RUL/CH
S.A.S. POLYCLINIQUE [8] prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualité audit siège
C/
[L] [V]
PÔLE EMPLOI BOURGOGNE FRANCHE-
COMTÉ pris en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité au siège social qui intervient volontairement à la présente instance
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 08 JUIN 2023
MINUTE N°
N° RG 21/00606 - N° Portalis DBVF-V-B7F-FYQM
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DIJON, section Activités Diverses, décision attaquée en date du 22 Juillet 2021, enregistrée sous le n° F 19/00155
APPELANTE :
S.A.S. POLYCLINIQUE [8] prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 3] / FRANCE
représentée par Me Audrey LANCON de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de LYON, et Me Pauline AUGE, avocat au barreau de DIJON
INTIMÉES :
[L] [V]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Marine BERTHELON, avocat au barreau de DIJON substituée par Me Pierre-Louis PERROT-RENARD, avocat au barreau de DIJON
PÔLE EMPLOI BOURGOGNE FRANCHE-COMTÉ pris en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité au siège social qui intervient volontairement à la présente instance
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 4]
représenté par Me Anne GESLAIN de la SELARL DU PARC - CABINET D'AVOCATS, avocat au barreau de DIJON substituée par Me Pauline CORDIN, avocat au barreau de DIJON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Avril 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller chargé d'instruire l'affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
Olivier MANSION, Président de chambre,
Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,
Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Kheira BOURAGBA,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Kheira BOURAGBA, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [L] [V] a été embauchée par la Polyclinique [8] (ci-après l'employeur) à compter du 25 février 1985 par un contrat à durée indéterminée à temps complet en tant qu'auxiliaire de puériculture.
Elle a ensuite été reclassée au sein de l'établissement en tant qu'agent administratif au service des admissions.
Le 6 avril 2018, elle a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 20 suivant.
Aucun licenciement n'est intervenu.
Les 6 novembre 2018 et 4 février 2019, l'employeur lui a notifié un "rappel" et un "ultime rappel" des règles de fonctionnement.
Par requête du 26 février 2019, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Dijon aux fins d'annulation des "avertissements" des 6 novembre 2018 et 4 février 2019 et résiliation judiciaire de son contrat de travail.
À la suite d'une visite de reprise du 20 novembre 2019, le médecin du travail a délivré un avis d'inaptitude à son poste de travail ainsi qu'à tout poste au sein de la Polyclinique [8], tout en considérant qu'elle était apte à un poste semblable dans un autre établissement du groupe.
Le 13 décembre 2019, elle a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 23 suivant.
Le 26 décembre 2019, elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Par jugement du 22 juillet 2021, le conseil de prud'hommes a rejeté les demandes de la salariée aux fins de requalification des lettres du 6 novembre 2018 et 4 février 2019 en avertissements et annulation de ceux-ci, a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail à effet au 26 décembre 2019, dit que la résiliation emporte les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné l'employeur à lui payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, outre le remboursement à Pôle Emploi des sommes versées à titre d'indemnité de chômage dans la limite de six mois.
Par déclaration formée le 23 août 2021, l'employeur a relevé appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières écritures du 4 mai 2022, l'employeur demande de :
- réformer le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté Mme [V] de ses demandes de requalification en un avertissement des courriers de rappel des règles du 6 novembre 2018 et 4 février 2019,
In limine litis,
- constater l'ajout de demandes nouvelles dans les écritures n° 3 de première instance de Mme [V],
- déclarer irrecevables les demandes nouvelles liées à son licenciement pour inaptitude,
- la débouter de ses demandes liées à son licenciement,
à titre principal,
- constater qu'aucun manquement n'est avéré,
- constater que l'employeur n'a commis aucun manquement à son obligation de sécurité,
- juger que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail est infondée,
- constater que les courriers des 6 novembre 2018 et 4 février 2019 ne constituent pas des avertissements et sont parfaitement justifiés,
- débouter Mme [V] de l'intégralité de ses demandes,
- débouter Pôle Emploi de l'intégralité de ses demandes,
en tout état de cause,
- condamner Mme [V] à lui payer la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance,
- ordonner le remboursement des sommes réglées à Mme [V] au titre de l'exécution provisoire de droit.
