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23/03/2023 | FRANCE | N°19/00079

France | France, Cour d'appel de Dijon, Chambre sociale, 23 mars 2023, 19/00079


DLP/CH













SAS [10]





C/



[E] [H]



Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Côte d'Or (CPAM)



SARL [11], prise en la personne de son gérant domicilié de droit audit siège



























Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée



le :



à :



































RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE DIJON



CHAMBRE SOCIALE



ARRÊT DU 23 MARS 2023



MINUTE N°



N° RG 19/00079 - N° Portalis DBVF-V-B7D-FFU5



Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de DIJON, décision attaquée en date du 17 Décembre...

DLP/CH

SAS [10]

C/

[E] [H]

Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Côte d'Or (CPAM)

SARL [11], prise en la personne de son gérant domicilié de droit audit siège

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 23 MARS 2023

MINUTE N°

N° RG 19/00079 - N° Portalis DBVF-V-B7D-FFU5

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de DIJON, décision attaquée en date du 17 Décembre 2018, enregistrée sous le n° 17/199

APPELANTE :

SAS [10]

[Adresse 7]

[Localité 5]

représentée par Me Bérangère MONTAGNE de la SCP GAUD MONTAGNE, avocat au barreau de PARIS, et Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON

INTIMÉS :

[E] [H]

[Adresse 6]

[Localité 4]

représenté par Me François DUCHARME de la SCP DUCHARME, avocat au barreau de DIJON

Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Côte d'Or (CPAM)

[Adresse 1]

[Adresse 9]

[Localité 3]

représentée par M. [V] [G] (Chargé d'audience) en vertu d'un pouvoir général

SARL [11], prise en la personne de son gérant domicilié de droit audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 8]

représentée par Me Franck PETIT, avocat au barreau de DIJON substitué par Me Laurie GIBEY, avocat au barreau de DIJON

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 Février 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller chargé d'instruire l'affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller, Président,

Olivier MANSION, Président de chambre,

Katherine DIJOUX-GONTHIER, Conseiller,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

M. [H] a été engagé en qualité de conducteur d'engins par la SAS [10] (la société [10]), dans le cadre de plusieurs contrats de travail temporaire, et s'est trouvé, pour la période du 2 au 10 octobre 2014, mis à la disposition de la SARL [11] (Sondages et Forages).

Le 8 octobre 2014, à 10 heures 30, il a été victime, dans le cadre de son activité professionnelle, d'un accident qui a été déclaré le lendemain à la caisse primaire d'assurance maladie de Côte-d'Or (la CPAM) par la société [10], comme étant survenu dans les conditions suivantes : « M. [H] a reçu une motte de terre, provenant de la vis de forage, sur la tête. Il portait son casque de sécurité ».

Le certificat médical initial a mentionné des fractures au niveau T7 et T12 et prescrit un arrêt de travail jusqu'au 28 novembre 2014, lequel a fait l'objet de prolongations.

Par décision notifiée le 24 octobre 2014, la CPAM a reconnu le caractère professionnel de cet accident.

Le 24 mai 2017, M. [H] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur et de voir ordonner une expertise médicale pour évaluer ses préjudices, outre le paiement d'une indemnité provisionnelle à valoir sur son préjudice personnel.

Par jugement du 17 décembre 2018, le tribunal :

- confirme le bien-fondé de la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de l'accident de travail dont M. [H] a été victime le 8 octobre 2014,

- dit que cet accident est la conséquence de la faute inexcusable de l'employeur, la société [10],

- condamne la société [11] à relever et à garantir à hauteur de moitié la société [10] de l'ensemble des conséquences financières résultant de la faute inexcusable,

- sursoit à statuer sur la question de la majoration de la rente, la mise en 'uvre d'une expertise médicale judiciaire et la demande d'indemnisation des préjudices jusqu'à fixation de la date de consolidation,

