FV/LL
[O] [J] épouse [W]
C/
LA CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE CHAMPAGNE-
BOURGOGNE
[Y] [W]
SCEA DOMAINE [W]
Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le
COUR D'APPEL DE DIJON
2ème Chambre Civile
ARRÊT DU 23 FEVRIER 2023
N° RG 21/00865 - N° Portalis DBVF-V-B7F-FXPP
MINUTE N°
Décision déférée à la Cour : au fond du 10 mai 2021,
rendue par le tribunal judiciaire de Dijon - RG : 17/02108
APPELANTE :
Madame [O] [J] épouse [W]
née le [Date naissance 4] 1981 à [Localité 11] (34)
domiciliée :
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Jérôme DELIRY, membre de la SARL JOUFFROY & FILEAS AVOCATS, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 49
INTIMÉS :
LA CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE CHAMPAGNE-BOURGOGNE, agissant poursuites et diligences de son Directeur Général en exercice, domicilié au siège :
[Adresse 6]
[Localité 1]
représentée par Me Delphine HERITIER, membre de la SCP LDH AVOCATS, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 16
Monsieur [Y] [W]
né le [Date naissance 2] 1978 à [Localité 9] (28)
domicilié :
[Adresse 5]
[Localité 3]
non représenté
SCEA DOMAINE [W]
[Adresse 5]
[Localité 3]
non représentée
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 décembre 2022 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Françoise VAUTRAIN, Président de Chambre, chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la cour étant alors composée de :
Françoise VAUTRAIN, Président de Chambre,
Sophie DUMURGIER, Conseiller,
Sophie BAILLY, Conseiller,
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Maud DETANG, Greffier
DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 23 Février 2023,
ARRÊT : rendu par défaut,
PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ : par Françoise VAUTRAIN, Président de Chambre, et par Maud DETANG, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La Scea Domaine [W]-Segaut (aujourd'hui dénommée Scea Domaine [W] suite à un
changement de dénomination sociale) emprunte auprès de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne :
- par acte sous seing privé du 23 octobre 2010 la somme de 20 000 euros dans le cadre d'un prêt professionnel n°00001513132 remboursable en 60 mensualités du 4 novembre 2010 au 20 novembre 2015, la première d'un montant de 361,40 euros et les 59 suivantes de 361,15 euros outre intérêts conventionnels au taux de 3,2 % l'an,
- par acte sous seing privé du 10 mars 2012 la somme de 70 000 euros dans le cadre
d'un prêt professionnel n° 00001672672 remboursable en 84 mensualités du 10 avril 2012 au 20 mars 2019, les 12 premières de 253,75 euros, les 71 suivantes de 1 106,36 euros et la dernière de 1 106,52 euros outre intérêts conventionnels au taux de 4,35 % l'an,
- par acte sous seing privé du 20 mars 2012 la somme de 40 000 euros dans le cadre
d'un prêt professionnel n° 00001672649 remboursable en 84 mensualités du 20 avril 2012 au 20 avril 2019, les 12 premières d'un montant de 145 euros, les 71 suivantes de 632,21 euros et la dernière de 631,93 euros outre intérêts conventionnels au taux de 4,35 % l'an.
Dans chacun de ces actes sous seing privés, M. [Y] [W] et son épouse née [O]
[J] se portent cautions solidaires en garantie des sommes dues par la Scea en principal,
intérêts et le cas échéant pénalités et indemnités de retard :
- chacun dans la limite de 26 000 euros concernant le premier prêt de 20 000 euros n°00001513132 pour une durée de 120 mois,
- chacun dans la limite de 91 000 euros concernant le second prêt de 70 000 euros n°00001672672 pour une durée de 144 mois,
- chacun dans la limite de 52 000 euros concernant le dernier prêt de 40 000 euros n°00001672649 pour une durée de 144 mois.
