KG/CH
S.A.S. [9], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice domiciliés de droit au siège social
C/
[V] [S]
Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Haute-Marne
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 27 AVRIL 2023
MINUTE N°
N° RG 20/00403 - N° Portalis DBVF-V-B7E-FRXH
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Pôle social du Tribunal Judiciaire de CHAUMONT, décision attaquée en date du 31 Juillet 2020, enregistrée sous le n° 19/00172
APPELANTE :
S.A.S. [9], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice domiciliés de droit au siège social
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Me Sophia BEKHEDDA, avocat au barreau de DIJON, et Me Sabrina KEMEL, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Sofiane KECHIT, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
[V] [S]
[Adresse 5]
[Localité 3]
représenté par Me Guillaume BERNARD de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Haute-Marne
[Adresse 2]
[Adresse 10]
[Localité 4]
représenté par Mme [R] [F] (Chargée d'audience) en vertu d'un pouvoir général
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 Février 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Katherine DIJOUX-GONTHIER, Conseiller chargé d'instruire l'affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
Olivier MANSION, Président de chambre,
Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,
Katherine DIJOUX-GONTHIER, Conseiller,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [S] a été employé, du 8 mars 1976 au 31 décembre 1994, en qualité d'opérateur de fabrication, sur un site de fonderie exploité par la société [7] aux droits de laquelle est venue la société [9] (la société).
Le 14 décembre 2017, il a souscrit une déclaration de maladie professionnelle accompagnée d'un certificat médical du même jour décrivant des plaques pleurales- asbestose probable.
Le 30 mars 2018, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Haute-Marne lui a notifié sa décision de prendre en charge au titre de la législation sur les risques professionnelles sa maladie qualifiée de plaques pleurales étant inscrite au tableau n° 30 des maladies professionnelles au titre des affections professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante.
Par décision en date du 5 juin 2018, la CPAM lui a attribué une indemnité fondée sur la reconnaissance d'un taux d'incapacité permanente partielle de 5%.
Suite à l'absence de conciliation auprès de la commission de recours amiable de la caisse, afin d'obtenir la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, M. [S] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Chaumont qui, par décision en date du 31 juillet 2020 a :
- déclaré recevable l'action engagée par M. [S],
- dit que la maladie professionnelle dont est atteint M. [S] en rapport à des plaques pleurales et ressortant au tableau n° 30 des maladies professionnelles est la conséquence de la faute inexcusable de son ancien employeur, la société [9], laquelle venant en outre à cet effet aux droits de la société [8],
en conséquence,
- fixé au maximum la majoration de la rente d'incapacité allouée à M. [S],
- dit que cette majoration suivra l'évolution du taux d'incapacité en cas d'aggravation de l'état de santé de M. [S] dans la limite des plafonds prévus par l'article L 452-2 du code de la sécurité sociale,
- fixé les préjudices personnels de M. [S] comme suit :
* souffrances physiques : 10 000 euros
* souffrances morales : 20 000 euros
* préjudice d'agrément : 5 000 euros
- dit que conformément à l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale, la majoration d'indemnité ainsi que la réparation des préjudices de M. [S] intervenant sur le fondement de la présente action, seront avancées à celui-ci par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne pour cette dernière, recours contre l'employeur reconnu responsable,
- condamné par ailleurs la société [9] à payer à M. [S] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Par déclaration enregistrée le 6 novembre 2020, la SAS [9] a relevé appel de cette décision.
Dans le dernier état de ses conclusions notifiées par voie électronique le 18 janvier 2021 à la cour et reprises à l'audience sans ajout ni retrait au cours des débats, elle demande à la cour de :
- réformer le jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Chaumont en ce qu'il a fixé l'indemnisation des préjudices de M. [S] comme suit :
* souffrances physiques : 10 000 euros
* souffrances morales : 20 000 euros
* préjudice d'agrément : 5 000 euros
statuer à nouveau et :
- dire que les préjudices de souffrance physiques et souffrances morales ne forment qu'un seul et même préjudice et réduire à de plus juste proportions le montant alloué par le tribunal des affaires de sécurité sociale,
- débouter M. [S] de sa demande au titre des préjudices liés aux souffrances morales et au préjudice d'agrément si l'intimé demande confirmation du jugement sur ce dernier point,
- débouter M. [S] de sa demande éventuelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 25 janvier 2023, et reprises à l'audience sans ajout ni retrait au cours des débats, M. [V] [S] demande à la cour de :
à titre principal,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
à titre subsidiaire,
- confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a fixé l'indemnisation des préjudices qu'il a subis selon les modalités suivantes :
* réparation de la souffrance physique : 10 000 euros
* réparation de la souffrance morale : 20 000 euros
statuant à nouveau,
- fixer l'indemnisation du préjudice de souffrances qu'il a endurées par l'allocation de la somme de 30 000 euros,
en tout état de cause,
- condamner la société [9] à lui payer une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et aux entiers dépens.
Par ses dernières écritures reçues à la cour le 1er février 2023, la CPAM de la Haute-Marne demande à la cour de :
- constater qu'elle s'en remet à prudence de justice concernant l'existence de la faute inexcusable de l'employeur,
- condamner la société [9] à garantir le remboursement des sommes versées par elle dans le cas où la faute inexcusable serait reconnue.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.