- dit que la cause sera réinscrite au rôle du pôle social du tribunal de grande instance de Dijon à l'initiative de la partie la plus diligente dès fixation de la date de consolidation,

- alloue à M. [H] une provision de 5 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice,

- dit que la provision sera avancée par la CPAM de Côte-d'Or,

- dit que la CPAM de Côte-d'Or récupèrera directement auprès de l'employeur, la société [10], le montant des sommes avancées au titre des préjudices subis par M. [H],

- dit que la société [10] sera garantie à hauteur de moitié de la provision allouée par la société [11],

- condamne la société [10] à verser à M. [H] la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que la société [10] sera garantie à hauteur de moitié de la somme allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile par la société [11],

- déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

- rappelle n'y avoir lieu à condamnation à dépens.

Par déclaration enregistrée le 24 janvier 2019, la société [10] a relevé appel de cette décision.

Par arrêt du 24 juin 2021, la cour a confirmé le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a sursis à statuer sur la majoration de la rente, la mise en 'uvre d'une expertise médicale et la demande d'indemnisation des préjudices de M. [H], la consolidation étant intervenue pendant l'instance. La majoration de rente a dès lors été ordonnée à son maximum et une expertise médicale prononcée, avant-dire-droit, sur la liquidation des préjudices de M. [H], avec mission limitée à l'indemnisation des postes de préjudices non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

Le rapport d'expertise a été reçu au greffe le 20 septembre 2022.

Par arrêt du 22 septembre 2022, la cour a dit, notamment, qu'il appartenait à la cour de statuer sur les demandes d'indemnisation après expertise et sursis à statuer sur les demandes restant à juger.

Dans le dernier état de ses conclusions notifiées par voie électronique le 20 janvier 2023 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, la société [10] demande à la cour de :

- fixer les indemnités de M. [H] comme suit :

* aide humaine temporaire : 13 169 euros,

* perte de chance de promotion professionnelle : débouté,

* frais de véhicule adapté : débouté,

* déficit fonctionnel temporaire : 11 209,25 euros,

* souffrances endurées : 6 000 euros,

* préjudice esthétique temporaire : 2 000 euros,

* préjudice esthétique permanent : 1 000 euros,

* préjudice d'agrément : 1 500 euros,

* préjudice sexuel : débouté,

- prononcer toutes condamnations en deniers ou quittances,

- débouter M. [H] de toute demande plus ample ou contraire dirigée à son encontre,

- dire et juger qu'en application des dispositions de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, la CPAM sera tenue de faire l'avance des sommes susceptibles d'être allouées à M. [H],

- débouter et, le cas échéant, réduire à de bien plus justes proportions les indemnités allouées à M. [H] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 6 janvier 2023 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, M. [H] demande à la cour de :

- fixer la liquidation définitive de son préjudice comme suit :

* 59 290 euros au titre de l'assistance par tierce-personne,

* 50 000 euros au titre de la perte d'une chance de promotion professionnelle,

* 3 217,52 euros au titre des frais de véhicule adapté,

* 12 105,99 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

* 25 000 euros au titre des souffrances endurées,

*15 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire,

* 10 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent,

* 15 000 euros au titre du préjudice d'agrément,

* 8 000 euros au titre du préjudice sexuel,

En conséquence,

- condamner la société [10] à lui verser au titre de la liquidation définitive de son préjudice la somme de 197 613,51 euros de laquelle il devra être déduit la provision de 5 000 euros qui lui a été allouée par jugement du 17 décembre 2018,

- condamner la société [10] à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens de la présente instance.