Aux termes de ses dernières écritures du 15 février 2022, Mme [V] demande de :
- confirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il l'a déboutée de ses prétentions à requalifier en courriers d'avertissement les courriers de rappel des règles du 6 novembre 2018 et du 4 février 2019 et condamné l'employeur à lui verser la somme de 32 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- annuler l'avertissement du 6 novembre 2018,
- condamner l'employeur à lui verser la somme de 1 000 euros nets au titre du préjudice subi suite à l'annulation de son avertissement,
- annuler l'avertissement du 4 février 2019,
- condamner l'employeur à lui verser la somme de 1 000 euros nets au titre du préjudice subi suite à l'annulation de son avertissement,
à titre principal,
- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail,
- condamner l'employeur à lui payer les sommes suivantes :
* 32 720,80 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 18 971,52 euros nets à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
* 3 272,08 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 327,21 euros bruts au titre des congés payés afférents,
à titre subsidiaire,
- juger que le licenciement de Madame [L] [V] est sans cause réelle et sérieuse,
- condamner l'employeur à lui verser les sommes suivantes :
* 32 720,80 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 18 971,52 euros nets à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
* 3 272,08 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 327,21 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- condamner l'employeur à lui verser la somme de 1 200 euros nets au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter l'employeur de l'intégralité de ses demandes,
- le condamner à lui remettre les documents légaux rectifiés correspondant aux condamnations prononcées ainsi qu'un bulletin de salaire rectifié,
- juger que les sommes ayant une nature salariale ou assimilée produisent intérêts au taux légal à compter de la notification par le conseil de prud'hommes à l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et en préciser la date,
- condamner l'employeur aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de ses dernières écritures du 3 novembre 2021, Pôle Emploi demande de :
- lui donner acte de son intervention,
- statuer ce que de droit sur le mérite de l'appel formé par l'employeur,
- dans le cas où la cour confirmerait le jugement déféré sur l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement :
* ordonner à l'employeur de lui rembourser la somme de 6 302,94 euros avec intérêts au taux légal de la date du jugement jusqu'au parfait paiement,
* condamner l'employeur à lui payer la somme de 450 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en tant que de besoin aux dépens.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I - Sur la fin de non recevoir :
L'employeur soutient que dans ses écritures n° 3 du 11 juin 2020, Mme [V] a formulé des demandes nouvelles visant à ce que son licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse et le condamner aux conséquences indemnitaires afférentes, lesquelles ne présentent aucun lien avec ses demandes initiales au titre de ses conditions de travail et de sa demande de résiliation judiciaire.
Il sollicite en conséquence que ces demandes soient déclarées irrecevables.
La salariée oppose que :
- l'employeur n'a formulé aucune observation visant à déclarer irrecevable la demande en contestation du licenciement lors de la mise en état ni dans ses écritures des 13 juillet, 9 octobre 2020 et 2 février et 9 juin 2021, seulement oralement lors de l'audience du 10 juin 2021 et ce sans demander la révocation de l'ordonnance de clôture,
- la demande en résiliation judiciaire et la contestation du licenciement pour inaptitude concernent toutes deux la rupture du contrat de travail, produisent les mêmes effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les manquements de l'employeur à son obligation de sécurité fondent à la fois la demande en résiliation judiciaire et la contestation du licenciement pour inaptitude et les demandes indemnitaires et salariales sont strictement identiques,
de sorte que la demande visant à considérer le licenciement comme étant dépourvu d'une cause réelle et sérieuse se rattache par un lien suffisant à ses prétentions initiales.
Il ressort de l'article 70 du code de procédure civile que les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
En l'espèce, il ressort de la procédure que dans sa requête initiale du 26 février 2019, soit antérieurement à son licenciement pour inaptitude, Mme [V] formule différentes demandes en lien d'une part avec l'exécution du contrat de travail et d'autre part la résiliation dudit contrat.
