DLP/CH
[H] [M]
C/
SAS ELEA CORP prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité au siège social
S.E.L.A.R.L. AJ PARTENAIRES prise en la personne de Maître [X] ès-qualités d'administrateur judiciaire de la SARL ELEA CORP
S.E.L.A.R.L. [C] & [K] prise en la personne de Maître [C] ès-qualités de mandataire judiciaire de la société ELEA CORP
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 23 MARS 2023
MINUTE N°
N° RG 20/00090 - N° Portalis DBVF-V-B7E-FNZ4
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MACON, section Encadrement, décision attaquée en date du 06 Janvier 2020, enregistrée sous le n° 18/00209
APPELANTE :
[H] [M]
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Cédric MENDEL de la SCP MENDEL - VOGUE ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON, et Me Nicolas LAMBERT-VERNAY de la SELARL LAMBERT-VERNAY ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
SAS ELEA CORP prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité au siège social
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 7]
représentée par Me Renaud GIULY de la SAS C2RG, avocat au barreau d'ANNECY substitué par Me Valentin TREAL, avocat au barreau d'ANNECY, et Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON substituée par Me Harmonie TROESTER, avocat au barreau de DIJON
S.E.L.A.R.L. AJ PARTENAIRES prise en la personne de Maître [X] ès-qualités d'administrateur judiciaire de la SARL ELEA CORP
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Renaud GIULY de la SAS C2RG, avocat au barreau d'ANNECY substitué par Me Valentin TREAL, avocat au barreau d'ANNECY, et Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON substituée par Me Harmonie TROESTER, avocat au barreau de DIJON
S.E.L.A.R.L. [C] & [K] prise en la personne de Maître [C] ès-qualités de mandataire judiciaire de la société ELEA CORP
[Adresse 10]
[Adresse 10]
[Adresse 10]
[Localité 6]
représentée par Me Renaud GIULY de la SAS C2RG, avocat au barreau d'ANNECY substitué par Me Valentin TREAL, avocat au barreau d'ANNECY, et Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON substituée par Me Harmonie TROESTER, avocat au barreau de DIJON
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 07 Février 2023 en audience publique devant la Cour composée de :
Olivier MANSION, Président de chambre, Président,
Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,
Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,
qui en ont délibéré,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,
ARRÊT rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
Mme [M] a été engagée par contrat à durée indéterminée du 2 mai 2011 par la SAS Elea Corp au poste de responsable de magasin, statut employé. Elle exécutait alors ses missions sur la ville de [Localité 11] et percevait une rémunération mensuelle de 1 971,71 euros pour 151h64 mensuelles.
Deux avenants temporaires à ce contrat de travail ont été régularisés entre les parties les 11 janvier et 2 mars 2016 afin de renforcer les effectifs du magasin OIA Beauté à [Localité 8], puis ceux du magasin de [Localité 12].
Un avenant au contrat de travail a également été signé, le 2 novembre 2017, afin de promouvoir Mme [M] au poste de responsable de secteur dans les magasins OIA Beauté de [Localité 11] et de [Localité 9].
Le 10 septembre 2018, un nouvel avenant a été conclu prévoyant qu'à compter de cette date, Mme [M] occuperait le poste de responsable du seul magasin de [Localité 11] pour une durée de 37 heures hebdomadaires.
Mme [M] a été placée en arrêt de travail du 24 septembre au 13 octobre 2018.
Par mail du 11 octobre 2018, elle a dénoncé à la direction générale et aux principaux actionnaires les nombreux manquements qu'elle imputait à son employeur.
Le 29 novembre 2018, elle a adressé une mise en demeure à la société Elea Corp lui réclamant le statut cadre, un rappel de salaire afférent et le paiement d'heures supplémentaires.
Le 3 décembre 2018, après une visite médicale de reprise, le médecin du travail a délivré à Mme [M] un avis d'inaptitude définitive, en précisant que « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ».
Le 28 décembre 2018, la salariée a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement.