Par ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 16 février 2023 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, la société [11] demande à la cour de :

I / A titre principal, in limine litis :

- renvoyer le dossier devant le pôle social du tribunal judiciaire de Dijon pour qu'il soit statué sur les demandes indemnitaires, au besoin en déclarant la cour d'appel incompétente pour statuer sur lesdites demandes,

II / A titre subsidiaire :

- rejeter les demandes indemnitaires de M. [H] en ce qu'elles sont dirigées à son encontre et le débouter de l'intégralité de ses demandes en l'état,

À défaut :

- fixer les préjudices corporels subis par M. [H] non indemnisés au titre du livre IV du code de la sécurité sociale dans le cadre de l'accident du travail dont il a été victime le 8 octobre 2014, comme mentionné dans le corps des présentes conclusions, soit (étant rappelé que la partie qui s'en rapporte n'accepte pas les demandes formulées contre elle mais au contraire les conteste) :

* frais divers (FD) : assistance tierce personne (ATP) temporaire : 1h30 par jour x 6 mois (183 jours) = 274,50 heures puis 4h par semaine du 15 avril 2015 au 30 octobre 2018 (185 semaines) = 740 heures, à un taux horaire de 13 euros par heure ',

* incidence professionnelle (IP) : perte de chance d'une promotion professionnelle : 0 euro,

* frais de véhicule adapté (FVA) : 0 euro,

* déficit fonctionnel temporaire (DFT) : en fonction des dates et pourcentages retenus par l'expert médical judiciaire, avec réduction à de plus justes proportions des indemnités sollicitées et correspondantes,

* souffrances endurées (SE) : réduction à de plus justes proportions des indemnités sollicitées et correspondantes,

* préjudice esthétique temporaire (PET) : réduction à de plus justes proportions des indemnités sollicitées et correspondantes,

* préjudice esthétique permanent (PEP) : réduction à de plus justes proportions des indemnités sollicitées et correspondantes,

* préjudice d'agrément (PA) : 0 euro,

* préjudice sexuel (PS) : 0 euro,

- octroyer, en conséquence, à M. [H] les sommes suivantes, au titre de l'indemnisation de ses préjudices corporels en suite de l'accident du travail du 8 octobre 2014 :

* frais divers (FD) : assistance tierce personne (ATP) temporaire : 1h30 par jour x 6 mois (183 jours) = 274,50 heures puis 4h par semaine du 15 avril 2015 au 30 octobre 2018 (185 semaines) = 740 heures, à un taux horaire de 13 euros par heure ',

* incidence professionnelle (IP) : perte de chance d'une promotion professionnelle : 0 euro, donc débouté,

* frais de véhicule adapté (FVA) : 0 euro, donc débouté,

* déficit fonctionnel temporaire (DFT) : en fonction des dates et pourcentages retenus par l'expert médical judiciaire, avec réduction à de plus justes proportions des indemnités sollicitées et correspondantes,

* souffrances endurées (SE) : réduction à de plus justes proportions des indemnités sollicitées et correspondantes,

* préjudice esthétique temporaire (PET) : réduction à de plus justes proportions des indemnités sollicitées et correspondantes,

* préjudice esthétique permanent (PEP) : réduction à de plus justes proportions des indemnités sollicitées et correspondantes,

* préjudice d'agrément (PA) : 0 euro, donc débouté,

* préjudice sexuel (PS) : 0 euro, donc débouté,

- déduire des sommes octroyées à M. [H] les provisions à hauteur totale de 5 000 euros,

- condamner la SAS [10] à payer à la SARL [11] la somme de 4 000 euros au titre de ses frais irrépétibles à hauteur de cour,

- statuer ce que de droit sur la demande de M. [H] au titre de ses frais irrépétibles,

- déclarer l'arrêt à intervenir commun à la CPAM,

- statuer ce que de droit sur les dépens,

- débouter M. [H] et toute autre partie de toutes demandes et/ou défenses contraires et/ou supérieures et/ou supplémentaires.

A l'audience, la CPAM déclare s'en remettre à la sagesse de la cour sur les demandes qui lui sont soumises.

En application des articles 455 et 634 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En raison de l'effet dévolutif de l'appel, il appartient à la cour de statuer sur les demandes d'indemnisation après expertise. Il n'y a donc pas lieu de renvoyer l'affaire devant le pôle social du tribunal judiciaire de Dijon pour voir liquider le préjudice corporel de M. [H].