La demande subsidiaire en contestation du licenciement pour inaptitude a quant à elle été formulée pour la première fois dans ses conclusions du 11 juin 2020, soit postérieurement au licenciement pour inaptitude.
Néanmoins, la demande en résiliation judiciaire comme celle en contestation du licenciement pour inaptitude concernent toutes deux la rupture d'un même contrat de travail et visent à produire les mêmes effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de sorte que la cour considère que la demande nouvelle se rattache par un lien suffisant à celles soumises initialement à la juridiction.
En conséquence, nonobstant le fait que les fondements allégués soient en partie différents (manquement à l'obligation de sécurité pour la résiliation, manquement à l'obligation de sécurité, défaut de consultation du CSE et manquement à l'obligation de reclassement pour la contestation du licenciement), et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur le moyen relatif à l'irrecevabilité de la fin de non recevoir formulée sans révocation de l'ordonnance de clôture, la fin de non recevoir sera écartée par confirmation du jugement déféré.
II - Sur la qualification des lettres des 6 novembre 2018 et 4 février 2019 :
Mme [V] soutient que le 6 novembre 2018 et le 4 février 2019, elle a été destinataire d'une lettre dans le premier cas de "rappel des règles de fonctionnement" et dans le second "d'ultime rappel des règles de fonctionnement" qu'elle considère être des avertissements dont elle conteste le bien fondé et en sollicite l'annulation, outre l'octroi de dommages-intérêts.
L'employeur oppose que des observations écrites par lesquelles l'employeur n'a pas entendu reprocher au salarié un comportement fautif ne constituent pas une sanction disciplinaire et qu'en l'espèce la qualification que Mme [V] donne à ces deux lettres est erronée, s'agissant uniquement de lui rappeler les règles relatives aux délais d'envoi des arrêts de travail pour maladie et à l'information de l'employeur.
En l'espèce, par des motifs pertinents que la cour adopte, les premiers juges ont à bon droit écarté les demandes de la salariée à ce titre au motif que ces deux lettres de "rappel des règles de fonctionnement" et "d'ultime rappel des règles de fonctionnement" ne constituent pas des sanctions disciplinaires.
Le jugement déféré sera donc confirmé sur ce point.
III - Sur la résiliation du contrat de travail :
Le salarié peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail en démontrant que l'employeur est à l'origine de manquements suffisamment graves dans l'exécution de ses obligations contractuelles de telle sorte que ces manquements ne permettent pas la poursuite du contrat de travail.
Si la résiliation est prononcée, elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul selon le cas.
En cas de licenciement postérieur à la demande de résiliation, le juge doit d'abord examiner la demande de résiliation laquelle, si elle est justifiée, prend effet à la date d'envoi de la lettre de licenciement.
Au visa des articles 1184 du code civil et L4121-1 et 2 du code du travail, Mme [V] soutient que :
- ses conditions de travail se sont progressivement dégradées,
- le 11 septembre 2017, des propos dénigrants la concernant ont été dénoncés à sa supérieure durant son absence et le lendemain il lui a été reproché un dysfonctionnement qui se serait produit le 8 septembre précédent alors qu'elle était absente. Le 21 septembre 2017 elle a été convoquée à un entretien informel avec sa responsable hiérarchique, Mme [T] et le 22 suivant elle a été victime d'un malaise sur son lieu de travail alors qu'elle s'apprêtait à faire l'objet d'un autre entretien avec sa supérieure hiérarchique. Elle a alors été placée en arrêt de travail.
