S.A.S. LE MANOIR DES GRANDS BOURGOGNES
C/
S.A.S. TERRES DE DOMAINES DE BOURGOGNE
expédition et copie exécutoire
délivrées aux avocats le
COUR D'APPEL DE DIJON
2ème chambre civile
ARRÊT DU 28 MARS 2024
N° RG 23/01217 - N° Portalis DBVF-V-B7H-GIPA
MINUTE N°
Décision déférée à la Cour : ordonnance rendue le 07 septembre 2023,
par le juge de la mise en état du tribunal de commerce de Dijon - RG : 2022 3237
APPELANTE :
S.A.S. LE MANOIR DES GRANDS BOURGOGNES prise en la personne de son président en exercice domicilié de droit au siège social sis :
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 126
assisté de Me Cécile SANIAL, membre de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de REIMS
INTIMÉE :
S.A.S. TERRES DE DOMAINES DE BOURGOGNE dont le siège social est situé :
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Emmanuel TOURAILLE, membre de la SCP CHAUMARD TOURAILLE, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 96
assisté de Me Pascal GOURDAULT-MONTAGNE, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 janvier 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre, et Leslie CHARBONNIER, Conseiller. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la cour étant alors composée de :
Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre,
Michèle BRUGERE, Conseiller,
Leslie CHARBONNIER, Conseiller,
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Maud DETANG, Greffier
DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 28 Mars 2024,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ : par Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre, et par Maud DETANG, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
La société Le Manoir des Grands Bourgognes a pour activité 'l'exploitation industrielle et commerciale de tous établissements concernant l'achat, le traitement et la vente des vins, apéritifs et spiritueux.'
La société Terres de Domaines de Bourgogne exerce une activité d'intermédiation commerciale dans la recherche et la vente de domaines fonciers viti-vinicoles.
Le 20 janvier 2020, la société Manoir Murisaltien, devenue depuis le Manoir des Grands Bourgognes, suite à un changement de dénomination sociale en vertu des termes du procés-verbal de décision de l'associé unique du 14 septembre 2019, a signé avec la société Terres de Domaines de Bourgogne un mandat de recherche, en vue de l'acquisition, d'un domaine viticole en Bourgogne.
La société Terres de Domaines de Bourgogne a présenté M. [V] [R] à son mandant pour une entrée en pourparlers en vue de l'acquisition d'un domaine ou de parcelles de vignes.
Elle a appris en 2022 qu'un contrat avec prise à bail rural et promesse de vente d'une parcelle de [Localité 9] 1er cru 'les Murgers des dents de Chien' avait été signé avec M. [V] [R].
Elle a fait parvenir sa facture de commission à la société Le Manoir des Grands Bourgogne laquelle a refusé de la payer.
Le 3 août 2022, la société Terres de Domaines de Bourgogne a fait assigner la société Le Manoir des Grands Bourgognes devant le tribunal de commerce de Dijon en paiement de la somme de 469 502,56 euros TTC à titre d'indemnité conventionnelle, outre 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le 9 février 2023, la société Terres de Domaines de Bourgogne a déposé des conclusions d'incident de communication de pièces sur le fondement des articles 11 et 138 et suivants du code de procédure civile.
Par ordonnance du 7 septembre 2023, le 'juge de la mise en état' du tribunal de commerce de Dijon a :
- ordonné à la société le Manoir des Grands Bourgognes d'avoir à communiquer à la société Terres de Domaines de Bourgogne toutes pieces et documents relatifs aux éléments suivants :
- La promesse de vente sous seing privé portant sur la parcelle 'Les Murgers des dents de Chien' en [Localité 9] 1er cru conclu entre le propriétaire de ladite parcelle et la SAS le Manoir des Grands Bourgognes, la société d'exploitation du château [7] ou toute personne qui s'est substituée,
- Le bail rural conclu sur ladite parcelle avec la société d'exploitation du château [7] ou toute personne qui s'est substituée,
- Le prêt sans intérêt consenti par la SAS le Manoir des Grands Bourgognes, la société d'exploitation du château [7] ou toute personne qui s'est substituée au propriétaire de la parcelle $gt;,
- L'acte de division de la parcelle cadastrée A [Cadastre 2] et son bornage réalisé le 17 mars 2022 par géometre expert (M. [G] [Y] du cabinet Bonnet-Marchal, géomètre expert associés, [Adresse 6]),
- dit que cette communication devra intervenir dans le délai de quinze jours à compter de la signification de la décision à intervenir, et que passé ce délai, il sera appliqué à l'encontre de la société le Manoir des Grands Bourgognes une astreinte de 200 euros par jour de retard,
- dit que la décision est exécutoire immédiatement sur la minute de l'ordonnance,
- renvoyé au jugement sur le fond les demandes reconventionnelles formées par la société le Manoir des Grands Bourgognes,
- renvoyé les parties à l'audience de mise en état du 09 novembre 2023 à 14h30,
- réservé les dépens.