De plus, l'arrêt de la cour du 24 juin 2021 a confirmé le jugement déféré sur la faute inexcusable commise par l'employeur et sur le partage de responsabilité entre les sociétés [10] et [11] à hauteur de 50% conduisant cette dernière à relever et garantir la première de la moitié des conséquences financières de la reconnaissance de la faute inexcusable. La demande de la société utilisatrice visant à voir rejeter les demandes indemnitaires de M. [H] en ce qu'elles sont dirigées à son encontre est irrecevable dès lors qu'il a déjà été statué sur ce point.

Les demandes restant à juger concernent la réparation du préjudice corporel de M. [H] qui sera liquidé comme suit.

SUR LA LIQUIDATION DU PRÉJUDICE

- Sur les chefs de préjudice visés à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale

' sur les souffrances physiques et morales endurées

Ce poste de préjudice a pour objet de réparer toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que les troubles associés que doit endurer la victime par suite de l'atteinte à son intégrité physique, dans la seule mesure où elles ne sont pas réparées après consolidation par la rente majorée.

L'expert a ici quantifié les souffrances endurées par M. [H] à 3,5/7 (notamment douleurs permanentes des deux jambes et du dos jusqu'au cou).

Les termes du rapport d'expertise n'étant contestés par aucune des parties, il convient de les retenir et d'allouer la somme de 6 000 euros au titre des souffrances physiques et morales endurées par le salarié.

' sur le préjudice esthétique avant et post-consolidation

Ce poste de préjudice a pour objet de réparer l'altération de l'apparence physique de la victime avant et après la consolidation. Le préjudice esthétique temporaire est en effet un préjudice distinct du préjudice esthétique permanent et doit être évalué en considération de son existence avant consolidation de l'état de la victime.

L'expert a retenu un préjudice esthétique temporaire chiffré à 3/7 en raison de la présentation en fauteuil roulant ou en déambulateur jusqu'au 14 avril 2015, puis à 2,5/7 pour une marche altérée par l'usage de cannes. Il sera alloué de ce chef à M. [H] une somme de 4 000 euros.

S'agissant du préjudice esthétique permanent, l'expert l'a quantifié à 2/7 du fait de l'usage d'une canne et les cicatrices habituellement cachées au niveau du dos. Il sera alloué de ce chef à M. [H] une somme de 3 000 euros.

' sur le préjudice d'agrément

M. [H] invoque le fait qu'il ne peut plus pratiquer le football avec son fils et se prévaut d'une perte de qualité de vie, outre de ses difficultés à se livrer à des actes normaux de la vie courante.

Le préjudice d'agrément tend à indemniser l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs qu'elle pratiquait antérieurement au dommage. Il inclut également la limitation de la pratique antérieure.

Ici, l'expert judiciaire retient un préjudice d'agrément en visant les matchs de foot que pratiquait M. [H] avec son fils qui sont, selon lui, "peu compatibles avec les séquelles de fractures du rachis dorsal".

M. [H] en justifie par les attestations qu'il produit de son épouse et d'un ami, M. [Y], avec lequel il pratiquait régulièrement le football, outre des entraînements ou du footing chaque dimanche matin. La société [10] propose d'indemniser ce poste de préjudice à hauteur de 1 500 euros, montant qui apparaît, au regard des pièces produites, de nature à indemniser justement ce préjudice.

Il sera, par conséquent, octroyé à M. [H] la somme de 1 500 euros.

' sur le préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle

L'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale permet la réparation du préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle. Toutefois, la réparation de ce préjudice suppose que la victime démontre que de telles possibilités pré-existaient.

Par ailleurs, il convient de rappeler que la rente majorée servie à la victime d'un accident du travail présente un caractère viager et répare notamment les pertes de gains professionnels, y compris la perte des droits à la retraite, et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité permanente partielle subsistant au jour de la consolidation.