- l'employeur a eu un comportement particulièrement déloyal en la convoquant, pendant son arrêt de travail, à un entretien préalable à un éventuel licenciement au cours duquel elle a subi des pressions,
- malgré son souhait d'être reclassée et sa demande de reprendre son emploi à mi-temps thérapeutique, l'employeur n'a pris aucune mesure pour préserver sa santé et sa sécurité,
- du fait de l'ambiance particulièrement délétère au travail, sa santé n'a eu de cesse de se dégrader au point que le 30 octobre 2018 elle a de nouveau été placée en arrêt de travail,
- l'employeur a de nouveau fait preuve d'une particulière mauvaise foi en lui notifiant deux lettres recommandées avec accusé de réception les 6 novembre 2018 et 4 février 2019 pour "rappel" et "ultime rappel" des règles de fonctionnement,
- elle a été victime d'un syndrôme anxio-dépressif majoré/déclenché à la suite d'un conflit au travail, pendant son temps de travail et sur son lieu de travail, raison pour laquelle son médecin traitant, après rectification, a régularisé un formulaire d'accident du travail ou maladie professionnelle,
- le contexte de sa pathologie a été retranscrit lors de l'enquête administrative diligentée par la CPAM,
- elle n'était pas la seule à souffrir sur son lieu de travail.
Estimant que l'employeur ne pouvait ignorer sa souffrance au travail ainsi que sa surcharge de travail, et que plutôt que d'apaiser les tensions au sein de l'équipe et de mettre en 'uvre des mesures pour préserver sa santé et sa sécurité il a persisté dans sa logique d'acharnement et n'a pas voulu entendre ses cris d'alerte dans l'unique but étant de se séparer d'elle, elle sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a considéré que l'employeur n'a pas rempli ses obligations en matière de sécurité et de protection de la santé physique et mentale de la salariée et prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail.
A l'appui de ses prétentions, elle produit les pièces suivantes :
pièces n° 3 et 4 : arrêt de travail du 22 septembre 2017,
pièce n° 5 : convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement du 6 avril 2018,
pièce n° 6 : compte-rendu de l'entretien préalable du 20 avril 2018,
pièce n° 7 : arrêt de travail du 30 octobre 2018,
pièces n° 8 et 9 : lettres recommandées avec accusé de réception des 6 novembre 2018 et 4 février 2019,
pièce n° 10 : certificat médical du docteur [I] du 12 mars 2019,
pièce n° 11 : certificat médical de M. [K], psychologue, du 30 janvier 2018,
pièces n° 12, 26 et 27 : certificats médicaux du docteur [B], psychiatre, des 10 décembre 2018, 21 juin et 10 octobre 2019,
pièce n° 13 : diverses ordonnances médicales,
pièce n° 14 : arrêt de travail du 17 avril 2018,
pièce n° 15 : bulletin de sortie du centre hospitalier la Chartreuse du 15 novembre 2018,
pièce n° 16 : questionnaire CPAM rempli par l'employeur le 30 mai 2018,
pièce n° 18 : enquête administrative diligentée par la CPAM,
pièce n° 19 : attestation de Mme [O],
pièce n° 24 : arrêts de travail de février et novembre 2019,
pièce n° 25 : certificat de transport et de passage au CHU de [Localité 3] le 13 août 2018,
pièce n° 28 : certificat médical du docteur [F], médecin du travail, du 10 octobre 2019,
pièces n° 29 et 30 : copie de son dossier médical au CHU de [Localité 3] et résultats de biologie,
pièce n° 31 : attestation de Mme [Z] [J].