Les échéances du prêt n° 00001513132 de 20 000 euros et du prêt n°00001672649 sont impayées depuis le 20 août 2015 et celles du prêt n°00001672672 de 70 000 euros le sont
depuis le 20 juillet 2015.
La Scea Domaine [W] est également titulaire dans les livres du Crédit Agricole d'un compte de dépôt à vue qui présente au 4 janvier 2016 un solde débiteur de 366,16 euros.
Le 4 janvier 2016, la banque met la Scea Domaine [W] en demeure de régler la somme de
10 842,86 euros correspondant à la totalité des sommes dues au titre des 3 prêts et du solde
débiteur du compte de dépôt.
Puis, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 5 janvier 2016, elle met
également en demeure M. [Y] [W] et son épouse née [O] [J] de régler la somme de 10 479,30 euros en vertu de leurs engagements de caution pris pour chacun des
trois prêts.
Par courrier du 17 février 2016, M. [W] demande à pouvoir bénéficier d'un délai jusqu'au
15 juin 2016 pour trouver une solution de remboursement.
Aucun paiement n'intervient, et le Crédit Agricole prononce la déchéance du terme par lettre
recommandée avec accusé réception du 9 août 2016 et rend exigible la somme totale de 77 809,81 euros.
Les cautions sont informées de ladite déchéance du terme par lettres recommandées avec
accusé réception du même jour.
C'est dans ces conditions que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne
Bourgogne assigne en paiement la Scea Domaine [W], Monsieur [Y] [W] et son
épouse née [O] [J] devant le tribunal de grande instance de Dijon par actes d'huissier délivrés le 6 juillet 2017.
Au terme de ses dernières conclusions, elle demande au tribunal de :
- Débouter Monsieur [Y] [W] de l'intégralité de ses demandes,
- Débouter Madame [O] [J] de l'intégralité de ses demandes,
- Dire et juger qu'elle n'a commis aucune faute à l'égard de Monsieur [Y] [W] et de Madame [O] [J],
- Condamner solidairement la Scea Domaine [W], M. [Y] [W] et Mme [O] [W] née [J] à lui payer :
- au titre prêt n° 00001513132 de 20 000 euros la somme de 1562,11 euros outre intérêts conventionnels au taux de 3,2 % à compter du 10 août 2016,
- au titre du prêt n° 00001672672 de 70 000 euros la somme de 47 481,11 euros outre
intérêts conventionnels de 4,35 % à compter du 10 août 2016,
- au titre du prêt n° 00001672649 de 40 000 euros la somme de 27 643,91 euros outre
intérêts conventionnels de 4,35% à compter du 10 août 2016,
- Condamner la Scea Domaine [W] à lui payer la somme de 1122,68 euros outre intérêts
au taux légal à compter de la mise en demeure du 4 janvier 2016 au titre du découvert à vue
du compte n°52119805627,
- Condamner solidairement Monsieur [Y] [W] et Madame [O] [J] à lui payer
la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner solidairement Monsieur [Y] [W] et Madame [O] [J] aux entiers
dépens lesquels comprendront le coût de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire.
Au terme de leurs dernières écritures, la Scea Domaine [W] et Monsieur [Y] [W]
demandent au tribunal, au visa des articles 1147 du code civil, 1382 du code civil, L 341-1,- 4 du code de la consommation et L 313-22 du code monétaire et financier, de :
A titre principal :
- Dire et juger que le Crédit Agricole a manqué à son devoir de mise en garde à leur égard,
- Condamner le Crédit Agricole à verser à la Scea Domaine [W] une somme de 77.000 euros au titre de la perte d'une chance de ne pas souscrire le prêt de 20.000 euros en date du 23.10.2010, le prêt de 70.000 euros en date du 10.03.2012 et celui de 40.000 euros en date du 20.03.2012 ;
- Ordonner la compensation entre les sommes dues au Crédit Agricole par la Scea Domaine
[W] et les dommages intérêts résultant de la perte d'une chance de ne pas souscrire les
prêts de 20.000 euros, 70.000 euros et de 40.000 euros,
- En conséquence, constater qu'il n'est dû aucune somme garantie par les engagements de
caution au Crédit Agricole,
- Débouter le Crédit Agricole de l'intégralité de ses demandes vis-à-vis de la Scea Domaine
[W] et de M. [W].