Elle a, le même jour, saisi le conseil de prud'hommes aux fins de voir :
- constater que la société Elea Corp s'était abstenue d'appliquer le statut de cadre nonobstant les tâches qui lui étaient dévolues,
- condamner la société Elea Corp à lui payer 29 846,49 euros, outre les congés payés afférents à hauteur de 2 984,64 euros,
- condamner la même à l'affilier à une caisse de retraite complémentaire des cadres en établissant les bulletins de salaires, le tout sous astreinte de 100 euros par jour,
- condamner la société Elea Corp à lui payer au titre des heures supplémentaires non rémunérées et des temps de trajet les sommes suivantes :
* 5 060,86 euros de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires,
* 506,08 euros au titre des congés payés afférents,
* 20 026 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,
* 2 250,85 euros à titre de compensation des temps de trajet,
- dire et juger qu'elle a subi un harcèlement moral ou, a minima, une exécution déloyale de son contrat de travail,
- condamner la société Elea Corp à lui payer une somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts,
A titre principal :
- prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de la société Elea Corp et, en conséquence, la condamner à lui payer les sommes suivantes :
* 10 013,40 euros à titre d'indemnité de préavis,
* 1 001,34 euros au titre des congés payés afférents,
* 344,79 euros à titre de solde d'indemnité conventionnelle de licenciement,
* 40 053,60 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou dénué de cause réelle et sérieuse,
A titre subsidiaire :
- dire et juger que son licenciement est nul ou a minima dépourvu de cause réelle et sérieuse et, en conséquence, condamner la société Elea Corp à lui verser la somme de 40 053,60 euros à titre de dommages et intérêts, ainsi que la somme de 10 013,60 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et la somme de 1 001,34 euros de congés payés afférents,
- condamner la société Elea Corp à lui remettre les bulletins de salaire, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi,
- ordonner l'exécution provisoire de l'entier jugement devant être rendu et, à titre subsidiaire, fixer la moyenne des 3 derniers mois de salaires à la somme mensuelle brute de 3 337,80 euros,
- condamner la société Elea Corp à lui payer une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Le 2 janvier 2019, Mme [M] s'est vue notifier son licenciement pour inaptitude.
Par jugement du 6 janvier 2020, le conseil de prud'hommes :
- dit que la société Elea Corp devait appliquer le statut cadre de la convention collective de la parfumerie esthétique (n° 3123) à Mme [M],
- condamne la société Elea Corp à payer à Mme [M] la somme de 29 846,49 euros, outre 2 984,64 euros de congés payés afférents,
- condamne la société Elea Corp à affilier Mme [M] à une caisse complémentaire des cadres pour la période allant du 2 mai 2011 jusqu'à sa date de sortie des effectifs en établissant également des bulletins de salaires, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi rectifiés,
- déboute Mme [M] de ses demandes d'astreinte,
- déboute Mme [M] de sa demande de rappel de salaire relative à des heures supplémentaires et à des temps de trajet,
- déboute Mme [M] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral ou exécution déloyale de son contrat de travail,
- dit que son licenciement pour inaptitude est justifié par une cause réelle et sérieuse,
- déboute Mme [M] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail,
- déboute la société Elea Corp de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamne la société Elea Corp à payer à Mme [M] la somme de 750 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par déclaration enregistrée au greffe le 13 février 2020, Mme [M] a relevé appel de cette décision.
Par ordonnance du 3 décembre 2020, le conseiller de la mise en état a déclaré recevables comme non prescrites les demandes formées par Mme [M] au titre de sa classification au statut cadre, du rappel de salaire afférent et de son affiliation à une caisse de retraite complémentaire des cadres.
Par arrêt du 18 mars 2021, la cour statuant sur déféré de ladite ordonnance l'a confirmée et a rejeté les demandes de la société Elea Corp.
Par jugement du 6 juillet 2021, le tribunal de commerce de Chambéry a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Elea Corp et nommé la SELARL AJ Partenaires (Maître [X]) en qualité d'administrateur judiciaire et la SELARL Étude [C] & [K] (Maître [C]) en qualité de mandataire judiciaire.
