LC/LL
AXA FRANCE IARD
C/
SARL [V] LE NORD
Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le
COUR D'APPEL DE DIJON
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 16 MAI 2023
N° RG 21/01055 - N° Portalis DBVF-V-B7F-FYKY
MINUTE N°
Décision déférée à la Cour : jugement du 05 juillet 2021,
rendu par le tribunal de commerce de Chaumont - RG : 2021 000183
APPELANTE :
SA AXA FRANCE IARD, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège :
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Fabrice CHARLEMAGNE, membre de la SCP BEZIZ-CLEON - CHARLEMAGNE-CREUSVAUX, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 17
INTIMÉE :
SARL [V] LE NORD, prise en la personne de son gérant domicilié en cette qualité au siège :
Restaurant - Bar 'LE NORD'
[Adresse 1]
[Localité 3]
assistée de Me Laura DESDOITS VENTURI, avocat au barreau de la HAUTE-MARNE, plaidante, et représentée par Me Christian BENOIT, membre de la SELARL CHRISTIAN BENOIT, avocat au barreau de la HAUTE-MARNE, postulant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 mars 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Leslie CHARBONNIER, Conseiller, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la cour étant alors composée de :
Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de Chambre,
Sophie DUMURGIER, Conseiller,
Leslie CHARBONNIER, Conseiller,
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Aurore VUILLEMOT,
DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 16 Mai 2023,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ : par Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de Chambre, et par Aurore VUILLEMOT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
M. [O] [V], gérant et associé unique de la SARL [V] Le Nord, dont le siège social est situé, [Adresse 1]), exploite un restaurant - bar sous l'enseigne : Le Nord.
La SARL [V] Le Nord a souscrit un contrat multirisque professionnel N°7230535804 /E le 5 septembre 2018 auprès de la société Axa France Iard.
Le contrat multirisque professionnel inclut un paragraphe page 8/12 « Perte d'exploitation suite à fermeture administrative » intitulé comme suit :
« La garantie est étendue aux pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :
- La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente et extérieure à vous-même,
- La décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication. »
Ce même contrat inclut une clause d'exclusion intitulée comme suit :
« Les pertes d'exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ».
En vertu d'un arrêté du ministère de la santé du 14 mars 2020 et de l'article 8 du décret n°2020-293 du 23 mars 2020, l'ensemble des restaurants et cafés ont été contraints de fermer leur établissement au public du 15 mars au 2 juin 2020.
Le restaurant a dû fermer, ce qui a occasionné une perte immédiate de son chiffre d'affaires.
Par courrier du 17 septembre 2020, la société Axa a proposé un avenant au contrat, excluant toute prise en charge au titre de la perte d'exploitation liée à la pandémie de covid.
Par courrier du 22 octobre 2020, la société Axa a pris acte du défaut d'acceptation de l'avenant et a résilié unilatéralement le contrat multirisque professionnel n°7230535804/E.
La société [V] Le Nord a entendu faire jouer la garantie souscrite au titre des pertes d'exploitation de son contrat, par des démarches amiables qui n'ont pas abouti.
Par acte du 21 janvier 2021 elle a fait assigner la société Axa en référé devant le tribunal de commerce de Chaumont.
Par ordonnance du 15 février 2021, le juge des référés a décidé de renvoyer l'affaire devant la formation collégiale du tribunal sur le fondement de l'article 873-1 du code de procédure civile.
Par jugement du 5 juillet 2021, le tribunal de commerce de Chaumont a :
- Jugé recevable et partiellement bien fondée la société [V] Le Nord en sa demande,
- Dit la clause d'exclusion non écrite et condamné la société Axa à garantir la société [V] Le Nord au titre de sa perte d'exploitation,
- Condamné la société Axa France Iard à payer à la société [V] Le Nord la somme provisionnelle de 30 000 euros à valoir sur l'indemnité définitive qui sera évaluée par une expertise judiciaire, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la signification du jugement,
- S'est réservé le pouvoir de liquider l'astreinte,
- Ordonné une mesure d'instruction, désignant M. [E] [F], en qualité d'expert judiciaire, avec pour mission de déterminer les pertes d'exploitation de la société [V] Le Nord, garanties contractuellement, pendant la période de fermeture administrative prescrite par les mesures réglementaires prises pour faire face à l'épidémie de covid-19,
- Sursis à statuer sur le montant définitif de l'indemnisation pour perte d'exploitation dans l'attente du rapport de l'expert, l'application de l'article 700 du code de procédure civile, et les dépens.