A titre subsidiaire :
- Dire et juger que le Crédit Agricole a soutenu abusivement la Scea Domaine [W],
- Dire et juger que le Crédit Agricole est déchu des créances dont il se prévaut à l'encontre de ladite société au titre du prêt de 20.000 euros, du prêt de 70.000 euros et du prêt de 40.000 euros,
- Dire et juger que M. [W], en qualité de caution, oppose au Crédit Agricole l'exception qui affecte les créances de la banque vis-à-vis de la Scea Domaine [W], à savoir la déchéance,
- Débouter le Crédit Agricole de l'intégralité de ses demandes vis-à-vis de M. [W].
A titre infiniment subsidiaire :
- Dire et juger que les trois engagements de caution garantissant le Crédit Agricole étaient et
sont restés disproportionnés aux revenus et au patrimoine de M. [W],
- Ecarter les trois engagements de caution de M. [W] pour disproportion,
- Débouter le Crédit Agricole de l'intégralité de ses demandes vis-à-vis de M. [W].
A titre très infiniment subsidiaire :
- Dire et juger que le Crédit Agricole sera déchu de l'intégralité des intérêts, et éventuelles pénalités de retard, vis-à-vis de M. [W].
En toute hypothèse :
- Condamner le Crédit Agricole à verser 4.000 euros à M. [W] au titre des frais irrépétibles,
- Condamner le Crédit Agricole aux entiers dépens, recouvrés par Me Edith Rudloff, conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.
Au terme de ses dernières conclusions, Madame [O] [W] née [J] demande au
tribunal, au visa des articles L341-4 du code de la consommation et 1147 du code civil, de :
A titre principal :
- Dire et juger que le Crédit Agricole a failli à son obligation de conseil en ne lui transmettant
pas le formulaire de renseignement complet sur sa situation financière et patrimoniale,
- Dire et juger, en conséquence, que les engagements de caution souscrits par elle au profit du Crédit Agricole étaient, lors de leurs conclusions, manifestement disproportionnés à ses biens et ses revenus.
- Dire et juger que les engagements de caution souscrits par elle sont privés d'effet et que le
Crédit Agricole ne peut se prévaloir desdits engagements,
- Débouter le Crédit Agricole de l'intégralité de ses demandes.
A titre subsidiaire :
- Dire et juger que le Crédit Agricole a failli à son obligation de mise en garde à son égard, en
sa qualité de caution non avertie,
- Dire et juger que le Crédit Agricole sera condamné à la garantir de tout préjudice, en ce compris le paiement de toutes sommes dues au titre de ses engagements en qualité de caution,
- Condamner le Crédit Agricole à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700
du code de procédure civile,
- Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.