La SAS Le Manoir des Grands Bourgognes a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 20 septembre 2023.
Par conclusions notifiées le 20 novembre 2023, elle demande à la cour de :
Vu l'article 1353 du code civil,
Vu les articles 9 et 146 du code de procédure civile,
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
- annuler pour excès de pouvoir l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal de commerce de Dijon du 7 septembre 2023, la demande de production de pièces présentée par la société Terres de Domaines de Bourgogne relevant de la formation collégiale du tribunal de commerce de Dijon, en l'absence de désignation d'un juge chargé d'instruire l'affaire, et ne pouvant être enjointe, sur le fondement de l'article 138 du code de procédure civile, n'étant pas tiers mais partie au litige et n'étant pas en possession des actes sollicités,
- renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Dijon dans sa formation collégiale afin de statuer sur les demandes présentées par la société Terres de Domaines de Bourgogne à son encontre,
A titre subsidiaire,
- infirmer, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal de commerce de Dijon du 7 septembre 2023, la demande de production de pièces présentée par la société Terres de Domaines de Bourgogne n'étant pas utile, ni justifiée et portant atteinte au secret des affaires,
et statuant à nouveau :
- débouter la société Terres de Domaines de Bourgogne de l'intégralité de ses demandes de production de pièces sous astreinte,
- condamner la société Terres de Domaines de Bourgogne à lui payer la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Terres de Domaines de Bourgogne aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Claire Gerbay, avocat aux offres de droit, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées le 15 décembre 2023, la SAS Terres de Domaines de Bourgogne demande à la cour de:
Vu les articles 862 et 446-3 du code de procédure civile,
Vu l'article 10 du code civil,
Vu les articles 11, 138, 139, 140 et 142 du code de procédure civile,
- débouter la SAS Le Manoir des Grands Bourgognes de l'ensemble de ses demandes et prétentions,
en conséquence,
- confirmer l'ordonnance du tribunal de commerce de Dijon du 7 septembre 2023 (R.G. n°2022 003237) en toutes ses dispositions,
- condamner la SAS Le Manoir des Grands Bourgognes à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SAS Le Manoir des Grands Bourgognes aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SCP Chaumard-Touraille, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un exposé complet de leurs moyens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 9 janvier 2024.
SUR CE, LA COUR,
I/ Sur la demande en annulation de l'ordonnance déférée pour excès de pouvoir
1/ Sur le moyen de l'absence de saisine d'un juge chargé d'instruire l'affaire
La société appelante soutient que seul le tribunal de commerce, dans sa formation collégiale, pouvait statuer sur l'incident de communication de pièces, en l'absence de désignation d'un juge chargé d'instruire l'affaire.
Selon l'article 861 du code de procédure civile, en l'absence de conciliation, si l'affaire n'est pas en état d'être jugée, la formation de jugement la renvoie à une prochaine audience ou confie à l'un de ses membres le soin de l'instruire.
L'article 861-3 du même code précise que le juge chargé d'instruire l'affaire organise, le cas échéant, les échanges entre les parties comparantes dans les conditions et les sanctions prévues à l'article 446-2.
Au terme de l'article 862 du code de procédure civile, le juge chargé d'instruire l'affaire dispose des pouvoirs du juge de la mise en état prévus à l'article 446-3.