La SA Axa France a relevé appel dudit jugement par déclaration au greffe du 03 août 2021.
Au terme de ses dernières conclusions d'appelante notifiées par voie électronique le 13 décembre 2022, la SA Axa France demande à la cour, au visa des articles 1103, 1170 et 1192 du code civil et L. 113-1 et L. 121-1 du code des assurances, de :
- Déclarer recevable et bien-fondé son appel et y faisant droit :
A titre principal,
- Infirmer le jugement du 5 juillet 2021 du tribunal de commerce de Chaumont en ce qu'il :
o a dit la clause d'exclusion non écrite et l'a condamnée à garantir la société [V] Le Nord au titre de sa perte d'exploitation,
o l'a condamnée à payer à la Société [V] Le Nord la somme provisionnelle de 30 000 euros à valoir sur l'indemnité définitive qui sera évaluée par une expertise judiciaire sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la signification du présent jugement,
o s'est réservé le pouvoir de liquider l'astreinte,
o a ordonné une mesure d'instruction,
o a sursis à statuer sur le montant définitif de l'indemnisation pour perte d'exploitation dans l'attente du rapport de l'expert, l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.»
- Infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes tendant à juger de la validité de la clause d'exclusion,
- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Chaumont en ce qu'il a jugé qu'elle n'a pas manqué à son devoir d'information ou de conseil,
Statuant à nouveau,
- Juger que l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie est assortie d'une clause d'exclusion, qui est applicable en l'espèce,
- Juger que la clause d'exclusion respecte le caractère formel exigé par l'article L. 113-1 du code des assurances,
- Juger que cette clause d'exclusion ne vide pas l'extension de garantie de sa substance et respecte le caractère limité de l'article L113-1 du code des assurances et qu'elle ne prive pas son obligation essentielle de sa substance au sens de l'article 1170 du code civil,
En conséquence,
- Juger applicable en l'espèce la clause d'exclusion dont est assortie l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie,
- Débouter l'assurée de l'intégralité de ses demandes formées à son encontre et la condamner à lui restituer les sommes perçues au titre de l'exécution du jugement du 5 juillet 2021,
- Annuler la mesure d'expertise judiciaire ordonnée par le tribunal de commerce de Chaumont,
A titre subsidiaire,
- Si par extraordinaire la cour estimait que sa garantie était mobilisable ou qu'elle aurait engagé sa responsabilité en l'espèce :
- Juger que la preuve du montant des pertes d'exploitation correspondant à l'indemnité sollicitée n'est pas rapportée,
- Juger que la preuve du principe et du montant de la perte de chance correspondant à l'indemnité sollicitée n'est pas rapportée,
En conséquence,
- Débouter la société [V] Le Nord de sa demande de condamnation formulée à son encontre,
A titre plus subsidiaire,
- Ordonner la fixation de la mission de l'expert désigné par le tribunal de commerce de Chaumont comme suit :
* Se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission, notamment l'estimation effectuée par l'intimée et/ou son expert-comptable, accompagnée de ses bilans et comptes d'exploitation sur les trois dernières années,
* Entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l'issue de la première réunion avec les parties le calendrier possible de la suite de ses opérations,
* Examiner les pertes d'exploitation garanties contractuellement par le contrat d'assurance, sur une période maximum de trois mois et en tenant compte de la franchise de 3 jours ouvrés applicable,
* Donner son avis sur le montant des pertes d'exploitation consécutives à la baisse du chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité, comprenant le calcul de la perte de marge brute et déterminer le montant des charges salariales et des économies réalisées,
* Donner son avis sur le montant des aides/subventions d'Etat perçues par l'assurée,
* Donner son avis sur les coefficients de tendance générale de l'évolution de l'activité et des facteurs externes et internes susceptibles d'être pris en compte pour le calcul de la réduction d'activité imputable à la mesure de fermeture en se fondant notamment sur les recettes encaissées dans les semaines ayant précédé le 15 mars et le 29 octobre 2020.