Par jugement du 10 mai 2021, le tribunal judiciaire de Dijon :
- Dit que la banque n'était pas soumise à un devoir de mise en garde et déboute les défendeurs de leurs prétentions de ce chef,
- Déboute Monsieur [W] et la Scea Domaine [W] de leur demande fondée sur le soutien abusif,
- Déboute Madame [O] [W] née [J] de son moyen relatif à la disproportion de ses
engagements de caution,
- Dit que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne ne peut
pas se prévaloir des engagements de caution de Monsieur [Y] [W] qui s'en trouve déchargé,
- Constate que le moyen du défaut d'information annuel de la caution, soulevé par Monsieur [W], est devenu sans objet,
- Condamne solidairement la Scea Domaine [W] et Madame [O] [W] née [J] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne les sommes suivantes :
- au titre du prêt n° 00001513132 de 20 000 euros la somme de 1 562,11 euros outre
intérêts conventionnels au taux de 3,2 % sur 1 453,53 euros à compter du 10 août 2016,
- au titre du prêt n° 00001672672 de 70 000 euros la somme de 47 481,11 euros outre
intérêts conventionnels de 4,35 % sur 33 370,37 euros à compter du 10 août 2016,
- au titre du prêt n° 00001672649 de 40 000 euros la somme de 27 643,91 euros outre
intérêts conventionnels de 4,35 % sur 19 926,66 euros à compter du 10 août 2016,
- Condamne la Scea Domaine [W] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne la somme de 1 122,68 euros outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure reçue le 29 août 2016 au titre du découvert à vue du compte n° 52119805627,
- Condamne Madame [O] [W] née [J] aux dépens, à l'exclusion des frais d'hypothèque judiciaire provisoire non justifiés,
- Condamne Madame [O] [W] née [J] à payer à la Caisse Régionale de Crédit
Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne une indemnité de 1 000 euros sur le fondement
de l'article 700 du code de procédure civile,
- Déboute les parties de leurs plus amples demandes,
- Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire du jugement.
Pour statuer ainsi, concernant Madame [O] [J] épouse [W], le tribunal retient : - concernant la capacité financière de la Scea Domaine [W] lors de l'octroi des prêts :
- que si la Scea a été immatriculée au RCS le 24 août 2010, le Domaine [W] existait depuis mars 2008, tel que cela résulte du bilan clos au 31 juillet 2009 produit par Madame [W] ;
- qu'il résulte des pièces produites par la banque que les parcelles de vignes exploitées
qui se situent sur [Localité 8], [Localité 10], [Localité 13], [Localité 3], [Localité 12] et [Localité 7], sont toutes en location de sorte que la Scea n'est pas propriétaire des parcelles exploitées ;
- que son patrimoine était constitué, au moment de la souscription du premier prêt en
octobre 2010, de son capital social de 16 000 euros, et que le Domaine présentait à l'exercice
clos au 31 juillet 2009 un résultat négatif de 6 510 euros ;
- que les exercices suivants se sont achevés avec les résultats suivants : au 31/07/10 : - 3 038 euros, au 31/07/11 : - 7 997 euros, et au 31/07/12 : - 20 504 euros ;
- que toutefois, alors que l'exploitation des parcelles de vignes existantes (les plus anciennes plantées en 1950 et les plus jeunes en 1980) avait démarré en 2008, il n'est pas
anormal, comme l'indique la banque, de constater un résultat déficitaire sur les premières années dès lors que le vin ne peut être vendu qu'après deux ou trois années d'élevage ;
- que si en juillet 2010, la Scea présentait un résultat faiblement déficitaire de - 3 038 euros, elle disposait de stocks vivants cycle court valorisés à 11 176 euros et cycle long valorisés à 6 191 euros et de concours bancaires pour 12 000 euros environ ;
- qu'il ne paraît pas que le prêt consenti en octobre 2010 à hauteur de 20 000 euros,
alors que l'exploitation démarrait et que la Scea devait faire l'acquisition de divers installations, matériels et outillages, soit excessif de sorte que la banque n'avait pas un devoir
de mise en garde particulier à l'égard de la Scea ;
- qu'en juillet 2011, l'endettement bancaire de la Scea était d'un peu moins de 67 000 euros tandis que les stocks vivants cycle court étaient valorisés à 15 160 euros et cycle long à 41 283, les-dits stocks étant ensuite valorisés à 30 956 euros en cycle court et à 79 755 euros en cycle long au 31 juillet 2012, soit peu après les nouveaux concours bancaires accordés en mars 2012 pour 70 000 et 40 000 euros ;
- qu'il n'est pas contesté par ailleurs que les trois prêts ont été régulièrement remboursés par la Scea jusqu'en août 2015, et que celui de 20 000 euros consenti en octobre
2010 était quasiment payé puisque le solde restant dû au titre de ce prêt s'élève à 1 562,11 euros ;
- qu'il s'agissait de crédits de démarrage de l'activité d'exploitation viticole de la Scea
d'une surface initiale de 0,5 ha, qui a pu s'étendre à 3 ha, sur un Domaine planté de longue
date, Domaine dont le chiffre d'affaires a presque quadruplé sur l'exercice arrêté au 31/07/12
par rapport au précédent arrêté au 31/07/11 ;
- que les prêts ainsi consentis à la Scea Domaine [W] n'étaient pas inadaptés à la
situation de cette dernière.