L'incidence professionnelle (définie comme un dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d'une chance professionnelle, ou encore du préjudice subi qui a trait à sa nécessité de devoir abandonner la profession qu'il exerçait avant le dommage au profit d'une autre qu'il a dû choisir en raison de la survenance de son handicap) est donc un préjudice distinct de celui résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle.

En l'espèce, M. [H] indique qu'il ne pourra plus exercer les métiers manuels ou dans le BTP et que son avenir professionnel est particulièrement obéré. Il fait également état de d'une importante dépression en lien avec l'accident, de son faible niveau de français, de son âge qui rendront encore plus difficile la recherche d'un emploi.

Néanmoins, le salarié ne justifie aucunement d'une possibilité sérieuse de promotion professionnelle à l'intérieur ou à l'extérieur de son entreprise. Il n'établit pas, notamment, qu'il était en mesure de prétendre à une promotion professionnelle qu'il n'aurait pu honorer du fait de son accident, ni ne fait valoir aucune formation professionnelle de nature à lui faire espérer une promotion.

Sous couvert d'une demande d'indemnisation de la perte de possibilité de promotion professionnelle, il sollicite en réalité l'indemnisation d'une incidence professionnelle. Or si l'incidence professionnelle des séquelles de l'accident n'est pas contestable, la rente dont M. [H] bénéficie en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale indemnise la perte de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité.

Dès lors, faute de démontrer qu'il a subi un préjudice qui ne serait pas déjà réparé par l'allocation de la rente majoré, la demande d'indemnisation au titre de la perte de chance de promotion professionnelle ne pourra qu'être rejetée.

- Sur les chefs de préjudice non visés à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale

' sur le déficit fonctionnel temporaire

Ce poste de préjudice a pour objet d'indemniser l'invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique, c'est-à-dire jusqu'à sa consolidation. Cette invalidité par nature temporaire est dégagée de toute incidence sur la rémunération professionnelle de la victime. Elle correspond aux périodes d'hospitalisation de la victime mais aussi à la perte de qualité de vie et à celle des joies usuelles de la vie courante que rencontre la victime durant la maladie traumatique (séparation de la victime de son environnement familial et amical durant les hospitalisations, privation temporaire des activités privées ou des agréments auxquels se livre habituellement ou spécifiquement la victime, préjudice sexuel pendant la maladie traumatique).

En l'espèce, aux termes de son rapport, l'expert judiciaire retient :

- un déficit fonctionnel temporaire total de 7 jours, correspondant à la période d'hospitalisation du 8/10 au 14/10/14 ;

- un déficit fonctionnel temporaire partiel de 66% du 15/10/14 au 14/04/15, soit un total de 184 jours ;

- un déficit fonctionnel temporaire partiel de 25% du 15/04/15 au 30/10/18, date de la consolidation, soit un total de 199 jours.

Ces éléments ne font l'objet d'aucune contestation.

M. [H] sollicite l'application d'un forfait journalier de 27 euros. Il sera fait droit à sa demande. Il convient donc de l'indemniser à hauteur de la somme totale de 12 105,99 euros.

' sur les frais de véhicule adapté

M. [H] considère que l'acquisition d'une boîte automatique sur son véhicule, intervenue en post-consolidation, s'est imposée en raison des séquelles de ses fractures. Il précise qu'il ne peut plus conduire de véhicule avec un embrayage.

Si l'expert ne retient pas de frais d'aménagement du véhicule de M. [H] et relève que l'acquisition d'un véhicule avec boîte automatique n'était destinée, en réalité, qu'à faciliter la conduite de cette voiture par l'épouse de M. [H], ajoutant que la famille de ce dernier lui avait retiré les clés pour prévenir un éventuel accident du fait d'épisodes de désorientation spatiale au volant, il n'en demeure pas moins que, du fait des blessures liées à son accident, M. [H], s'il décide de conduire, ne peut le faire que sur un véhicule avec embrayage automatique. Il justifie avoir acheté un tel véhicule pour la somme de 3 500 euros et avoir engagé des frais de changement de carte grise pour 217,52 euros. Or, il ne justifie pas du surcoût résultant de cette boîte automatique par rapport à un véhicule équipé d'une boîte manuelle et ne rapporte donc pas la preuve du prix resté à sa charge suite à l'acquisition d'un véhicule avec embrayage automatique. Il n'établit pas davantage que son véhicule précédent ne pouvait être adapté.