En tout état de cause,
- Débouter l'assurée de toutes demandes, fins ou conclusions contraires au présent dispositif et de son appel incident,
- Condamner l'assurée à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.
Au terme de ses dernières conclusions d'intimée et d'appel incident notifiées par voie électronique le 27 janvier 2022, l'EURL [V] Le Nord demande à la cour, au visa des articles 1103 et 1104, dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016, du code civil, L 113-1, alinéa I et L 113-5 du code des assurances, L 131-1 du code des procédures civiles d'exécution, et 696 et 700 du code de procédure civile, de :
- Con'rmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Chaumont le 5 juillet 2021 en ce qu'il a :
- Jugé recevable et bien fondée sa demande,
- Dit non-écrite la clause d'exclusion de garantie au sein du contrat Multirisque Professionnelles n°7230535804/E,
- Condamné la société Axa France Iard à prendre en charge la perte d'exploitation qu'elle a subie entre le 15 mars et 2 juin 2020 puis du 30 octobre au 31 décembre 2020 au titre de la garantie perte d'exploitation du contrat Multirisque n°7230535804/E la liant à la société Axa,
- Déclarer recevable l'appel incident interjeté par elle,
Y faisant droit,
- Réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Chaumont le 5 juillet 2021,
Statuant à nouveau,
- Condamner la SA Axa France Iard à lui verser 131 685 euros sous astreinte de 100 euros par jour à compter de la signi'cation de la décision à intervenir et ce, pendant 60 jours, période au-delà de laquelle il sera fait à nouveau droit.
Subsidiairement,
- Constater que la société Axa France Iard a manqué à son obligation précontractuelle d'information ;
A titre plus in'niment subsidiaire,
- Ordonner une expertise a'n de chiffrer son préjudice exact tant commercial qu'économique, l'expert ayant notamment pour mission de :
* Evaluer le montant des dommages constitués par la perte de marge brute pendant la période d'indemnisation,
* Evaluer le montant des frais supplémentaires d'exploitation pendant la période d'indemnisation,
* Se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utiles à sa mission,
* Entendre tout sachant qu'il estimera utile,
* S'il l'estime nécessaire, se rendre sur place,
* Mener de façon strictement contradictoire ses opérations d'expertise, en particulier en faisant connaître aux parties, oralement ou par écrit, l'état de ses avis et opinions à chaque étape de sa mission puis un document de synthèse en vue de recueillir les dernières observations des parties avant une date ultime qu'il 'xera, avant le dépôt de son rapport,
* Rappeler aux parties, lors de l'envoi de ce document de synthèse, qu'il n'est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au-delà de cette date ultime ainsi que la date à laquelle il doit déposer son rapport,
En tout état de cause,
- Condamner la SA Axa France Iard à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
- Condamner la SA Axa France Iard aux dépens de l'instance,
- Rejeter toutes demandes contraires formulées par la société Axa et notamment sa demande en paiement.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour un exposé complet de leurs moyens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 15 décembre 2022.
Sur ce la cour
En préliminaire, la cour rappelle qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes de « juger que » qui ne constituent pas des prétentions susceptibles d'entraîner des conséquences juridiques au sens de l'article 4 du code de procédure civile, mais uniquement la reprise de moyens développés dans le corps des conclusions qui ne doivent pas, à ce titre, figurer dans le dispositif des écritures des parties.
Sur la mise en 'uvre de la garantie et la clause d'exclusion
Pour conclure à la réformation partielle du jugement déféré, la compagnie Axa oppose à son assuré la clause d'exclusion insérée aux conditions particulières du contrat d'assurance qui selon elle respecte le caractère formel et limité exigé par l'article L113-1 du code des assurances et ne vide pas l'extension de garantie de sa substance au sens de l'article 1170 du code civil.
Elle estime que la clause d'exclusion est claire et ne nécessite aucune interprétation, dès lors qu'elle ne laisse place à aucune incertitude quant à sa volonté d'écarter la garantie lorsque la décision de fermeture administrative affecte concomitamment, dans le même département et pour une même cause, notamment pour une cause d'épidémie, un autre établissement que celui de l'assuré.