Dans ses conclusions au fond notifiées par voie électronique le 4 décembre 2020, Mme [M] demande à la cour de :
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
* dit que la société Elea Corp devait lui appliquer le statut cadre de la convention collective de la parfumerie esthétique,
* condamné la société Elea Corp à lui payer la somme de 29 846,49 euros, ainsi que les congés payés afférents à hauteur de 2 984,64 euros,
* condamné la société Elea Corp à l'affilier à une caisse complémentaire des cadres pour la période allant du 2 mai 2011 jusqu'à sa date de sortie des effectifs en établissant également des bulletins de salaire, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi rectifiés,
* condamné la société Elea Corp à lui payer une somme de 750 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- infirmer le jugement déféré pour le surplus et, statuant à nouveau,
* dire et juger qu'elle a accompli des heures supplémentaires qui ne lui ont pas été réglées,
* dire et juger qu'elle est bien fondée dans sa demande de rappel de salaire au titre des temps de trajet,
* dire et juger qu'elle a été victime de harcèlement moral,
En conséquence,
* prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de la société Elea Corp à effet au 2 janvier 2019, laquelle doit emporter les conséquences d'un licenciement nul,
* condamner la société Elea Corp à lui payer les sommes suivantes :
. rappel de salaire au titre des heures supplémentaires : 5 060,86 euros bruts,
. congés payés afférents : 506,08 euros bruts,
. compensation au titre des temps de trajet : 2 250,85 euros nets,
. indemnité pour travail dissimulé : 20 026 euros nets,
. dommages et intérêts pour harcèlement moral : 40 000 euros nets,
. dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité au travail : 10 000 euros nets,
. indemnité compensatrice de préavis : 10 013,40 euros bruts,
. congés payés afférents : 1 001,34 euros bruts,
. solde d'indemnité conventionnelle de licenciement : 344,79 euros nets,
. dommages et intérêts pour licenciement nul : 40 053,60 euros nets,
Subsidiairement,
* dire et juger bien fondée la demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de la société Elea Corp à effet au 2 janvier 2019, laquelle doit emporter les conséquences d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
* condamner la société Elea Corp à lui payer les sommes suivantes :
. indemnité compensatrice de préavis : 10 013,40 euros bruts,
. congés payés afférents : 1 001,34 euros bruts,
. dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 40 053,60 euros nets,
En tout état de cause,
- condamner la société Elea Corp à lui remettre des bulletins de salaire, un certificat de travail ainsi qu'une attestation Pôle emploi établis en fonction des condamnations qui seront prononcées, le tout sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt devant intervenir,
Et, y ajoutant,
- condamner la société Elea Corp à lui payer une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Elea Corp aux dépens, tant de première instance que d'appel.
Par leurs écritures reçues au greffe le 28 novembre 2022, la société Elea Corp, son mandataire judiciaire pris en la personne de Maître [C] et son administrateur judiciaire, la SELARL AJ Partenaires (Maître [X]), tous deux intervenants volontaires, demandent à la cour de :
- fixer le salaire moyen de Mme [M] à la somme de 3 247,30 euros bruts,
A titre principal,
- infirmer le jugement déféré :
* en ce qu'il a dit qu'elle devait appliquer le statut cadre de la convention collective de la parfumerie esthétique à Mme [M],
* en ce qu'il l'a condamnée à payer à Mme [M] la somme de 29 846,49 euros, ainsi que les congés payés afférents à hauteur de 2 984,64 euros,
* en ce qu'il l'a condamnée à affilier Mme [M] à une caisse complémentaire des cadres pour la période allant du 2 mai 2011 à la date de sortie des effectifs en établissant également des bulletins de salaire, un certificat de travail, et une attestation Pôle emploi rectifiée,
* en ce qu'il l'a condamnée à régler à Mme [M] la somme de 750 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et rejeté sa demande sur le même fondement,
