DLP/CH
Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Haute-Marne (CPAM)
C/
[B] [P]
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 23 MARS 2023
MINUTE N°
N° RG 20/00440 - N° Portalis DBVF-V-B7E-FR3R
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Pôle social du Tribunal Judiciaire de CHAUMONT, décision attaquée en date du 31 Juillet 2020, enregistrée sous le n° 18/00008
APPELANTE :
Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Haute-Marne (CPAM)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par M. [O] [R] (Chargé d'audience) en vertu d'un pouvoir général
INTIMÉE :
[B] [P]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Céline GROMEK de la SCP BOCQUILLON-BOESCH-GROMEK, avocat au barreau de la HAUTE-MARNE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 Février 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller chargé d'instruire l'affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller, Président,
Olivier MANSION, Président de chambre,
Katherine DIJOUX-GONTHIER, Conseiller,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
Mme [P] a été engagée par la société [5] en 1975.
Après avoir occupé un poste de conditionneuse opératrice jusqu'en 1992, elle a exercé la fonction d'assistante de chef d'équipe.
Le 24 novembre 2004, elle a été victime d'un accident qui lui a occasionné un traumatisme au genou droit nécessitant des soins, mais au titre duquel aucun arrêt de travail n'a été prescrit.
Cet accident est survenu sur un état antérieur, constaté en 2003 et résultant d'un syndrome méniscal interne consécutif à un traumatisme de ce genou alors pris en charge au titre de la maladie ordinaire.
Au cours de l'année 2014, les douleurs se sont intensifiées et ont justifié des investigations médicales, dont une arthroscopie réalisée en septembre 2014. Cet examen a permis d'observer un ménisque externe dégénératif, une chondropathie fémoro-tibiale de stade III et une chronopathie rotulienne de stade II.
Un traitement médical a été mis en oeuvre, impliquant notamment une viscosupplémentation par voie d'injection, la prescription d'antalgiques, ainsi qu'une rééducation fonctionnelle au moyen de nombreuses séances de kinésithérapie.
Une complication tenant à une algodystrophie a été parallèlement diagnostiquée par scintigraphie osseuse le 10 décembre 2014.
Une IRM de contrôle du genou droit, réalisée le 4 juin 2015, a permis de constater une plage d'hypersignal au niveau du plateau tibial externe, d'importants remaniements de type gonarthrosique au niveau du compartiment externe, une dégénérescence méniscale interne et externe ainsi qu'un épanchement liquidien.
Par avis médical du 2 juillet 2015, le docteur [L] n'a retenu aucune indication chirurgicale, mais sur le plan de l'incidence professionnelle, a conseillé un poste aménagé évitant le port de charges et un mi-temps thérapeutique.
Un arrêt maladie pour la lésion au genou droit a été délivré à Mme [P] à compter du 29 juillet 2015 et des indemnités journalières lui ont été subséquemment versées, d'abord au titre d'un temps complet du 29 juillet 2015 au 10 novembre 2015, puis au titre d'un mi-temps thérapeutique du 11 novembre 2015 au 17 avril 2016.
Le médecin-conseil de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne (la CPAM) a estimé que l'arrêt de travail n'était plus médicalement justifié à partir du 2 septembre 2015, ce dont Mme [P] (l'assurée) a été informée.
Celle-ci a contesté le bien-fondé de cette décision et une expertise a été diligentée le 12 novembre 2015 en application des dispositions de l'artcile L. 141-1 du code de la sécurité sociale, confiée au docteur [K], avec mission de : "dire si l'état de santé Mme [P] peut être considéré comme stabilisé en date du 2 septembre 2015 et, si oui, si sa capacité de travail restant est inférieure à 1/3, en ne tenant compte que des pathologies non indemnisées dans le risque accident du travail/maladie professionnelle".
Au terme de son rapport d'expertise établi le 11 mai 2016, le docteur [K] a confirmé, en substance, la position du médecin-conseil. La CPAM a, dès lors, notifié à l'assurée, le 15 juin 2016, un indu de 7 056,04 euros au titre des indemnités journalières versées sur la période du 2 septembre 2015 au 17 avril 2016, ladite notification valant mise en demeure de payer.
Le 18 juillet 2016, Mme [P] a saisi la commission de recours amiable de la CPAM en contestation de cette notification d'indu, laquelle a, par décision du 20 septembre 2016, confirmé la décision contestée et rejeté la demande formée par l'assurée.
Par requête déposée le 19 octobre 2016, Mme [P] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociales d'un recours à l'encontre de cette décision.