Elle observe qu'aucun des termes employés par la clause d'exclusion ne relève d'un vocabulaire spécialisé, notamment celui de l'assurance et qu'ainsi la clause est aisément compréhensible par tous, même en l'absence de définition contractuelle du mot « épidémie », les critères de l'exclusion de la garantie étant indépendants de la cause à l'origine de la décision de fermeture administrative.
Elle ajoute que le caractère limité de la clause d'exclusion ne peut pas s'apprécier au seul regard de l'épidémie de covid-19 et qu'il convient de l'apprécier en fonction de ce qui subsiste de la garantie, une fois la clause d'exclusion mise en oeuvre, en rappelant que ce qui est garanti est le risque de fermeture administrative frappant individuellement chaque assuré.
Enfin, elle fait remarquer que la proposition d'avenant qu'elle a soumise à la signature de son assuré ne constitue pas un aveu d'inopposabilité de la clause litigieuse.
De son côté, pour obtenir la mise en 'uvre de la garantie contractuelle en cas de perte économique, la société [V] Le Nord soutient que les conditions contractuelles sont remplies et qu'elles ne conditionnent aucunement la fermeture de l'établissement à la présence de la maladie au sein de l'établissement.
Elle affirme que la clause d'exclusion ne s'applique pas au cas d'espèce car celle-ci suppose une succession dans le temps de fermetures administratives indépendantes les unes des autres mais liées par une cause identique alors qu'en l'espèce, les fermetures ont été concomitantes puisque nationales; qu'au demeurant la clause d'exclusion est réputée non écrite car elle contredit totalement la portée de l'obligation essentielle dès lors que d'un côté, la fermeture de l'établissement pour cause d'épidémie est contractuellement prévue au titre de la garantie et que de l'autre, les conséquences d'une telle épidémie sont exclues de la prise en charge.
Elle ajoute que la clause d'exclusion lui est inopposable en ce que l'absence de définition de la notion d'épidémie permet différentes interprétations et ne répond pas aux prescriptions de l'article L113-1 du code des assurances dès lors que cette clause revient à interdire toute prise en charge en cas de fermeture du fait d'une épidémie et que placer le curseur de la mise en jeu de la garantie à la fermeture d'un seul autre établissement est excessivement restrictif ; qu'en visant un cas d'exclusion de garantie tellement large, Axa a vidé la garantie de sa substance.
Elle fait observer enfin que l'avenant au contrat adressé par Axa, afin de supprimer par une clause d'exclusion, le risque de perte d'exploitation en cas de fermeture administrative pour maladie contagieuse ou épidémie, prouve que le risque était inclus dans les conditions particulières initiales comme le fait qu'Axa ait conclu à partir de l'été 2021 des transactions avec ses assurés.
En l'espèce, il est constant que la société [V] Le Nord a été contrainte d'arrêter son activité le 15 mars 2020 en raison de la fermeture administrative ordonnée par un arrêté du ministre de la santé du 14 mars 2020 pris dans le cadre de l'urgence sanitaire de sorte que la fermeture de son fonds de commerce a été imposée par une décision émanant d'une autorité administrative compétente, extérieure à l'assurée, et motivée par la lutte contre la propagation du virus Covid-19, transmettant une maladie contagieuse à l'origine d'une épidémie.
Les conditions d'application de la garantie « pertes d'exploitation » souscrite sont donc réunies.
La clause d'exclusion opposée par la compagnie Axa prévoit que ne sont pas garanties les pertes d'exploitation lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique.
Il est certain que la décision ayant conduit à la fermeture du bar-restaurant de la société [V] Le Nord a contraint à la fermeture de très nombreux autres fonds de commerce, notamment de restauration, dans le département de la Côte d'Or, si bien que cette clause
d'exclusion a en l'espèce vocation à s'appliquer, sous réserve de sa validité contestée par l'intimée.
L'article L113-1 du code des assurances prévoit que les clauses d'exclusion de garantie qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque doivent être formelles et limitées.