- statuant à nouveau, et sous réserves d'un pourvoi en cassation à l'encontre de l'arrêt rendu le 18 mars 2021 rejetant la fin de non-recevoir tirée de la prescription, débouter Mme [M] de ses demandes à ce titre ou, subsidiairement, limiter sa condamnation à la somme de 20 927,18 euros bruts,
- constater qu'elle n'est pas saisie de l'appel principal inscrit par Mme [M], l'effet dévolutif n'ayant pas opéré,
- subsidiairement, confirmer le jugement pour le surplus,
- à titre plus subsidiaire, si la cour devait juger que la demande de résiliation judiciaire est fondée, lui faire produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et limiter ses condamnations aux sommes suivantes :
* 5 659,14 euros à titre d'indemnité de préavis ou subsidiairement 6 538 euros bruts,
* 565,91 euros ou subsidiairement 653,80 euros de congés payés afférents,
* 9 742 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- si la cour devait considérer que la résiliation judiciaire doit produire les effets d'un licenciement nul, limiter la condamnation à titre de dommages et intérêts à la somme de 19 483,80 euros,
- débouter Mme [M] du surplus de ses demandes,
- subsidiairement, sur les heures supplémentaires, limiter ses condamnations aux sommes suivantes :
* pour 2016 : 331,74 euros bruts, outre les congés payés afférents,
* pour 2017 : 617,67 euros bruts, outre les congés payés afférents,
* pour 2018 : 191,52 euros bruts, outre les congés payés afférents,
- très subsidiairement, en cas d'application du coefficient 300 de la CCN, limiter les condamnations au titre des heures supplémentaires aux sommes suivantes :
* pour 2016 : 391,97 euros bruts outre les congés payés afférents,
* pour 2017 : 675,63 euros bruts outre les congés payés afférents,
* pour 2018 : 193,55 euros bruts outre les congés payés afférents,
En tout état de cause,
- condamner Mme [M] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel et celle de 3 000 euros au titre de la 1ère instance, ainsi qu'aux dépens d'appel.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
SUR L'EFFET DÉVOLUTIF DE L'APPEL
La société Elea Corp expose que la déclaration d'appel régularisée par Mme [M] n'indique pas qu'elle tend à l'annulation ou à l'infirmation du jugement, ni n'énonce les chefs de jugement critiqués mais se borne à lister les demandes qui seront formulées devant la cour. Elle en déduit que l'effet dévolutif n'a pu jouer et que la cour ne peut statuer que sur son propre appel incident et non pas sur les prétentions de la salariée.
Il est constant que seul l'acte d'appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement. Aussi, lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas.
En l'espèce, dans sa déclaration d'appel, Mme [M] sollicite la confirmation du jugement déféré sur les points du dispositif du jugement qu'elle liste précisément. S'agissant, en revanche, des points pour lesquels elle demande à la cour de statuer à nouveau, sa déclaration d'appel ne vise aucune demande d'infirmation, ni n'énonce les chefs du jugement critiqué mais se borne à lister ses prétentions qui seront soumises à la cour.
Il en résulte que la cour n'est saisie que de l'appel incident de la société Elea Corp portant sur l'application du statut cadre de la convention collective de la Parfumerie de détail et de l'esthétique, la demande en paiement de salaire afférente et l'affiliation de la salariée à la caisse complémentaire des cadres.
La cour confirme les autres dispositions du jugement portant sur le rejet de ses demandes d'astreinte, de résiliation judiciaire du contrat de travail, de paiement des indemnités subséquentes, de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, d'indemnité pour travail dissimulé, de compensation au titre des temps de trajet, de dommages et intérêts pour harcèlement moral et pour exécution déloyale du contrat de travail (manquement à l'obligation de sécurité).
SUR LA RECONNAISSANCE DU STATUT CADRE
Mme [M] recherche la reconnaissance du statut cadre de la convention collective de la Parfumerie de détail et de l'esthétique n° 3123 qu'elle estime devoir s'appliquer à la relation contractuelle. Elle en revendique le coefficient 300 et subséquemment, dans la limite de la prescription triennale relative aux demandes en répétition de salaire, le paiement d'un rappel de salaire à compter du 14 décembre 2015 jusqu'au 31 décembre 2018.