L'article 865 prévoit que le juge chargé d'instruire l'affaire peut ordonner, même d'office, tout mesure d'instruction. Notamment, il tranche les difficultés relatives à la communication des pièces.
L'article 446-2 indique que lorsque les débats sont renvoyés à une audience ultérieure, le juge peut organiser les échanges entre les parties comparantes; après avoir recueilli leur avis, il peut fixer les délais et, si elles en sont d'accord, les conditions de communication de leurs prétentions, moyens et pièces.
Selon l'article 446-3, le juge peut inviter, à tout moment, les parties à fournir les explications de fait et de droit qu'il estime nécessaires à la solution du litige et les mettre en demeure de produire dans le délai qu'il détermine tous les documents ou justifications propres à l'éclairer, faute de quoi il peut passer outre ou statuer en tirant les conséquences de l'abstention de la partie ou de son refus.
En l'espèce, il est constant que l'affaire dont s'agit a été évoquée devant le tribunal de commerce à l'audience du 22 septembre 2022 et qu'elle a fait l'objet, conformément aux articles 861-3 et 446-2 du code de procédure civile, d'un calendrier de procédure qui a été respecté par les parties.
Le 4 mai 2023, elle a fait l'objet d'une fixation à l'audience du 22 juin 2023 pour plaider sur l'incident de communication de pièces.
Le premier juge a rendu son ordonnance en qualité de 'juge de la mise en état' et non de juge chargé d'instruire l'affaire se fondant expressément sur les dispositions de l'article 788 du code de procédure civile.
Or, le recours au juge de la mise en état n'étant prévu que pour la procédure écrite, le tribunal de commerce devant lequel la procédure est orale, ne peut, en dehors de la formation collégiale, que désigner un juge chargé d'instruire l'affaire pour ordonner des mesures d'instruction avant jugement.
Toutefois, les textes ne précisent rien sur la forme de la désignation du juge chargé d'instruire l'affaire. C'est à la seule formation de jugement qu'il appartient de décider de désigner un juge chargé d'instruire l'affaire et de choisir celui-ci.
Il s'agit d'une simple mesure d'administration judiciaire, qui se fait en pratique par une mention au dossier.
La désignation peut intervenir, à tout moment, tant que l'affaire n'est pas en état d'être jugée.
Aussi, la seule absence d'une ordonnance de désignation du juge chargé d'instruire l'affaire n'est pas sanctionnée par la nullité de la décision.
L'affaire a été renvoyée, en l'espèce, par simple mention au dossier du tribunal de commerce, devant un juge improprement qualifié de juge de la mise en état.
Toutefois, alors que ledit juge qualifié de juge de la mise en état a fait usage de pouvoirs qui lui étaient normalement dévolus par les articles 861 et suivants du code de procédure civile renvoyant aux articles 446-2 et 446-3 du code de procédure civile en qualité de juge chargé d'instuire l'affaire, sa décision ne saurait dès lors encourir la nullité.
2/ Sur le moyen des textes considérés comme inapplicables
La société appelante soutient encore que le 'juge de la mise en état' a excédé ses pouvoirs, en lui ordonnant sur le fondement des articles 10, 11 et 138 du code de procédure civile, alors qu'elle est partie à l'instance, de produire des pièces qu'elle ne détient pas.
Selon l'article 11 du code de procédure civile, les parties sont tenues d'apporter leur concours aux mesures d'instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d'une abstention ou d'un refus.
Si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l'autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d'astreinte. Il peut, à la requête de l'une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s'il n'existe pas d'empêchement légitime.
L'article 138 du code de procédure civile prévoit que si, dans le cours d'une instance, une partie entend faire état d'un acte authentique ou sous seing privé auquel elle n'a pas été partie ou d'une pièce détenue par un tiers, elle peut demander au juge saisi de l'affaire d'ordonner la délivrance d'une expédition ou la production de l'acte ou de la pièce.
La cour rappelle qu'en application de l'article 142 du code de procédure civile, les demandes de production des éléments de preuve détenus par les parties sont faites, et leur production a lieu, conformément aux dispositions des articles 138 et 139.