Dès lors, sa demande à ce titre sera rejetée.

' sur les frais d'assistance par une tierce-personne

Il est constant que, dans le cas où la victime a besoin du fait de son handicap d'être assistée pendant l'arrêt d'activité et avant la consolidation par une tierce-personne, elle a le droit à l'indemnisation du financement du coût de cette tierce-personne.

Les frais d'assistance tierce-personne à titre temporaire ne sont pas couverts au titre du livre IV et doivent être indemnisés sans être pour autant réduits en cas d'assistance d'un membre de la famille, ni subordonnés à la production de justificatifs des dépenses effectives.

Au cas présent, l'expert judiciaire a retenu la nécessité d'une tierce personne (une aide-ménagère) pour assister M. [H] comme suit : 1h30 par jour du 15/10/14 au 14/04/15 et 4h par semaine du 15/04/15 au 30/10/18.

M. [H] conteste le nombre d'heures retenu par l'expert et soutient que le besoin était en réalité de 3 heures par jour pendant les 6 mois d'alitement, du 15 octobre 2014 au 14 avril 2015. Il ajoute qu'ensuite, son épouse l'a aidé pendant deux ans pour les actes ordinaires de sorte que l'aide apportée ne s'est pas résumée à une aide ménagère de 4 heures par semaine.

Au regard des conclusions expertales dépourvues d'ambiguïté et compte tenu des termes du courrier du neuro-chirurgien ayant opéré M. [H] qui a indiqué que, quelques jours après l'opération, "les suites opératoires ont été favorables et M. [H] a rapidement pu reprendre une déambulation normale dans notre service", il convient de valider les conclusions susvisées de l'expert quant au nombre d'heures retenu et la période ayant nécessité l'aide ménagère.

De plus, les parties s'opposent sur le taux horaire, M. [H] sollicitant l'application d'un taux de 20 euros par heure tandis que les sociétés adverses revendiquent un taux de 13 euros par heure. Il sera fait droit à la demande du salarié.

En conséquence, l'aide apportée à M. [H] sera évaluée ainsi que suit :

- du 8.10.2014 au 8.04.2015 (période d'alitement) = 183 jours x (1h30 x 20 euros) = 5 490 euros ;

- du 15.04.2015 au 30.10.2018 = 185 semaines x (4 heures x 20 euros) = 14 800 euros.

Il sera, par suite, alloué à M. [H] de ce chef la somme totale de 20 290 euros sur l'ensemble de la période ayant justifié l'assistance d'une tierce-personne.

' sur le préjudice sexuel

M. [H] expose qu'il connaît, depuis son accident, une baisse de sa libido dans le cadre du syndrome dépressif dont il est atteint.

Le préjudice sexuel s'entend d'une altération partielle ou totale de la fonction sexuelle dans l'une de ses composantes :

- atteinte morphologique des organes sexuels,

- perte du plaisir lié à l'accomplissement de l'acte sexuel (perte de l'envie ou de la libido, perte de la capacité physique de réaliser l'acte sexuel, perte de la capacité à accéder au plaisir),

- difficulté ou impossibilité de procréer.

L'évaluation de ce préjudice doit être modulée en fonction du retentissement subjectif de la fonction sexuelle selon l'âge et la situation familiale de la victime.

Ici, l'expert judiciaire ne retient aucun préjudice sexuel et M. [H] n'en justifie pas. Même s'il fait état de relations sexuelles moins fréquentes avec son épouse en lien avec sa libido, l'imputabilité à l'accident n'est pas certaine. Il ne produit aucun document, ni aucune attestation de sa compagne, permettant de confirmer ses allégations.