La société Elea Corp répond que cette convention collective ne lui est pas opposable dès lors qu'elle a été régulièrement dénoncée. Elle ajoute que Mme [M] ne remplit pas les critères pour bénéficier du statut cadre, son degré d'autonomie étant très limité. Subidiairement, à supposer que la convention collective s'applique, elle estime que la salariée relève du coefficient 270.
1) sur la convention collective applicable
La cour relève que la convention collective de la Parfumerie de détail et de l'esthétique du 11 mai 1978 (n° 3123) était applicable dans l'entreprise lorsque le contrat de travail de Mme [M] a été conclu le 2 mai 2011, lequel mentionne expressément que : "Le contrat sera régi par la convention collective de la parfumerie esthétique n° 3123". Cette mention à laquelle vient s'ajouter celle portée sur les bulletins de salaire de Mme [M] du 2 mai 2011 au 31 décembre 2013 font présumer l'application de la convention à l'égard de la salariée, sauf à l'employeur à démontrer qu'elle n'était plus applicable.
L'article 9 de la convention collective précitée (la CNN) dispose qu'elle est valable pour une année et qu'elle se renouvellera d'année en année par tacite reconduction. Elle ajoute que la partie dénonçant la convention (par LRAR) devra accompagner sa lettre de notification aux autres parties signataires d'un projet de textes relatifs aux points sujets à révision. En outre, la dénonciation prendra effet trois mois après sa notification, l'article 9 précisant en son dernier alinéa que la convention restera en vigueur jusqu'à l'application des nouvelles dispositions ou, au maximum, pendant trois ans. L'article 2 de la convention prévoit que son délai de survie ne pourra pas être supérieur à 3 ans.
Il s'en déduit, d'une part, que la société Elea Corp, qui n'était pas partie signataire de la convention, n'avait pas à la dénoncer ni à consulter les délégués du personnel sur cette dénonciation. D'autre part, la convention a continué à s'appliquer pendant la période de survie de trois ans à tous les salariés concernés, y compris à ceux engagés après sa dénonciation, à l'instar de Mme [M].
La société Elea Corp justifie que la mention de cette convention collective ne figure plus sur les bulletins de paie de la salariée à partir de 2015 jusqu'à 2018. Elle établit par ailleurs que la CNN a été dénoncée par lettre du 28 juillet 2008 par l'ensemble des organisations patronales signataires (pièce 10). Or, aucun accord de substitution n'est ensuite intervenu, le seul document produit par l'employeur étant un accord du 30 septembre 2020 relatif à la négociation d'une convention collective de la parfumerie sélective portant mention que la négociation de la CNN est en cours. La convention litigieuse n° 3123 a, dès lors, cessé de produire ses effets le 28 octobre 2011.
Jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi travail du 8 août 2016, en l'absence d'accord de substitution, les salariés conservaient les avantages individuels acquis. L'avantage individuel acquis (AIA) est défini comme l'avantage qui, au jour de la dénonciation de la convention collective, procurait au salarié une rémunération ou un droit dont il bénéficiait à titre personnel et qui correspondait à un droit ouvert et non simplement éventuel.
Depuis la loi du 8 août 2016, il est prévu que les salariés concernés conservent une rémunération dont le montant annuel, pour une durée de travail équivalente, ne peut être inférieur à la rémunération versée lors des 12 derniers mois (article L. 2261-13 du code du travail). Cette règle de maintien de la rémunération perçue s'applique à compter de la date où les accords et conventions dénoncés ou mis en cause cessent de produire leurs effets, y compris si la date de leur dénonciation ou de leur mise en cause est antérieure au 9 août 2016. Concrètement, sont ainsi concernées les dénonciations ou mises en cause de conventions ou d'accords cessant de produire leurs effets à compter du 10 mai 2015 (3 mois de préavis + 12 mois minimum de délai de survie) et n'ayant pas fait l'objet d'un accord de substitution.
