DLP/SC
Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Saône-et-Loire (CPAM)
C/
Société [5]
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 25 MAI 2023
MINUTE N°
N° RG 20/00571 - N° Portalis DBVF-V-B7E-FS3S
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Pole social du TJ de MACON, décision attaquée en date du 19 Novembre 2020, enregistrée sous le n° 17/289
APPELANTE :
Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Saône-et-Loire (CPAM)
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par M. [L] [V] (Chargé d'audience) en vertu d'un pouvoir général
INTIMÉE :
Société [5]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Delphine DERUMEZ de l'ASSOCIATION BL & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Avril 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame LAVERGNE-PILLOT, Conseiller chargé d'instruire l'affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,
Olivier MANSION, Président de chambre,
Katherine GONTHIER, Conseiller,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Sandrine COLOMBO,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller, et par Sandrine COLOMBO, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
Par lettre recommandée du 13 avril 2016, la caisse primaire d'assurance maladie de Saône-et-Loire (la CPAM) a notifié à la société [5] ([5]) la prise en charge de la maladie de son salarié, M. [C], constatée le 14 septembre 2015, au titre de la législation sur les risques professionnels, tableau n°30 bis, cancer broncho-pulmonaire provoqué par l'inhalation de poussières d'amiante.
M. [C] est décédé le 17 novembre 2015.
Par lettre recommandée du 13 mai 2016, la société [5] a contesté cette décision de prise en charge devant la commission de recours amiable de la CPAM qui a rejeté sa contestation.
Par lettre du 21 juin 2017, elle a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale aux fins de se voir déclarer inopposable la décision de prise en charge de la caisse.
Par jugement avant-dire-droit du 7 novembre 2019, le tribunal a sursis à statuer et ordonné la mise en oeuvre d'une expertise médicale sur pièces, confiée au docteur [E], avec mission de :
* déterminer si la pathologie dont souffrait M. [C] pouvait être constitutive d'un cancer broncho-pulmonaire,
* dans l'affirmative, déterminer le caractère primitif ou non du cancer broncho-pulmonaire.
Le docteur [E] a établi son rapport le 18 décembre 2019.
Par jugement du 19 novembre 2020, le tribunal :
- dit que le caractère primitif du cancer broncho-pulmonaire de M. [C] n'est pas établi,
- annule la décision de la CPAM de Saône-et-Loire du 13 avril 2016, confirmée par la décision du 31 mai 2017 de la commission de recours amiable de la caisse,
- dit que la décision de la CPAM de Saône-et-Loire du 13 avril 2016 de prise en charge de la maladie de M. [C] au titre de la législation sur les risques professionnels est inopposable à la société [5],
- déboute la CPAM de sa demande de contre-expertise,
- condamne la CPAM au paiement des entiers dépens.
Par déclaration enregistrée le 23 décembre 2020, la CPAM a relevé appel de cette décision.
Dans le dernier état de ses conclusions reçues à la cour le 7 avril 2023 et reprises à l'audience sans ajout ni retrait au cours des débats, elle demande à la cour de :
- infirmer le jugement déféré,
- déclarer opposable à la société [5] sa décision de prise en charge.
Par ses dernières écritures reçues à la cour le 24 avril 2023 et reprises à l'audience sans ajout ni retrait au cours des débats, la société [5] demande à la cour de :
À titre principal :
- renvoyer l'affaire à une date ultérieure à raison des communications et pièces tardives par la CPAM et afin d'assurer le caractère contradictoire des débats,
À titre subsidiaire,
- rejeter les pièces et conclusions tardives de l'appelante,
En conséquence :
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
À titre infiniment subsidiaire,
- dire et juger que la décision de prise en charge du 13 avril 2016 concernant la maladie professionnelle déclarée par M. [C] doit lui être déclarée inopposable,
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
- condamner la CPAM aux entiers dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il convient, liminairement, de rejeter la demande de renvoi formée par la société intimée.
SUR LA DEMANDE DE REJET DES CONCLUSIONS ET PIECES DE LA CPAM
En vertu de l'article du 15 code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.
L'article 16 du même code dispose que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.
Il est constant que les conclusions tardives sont recevables si elles sont prises en réplique à des conclusions adverses et ne soulèvent ni moyens nouveaux ni prétentions nouvelles.
En l'espèce, la CPAM a conclu le 7 avril 2023, soit 18 jours avant l'audience de plaidoiries. Il n'y a donc pas lieu de considérer qu'elle a conclu tardivement, étant observé que, d'une part, la société [5] a eu le temps de répliquer au fond et que, d'autre part, la procédure étant orale elle conserve la possibilité de former à l'audience toute observation complémentaire utile.
La demande de rejet sera donc écartée.
SUR L'OPPOSABILITE DE LA DECISION DE PRISE EN CHARGE
La CPAM soutient que la condition tenant à la désignation de la maladie est remplie et se prévaut, à cet égard, de la pertinence de l'avis émis par son médecin-conseil et de la fiche du colloque médico-administrative établie par ce dernier.