Il doit être relevé, à titre liminaire, que le caractère formel et limité de la clause litigieuse doit s'apprécier au seul regard des stipulations du contrat dans lequel elle figure, sans aucun égard pour les modifications envisagées voire effectivement apportées à ce contrat.
Une clause d'exclusion n'est pas formelle lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation.
En l'espèce, il est exact que la clause d'exclusion de garantie renvoie nécessairement par la mention « cause identique » à la clause de garantie et à l'événement ayant conduit à la décision de fermeture administrative.
Toutefois, cet événement, en l'espèce une épidémie, est sans influence sur la mise en oeuvre de l'exclusion de garantie, laquelle ne dépend que de la circonstance suivante : un autre établissement que celui de l'assuré est, dans le même département fermé en exécution d'une décision administrative fondée sur le même événement que la décision s'imposant à l'établissement de l'assuré.
Ainsi, l'absence de définition contractuelle du mot «épidémie», voire son ambiguïté, est sans incidence sur la compréhension de la clause d'exclusion.
Une clause d'exclusion n'est pas limitée lorsqu'elle vide la garantie de sa substance, en ce qu'après son application elle ne laisse subsister qu'une garantie dérisoire.
En l'espèce, la garantie couvre le risque de pertes d'exploitation consécutives, non pas à une épidémie, mais à une décision de fermeture administrative ordonnée à la suite de l'un des cinq événements suivants : une maladie contagieuse, un meurtre, un suicide, une épidémie, une intoxication.
En conséquence, quand bien même la clause d'exclusion de garantie aurait pour effet de ne pas garantir les pertes d'exploitation consécutives à une décision de fermeture administrative ordonnée en raison d'une épidémie, au sens commun du terme ou telle celle du Covid-19, elle maintient dans le champ de la garantie les pertes d'exploitation consécutives à une décision de fermeture administrative motivée par l'un des quatre autres événements ou survenue dans d'autres circonstances que celles prévues par la cause d'exclusion, notamment dans l'hypothèse d'une épidémie circonscrite aux personnes ayant fréquenté un seul et même établissement, hôtelier par exemple : cf Civ 2ème 1er décembre 2022 n°21-15.392, 21-19.341, 21-19.342, 21-19.343.
Il résulte de tout ce qui précède qu'il convient d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré la clause d'exclusion litigieuse non écrite, condamné Axa à garantir la société [V] le Nord au titre de ses pertes d'exploitation, à lui verser une indemnité provisionnelle et ordonné une expertise afin de déterminer lesdites pertes d'exploitation.
La décision de réformation constitue à elle seule un titre permettant la restitution des fonds versés en exécution de la décision infirmée sans qu'il soit nécessaire d'ordonner cette restitution.
Sur le manquement au devoir d'information
A titre subsidiaire, la société [V] Le Nord reproche à la compagnie Axa d'avoir manqué à son devoir d'information en ce que le contrat ne contient pas de définition des notions centrales dont celle d'épidémie et qu'elle ne pouvait ainsi appréhender le sens et la portée de la clause d'exclusion relative à la perte d'exploitation par défaut d'information, alors au demeurant que préalablement à la souscription du contrat, M. [V] a rempli un questionnaire détaillé afin que le contrat proposé par Axa soit adapté à ses attentes et qu'il a répondu « oui » à la question de savoir s'il souhaitait être protégé des conséquences financières de l'arrêt de l'activité pour les pertes d'exploitation de sorte qu'il croyait de façon légitime être couvert au titre des conséquences financières de l'arrêt de l'activité.
La société Axa, de son côté, fait valoir que, par l'intermédiaire de son agent général, elle a parfaitement respecté ses obligations en ayant transmis une fiche d'informations préalable, signée par la société [V] le Nord, précisant que l'agent général n'a pas à attirer l'attention de l'assuré lors de la souscription du contrat sur une clause claire prévoyant une exclusion de garantie.
Selon l'article 112-2 du code des assurances, l'assureur doit obligatoirement fournir une fiche d'information sur le prix et les garanties avant la conclusion du contrat. Avant la conclusion du contrat, il remet à l'assuré un exemplaire du projet de contrat et de ses pièces annexes ou une notice d'information sur le contrat qui décrit précisément les garanties assorties des exclusions, ainsi que les obligations de l'assuré.