Par jugement avant-dire-droit du 15 novembre 2017, le tribunal a ordonné une expertise médicale de l'assurée et désigné le docteur [Y] pour y procéder lequel a déposé son rapport le 13 mars 2018, contesté par Mme [P]. Cette dernière a conséquemment demandé au tribunal, à titre principal, la mise en oeuvre d'une contre-expertise sur le fondement de la même mission et, subsidiairement, dans l'hypothèse où il serait fait droit à la demande en restitution d'indu de la CPAM, de faire application des dispositions de l'article 1302-3 alinéa 3 du code civil. Elle a sollicité que le montant de l'indu réclamé soit réduit à de plus justes proportions au regard des fautes commises par l'organisme de sécurité sociale à l'origine de cet indu et des conséquences pour elle de l'obligation de rembourser tenant à l'importance de la créance.
Par jugement du 31 juillet 2020, le tribunal a retenu que l'état de Mme [P], en rapport à une méniscectomie par arthroscopie du genou droit, était consolidé à la date du 2 septembre 2015, que les arrêts de travail délivrés sur le fondement de cette maladie à compter de cette date n'étaient plus médicalement justifiés et a fixé le montant de l'indu à la somme de 7 056,04 euros. Il a cependant condamné Mme [P] à régler de ce chef la somme de 2 056,04 euros du fait de la légèreté blâmable de la caisse résultant du temps écoulé avant qu'elle n'intervienne qui aurait concouru à l'importance du montant de l'indu.
Par déclaration enregistrée le 16 novembre 2020, la CPAM a interjeté appel de cette décision.
Par ses dernières écritures reçues à la cour le 20 août 2021 et reprises à l'audience sans ajout ni retrait au cours des débats, elle demande à la cour de :
- confirmer la décision de la commission de recours amiable du 20 septembre 2016,
- homologuer le rapport d'expertise du 12 mars 2018 du docteur [Y],
- dire et juger qu'elle n'a commis aucune faute ou n'a fait preuve d'aucune légèreté blâmable,
Réformant en ce sens le jugement entrepris,
- constater le bien-fondé de l'indu notifié à Mme [P] et la condamner à lui verser la somme de 7 056,04 euros,
- rejeter l'ensemble des demandes formulées par Mme [P],
- condamner la même au paiement de la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ses dernières écritures notifiées reçues à la cour le 5 septembre 2022 et reprises à l'audience sans ajout ni retrait au cours des débats, Mme [P] demande à la cour de :
A titre principal,
- infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a dit que les arrêts de travail postérieurs au 2 septembre 2015 n'étaient pas médicalement justifiés et a dit qu'elle était tenue au remboursement d'un indu à ce titre à la CPAM,
Statuant à nouveau,
- débouter la CPAM de la Haute-Marne de sa demande injustifiée de remboursement d'indu,
A titre subsidiaire,
- ordonner une contre-expertise médicale et commettre tel expert qu'il plaira aux fins de l'examiner avec la mission qu'il plaira,
A titre infiniment subsidiaire, si par impossible la cour retenait l'existence d'un indu,
- réformer le jugement attaqué en ce qu'il a limité la réduction de l'indu à la somme de 5 000 euros,
- constater qu'en application de l'article 1302-3 alinéa 2 du code civil, la restitution de l'indu doit être réduite dans sa totalité puisque le paiement procédait d'une faute ou à tout le moins d'une légèreté blâmable de la CPAM,
En tout état de cause,
- condamner la CPAM de la Haute-Marne à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- laisser les entiers dépens à la charge de la CPAM.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
SUR LE BIEN-FONDÉ DE L'INDU
La CPAM prétend que l'indu est justifié par les conclusions médicales versées au dossier.
En réponse, Mme [P] fait valoir que les complications médicales ayant affecté son genou droit n'ont pas été prises en compte par l'expert judiciaire.
En vertu de l'article 1302 du code civil, tout paiement suppose une dette ; ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution. La restitution n'est pas admise à l'égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées.
L'article 1302-1 du même code ajoute que celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu.
Ici, l'expert [Y] conclut, par des termes clairs et précis, que l'état de santé de Mme [P] est consolidé depuis le 2 septembre 2015 de sorte que les arrêts de travail postérieurs, notamment le mi-temps thérapeutique du 11 novembre 2015 au 17 avril 2016, n'étaient pas médicalement justifiés. Il relève que les autres pathologies présentées par l'assurée (complication sceptique et algodystrophie séquellaire) ne sont pas de nature à modifier l'appréciation des seuils de reprise d'activité par l'effet additionnel ou cumulatif qu'elles pourraient avoir sur l'état physique de l'intéressée. Il ajoute que l'arrêt total de 12 mois a été bien au-delà des recommandations de la Haute autorité de la santé. Il considère également que Mme [P] ne peut prétendre à une invalidité dès lors que ses capacités ne sont pas réduites des 2/3.
Il en ressort une homogénéité des avis médicaux concernant la pathologie de Mme [P] qui ne rapporte pas la preuve contraire. Contrairement à ce qu'elle allègue, l'expert a bien pris en compte l'ensemble des éléments de son dossier médical et les complications invoquées. Les avis postérieurs dont elle se prévaut résultent des séances de kinésithérapie postérieures à février 2015 et émanent des médecins du travail qui ont validé son mi-temps thérapeutique sans toutefois argumenter leur décision qui ne peut, par suite, invalider les conclusions du médecin-conseil de la caisse corroborrées par celles de l'expert judiciaire.