En réponse, la société [5] fait valoir qu'au vu du rapport d'expertise judiciaire et de l'avis du docteur [U], le médecin-conseil de la caisse ne pouvait valablement confirmer la présence d'un cancer broncho-pulmonaire, au surplus primitif.
Il convient de confronter les différents avis médicaux.
Ainsi, la société [5] produit l'avis médical du docteur [U], expert près la cour d'appel de Lyon, qui conclut, dans un rapport de 4 pages, que l'affection dont est atteint M. [G] (lire [C]) ne présente pas les caractéristiques de l'affection citée dans le tableau 30 bis du régime général. Il indique qu'il n'y a pas de certitude sur l'identification de cancer broncho-pulmonaire et encore moins pour le caracère primitif. Il retient notamment un état antérieur éventuel interférant tel qu'évoqué par le médecin-conseil de la CPAM.
L'expert judiciaire conclut, pour sa part, qu'en l'absence de prélèvement bronchique, rien ne permet de dire si la localisation pleurale est en rapport avec un cancer broncho-pulmonaire. Il ajoute que les documents qui lui ont été fournis ne lui permettent pas plus de déterminer le caractère primitif ou non de ce cancer.
De façon plus précise, l'expert [E] mentionne que l'existence d'un état antérieur interférant éventuel invoquée par le médecin-conseil de la caisse avec une prise en charge à 100% pour cette pathologie introduit un doute sur sa nature. Il relève également que l'examen anatomopathologique montre qu'il s'agit d'une tumeur de type adénocarcinome muco-sécrétant alors que la plupart du temps le cancer primitif est de type épidermoide. Il ajoute, par ailleurs, que les marqueurs caractéristiques de la primitivité du cancer ne sont pas réunis. En effet, l'immunohistochimie relève de la cytokératine 7 mais pas de la cytokératine 20, outre le fait que la TTF1 est négative. Or, comme le relève l'employeur, la TTF-1 est spécifiquement exprimée dans les adénocarcinomes pulmonaires et dans les 3 formes acinaire, papillaire et bronchoalvéolaire, mais absente dans les adénocarcinomes développés dans d'autres organes. Autrement dit, l'absence de RRF-1 peut conduire à considérer que le cancer broncho-pulmonaire déclaré par M. [C] n'était, au contraire, pas primitif.
Cet examen est conforté par les conclusions antérieures du docteur [U], dont le rapport a été établi à la demande de la société [5]
Le rapport d'expertise du docteur [E] a été soumis par la CAPM à l'avis de son médecin-conseil, le docteur [Z], qui a rédigé un argumentaire aux termes duquel il relève l'absence d'antécédent d'un quelconque tabagisme dans les différents examens cliniques réalisés par le patient mais une exposition à l'amiante pendant plus de 10 ans. Il affirme que la remarque sur l'état antérieur interférant est sans effet et qu'il existe bien un cancer broncho-pulmonaire avec atteinte clinique d'opacités pulmonaires droite et gauche, outre une atteinte pleurale avec épanchement pleural pachy-pleurite. Il ajoute que les lésions histologiques sont compatibles avec une origine pulmonaire. La CPAM invoque également le certificat du docteur [S], pneumologue, qui certifie le 14 septembre 2015 que M. [C] présente un cancer broncho-pulmonaire primitif. Ce certificat ne contient cependant aucune argumentation médicale.
Il ressort des éléments sus-visés qu'un doute persiste sur l'existence d'un cancer broncho-pulmonaire mais également sur son caractère primitif, aucune des pièces communiquées par la CPAM n'est de nature à le contredire, sauf pour le médecin-conseil à procéder par voie d'affirmations.
Au vu de ces éléments, le jugment sera confirmé en ce qu'il a dit que la maladie déclarée par M. [C] ne remplissait pas les conditions du tableau n°30 bis des maladies professionnelles.
Le jugement sera également confirmé, par adoption de motifs, en ce qu'il a rejeté la demande de contre-expertise de la caisse.
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
La décision attaquée sera infirmée en ses dispositions relatives aux dépens.
L'abrogation, au 1er janvier 2019, de l'article R. 144-10 du code de la sécurité sociale a mis fin à la gratuité de la procédure en matière de sécurité sociale. Pour autant, pour les procédures introduites avant le 1er janvier 2019, le principe de gratuité demeure. En l'espèce, la procédure ayant été introduite en 2017, il n'y a pas lieu de statuer sur les dépens de première instance.
Les dépens d'appel seront supportés par la caisse primaire d'assurance maladie qui succombe.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Rejette la demande de renvoi formée par la société [5],
Dit n'y avoir lieu de rejeter les conclusions et pièces de la CPAM de Saône-et-Loire,
Confirme le jugement entrepris, sauf en ses dispositions relatives aux dépens,
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à condamnation aux dépens de première instance,
Condamne la CPAM de Saône-et-Loire aux dépens d'appel.
Le greffier Le président
Sandrine COLOMBO Delphine LAVERGNE-PILLOT