- concernant le moyen du manquement au devoir de mise en égard à l'égard de Mme [W] :
- qu'il n'est pas sérieusement contestable que Madame [O] [W], professeur d'anglais et qui n'exploitait pas personnellement le Domaine Agricole, n'avait aucune connaissance en matière financière et, de ce fait, ne peut être considérée comme une caution
avertie ;
- que néanmoins, au moment de l'octroi des prêts, les perspectives d'avenir de la Scea
Domaine [W] n'étaient pas totalement obérées de sorte que, les crédits n'étant pas ruineux, la banque n'était pas soumise à un devoir de mise en garde particulier.
- concernant la disproportion des engagements de caution :
- que la cour de cassation réaffirme avec constance que l'article L341-4 du code de la
consommation peut être invoqué par toute caution personne physique y compris les dirigeants
de société, considérant que le caractère averti de la caution est indifférent pour l'application
de l'article précité ;
- que la banque ne produit aucune fiche de renseignement de sorte qu'il est permis de
douter qu'elle ait respecté son obligation de vérifier la situation financière et personnelle des cautions avant les engagements ;
- que toutefois, si Madame [W] née [J] justifie qu'en sa qualité de professeur
d'anglais, elle percevait des revenus de l'ordre de 22 457 euros en 2010 et de 25 889 euros en 2012, soit en moyenne 2 000 euros mensuels, et n'était propriétaire d'aucun bien immobilier au moment des engagements de caution en octobre 2010 et mars 2012, elle a reçu, selon donation partage intervenue en juin 2012, la nue-propriété de parcelles de terres d'une valeur totale de 292 750 euros, et qu'elle est devenue propriétaire des mêmes parcelles de vigne au décès de son père en 2017 ;
- qu'elle se trouve en mesure de faire face à ses engagements souscrits pour un montant total de 169 000 euros et sur lesquels il reste dû environ 77 000 euros.
* * * * *
Madame [O] [J] fait appel par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel le 29 juin 2021, son appel étant limité aux dispositions du jugement en ce que le tribunal a :
'- Dit que la banque n'était pas tenue au devoir de conseil à l'égard de Madame [O] [J] et l'a déboutée de ses prétentions de ce chef, alors que la banque a clairement commis une faute en octroyant les prêts à la Scea et sollicitant la caution de Mme [O] [J],
- Débouté Madame [J] de sa demande d'inopposabilité de la caution au titre de la disproportion de ses engagements,
- Dit que la Banque ne pouvait se prévaloir de ses engagements de caution à l'égard seulement de Monsieur [W],
- Condamné solidairement la Scea Domaine [W] et Madame [O] [W] née [J] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne les sommes suivantes :
- au titre du prêt n° 00001513132 de 20 000 euros la somme de 1 562,11 euros outre
intérêts conventionnels au taux de 3,2 % sur 1 453,53 euros à compter du 10 août 2016,
- au titre du prêt n° 00001672672 de 70 000 euros la somme de 47 481,11 euros outre
intérêts conventionnels de 4,35 % sur 33 370,37 euros à compter du 10 août 2016,
- au titre du prêt n° 00001672649 de 40 000 euros la somme de 27 643,91 euros outre
intérêts conventionnels de 4,35 % sur 19 926,66 euros à compter du 10 août 2016,
- Condamné la Scea Domaine [W] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne la somme de 1 122,68 euros outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure reçue le 29 août 2016 au titre du découvert à vue du compte n° 52119805627,
- Condamné Madame [O] [W] née [J] aux dépens, à l'exclusion des frais d'hypothèque judiciaire provisoire non justifiés,
- Condamné Madame [O] [W] née [J] à payer à la Caisse Régionale de Crédit
Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne une indemnité de 1 000 euros sur le fondement
de l'article 700 du code de procédure civile'.