L'employeur oppose qu'il appartient à Mme [V] de démontrer le manquement allégué, ce qu'elle ne fait pas, et indique :
- que le malaise dont elle a été victime n'est aucunement lié à une prétendue dégradation de ses conditions de travail, celui-ci étant survenu lors de sa prise de poste, alors que Mme [T], responsable, lui avait demandé de faire un point avec elle dans son bureau et qu'elles s'y rendaient,
- ce malaise ayant eu lieu plus d'un an et demi avant la saisine du conseil de prud'hommes, il ne peut du fait de son ancienneté servir de fondement à une demande de résiliation judiciaire,
- l'attestation de Mme [O], ancienne salariée retraitée depuis le 31 juillet 2016, ne fait état que de faits qui la concerne et qui plus est sont anciens, tout comme celle de Mme [Z] [J],
- la chronologie démontre que Mme [V] a sollicité la requalification de son malaise en accident du travail dans le seul dessein de faire obstacle à la procédure de licenciement envisagée pour cause d'absence prolongée,
- après enquête, la CPAM a refusé de prendre en charge l'accident déclaré par Mme [V] au titre des risques professionnels,
- après 7 mois d'absence continue, l'engagement d'une procédure de licenciement n'était aucunement motivé par une quelconque déloyauté de sa part mais par la désorganisation de la structure engendrée par cette absence prolongée et la nécessité de procéder au remplacement définitif de la salariée, et en tout état de cause, cet événement antérieur de 10 mois à la saisine du conseil de prud'hommes n'a manifestement pas empêché la poursuite du contrat de travail et ne saurait donc fonder la demande de résiliation judiciaire,
- la lecture du compte-rendu d'entretien préalable du 20 avril 2018 démontre que la salariée n'a fait l'objet d'aucune pression, seulement des critiques de la part de ses collègues de travail sur la qualité de son travail pendant un week-end de septembre 2017,
- aucun élément précis et daté n'est apporté afin de démontrer l'existence de pressions ou de relations conflictuelles et le contrat de travail a perduré pendant plus d'un an et demi après les faits,
- Mme [V] n'a formulé aucune demande de reclassement et l'employeur n'a été destinataire d'aucun avis médical formulant une reprise du travail dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique. Au contraire, le 29 mai 2018 la CPAM l'a informé que le médecin conseil avait considéré la salariée comme apte à reprendre une activité professionnelle,
- Mme [V] ne justifie pas d'avoir alerté son employeur sur une prétendue dégradation de ses conditions de travail,
- au cours des dernières années, des améliorations aux conditions de travail du personnel du service accueil de l'établissement ont été apportées (achat d'une banque d'accueil, d'un bureau intermédiaire et nouveau mobilier, de deux écrans afin d'éviter des manipulations sur les 5 logiciels nécessaires au service accueil, installation d'un scanner pour chaque bureau, achat de fauteuils ergonomiques, réfection du dossier de pré-admission des patients pour un gain de temps dans la prise en charge du patient et la satisfaction des patients, mise en place d'un nouveau planning avec horaires de régulation, installation d'un logiciel de borne électronique sur chaque poste de travail pour une meilleure gestion des patients, agencement des bureaux modifié).
Il ressort des pièces produites que Mme [V] procède par voie d'affirmation s'agissant de l'ambiance délétère au travail, de la dégradation de ses conditions de travail et de la cause de son malaise du 22 septembre 2017, les éléments médicaux produits relatant un lien entre sa pathologie et son malaise d'une part et ses conditions de travail d'autre part ne reposant que sur les déclarations de la salariée, à l'exclusion de toute constatation effectuées par les praticiens eux-mêmes.
Au contraire, le récit des circonstances de son malaise est contredit par le questionnaire CPAM rempli par l'employeur le 30 mai 2018 et par les éléments recueillis dans le cadre de l'enquête menée qui conclut au fait que la salariée n'est pas en mesure d'établir la survenance d'un fait accidentel à cette date.
En outre, dans les deux attestations produites, les témoins - anciens salariés - ne font qu'évoquer leur propre situation et non celle de Mme [V], si ce n'est pour Mme [W] pour indiquer qu'elle a apprécié de travailler avec elle et sa convocation pendant son arrêt de travail à un entretien préalable à un éventuel licenciement ne saurait à lui seul caractériser un comportement déloyal, ce d'autant que les pressions prétendument subies à cette occasion ne ressortent pas du compte-rendu que Mme [D], déléguée du personnel, en a fait, pas plus que les deux lettres de rappel des règles des 6 novembre 2018 et 4 février 2019 dont il ressort des développements qui précèdent qu'il ne s'agit aucunement de mesures disciplinaires.
Enfin, Mme [V] ne justifie d'aucune demande de reclassement avant l'entretien préalable du 20 avril 2018, date à laquelle cette possibilité n'est abordée qu'à titre incident, et s'agissant d'une reprise de son emploi à mi-temps thérapeutique, il ressort du compte-rendu que Mme [V] l'évoque comme une demande formulée en accord avec le médecin du travail mais ne justifie d'aucun élément à cet égard.
