens d'appel.

Parties tenues aux dépens, ils sont condamnés in solidum à verser à l'établissement intimé la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs

La cour,

Rejette la fin de non recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée.

Confirme le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux du 11 avril 2023 rectifié par jugement du 13 décembre 2023 en toutes ses dispositions.

Constate que l'appel incident portant sur le point départ du délai avant explusion est sans objet.

Y ajoutant,

Condamne in solidum la SCEA de [Localité 19] et M. [M] [E] aux dépens d'appel.

Condamne in solidum la SCEA de [Localité 19] et M. [M] [E] à payer à l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole de [Localité 15] [Localité 16] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Dijon
Formation : 2 e chambre civile
Numéro d'arrêt : 23/00558
Date de la décision : 04/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-04;23.00558 ?
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