Si l'article 138 du code de procédure civile porte sur l'obtention d'une pièce détenue par un tiers, l'article 11 du code de procédure civile permet au juge, saisi d'une telle demande, d'ordonner la production d'un élément de preuve détenu par une partie mais encore d'ordonner celle de tous documents détenus par des tiers, en l'absence d'empêchement légitime.
En conséquence, en ordonnant la production par la société appelante des actes relatifs à la transmission de la parcelle litigieuse au visa des articles 11 et 138 du code de procédure civile, le premier juge n'a pas commis d'excès de pouvoir dès lors que le premier de ces textes lui permettait d'ordonner la production d'une pièce détenue par une partie à l'instance et qu'en application de l'article 142 du code de procédure civile, cette production doit avoir lieu conformément aux dispositions de l'article 138 du même code.
Les moyens de nullité doivent ainsi être rejetés.
II/ Sur la demande d'infirmation de l'ordonnance déférée
1/ Sur l'absence de bien fondé de la demande et l'absence de détention des pièces
La société appelante soutient que la demande de production de pièces n'est pas fondée dès lors qu'elle n'a pas acquis le bien visé au mandat de recherche de sorte que la demande en paiement formée à son encontre au titre de l'indemnité conventionnelle est vouée à l'échec.
L'intimée répond que M. [R], qui a trouvé un accord avec la société Le Manoir des Grands Bourgognes, a établi une note de cadrage ayant pour objet de déterminer les modalités du montage de la cession d'un certain nombre de parcelles lui appartenant en propre ou par l'intermédiaire d'un GFA, dont notamment la parcelle «'les Murgers des Dents de Chien'» en [Localité 9] 1er cru et que cette parcelle aurait été prise à bail rural par la société d'exploitation du Château [7], située à [Localité 8], laquelle se confond avec la société appelante et que la première société aurait encore bénéficié d'une promesse de vente, passée sous seing privé et aurait consenti un prêt sans intérêts au vendeur.
Elle ajoute qu'un tel montage a pour effet de matérialiser une cession du droit de propriété et a comme objectif de protéger l'acquéreur d'un risque de préemption de la SAFER et incidemment d'éluder sa commission.
Il est constant que le 20 janvier 2020 la société Terres de Domaines de Bourgogne s'est vue confier par la société Manoir Murisaltien, devenue Le Manoir des Grands Bourgognes, représentée par M. [X] [E] et domiciliée [Adresse 5], un mandat de recherche d'un domaine viticole.
Au terme de l'article 1 du mandat, il est précisé :
1. Le type de bien recherché :
« Domaine viticole propriétaire de :
' 25 ares en AOP Pommard Rouge ;
' 20 ares en AOP Beaune 1er Cru ;
' 52 ares en AOP Beaune Blanc ;
' 1 ha 75 en AOP [Localité 9] 1er Cru les Murgers Dents de Chiens (75 a en Rouge et 1 en blanc) ;
' 4 ha 25 ares en AOP Bourgogne Hautes Cotes de Beaune Rouge ;
' 95 ares en AOP Bourgogne Hautes Cotes de Beaune Blanc
et locataire de :
' 72 ares en AOP Saint Romain blanc
100% des parts de la société civile d'exploitation qui exploite ces vignes. »
(...)
3. Le Prix d'acquisition :
«Les biens décrits à l'article 1er devront être d'une valeur maximale en principal, hors frais et rémunération du mandataire, de 7 700 000 euros.»
Le mandat de recherche a été conclu par les parties, sans exclusivité, pour une période irrévocable de 3 mois à compter de sa signature, et pour une durée maximale de 21 mois, soit jusqu'au 17 janvier 2022, date à laquelle il a pris automatiquement fin.
Selon l'article 6 du mandat, le mandant s'interdit de conclure directement avec tout vendeur présenté par le mandataire, pour un bien correspondant à celui décrit à l'article 1, même après l'expiration ou la résiliation du mandat et durant les 24 mois suivants la fin du mandat.