MOTIFS
Il convient de rappeler que l'appel de la société est limité aux dispositions du jugement relatives à la fixation des sommes allouées en réparation des souffrances physiques, des souffrances morales et du préjudice d'agrément.
- Sur les souffrances physiques et morales
La société fait valoir que le quantum fixé par les premiers juges en réparation du préjudice des souffrances physiques et morales est trés éloigné de celui alloué par les juridictions et que le poste de préjudice lié à la souffrance physique et celui lié à la souffrance morale relèvent en réalité d'un seul et même préjudice, global, et ne peuvent faire l'objet d'indemnisations distinctes.
M. [S] soutient que les souffrances physiques et morales peuvent être indemnisées de façon distincte comme le précise l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale et l'arrêt de la Cour de cassation en date du 20 janvier 2023 et que les préjudices subis sont bien la conséquence des plaques pleurales et des épaississements pleuraux.
En cas de faute inexcusable, la victime bénéficie, conformément aux articles L. 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale figurant au livre IV de ce code, d'une majoration de la rente ne pouvant excéder certains plafonds et de la réparation de préjudices complémentaires, prévus à l'article L. 452-3, comprenant les souffrances physiques et morales endurées, les préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que la perte ou la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.
Il est jugé que la victime ou ses ayants droit n'ont plus à démontrer que les souffrances endurées n'avaient pas été indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent dans le cadre de la rente attribuée.
En l'espèce, M. [S], âgé de 63 ans, a souscrit une déclaration de maladie professionnelle le 14 septembre 2017 à la suite d'un scanner thoracique du même jour qui indique "plaques pleurales dont certaines sont calcifiés, adénomégalie médiastino-hilaires calcifiées et aspect de pneumopathie infiltrante microbodulaire sans caractère fibrosant formel, évoquant une possible asbestose".
Le certificat médical initial du docteur [Y] en date du 14 septembre 2017 et celui du 6 mars 2018 (pièces n° 7 et 8 ) mentionnent les mêmes séquelles pulmonaires.
Il a subi une exploration fonctionnelle respiratoire le 14 février 2018 (pièce n° 12) mais aucune interprétation médicale n'est produite à ce titre et donc la cour ne peut apprècier les résultats.
La CPAM a attribué un taux d'incapacité permanent à 5 % en tenant compte de ses séquelles et a réglé une indemnité forfaitaire en capital de 1 958,18 euros et une rente annuelle de 4 250,12 euros.
Les séquelles de l'affection ne sont décrites que par les attestations des proches de M. [S], faisant état de séquelles physiques et morales à savoir qu'il s'essoufle au moindre effort, qu'il est trés fatigué et ne pratique plus ses activités sociales et familiales (bricolage, jardinage et promenade avec les petits enfants) et qu'il déprime et se renferme sur lui-même.
S'agissant des souffrances physiques :
Il est établi que M. [S] a des difficultés respiratoires et n'a aucun traitement lourd et invasif.
S'agissant des souffrances morales : Elles sont plus importantes en raison des répercussions de la maladie sur son psychisme, du sentiment de diminution physique et de la crainte élevée de développer un cancer broncho-pulmonaire chez les personnes atteintes d'asbestose, avec un risque de diminution d'espérance de vie.
Il ne fait pas état d'un suivi psychologique.
Il convient de fixer l'indemnité au titre de la réparation des souffrances physiques à la somme de 7 500 euros et au titre de la réparation des souffrances morales à la somme de 7 500 euros.
Le jugement sera donc infirmé sur ce chef.
- Sur le préjudice d'agrément
La société soutient que le salarié n'apporte pas la preuve d'un préjudice indemnisable à ce titre.
M. [S] indique qu'il ne peut plus pratiquer de randonnée, de danse et de bricolage.
Le préjudice d'agrément est constitué par l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs.
Il incombe à celui qui s'en prévaut d'établir un préjudice à ce titre.
Les attestations de Mme [I] et de M.[N] ainsi que les membres de la famille de M. [S], sa femme et sa fille permettent de retenir que M. [S] ne peut plus pratiquer les activités de marche, de bricolage et de danse en raison d'une fatigue, d'essouflement qui l'empêche de participer avec sa famille et ses amis les activités précitées.
Il en résulte la preuve d'un préjudice indemnisable dont la réparation sera fixée à la somme de 5 000 euros, ce qui implique la confirmation du jugement.
- Sur les autres demandes
La demande de la CPAM est sans objet, l'appel étant limité aux dispositions du jugement relatives à la fixation des sommes allouées en réparation des souffrances physiques, des souffrances morales et du préjudice d'agrément.
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société à verser à M. [S] la somme de 2 000 euros.
La société supportera les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par décision contradictoire, dans les limites de l'appel,
INFIRME le jugement en date du 31 juillet 2020 en ce qui fixe les préjudices personnels de M. [S] comme suit :
- souffrances physiques: 10 000 euros
- soufffrances morales: 20 000 euros,
Statuant à nouveau :
Fixe la réparation de ces préjudices subis par M. [S] à la somme de 7 500 euros pour les souffrances physiques et à la somme de 7 500 euros pour les souffrances morales,
CONFIRME la réparation du préjudice d'agrément allouée à M. [S],
Y ajoutant :
- Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société [9] à verser à M. [S] la somme de 2 000 euros,
- Condamne la société [9] aux dépens d'appel.
Le greffier Le président
Frédérique FLORENTIN Olivier MANSION