Ici, Mme [M] ne sollicite pas le maintien de sa rémunération mais l'application du statut cadre de la convention collective litigieuse.
Il s'avère qu'elle a été engagée pendant la période de survie de la CNN qui a cessé de produire ses effets le 28 octobre 2011. De plus, l'avantage qu'elle revendique correspond à un droit qui lui était déjà ouvert et non pas simplement un droit éventuel. Au surplus, son contrat de travail et ses bulletins de salaire du 2 mai 2011 au 31 décembre 2013 (pièce n° 167 de la salariée) font état de la convention collective litigieuse.
Pour s'opposer et renverser la présomption d'application de la CNN à l'égard de Mme [M], la société Elea Corp invoque une erreur de paramétrage sur les bulletins de salaire. Or, il est jugé que l'employeur qui fait mention d'une CCN sur une durée de plus de deux ans, comme c'est le cas en l'espèce, ne peut se prévaloir d'une erreur de sa part, étant ajouté que la société Elea Corp ne justifie pas relever d'une autre convention. Enfin, ladite convention est également mentionnée dans le contrat de travail, ce qui autorise de plus fort la salariée à en demander l'application, même si cette mention n'a qu'une visée informative, étant observé que la société Elea Corp ne justifie pas avoir avisé Mme [M] de la dénonciation de la CNN.
Compte tenu de ces éléments, Mme [M] peut prétendre, en application de l'article L. 132-8, alinéa 6 ancien du code du travail (L. 2261-13 nouveau), au bénéfice de ses avantages acquis au titre de la CNN litigieuse de la date de son embauche jusqu'au 28 octobre 2011, date à laquelle la convention a cessé de produire effet, le bénéfice de la CNN n° 3123 au-delà d'un délai de trois ans étant devenu inopposable à l'employeur. Le jugement sera réformé sur ce point.
2) sur la demande de classification au statut cadre et les rappels de salaire subséquents
Saisi d'une contestation sur la classification attribuée à un salarié, le juge doit se prononcer sans autre considération que l'examen des fonctions réellement exercées. Il doit les comparer a la grille de la convention collective pour vérifier dans quelle catégorie se place l'emploi, les dispositions des conventions collectives devant s'appliquer à la lettre. Lorsque la convention collective prête à interprétation, il convient de faire prévaloir l'interprétation qui rapproche le plus le classement des fonctions exercées. Les mentions portées sur le bulletin de paie ou l'attribution d'un salaire nettement supérieur au salaire minimum correspondant à l'emploi exercé ou même les mentions du contrat travail ne sont que des indices insuffisants à contrebalancer la méthode de la comparaison des fonctions réellement exercées avec la classification de la convention collective.
En outre, il appartient au salarié qui se prévaut d'une classification conventionnelle différente de celle dont il bénéficie au titre de son contrat de travail de démontrer qu'il assure de façon permanente, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu'il revendique, avec éventuellement un rappel de salaires conforme au minimum conventionnel en vigueur.
En l'espèce, les fonctions de Mme [M], aux termes de son contrat de travail, étaient les suivantes :
- gestion du personnel de vente ;
- suivi des heures et rémunérations ;
- diriger et organiser le magasin afin d'atteindre les objectifs ;
- encadrer, motiver et animer le personnel de l'équipe de vente ;
- appliquer et mettre en 'uvre la stratégie et la politique commerciale de la société ;
- faire respecter les procédures et rendre compte des problèmes rencontrés en magasin auprès de ses supérieurs hiérarchiques ;
- représenter la société, assurer la qualité du point de vente, du service rendu et tout mettre en 'uvre pour satisfaire et fidéliser la clientèle.