L'article 7, intitulé «'Clause pénale'» prévoit qu'en cas de manquement à l'une quelconque des obligations, notamment celles visées à l'article 6-1, le mandant versera au mandataire une somme équivalente au montant de la rémunération prévue à l'article 10 (en fait 9), à titre d'indemnité forfaitaire et définitive, en application des articles 1217, 1221, 1231-5 du code civil.
Il était convenu que la société Terres de Domaines de Bourgogne percevrait, en rémunération de l'exécution de sa mission, une commission équivalente à 5% HT du montant de la transaction, soit 6% TVA incluse à la charge de l'acheteur.
Il n'est pas contesté que la SAS Terres de Domaines de Bourgogne a présenté à la SAS Le Manoir des Grands Bourgognes M. [V] [R], propriétaire de vignobles en propre ou par l'intermédiaire d'un GFA «'Le Bout du Monde'» et il est démontré par les courriels produits aux débats qu'outre des visites sur site, de nombreux échanges ont eu lieu, d'une part, entre M. [L] [I], représentant la société Terres de Domaines de Bourgogne et M. [X] [E], tout à la fois représentant de la société Le Manoir des Grands Bourgognes et directeur du château [7] (les courriels mentionnant d'ailleurs cette dernière qualité) et, d'autre part, entre M. [I] et M. [R] [V], propriétaire du domaine viticole, en propre ou via un GFA.
Il résulte, par ailleurs, d'une «'note de cadrage'» établie par M. [V] [R] le 21 décembre 2021 et portant sur la vente de parcelles viticoles, un tableau détaillant les parcelles étant joint au document, que :
«l'acquéreur A, souhaitant garder l'anonymat, s'est déclaré intéressé pour l'acquisition de ces vignobles et de ces terres.
Toutefois, compte tenu du montant de l'acquisition de ces vignobles, il a recherché un autre acquéreur pour une partie de ces vignobles dont il ne pouvait pas financer l'achat et qui pourrait donc se substituer à lui pour cette partie.
L'acquéreur B, souhaitant garder l'anonymat, s'est déclaré intéressé pour l'acquisition d'une partie de ces vignobles que l'acquéreur A ne pouvait acquérir et accepte de se substituer à l'acquéreur A pour cette acquisition...'»
La note de cadrage dans son article 2 intitulé «'détail de l'offre'» prévoit que le vignoble appartenant au GFA pour un montant de 1 341 624 euros est vendu à l'acquéreur A tout en précisant les modalités de la cession passant par la signature d'un bail à ferme, d'une promesse unilatérale de vente et l'octroi par l'acquéreur au vendeur d'un prêt sans intérêts tandis que le vignoble appartenant à M. [V] [R] pour un montant de 7 158 376 euros est vendu à l'acquéreur B selon les mêmes modalités de cession, le tableau annexé mentionnant notamment la parcelle «'Les Murgers des Dents de Chien'» en [Localité 9] 1er cru pour une superficie totale de 1 ha 73 a 83 ca, valorisée à 7 919 824,77 euros.
M. [X] [E], félicité le 8 avril 2022 par M. [I] pour son acquisition de la parcelle de [Localité 9] 1er cru les Murgers Dents de Chien, a contesté avoir réalisé une telle acquisition et avoir l'intention de le faire et a sollicité l'annulation de la facture qui lui était adressée.
La facture établie le 8 avril 2022 par la société intimée initialement au nom de la société Manoir Murisaltien d'un montant de 429 502,56 euros au titre de ses honoraires a été annulée pour être établie au nom de la SCE du Château [7] le 9 avril 2022.
Comme l'a relevé le premier juge, il est établi par la production des extraits K bis des diverses sociétés que :
- le gérant de la « société d'Exploitation du Château [7] » et le président de la SAS Le Manoir des Grands Bourgognes sont la SARL « Elle & Lui Management », immatriculée au RCS de Dijon sous le n°834 889 545, et ayant le même siège social que celui de la SAS Le Manoir des Grands Bourgognes à [Adresse 5] ;
- la «société d'Exploitation du Château [7] » a pour associées la SARL « Elle et Lui LLC » et la SARL « Les 3 V », dont les dirigeants sont M. [P] [E], qui est intervenu au contrat de mandat en qualité de représentant de la SAS Le Manoir des Grands Bourgognes.
