DLP/SC
Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Saône-et-Loire (CPAM)
C/
Société [5]
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 25 MAI 2023
MINUTE N°
N° RG 20/00568 - N° Portalis DBVF-V-B7E-FS2T
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Pole social du TJ de MACON, décision attaquée en date du 19 Novembre 2020, enregistrée sous le
n° 18/083
APPELANTE :
Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Saône-et-Loire (CPAM)
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par M. [J] [E] (Chargé d'audience) en vertu d'un pouvoir général
INTIMÉE :
Société [5]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Maître Anne-Sophie PATTYN, avocat au barreau de PARIS substituée par Maître Florence BOYER, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Avril 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller chargé d'instruire l'affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la cour étant alors composée de :
Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller, Président,
Olivier MANSION, Président de chambre,
Katherine GONTHIER, Conseiller,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Sandrine COLOMBO,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller, et par Sandrine COLOMBO, greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
M. [B] a été engagé en qualité de capitaine de marine fluviale par la société [5] (l'employeur) le 1er janvier 2010.
Le 3 août 2017, l'employeur a adressé à la caisse primaire d'assurance maladie de Saône-et-Loire (la CPAM) une déclaration d'accident du travail du 1er août 2017 à 14 heures 30 concernant M. [B] et a émis les réserves suivantes : "circonstances inconnues par l'employeur. Le salarié a prévenu son chef par SMS : Demain, je ne viens pas, mon médecin m'a mis en arrêt jusqu'à lundi. Le 3 août, nous avons reçu un certificat d'arrêt faisant état d'un arrêt motivé par accident du travail du 1 août 2017".
Le certificat médical initial du 1er août 2017 a mentionné un accident du même jour et un arrêt de travail jusqu'au vendredi 4 août 2017.
Par lettre recommandée du 26 octobre 2017, la CPAM a notifié à la société [5] ([5]) sa décision de prendre en charge l'accident de M. [B] au titre de la législation sur les risques professionnels.
La commission de recours amiable de la caisse, saisie sur recours de l'employeur, a confirmé la décision de prise en charge par décision du 30 janvier 2018.
Par lettre recommandée du 14 février 2018, la société [5] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d'un recours contre cette décision de rejet et a demandé de se voir déclarer inopposable la décision de prise en charge et, plus subsidiairement, de voir ordonner une expertise médicale sur pièces.
Par jugement du 19 novembre 2020, le tribunal a fait droit à sa demande d'inopposabilité.
Par déclaration enregistrée le 14 décembre 2020, la CPAM a relevé appel de cette décision.
Dans le dernier état de ses conclusions reçues à la cour le 30 janvier 2023 et reprises à l'audience sans ajout ni retrait au cours des débats, elle demande à la cour de :
- infirmer le jugement déféré,
En conséquence,
- déclarer opposable à la société [5] la décision de prise en charge, au titre des risques professionnels, de l'accident du travail du 1er août 2017 dont a été victime M. [B],
- juger mal fondé le recours, l'en débouter.
Par ses dernières écritures reçues à la cour le 21 mars 2023 et reprises à l'audience sans ajout ni retrait au cours des débats, la société [5] demande à la cour de :
A titre principal,
- confirmer le jugement déféré en raison de l'absence de preuve de la matérialité de l'accident déclaré,
A titre subsidiaire,
- confirmer le jugement déféré en raison du non-respect par la CPAM du caractère contradictoire de la procédure d'instruction de l'accident déclaré,
A titre très subsidiaire,
- ordonner une expertise aux fins de déterminer si les lésions, soins et arrêts pris en charge sont en rapport avec le fait accidentel déclaré,
En toutes hypothèses,
- débouter la CPAM de ses demandes,
- condamner la CPAM aux dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
SUR L'OPPOSABILITE DE LA DECISION DE PRISE EN CHARGE
La CPAM soutient que la matérialité de l'accident du 1er août 2017 est établie, que le salarié bénéficie de la présomption d'imputabilité et que l'employeur ne rapporte pas la preuve d'une cause totalement étrangère au travail. Elle ajoute que le lien entre l'accident et les manifestations anxieuses de M. [B] est démontré.