La preuve du préjudice n'étant pas rapportée, la demande d'indemnisation ne pourra donc qu'être rejetée.

* * *

La CPAM versera directement à M. [H] les sommes dues, en deniers ou quittances valables, au titre de l'indemnisation de son préjudice corporel après avoir déduit la provision de 5 000 euros allouée à la victime.

Il convient de rappeler que la caisse primaire pourra recouvrer le montant de l'indemnisation complémentaire et majorations accordées à M. [H], déduction faite de la provision de 5 000 euros allouée à ce dernier, à l'encontre de la société [10], qui y est tenue, ainsi qu'au remboursement du coût de l'expertise. De même, la société [11] est tenue de garantir la société [10] à hauteur de 50% des condamnations mises à sa charge, y compris au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Enfin, en application des dispositions de l'article 1231-7 du code civil, s'agissant d'une indemnité, les sommes dues porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

Il n'y a pas lieu de déclarer le présent arrêt commun et opposable à la CPAM, cette dernière étant dans la cause.

Les dépens d'appel seront supportés in solidum par les sociétés [10] et [11].

Il sera par ailleurs fait droit à la demande formée par M. [H] contre son employeur au titre des frais irrépétibles, la société [10] étant garantie par la société utilisatrice.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Dit n'y avoir lieu de renvoyer le dossier devant le pôle social du tribunal judiciaire de Dijon pour qu'il soit statué sur les demandes indemnitaires de M. [H],

Dit que la demande de la société [11] visant à voir rejeter les demandes indemnitaires de M. [H] en ce qu'elles sont dirigées à son encontre est irrecevable,

Fixe l'indemnisation du préjudice corporel de M. [H] comme suit :

- 6 000 euros au titre des souffrances endurées,

- 3 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire,

- 4 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent,

- 12 105,99 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

- 20 290 euros au titre de l'assistance par une tierce-personne,

- 1 500 euros au titre du préjudice d'agrément,

en deniers ou quittances valables, outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Rejette les demandes indemnitaires de M. [H] au titre de la perte ou diminution de promotion professionnelle, du préjudice sexuel et des frais de véhicule adapté,

Dit que la caisse primaire d'assurance maladie de Côte-d'Or versera directement à M. [H] les sommes dues au titre de l'indemnisation de son préjudice corporel après avoir déduit la provision de 5 000 euros allouée à la victime,

Rappelle que la société [10] est tenue d'indemniser le préjudice corporel de M. [H] et que la société [11] est tenue de la relever et garantir à hauteur de la moitié des conséquences financières résultant de la faute inexcusable,

En conséquence, dit que la caisse primaire d'assurance maladie de Côte-d'Or pourra recouvrer le montant des sommes versées à M. [H] au titre de l'indemnisation de son préjudice complémentaire et des majorations accordées, déduction faite de la provision de 5 000 euros, ainsi que le remboursement du coût de l'expertise, à l'encontre de la société [10], à charge pour cette dernière d'exercer sa garantie contre la société [11] dans les limites fixées par le jugement déféré,

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société [11], condamne la société [10] à payer à M. [H] la somme de 2 000 euros pour les frais d'avocat engagés tant en première instance qu'à hauteur de cour,

Dit que la société [11] est tenue de garantir la société [10] à hauteur de 50% des condamnations mises à sa charge au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir pas lieu de déclarer le présent arrêt à intervenir commun à la caisse primaire d'assurance maladie de Côte-d'Or,

Condamne in solidum les sociétés [10] et [11] aux dépens d'appel,

Rejette toute demande plus ample ou contraire des parties.

Le greffier Le président

Frédérique FLORENTIN Delphine LAVERGNE-PILLOT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Dijon
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/00079
Date de la décision : 23/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-23;19.00079 ?
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