La société appelante soutient que l'intimée ne justifie pas de l'acquisition par elle ni par la société d'exploitation du Château [7] du bien répondant aux caractéristiques indiquées à l'article 1er du mandat de recherche.
Elle ajoute que la demande de communication de pièces bafoue le principe de l'autonomie de la personne morale, la société Château [7] étant distincte de la SAS Le Manoir des Grands Bourgognes, sociétés qui n'ont pas la même activité, et que la note de cadrage établie par le vendeur ne lui est pas opposable, celle-ci ne faisant aucunement mention d'une opération conforme à celle prévue au mandat en terme de bien et de prix, contestant être l'acquéreur A décrit à la note.
Ce faisant, la jurisprudence n'exige pas que la preuve de l'acte soit établie de manière certaine mais que son existence soit seulement vraisemblable.
S'il appartient à la partie qui sollicite la production d'une pièce de prouver que le défendeur détient cette pièce, la production forcée peut être demandée à une société appartenant à un groupe, sans avoir à rechercher quelle société du groupe détient effectivement la pièce (Cass. 2e civ., 23 sept. 2004, n° 02-15.782).
Alors que M. [X] [E], ès qualité de représentant de la SAS Manoir Murisaltien devenu le Manoir des Grands Bourgognes, est le signataire du mandat de recherche liant les parties au litige, et qu'il était également à l'époque des pourparlers directeur du Château [7], c'est à bon droit qu'après avoir mis en évidence la volonté de substitution de l'acheteur A au profit de l'acheteur B à la note de cadrage portant sur la vente notamment d'une parcelle visée au mandat de recherche litigieux, que le premier juge a considéré qu'il existait une suspicion légitime de la part de l'intermédiaire à l'égard de son mandant et ce pendant la période de validité du mandat.
Si comme le soutient la société appelante, les deux sociétés n'ont pas la même activité, la SAS Le Manoir des Grands Bourgognes exerçant une activité de négoce et la SCE Château [7] exploitant des vignes, elles interviennent néanmoins toutes deux dans le domaine du vin et la personne morale qui les dirige a son siège social à la même adresse que la société appelante.
De même, cette dernière ne peut sérieusement soutenir que l'opération décrite à la note de cadrage serait différente de celle envisagée dans le mandat de recherche dès lors que le mandat de recherche porte notamment sur l'acquisition d'une parcelle désignée en AOP [Localité 9] 1er cru le Murgers Dents de Chiens (1 ha 75) qui est expressément celle mentionnée en annexe de la lettre de cadrage pour 1 ha73 a 83 ca (la différence de superficie étant insignifiante).
Aussi, le fait que la société le Manoir des Grands Bourgognes n'ait pas acquis, sous cette entité, la parcelle considérée ne rend pas l'action engagée par l'intermédiaire injustifiée, l'objet de cet incident étant de démontrer la fraude.
Au regard du lien étroit entre les deux sociétés (Le Manoir des Grands Bourgognes et la SCE le Château [7]) et l'existence des pièces réclamées étant vraisemblable, le premier juge a de manière légitime ordonné à la société le Manoir des Grands Bourgognes de communiquer les pièces demandées, sans avoir à rechercher si elle les détenait personnellement, dès lors qu'elles lui sont facilement accessibles.
Le moyen soulevé n'est donc pas opérant pour s'opposer à la demande de production de pièces.
2/ sur le moyen de l'absence de motif légitime
Selon l'article 11 du code de procédure civile, chacun est tenu d'apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité.
Celui qui, sans motif légitime, se soustrait à cette obligation lorsqu'il en a été légalement requis, peut être contraint d'y satisfaire, au besoin à peine d'astreinte ou d'amende civile, sans préjudice de dommages et intérêts.
Il en résulte que la limite tirée de l'empêchement légitime doit être appréhendée non seulement dans les relations avec les tiers, tel que prévu à l'article 141 du code de procédure civile, mais également dans les relations entre les parties.
