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02/02/2023 | FRANCE | N°21/00777

France | France, Cour d'appel de Dijon, 2 e chambre civile, 02 février 2023, 21/00777


SD/IC















[T] [P]



C/



[I] [G] [E]

veuve [P]



[L] [P]



[C] [M]































































































Expédition et copie exécutoire

délivrées aux avocats le

COUR D'APPEL DE DIJON



2 e chambre civile



ARRÊT DU 02 FEVRIER 2023



N° RG 21/00777 - N° Portalis DBVF-V-B7F-FW7M



MINUTE N°



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 février 2016 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Chalons en Champagne - RG : 5114000060 - arrêt de la cour d'appel de Reims du 26 avril 2017 - RG 16/00843 cassé, annulé et renvoyé devant la cour d'appel d'Amiens par a...

SD/IC

[T] [P]

C/

[I] [G] [E]

veuve [P]

[L] [P]

[C] [M]

Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le

COUR D'APPEL DE DIJON

2 e chambre civile

ARRÊT DU 02 FEVRIER 2023

N° RG 21/00777 - N° Portalis DBVF-V-B7F-FW7M

MINUTE N°

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 février 2016 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Chalons en Champagne - RG : 5114000060 - arrêt de la cour d'appel de Reims du 26 avril 2017 - RG 16/00843 cassé, annulé et renvoyé devant la cour d'appel d'Amiens par arrêt de la cour de cassation du 24 janvier 2019 sur pourvoi n° X 17-21.685 - arrêt de la cour d'appel d'Amiens du 24 octobre 2019

- RG 19/01773 cassé par arrêt de la cour de cassation en date du 4 mars 2021 sur pourvoi

n° E 19-26.116

APPELANT :

Monsieur [T] [P]

né le 11 Novembre 1960 à [Localité 18]

domicilié :

[Adresse 13]

[Localité 19]

non comparant, représenté par Me Cécile RENEVEY - LAISSUS, membre de la SELARL ANDRE DUCREUX RENEVEY BERNARDOT, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 2

assistée de Me Isabelle LOREAUX, avocat au barreau de CHALONS EN CHAMPAGNE

INTIMÉS :

Madame [I] [G] [E] veuve [P]

née le 12 Septembre 1935 à [Localité 21])

domiciliée :

[Adresse 22]

[Localité 17]

Monsieur [L] [P]

né le 08 Juin 1965 à [Localité 18]

domicilié :

[Adresse 1]

[Localité 18]

non comparants, représentés par Me Jean-Emmanuel ROBERT, avocat au barreau de REIMS

PARTIE INTERVENANTE :

Monsieur [C] [M], es qualité de curateur aux biens de Mme [I] [G] [E] veuve [P]

domicilié :

[Adresse 14]

[Localité 20]

non comparant, représenté par Me Jean-Emmanuel ROBERT, avocat au barreau de REIMS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 01 décembre 2022 en audience publique devant la cour composée de :

Françoise VAUTRAIN, Présidente de Chambre, Président,

Sophie DUMURGIER, Conseiller, qui a fait le rapport sur désignation du Président,

Leslie CHARBONNIER, Conseiller,

qui en ont délibéré.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Maud DETANG, Greffier

DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 02 Février 2023,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ : par Françoise VAUTRAIN, Présidente de Chambre, et par Maud DETANG, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par acte authentique du 15 mai 1998, M. et Mme [H] [P] ont donné à bail à long terme à deux de leurs fils, [T] et [L], des parcelles sises à [Localité 23] et [Localité 18] (Marne) représentant une superficie totale de 70 ha 03 a 18ca, pour une durée de dix-huit années ayant pris effet le 1er janvier 1998.

Le bail précisait que les terres louées étaient mises à disposition du GAEC de Sommerecourt dont les preneurs étaient alors les seuls membres.

Par acte du 12 avril 2005, M. [L] [P] s'est retiré du GAEC.

Par acte du 22 novembre 2005, les époux [P] ont fait donation à leur fils [T] de la nue-propriété de la parcelle ZB n°[Cadastre 16] située à [Localité 23] et à leur fils [L] de la nue propriété des parcelles ZN n°[Cadastre 6], ZH n°[Cadastre 4] et ZB n°[Cadastre 10] situées à [Localité 18], outre 1/10ème d'une autre parcelle qui n'était pas incluse dans le bail.