Au surplus, la cour relève que l'avis d'inaptitude du médecin du travail du 20 novembre 2018 ne fait aucune référence aux conditions de travail de la salariée comme justifiant l'inaptitude, celui-ci se bornant à indiquer que la salariée est inapte à son poste actuel et sur l'établissement de la polyclinique [8], ajoutant qu'un poste semblable au sein d'un autre établissement du même groupe peut lui être proposé.
Dès lors, Mme [V] ne démontre pas l'existence d'un ou de plusieurs manquements graves de son employeur à son obligation de sécurité empêchant la poursuite du contrat de travail de nature à en justifier la résiliation judiciaire.
Ses demandes à ce titre seront donc rejetées, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.
IV - Sur le bien fondé du licenciement pour inaptitude :
Mme [V] soutient que :
- son inaptitude résulte des manquements de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat, de sorte que son licenciement est nécessairement sans cause réelle et sérieuse,
- les propositions de reclassement doivent être adressées au salarié déclaré inapte après avoir recueilli l'avis du comité social et économique or :
* l'employeur ne justifie pas que la convocation des membres du CSE a été adressée à tous ses membres,
* le procès-verbal du CSE n'a pas été établi dans un délai de 15 jours conformément aux dispositions des articles L2315-34 et R2315-25 du code du travail et l'ordre du jour figurant dans la convocation au comité social et économique est nul, de sorte que l'avis émis sur la base d'un ordre du jour rédigé en termes vagues et imprécis est nul et de nul effet,
* les membres du CSE ne disposaient d'aucun document relatif à son inaptitude pour se prononcer sur les recherches de reclassement,
- l'employeur ne justifie d'aucun organigramme ni d'un registre d'entrées et de sorties du personnel de sorte qu'il ne fait aucun doute que les recherches de reclassement n'ont pas été faites de façon loyale et sérieuse.
L'employeur ne formule aucune observation sur ce point, concluant uniquement à l'irrecevabilité des demandes nouvelles de la salariée à ce titre.
Néanmoins, la cour relève que dans les pièces produites par l'employeur figure les éléments suivants :
- pièce n° 7 : une lettre adressée à Mme [V] le 3 décembre 2019 formulant quatre propositions de reclassement,
- pièce n° 8 : plusieurs courriers électroniques de recherche de reclassement,
- pièce n° 9 : un courrier électronique de convocation des membres du CSE à la réunion du 2 décembre 2019 accompagné d'un ordre du jour,
- pièce n° 10 : un procès-verbal de réunion du comité social et économique du 2 décembre 2019.
Il ressort en premier lieu des développements qui précèdent que le moyen fondé sur le fait que l'inaptitude résulterait des manquements de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat n'est pas fondé.
Par ailleurs, les critiques de la salariée sur les modalités de consultation du CSE ne sont pas sérieuses.
En effet :
- la simple comparaison de la liste des destinataires du courrier électronique de convocation avec la composition du CSE et la liste des membres présents/absents démontre que l'employeur a convoqué l'ensemble de ses membres,
- l'ordre du jour joint à la convocation fait expressément mention d'une "consultation sur la recherche de reclassement pour Mme [L] [V], hôtesse d'accueil, déclarée inapte", de sorte qu'il ne saurait être qualifié de "vague" et "imprécis" et il résulte du compte-rendu que le CSE s'est exprimé sur la recherche de reclassement effectuée sans qu'il soit fait mention de la moindre réserve ou critique,
- le fait que le procès-verbal du CSE n'a pas été établi dans le délai légal et réglementaire de 15 jours est un manquement imputable non pas à l'employeur mais au secrétaire du CSE, ce qui ne saurait remettre en cause la régularité de la consultation de cet organe, et donc le licenciement.