L'article 1112-1 du code civil prévoit que « celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant (...) »
En l'espèce, la société [V] Le Nord produit en pièce n°1 un document intitulé «information préalable à la proposition de votre contrat d'assurance Multirisque Professionnelle » établi en application des articles L.112-3 et L.113-2 du code des assurances relatif à la déclaration du risque que l'intimée a signé, et qui consigne sur deux pages les questions sur lesquelles elle a été interrogée par l'agent d'assurance avant la souscription.
Ce document, d'une part, précise les caractéristiques de son activité et des locaux dans lesquels elle l'exerçait, et, d'autre part, consigne ses besoins, attentes et souhaits quant aux risques pour lesquels elle souhaitait être garantie.
L'intimée y certifie qu'au cours de ses échanges avec son agent général, elle a exposé sa situation personnelle et communiqué les éléments nécessaires à l'établissement d'une proposition d'assurance en cohérence avec ses besoins et exigences, et que lui avaient été remis avant la souscription du contrat un document d'informations sur le produit d'assurance, le questionnaire de déclaration de risque, l'information sur le tarif et les conditions générales.
Il est constant qu'au terme de ce document, l'intimée a répondu « oui » à la question relative à son souhait d'être garantie au titre de la perte d'exploitation et pertes de revenus.
Or, le contrat proposé et souscrit couvre bien l'assuré contre une perte d'exploitation consécutive à la fermeture totale ou partielle liée à une décision administrative, ce qui suffit à établir que la compagnie Axa a rempli son devoir de conseil pour ce qui est de la protection contre le risque réalisé, et à retenir qu'elle n'a pas engagé sa responsabilité pour manquement à ce titre, la question de la clarté ou de la portée de la garantie ainsi souscrite ne relevant pas de la question du respect de cette obligation.
Il ne saurait être reproché à Axa France Iard d'avoir manqué à ses obligations en ne proposant pas une garantie couvrant les pertes d'exploitation consécutives, spécifiquement, à une épidémie de coronavirus qui, faute de précédent depuis quasiment un siècle en Europe, constituait un risque trop hypothétique pour qu'il ait été fautif de ne pas l'avoir envisagé, que ce fût pour le couvrir ou pour l'exclure expressément.
Au surplus, l'intimée ne rapporte pas la preuve du préjudice qu'elle allègue, faute de justifier d'aucun élément propre à établir qu'elle aurait été intéressée par une telle assurance si celle-ci lui avait été proposée et qu'elle aurait ainsi perdu une chance de la souscrire, alors que c'est rétrospectivement qu'elle fait état de l'intérêt de se garantir contre un tel risque, qui n'était pas, ou très marginalement, couvert par les polices en vigueur, et auquel rien ne persuade qu'elle aurait été sensible.
En conséquence c'est de manière tout à fait adaptée que les premiers juges ont débouté la société [V] Le Nord de sa demande de dommages-intérêts fondée sur le manquement au devoir d'information.
Sur les demandes accessoires
Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d'appel doivent être supportés par la société [V] Le Nord.
Si les conditions d'application de l'article 700 du code de procédure civile sont réunies tant en première instance qu'en cause d'appel en faveur de la société Axa, les circonstances particulières de l'espèce et l'équité conduisent la cour à laisser à sa charge l'intégralité des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés.
Par ces motifs,
La cour,
Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté la société [V] Le Nord de sa demande de dommages-intérêts sur le fondement du manquement au devoir d'information,
Statuant à nouveau sur le surplus et ajoutant,
Déboute l'EURL [V] Le Nord de sa demande de condamnation formée à l'encontre d'Axa France Iard au titre de la garantie « Perte d'exploitation » et de toutes ses autres demandes,
Rappelle que le présent arrêt vaut titre de restitution des sommes versées au titre de l'exécution provisoire du jugement infirmé,
Condamne l'EURL [V] Le Nord aux dépens de première instance et d'appel,
Dit n'y avoir lieu à aucune application de l'article 700 du code de procédure civile,
Le Greffier, Le Président,