La salariée établit qu'elle s'est également vue confier des missions temporaires en 2016 et 2017 afin de soutenir certains magasins en l'absence de responsable sur site (pièces 4, 5 et 12). Elle s'est ensuite vu confier, à compter du 1er novembre 2017, le poste de responsable de secteur, gérant désormais les magasins de [Localité 11] et de [Localité 9] (pièce 6). Elle figurait par ailleurs parmi les taux horaires les plus importants des responsables de magasin. Cependant, ces éléments sont postérieurs à la date à laquelle elle peut prétendre au maintien de ses avantages acquis et sont donc sans emport sur l'appréciation de son statut sur la période antérieure au 28 octobre 2011. Il en va de même des courriels qu'elle verse aux débats qui sont tous postérieurs à l'année 2016.
La classification de cadre issue de la convention collective de la Parfumerie de détail et de l'esthétique n° 3123 est définie comme suit : « esthéticienne capable de gérer sur le plan technique une équipe (les cabines, les rendez-vous, le personnel), capable de gérer les commandes, les stocks selon les consignes du chef d'entreprise et de gérer l'entreprise ».
Or, il ressort des pièces produites par Mme [M] elle-même, notamment ses mails, que son autonomie ne concernait que la gestion de la clientèle et de la caisse à envoyer au service comptable et que :
- les recrutements et le volet RH en général étaient gérés par le service RH dirigé par Mme [Y], Mme [M] ne faisait que transmettre les informations aux services compétents (arrêts maladie, embauches, incidents de paie,...) : elle ne pouvait pas recruter, sanctionner, ni licencier sans l'accord de sa hiérarchie. Les nouveaux recrutements devaient être validés par le service RH du siège chargé de rédiger les contrats de travail et de recevoir les candidats lors d'un entretien ;
- les litiges étaient gérés par la responsable hiérarchique de Mme [M], Mme [S], responsable réseau ;
- les objectifs financiers étaient fixés par sa hiérarchie et suivis très régulièrement ;
- Mme [M] ne disposait d'aucun pouvoir décisionnaire : en cas de difficultés, elle en référait à sa hiérarchie qui prenait le relais ;
- les projets de développement ou de partenariat éventuels de Mme [M] étaient systématiquement validés par sa hiérarchie, la salariée ne pouvant les mettre en oeuvre de manière autonome.
Il en résulte que Mme [M], dont le degré d'autonomie en matière de gestion du magasin et de pouvoir décisionnel était limité, ne peut prétendre au statut cadre ni, par suite, au rappel de salaire afférents et à son affiliation à la caisse complémentaire des cadres. Le jugement sera réformé en ses dispositions contraires.
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
La décision attaquée sera infirmée en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Mme [M], qui est à l'origine d'un appel non fondé, doit prendre en charge les dépens de première instance et d'appel et supporter une indemnité au visa de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais d'avocat engagés tant en première instance qu'à hauteur de cour.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Constate que, par l'effet dévolutif de l'appel, la cour n'est saisie que de l'appel incident de la société Elea Corp portant sur l'application du statut cadre de la convention collective de la Parfumerie de détail et de l'esthétique, la demande en paiement de salaire subséquente et l'affiliation de Mme [M] à la caisse complémentaire des cadres,
Infirme le jugement entrepris, sauf en ses dispositions relatives au rejet des demandes de Mme [M] au titre des astreintes, de la résiliation judiciaire du contrat de travail, des heures supplémentaires, des temps de trajet, du harcèlement moral et de l'exécution déloyale du contrat de travail,
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,
Dit que la convention collective de la parfumerie esthétique n° 3123 est applicable à Mme [M] de la date de son embauche, le 2 mai 2011, jusqu'au 28 octobre 2011, date à laquelle la convention est devenue inopposable à la société Elea Corp,
Dit que Mme [M] ne peut prétendre au statut cadre de la convention collective de la parfumerie esthétique n° 3123,
En conséquence, rejette la demande de rappel de salaire de Mme [M] et sa demande subséquente d'affiliation à la caisse complémentaire des cadres,
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme [M] et la condamne à payer à la société Elea Corp la somme de 2 000 euros,
Condamne Mme [M] aux dépens de première instance et d'appel.
Le greffier Le président
Frédérique FLORENTIN Olivier MANSION