La société appelante soutient que la demande de production de pièces n'a pas pour objet la sauvegarde d'un droit légal reconnu ou judiciairement constaté de sorte qu'elle n'est pas légitime.
Elle estime que la société Terres de Domaines de Bourgogne dénature au travers de la production des pièces sollicitées, les termes du mandat de recherche signé le 20 janvier 2020, portant atteinte dans le cadre de son incident au secret des affaires.
Or, la société Terres de Domaines de Bourgogne a un droit reconnu, au terme du mandat de recherche, à la perception d'une commission ou, le cas échéant, d'une indemnité forfaitaire.
Il résulte de la note de cadrage suvisée qu'un accord est intervenu entre M. [R] et deux acquéreurs (A et B souhaitant garder l'anonymat) portant notamment sur la vente de la parcelle en [Localité 9] 1er cru les Murgers Dents de Chien 1 ha 73 a 83 ca, visée à l'article 1 du mandat de recherche.
La chronologie des évènements rappelée plus haut couplée au contenu de la note de cadrage rend vraisemblable la substitution de la société le Château [7] à la société appelante pour une acquisition des parcelles de vignes appartenant à M. [R].
Le décret n° 2018-1126 du 11 décembre 2018 relatif à la protection du secret des affaires a introduit, dans le code de commerce, des dispositions spéciales (codifées aux articles L153-1 et suivantes et R153-1 et suivants du code de commerce) relatives au motif légitime de résistance à une demande de production forcée de pièce.
Au terme de l'article R153-1 du code de commerce, à peine d'irrecevabilité, la partie ou le tiers à la procédure qui invoque la protection du secret des affaires pour une pièce dont la communication ou la production est demandée remet au juge, dans le délai fixé par celui-ci la version confidentielle intégrale de cette pièce, une version non confidentielle ou un résumé et un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires.
L'article R153-6 du code de commerce prévoit que le juge ordonne la communication ou la production de la pièce dans sa version intégrale lorsque celle-ci est nécessaire à la solution du litige, alors même qu'elle est susceptible de porter atteinte à un secret des affaires.
En l'espèce, la société Le Manoir des Grands Bourgognes ne propose pas de remettre au juge une quelconque version des actes allégués et ne précise pas les motifs qui leur confèreraient le caractère d'un secret des affaires.
En revanche, la communication de pièces sollicitée par la société Terres de Domaines de Bourgogne est nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la réalité de la vente de la parcelle litigieuse, de l'identité des acquéreurs et du prix de la transaction de manière à assurer le respect de son droit à commission tandis que l'atteinte au droit des affaires est proportionnée au but poursuivi.
Il en résulte que l'intermédiaire est fondé à se prévaloir d'une fraude et d'un intérêt légitime à obtenir la production des actes litigieux.
En conséquence, la société appelante ne justifiant pas d'un empêchement légitime et la production des actes réclamés étant nécessaire à la solution du litige, l'ordonnance déférée ne peut qu'être confirmée en ce qu'elle a ordonné la production des pièces réclamées, sauf à dire que l'astreinte commencera à courir quinze jours après la signification de cet arrêt et qu'elle sera limitée à une période de six mois.
La cour précise que n'étant pas saisie de prétentions de ce chef, elle ne peut que confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a renvoyé devant les juges du fond les demandes reconventionnelles de la société Terres de Domaines de Bourgogne.
III/ Sur les demandes accessoires
L'ordonnance déférée est infirmée sur les dépens et la société Le Manoir des Grands Bourgognes, succombant à la demande, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
Partie tenue aux dépens, elle est condamnée à verser à la société Terres de Domaines de Bourgogne une indemnité de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Rejette les moyens de nullité,
Confirme l'ordonnance déférée sauf à dire que l'astreinte commencera à courir quinze jours après la signification de cet arrêt, qu'elle sera limitée à une période de six mois et que les dépens de première instance seront supportés par la SAS Le Manoir des Grands Bourgognes,
Y ajoutant,
Condamne la SAS Le Manoir des Grands Bourgognes aux dépens d'appel,
Condamne la SAS Le Manoir des Grands Bourgognes à payer à la SAS Terres de Domaines de Bourgogne la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,