Par conclusions III déposées le 15 novembre 2021, Madame [O] [J] épouse [W]
demande à la cour d'appel de :
' Vu l'article 1147 du code civil
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces versées aux débats,
- Infirmer le jugement du tribunal de grande instance en ce qu'il a dit que la Caisse Régionale
de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne n'était pas soumise à un devoir de mise
en garde à l'égard de Mme [O] [W] et en ce qu'il condamné Madame [O] [W] solidairement avec la Scea du Domaine [W] ;
Statuant à nouveau :
- Dire et juger que le (sic) Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne a failli à son obligation de mise en garde à l'égard de Madame [O] [W] en
sa qualité de caution non avertie,
- Condamner le (sic) Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne
à garantir Madame [O] [W] de tout préjudice, en ce compris le paiement de toutes sommes dues au titre de ses engagements en qualité de caution,
- Condamner le (sic) Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne
à payer à Madame [O] [W] la somme de 20 000 euros au titre de dommages et intérêts pour déloyauté contractuelle,
- Condamner le (sic) Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne
à payer à Madame [O] [W] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code
de procédure civile'.
Par conclusions d'intimé n° 2 déposées le 5 janvier 2023, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne demande à la cour de :
'Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Dijon du 10 mai 2021 en toutes ses dispositions,
Ce faisant,
- Condamner solidairement la Scea Domaine [W], M. [Y] [W] (sic) et Mme [O] [W] née [J] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne :
- au titre prêt ( sic) n° 00001513132 de 20 000 euros la somme de 1 562,11euros outre
intérêts conventionnels au taux de 3,2 % à compter du 10 août 2016,
- au titre du prêt n° 00001672672 de 70 000 euros la somme de 47 481,11 euros outre
intérêts conventionnels de 4,35 % à compter du 10 août 2016,
- au titre du prêt n° 00001672649 de 40 000 euros la somme de 27 643,91 euros outre
intérêts conventionnels de 4,35 % à compter du 10 août 2016.
- Condamner Madame [O] [J] divorcée [W] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner Madame [O] [J] divorcée [W] aux entiers dépens, lesquels comprendront le coût de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire'.
Monsieur [Y] [W] et la Scea Domaine [W] n'ayant ni l'un ni l'autre constitué avocat, Madame [O] [J] divorcée [W] leur signifie la déclaration d'appel et ses conclusions d'appelante par actes d'huissier délivrés le 23 octobre 2021 et tous deux déposés en l'étude de l'huissier.
La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne ne justifie pas de
la signification de ses écritures aux intimés défaillants.
L'ordonnance de clôture intervient le 6 décembre 2022.
En application des articles 455 et 634 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un
plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions
sus-visées.
MOTIVATION
Il sera relevé liminairement que le jugement en ce qu'il a retenu la disproportion manifeste des engagements de caution en tant que souscrits par Monsieur [Y] [W] et dit en conséquence que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne
ne pouvait pas se prévaloir des engagements de caution de Monsieur [Y] [W] qui s'en
trouvait déchargé ne fait l'objet d'aucun appel ; que la demande formée par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne, qui au surplus a préalablement demandé la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, de condamnation de Monsieur [Y] [W] au paiement de sommes solidairement avec la
Scea Domaine [W] et Madame [O] [J] est en conséquence irrecevable.
De même, si Madame [J] vise dans sa déclaration d'appel le jugement en ce qu'il a condamné la Scea Domaine [W] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel
de Champagne Bourgogne la somme de 1 122,68 euros outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure reçue le 29 août 2016 au titre du découvert à vue du compte n° 52119805627, elle est irrecevable faute de qualité et d'intérêt à agir à formuler un tel appel à l'encontre d'un chef de décision qui ne la concerne pas.