En outre, nonobstant le fait que l'employeur ne justifie pas du périmètre des recherches de reclassement effectuées, seulement de l'envoi à cette fin de multiples courriers électroniques à différents correspondants, la cour rappelle que conformément aux dispositions de l'article L.1226-12 alinéa 3 du code du travail, l'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi dans les conditions prévues à l'article L.1226-10 en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail, ce qui est le cas en l'espèce.
Il ressort en effet des pièces produites que Mme [V] a reçu ces propositions par lettre du 3 décembre 2019 et qu'elle était invitée à répondre au plus tard le 11 décembre suivant et l'employeur attire expressément son attention sur le fait qu'en l'absence de réponse de sa part dans le délai imparti, elle serait réputée avoir refusé les propositions de poste de reclassement.
La salariée affirme à cet égard ne pas avoir été en mesure de répondre au motif que les propositions formulées n'étaient pas suffisamment précises, sans toutefois justifier, ni même alléguer, du fait qu'elle a formulé une quelconque demande de précision à laquelle l'employeur n'aurait pas répondu.
Convoquée par lettre du 13 décembre 2019 à un entretien préalable fixé au 23 suivant, Mme [V] a été licenciée le 26 décembre suivant pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Il ressort de la lettre du 3 décembre précitée que :
- les quatre propositions de reclassement faites à la salariée sont toutes en dehors de l'établissement polyclinique [8], de sorte qu'ils respectent les préconisations du médecin du travail à cet égard,
- pour deux d'entre eux, ils sont identiques à la qualification du poste précédemment occupé (hôtesse d'accueil/auxiliaire de puériculture à l'hôpital privé d'[5] et secrétaire d'accueil à la clinique [7] à [Localité 9]),
- que l'intitulé des postes, la désignation des établissements concernés et leur localisation géographique permet de considérer que ces propositions sont suffisamment précises pour permettre à la salariée de se positionnner utilement, et à tout le moins de solliciter des renseignements complémentaires si elle en estimait le besoin.
En conséquence, la cour considère que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement est bien fondé.
Les demandes de Mme [V] au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse seront donc rejetées, comme celles afférentes aux intérêts au taux légal et à la remise des documents de fin de contrat.
V - Sur le remboursement à Pôle Emploi :
Le licenciement de Mme [V] pour inaptitude et impossibilité de reclassement étant bien fondé, le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a ordonné le remboursement par l'employeur de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, la demande de Pôle Emploi à cet égard étant rejetée.
VI - Sur les demandes accessoires :
- Sur les sommes versées au titre de l'exécution provisoire :
Il n'y a par ailleurs pas lieu d'ordonner à Mme [V] de rembourser à la Polyclinique [8] les sommes réglées au titre de l'exécution provisoire de droit, s'agissant d'une disposition résultant de l'application de l'article L.111-10 du code des procédures civiles d'exécution.
- Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Le jugement déféré sera infirmé sur ces points.
Mme [V] sera condamnée à payer à l'employeur la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
La demande de Mme [V] au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée,
La demande de Pôle Emploi au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée,
Mme [V] succombant, elle supportera les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement rendu le 22 juillet 2021 par le conseil de prud'hommes de Dijon sauf en ce qu'il a :
- rejeté la fin de non recevoir,
- rejeté les demandes de Mme [L] [V] afférentes à la requalification en avertissements des lettres des 6 novembre 2018 et 4 février 2019,
Statuant à nouveau, et y ajoutant,
REJETTE la demande de résiliation judiciaire,
DIT que le licenciement de Mme [L] [V] pour inaptitude et impossibilité de reclassement est bien fondé,
REJETTE les demandes de Mme [L] [V] au titre de la rupture du contrat de travail et au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE les demandes de Pôle Emploi Bourgogne Franche-Comté,
DIT n'y avoir lieu à ordonner le remboursement à la Polyclinique [8] des sommes réglées à Mme [L] [V] au titre de l'exécution provisoire de droit,
CONDAMNE Mme [L] [V] à payer à la société Polyclinique [8] la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Mme [L] [V] aux dépens de première instance et d'appel.
Le greffier Le président
Kheira BOURAGBA Olivier MANSION