En réponse, la société [5] fonde sa demande d'inopposabilité sur l'absence de fait accidentel au temps et au lieu du travail et, subsidiairement, sur le non-respect par la caisse du principe de la contradiction.
Sur la matérialité de l'accident
Aux termes de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail, à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre que ce soit pour un ou plusieurs employeurs ou chef d'entreprise.
Cet article édicte une présomption d'imputabilité en faveur de l'assuré dès lors que le fait accidentel s'est manifestement soudainement au temps et au lieu du travail. Il appartient cependant à la victime d'apporter la preuve de la matérialité de l'accident et de sa survenue aux temps et lieu de travail. Cette preuve peut être rapportée par tous moyens, mais que les seules allégations de la victime, quelque soit par ailleurs sa bonne foi et son honorabilité, sont insuffisantes en l'absence de témoin direct des faits.
Si la présomption d'imputabilité s'applique, il revient alors à l'employeur qui entend contester cette présomption légale d'imputabilité de rapporter la preuve de l'existence d'une cause totalement étrangère au travail.
Il sera rappelé que constitue un accident du travail, un événement ou une série d'événements, survenus à des dates certaines, par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit sa date d'apparition, une lésion provoquée par un effort même accompli dans un acte normal pouvant être assimilé à un accident du travail et les douleurs ressenties dans le cadre d'un acte normal étant constitutives de lésions.
Il est en outre constant, que l'absence de témoins ne peut faire obstacle à la reconnaissance d'un accident du travail si les circonstances peuvent expliquer cette absence de témoins et si des éléments de preuve sont apportés, notamment dès lors qu'un ensemble de présomptions graves et concordantes permet de corroborer, par des éléments objectifs, les déclarations de la victime.
Ici, l'événement qui s'est produit le 1er août 2017 au préjudice de M. [B], lié au fait qu'une barge a coulé, revêt la qualification d'accident du travail dès lors qu'il s'est produit au temps et au lieu du travail. De plus, un certificat médical initial a été établi le jour-même et a relevé des lésions compatibles avec le déroulement de l'accident ("manifestations anxieuses suite à un accident"). En outre, l'employeur, notamment le responsable, M. [X], en a été immédiatement informé.
Il en résulte l'existence de présomptions graves, précises et concordantes impliquant le bénéfice de la présomption d'imputabilité de sorte qu'il revient à l'employeur de rapporter la preuve d'une cause totalement étrangère, ce qu'il échoue à faire.
La matérialité de l'accident du travail est donc acquise.
Sur le non-respect du principe de la contradiction
La société [5] excipe du caractère non contradictoire de l'instruction menée par la caisse qui ne l'aurait pas informée des éléments recueillis, notamment médicaux, avant de prendre sa décision et n'aurait pas engagé d'instruction pourtant obligatoire compte tenu des réserves exprimées par l'employeur. Elle ajoute que la CPAM ne lui a pas permis d'avoir accès à l'entier dossier dans un délai suffisant puisqu'il manquait des pièces ; qu'elle a ainsi violé les droits de la défense.
La CPAM réplique à l'audience qu'elle a assuré le respect du principe de la contradiction en informant l'employeur de ses droits, en lui transmettant les pièces du dossier ajoutant que l'entreprise ne s'est pas déplacée dans ses locaux pour consulter le dossier de sorte qu'elle ne peut, selon la caisse, lui opposer un manquement au principe du contradictoire ;
En vertu de l'article R. 441-11 dernier alinéa du code de la sécurité sociale, en cas de réserves motivées de la part de l'employeur ou si elle l'estime nécessaire, la caisse envoie avant décision à l'employeur et à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident ou de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés.
Il est constant que la caisse primaire d'assurance maladie est dispensée de toute obligation d'information préalable de l'employeur lorsqu'elle prend sa décision de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels, au vu de la seule déclaration d'accident du travail transmise sans réserve par l'employeur, sans procéder à une mesure d'instruction.