Par ailleurs, aux termes de l'article 954 du code de procédure civile alinéa 3, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
Or, si Madame [J] vise dans sa déclaration d'appel les dispositions du jugement en ce
qu'il a :
- débouté Madame [J] de sa demande d'inopposabilité de la caution au titre de la disproportion de ses engagements,
- condamné solidairement la Scea Domaine [W] et Madame [O] [W] née
[J] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne
les sommes suivantes :
- au titre du prêt n°00001513132 de 20 000 euros la somme de 1 562,11 euros
outre intérêts conventionnels au taux de 3,2 % sur 1 453,53 euros à compter du 10 août 2016,
- au titre du prêt n°00001672672 de 70 000 euros la somme de 47 481,11 euros outre intérêts conventionnels de 4,35 % sur 33 370,37 euros à compter du 10 août 2016,
- au titre du prêt n°00001672649 de 40 000 euros la somme de 27 643,91 euros outre intérêts conventionnels de 4,35 % sur 19 926,66 euros à compter du 10 août 2016,
- condamné Madame [O] [W] née [J] aux dépens, à l'exclusion des frais
d'hypothèque judiciaire provisoire non justifiés,
- condamné Madame [O] [W] née [J] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
elle ne demande plus dans le dispositif de ses dernières écritures que l'infirmation du jugement du tribunal de grande instance en ce qu'il a dit que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne n'était pas soumise à un devoir de mise en garde à son égard et le prononcé de condamnations de la banque pour faute de ce chef sans formuler de prétention concernant la condamnation à paiement des sommes dues au titre de ses engagements de caution, si ce n'est le prononcé d'une condamnation de la banque à la garantir du préjudice résultant de cette condamnation.
Quant à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne, elle conclut à titre principal à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, mais conclut
en conséquence à ce que les dépens mis à la charge de Madame [J] comprennent le coût de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire, sans pour autant produire le moindre justificatif tant de cette inscription que de son prétendu coût.
Il s'en déduit que la cour ne peut que confirmer le jugement en ce qu'il a : - débouté Madame [J] de sa demande d'inopposabilité de la caution au titre de la disproportion de ses engagements,
- condamné solidairement la Scea Domaine [W] et Madame [O] [W] née
[J] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne
les sommes suivantes :
- au titre du prêt n°00001513132 de 20 000 euros la somme de 1 562,11 euros
outre intérêts conventionnels au taux de 3,2% sur 1 453,53 euros à compter du 10 août 2016,
- au titre du prêt n°00001672672 de 70 000 euros la somme de 47 481,11 euros outre intérêts conventionnels de 4,35 % sur 33 370,37 euros à compter du 10 août 2016,
- au titre du prêt n°00001672649 de 40 000 euros la somme de 27 643,91 euros outre intérêts conventionnels de 4,35 % sur 19 926,66 euros à compter du 10 août 2016,
- condamné Madame [O] [W] née [J] aux dépens, à l'exclusion des frais
d'hypothèque judiciaire provisoire non justifiés,
- condamné Madame [O] [W] née [J] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Madame [J] reproche à la banque d'avoir manqué à son obligation de mise en garde envers elle alors qu'elle était caution non avertie et qu'il existait selon elle un risque d'endettement né de l'octroi des prêts garantis, lequel résultait de l'inadaptation de ces prêts
aux capacités financières de l'emprunteur débiteur principal.
Elle affirme que, contrairement à ce que le premier juge a retenu, la banque lui a sciemment
dissimulé une situation obérée et sans avenir de la société afin d'obtenir son engagement de
caution.
La banque conclut pour sa part à la confirmation du jugement en contestant en premier lieu le caractère non averti de la caution, et en estimant ensuite que le tribunal a fait une exacte
appréciation de l'adaptation des prêts à la situation de la Scea.