En conséquence, la décision entreprise sera confirmée en ce qu'elle a fixé à 7 056,04 euros le montant de l'indu réclamé par la caisse au titre des indemnités journalières versées à Mme [P] pour la période du 2 septembre 2015 au 17 avril 2016 et en ce qu'elle a rejeté la demande de contre-expertise.
SUR LA RÉDUCTION DU MONTANT DE L'INDU À RAISON DE LA FAUTE IMPUTEÉ À LA CAISSE
La CPAM soutient n'avoir commis aucune faute, ni même aucune erreur dans le traitement du dossier de l'assurée de nature à justifier que le montant de l'indu soit réduit.
Mme [P] réplique que l'indu doit être réduit dans sa totalité en raison de la faute de la caisse dans la gestion de son dossier et de son erreur dans l'appréciation de sa situation médicale. Elle précise que si le mi-temps thérapeutique n'avait pas été accordé par les services de la caisse, celle-ci n'aurait pas eu à lui verser les indemnités journalières litigieuses et elle n'aurait elle-même pas à les lui rembourser. Or, elle considère que la CPAM pouvait disposer, dès l'origine, des données nécessaires pour apprécier correctement son état de santé et quelle aurait dû, en tout état de cause, être plus rapide dans l'exécution de ces mesures de vérification.
L'article 1302-3 alinéa 2 du code civil dispose que la restitution peut être réduite si elle résulte d'une faute.
Il est constant que la faute du solvens ne le prive pas de l'action en répétition de l'indu, sauf à déduire, le cas échéant, de la somme répétée, les dommages-intérêts destinés à réparer le préjudice résultant pour l'accipiens de la faute commise par le solvens.
Au cas présent, si l'erreur de la CPAM peut être admise a posteriori, justifiant du reste de l'action en répétition de l'indu, son caractère fautif n'est pas établi. En effet, la caisse n'a commis aucune erreur dans le versement des indemnités puisqu'elle n'a pas donné son accord pour le mi-temps thérapeutique de Mme [P] qui faisait suite à un arrêt maladie sans lien avec un accident du travail ou une maladie professionnelle et pour lequel le médecin-conseil n'avait donc pas à consentir. En outre, la seule transmission des arrêts de travail suffit à déclencher le paiement des indemnités journalières et la caisse suspend ce versement si le service médical estime que la prescription de l'arrêt de travail à temps partiel thérapeutique n'est plus médicalement constaté, ce qui a été le cas en l'espèce, étant observé que l'appréciation de la situation n'était manifestement pas évidente puisqu'il a fallu recourir à l'avis d'un expert judiciaire. Enfin, c'est dans le cadre d'un contrôle des arrêts de travail longue durée ayant donné lieu à convocation de Mme [P] le 8 juin 2016, que le médecin-conseil de la caisse a estimé que l'état de l'assurée était consolidé au 2 septembre 2015 et qu'il en est résulté que les indemnités journalières versées à compter de cette date jusqu'au 17 avril 2016 l'avaient été à tort. Une expertise a été réalisée le 11 mai 2016 qui a confirmé la position du médecin-conseil, conclusions notifiées par la CPAM le 2 juin suivant. Puis, par courrier du 15 juin 2016, la caisse a notifié à l'assurée l'indû réclamé. La CPAM justifie avoir réagi rapidement, dès qu'elle a eu connaissance de l'anomalie, de sorte qu'aucune notification tardive de l'indu ne peut lui être reprochée. Aucune omission ni aucune abstention fautive ne peut être retenue à son encontre.
Il en résulte que le jugement doit être réformé en ce qu'il a diminué le montant de la somme due à la caisse. Mme [P] doit, par conséquent, être condamnée à rembourser la somme de 7 056,04 euros.
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
Il n'y a pas lieu d'homolguer le rapport d'expertise.
La décision sera confirmée en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile mais infirmée sur les dépens.
Il n'y a pas lieu de statuer sur les dépens de première instance compte tenu de la date de la requête saisissant les premiers juges.
Les dépens d'appel seront, en revanche, supportés par Mme [P] qui succombe.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Dit n'y avoir lieu d'homologuer le rapport d'expertise du docteur [Y],
Confirme le jugement entrepris, sauf en ses dispositions relatives au montant de l'indu et aux dépens,
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,
Rejette la demande de réduction du montant de l'indu,
Condamne Mme [P] à payer à la CPAM de la Haute-Marne la somme de 7 056,04 euros au titre des indemnités journalièrse indument versées du 2 septembre 2015 au 17 avril 2016,
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes,
Dit n'y avoir lieu de statuer sur les dépens de première instance,
Condamne Mme [P] aux dépens d'appel.
Le greffier Le président
Frédérique FLORENTIN Delphine LAVERGNE-PILLOT