En cas d'instruction et en application de l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale, la CPAM doit, avant de se prononcer sur le caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie, informer l'employeur de la fin de la procédure d'instruction, des éléments susceptibles de lui faire grief, de la possibilité de consulter le dossier et de la date à laquelle elle prévoit de prendre sa décision ;
L'article R. 441-13 du même code dispose, dans sa version applicable au litige, que le dossier constitué par la caisse primaire doit comprendre :
1°) la déclaration d'accident et l'attestation de salaire ;
2°) les divers certificats médicaux ;
3°) les constats faits par la caisse primaire ;
4°) les informations parvenues à la caisse de chacune des parties ;
5°) les éléments communiqués par la caisse régionale ;
6°) éventuellement, le rapport de l'expert technique.
Il peut, à leur demande, être communiqué à l'assuré, ses ayants droit et à l'employeur, ou à leurs mandataires.
Ce dossier ne peut être communiqué à un tiers que sur demande de l'autorité judiciaire.
La CPAM n'a aucune obligation préalable de communication des pièces du dossier sans une demande en ce sens formulée par l'employeur. Il est également constant que la fiche médico-administrative contenant l'avis du médecin-conseil n'est soumise à aucune condition de forme, qu'elle n'a pas à être précise et détaillée pour respecter le principe de la contradiction.
En l'espèce, il est établi que l'employeur a procédé à la déclaration d'accident du travail le 1er août 2017 et qu'il a émis des réserves par courrier du 3 août suivant. Il a réitéré ses réserves par lettres des 6 septembre et 17 octobre 2017.
La CPAM était donc tenue de mener une instruction et d'informer la société [5] des éléments recueillis avant de prendre sa décision. Elle devait ainsi l'informer :
- des éléments recueillis susceptibles de lui faire grief,
- de la possibilité de venir consulter le dossier,
- de la fin de la procédure d'instruction,
- et de la date à laquelle elle prévoyait de prendre sa décision.
Ici, la CPAM a dûment diligenté une instruction mais l'employeur prétend qu'il n'a pas été informé de l'ensemble des éléments, notamment médicaux. Il se reporte au bordereau de communication de pièces de la caisse (pièce 5 de la CPAM) mais sans préciser quelles pièces seraient manquantes et susceptibles de lui faire grief, se contentant d'indiquer "un certain nombre de pièces". Ce moyen est donc inopérant.
En revanche, la société [5] établit que la caisse a adressé ses courriers et, notamment, la notification de la décision de prise en charge de l'accident, à l'adresse du site de [Localité 3] (pièce 3 de l'employeur) alors qu'elle devait les adresser au siège social à [Localité 4] dont elle connaissait l'adresse puisque celle-ci figurait sur le courrier de réserves adressé par l'employeur.
Il s'ensuit que la caisse a manqué à son devoir d'information, ce qui implique l'inopposabilité de la décision de prise en charge à l'égard de l'employeur.
En conséquence, il convient, par confirmation du jugement, de déclarer inopposable à la société [5] la décision de la caisse de prendre en charge l'accident litigieux au titre de la législation sur les risques professionnels.
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
La décision sera infirmée en ses dispositions relatives aux dépens. L'abrogation, au 1er janvier 2019, de l'article R. 144-10 du code de la sécurité sociale a mis fin à la gratuité de la procédure en matière de sécurité sociale. Pour autant, pour les procédures introduites avant le 1er janvier 2019, le principe de gratuité demeure. En l'espèce, la procédure ayant été introduite en 2018, il n'y a pas lieu de statuer sur les dépens de première instance.
Les dépens d'appel, en revanche, seront supportés par la CPAM qui succombe.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Confirme le jugement entrepris, sauf en ses dispositions relatives aux dépens,
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à condamnation aux dépens de première instance,
Condamne la CPAM de Saône-et-Loire aux dépens d'appel.
Le greffier Le président
Sandrine COLOMBO Delphine LAVERGNE-PILLOT