A supposer le manquement de la banque à son obligation de mise en garde avéré, le préjudice en résultant pour Madame [J] ne pourrait consister qu'en une perte de chance de ne pas consentir les engagements de caution litigieux, perte dont elle serait alors en droit de demander l'indemnisation par l'allocation de dommages-intérêts. Aucune explication ni aucun fondement n'est par contre invoqué au soutien de sa demande de condamnation de la banque à garantie, laquelle au surplus fait double emploi avec celle visant à obtenir pour la même faute des dommages-intérêts.
C'est par une exacte appréciation de la situation de Madame [J] que la cour fait sienne que le premier juge a retenu qu'elle était, pour chacun des prêts litigieux, une caution non avertie.
Par ailleurs, contrairement à ce que l'appelante soutient, il est suffisamment démontré par les
pièces produites aux débats que le premier juge a exactement analysées que, nonobstant le
caractère légèrement déficitaire de l'exercice comptable lors de l'octroi du premier prêt, celui-ci était néamoins adapté à la situation patrimoniale et financière de la Scea ainsi qu'à
ses besoins en investissements, et qu'il en était de même lors de l'octroi des deux autres prêts.
Cette adaptation est par ailleurs établie par le simple fait que les échéances du prêt du 23 octobre 2010 ont été honorées jusqu'en août 2015, soit pendant près de 5 ans, et que celles des deux prêts consentis en mars 2012 l'ont été jusqu'en juillet 2015, soit pendant plus de trois années.
Il s'en déduit qu'à juste titre le premier juge a retenu que la banque n'était tenue d'aucune obligation de mise en garde envers Madame [O] [J].
PAR CES MOTIFS
Déclare irrecevable la demande formée par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de
Champagne Bourgogne de condamnation de Monsieur [Y] [W] au paiement de sommes solidairement avec la Scea Domaine [W] et Madame [O] [J],
Déclare irrecevable l'appel formé par Madame [O] [J] à l'encontre du jugement du
tribunal judiciaire de Dijon du 10 mai 2021 en ce qu'il a condamné la Scea Domaine [W]
à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne la somme de 1 122,68 euros outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure reçue le 29 août 2016 au titre du découvert à vue du compte n° 52119805627,
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Dijon du 10 mai 2021 en ce qu'il a :
- débouté Madame [J] de sa demande d'inopposabilité de la caution au titre de la disproportion de ses engagements,
- condamné solidairement la Scea Domaine [W] et Madame [O] [W] née
[J] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne
les sommes suivantes :
- au titre du prêt n° 00001513132 de 20 000 euros la somme de 1 562,11 euros
outre intérêts conventionnels au taux de 3,2% sur 1 453,53 euros à compter du 10 août 2016,
- au titre du prêt n°00001672672 de 70 000 euros la somme de 47 481,11 euros outre intérêts conventionnels de 4,35 % sur 33 370,37 euros à compter du 10 août 2016,
- au titre du prêt n°00001672649 de 40 000 euros la somme de 27 643,91 euros outre intérêts conventionnels de 4,35 % sur 19 926,66 euros à compter du 10 août 2016,
- condamné Madame [O] [W] née [J] aux dépens, à l'exclusion des frais
d'hypothèque judiciaire provisoire non justifiés,
- condamné Madame [O] [W] née [J] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Champagne Bourgogne une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Dijon du 10 mai 2021 en ce qu'il a dit que la banque n'était pas soumise à un devoir de mise en garde à l'égard de Madame [O] [J] et a débouté cette dernière de ses prétentions de ce chef,
Condamne Madame [O] [J] divorcée [W] aux dépens de la procédure d'appel, lesquels ne comprendront pas de coût d'une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire,
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Madame [O] [J] à verser à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel
de Champagne Bourgogne 2 000 euros pour ses frais de procédure liés à l'appel.
Le Greffier, Le Président,