Par acte du 27 juin 2014, Mme [I] [P], devenue usufruitière des biens loués après le décès de son mari, a fait délivrer congé aux preneurs à effet au 31 décembre 2015, pour reprise au profit de M. [L] [P] des parcelles ZB [Cadastre 16], devenue ZL [Cadastre 12] à [Localité 23], ZB [Cadastre 10] et [Cadastre 11], ZN [Cadastre 6] et ZO [Cadastre 7], devenues ZR [Cadastre 9], ZR [Cadastre 7], ZS [Cadastre 5] et ZP [Cadastre 3] à [Localité 18].

Par courrier recommandé du 24 octobre 2014, M. [T] [P] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Chalons-en-Champagne aux fins d'annulation du congé pour reprise.

Par jugement rendu le 22 février 2016, le tribunal paritaire des baux ruraux a validé le congé délivré le 27 juin 2014, constaté la résiliation du bail à la date du 31 décembre 2015 et dit que M. [T] [P] devrait laisser les terres libres à compter de cette date, en le condamnant aux dépens.

Le tribunal a considéré que le bénéficiaire de la reprise remplissait les conditions de capacité et d'expérience professionnelle définies par les articles L 411-59, L 331-2 à L 331-5 du code rural et de la pêche maritime, qu'il possédait le cheptel et le matériel nécessaires ou les moyens de les acquérir et que l'opération en cause n'ayant pas pour effet d'augmenter la surface exploitée, inférieure au seuil défini en matière de polyculture, était soumise à simple déclaration.

Sur appel de M. [T] [P], la cour d'appel de Reims, par un arrêt rendu le 26 avril 2017, jugeant la procédure en contestation du congé irrégulière eu égard au caractère indivisible du bail rural, faute pour le demandeur d'avoir mis en cause M. [L] [P], et considérant que le congé était en conséquence définitif, a confirmé le jugement en toutes ses dispositions et débouté M. [T] [P] de sa demande de dommages-intérêts en le condamnant aux dépens de l'instance.

Statuant sur le pourvoi formé par M. [T] [P], la troisième chambre civile de la Cour de cassation a, par un arrêt rendu le 24 janvier 2019, cassé et annulé l'arrêt de la Cour d'appel de Reims en toutes ses dispositions et remis la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les a renvoyées devant la Cour d'appel d'Amiens, en condamnant Mme [P] aux dépens et au paiement d'une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La Cour de cassation a considéré que la cour d'appel n'avait pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile en s'abstenant de répondre aux conclusions de M. [T] [P] qui soutenait que, depuis la séparation des preneurs, co-associés du GAEC, deux nouveaux baux avaient été verbalement conclus avec leurs parents, donnant lieu à des jouissances divises des parcelles et à des comptes de fermages distincts.

Saisie par M. [T] [P], sur renvoi de cassation, la Cour d'appel d'Amiens, par un arrêt du 24 octobre 2019, a :

- déclaré recevable l'intervention forcée de M. [L] [P],

- infirmé en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux du 22 février 2016,

Statuant à nouveau,

- dit que M. [T] [P] est devenu titulaire d'un bail verbal à compter du 1er janvier 2006 portant sur les parcelles de terre suivantes :

Terroir de [Localité 23], parcelle cadastrée ZL n°[Cadastre 12],

Terroir de [Localité 18], surface de 6ha 26a 8ca à prendre sur parcelle cadastrée ZP n°[Cadastre 15], parcelle ZR n°[Cadastre 9],

- dit que le congé délivré le 27 juin 2014 par Mme [I] [E] veuve [P] à M. [T] [P] en ce qu'il porte sur les parcelles susvisées est nul et de nul effet,

- débouté M. [T] [P] de sa demande de dommages-intérêts,

- condamné Mme [I] [E] veuve [P] à payer à M. [T] [P] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [L] [P] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile dirigée contre M. [T] [P],

- mis les dépens d'appel à la charge de Mme [I] [E] veuve [P].

Après avoir considéré que l'appelant était devenu titulaire d'un bail verbal à compter du 1er janvier 2006 sur les parcelles ZL [Cadastre 8] et [Cadastre 9] situées à [Localité 23], et ZR [Cadastre 15] située à [Localité 18], qui a opéré novation du bail initial arrivé à expiration le 31 décembre 2005, et qu'il avait donc seul qualité pour agir en contestation du congé délivré le 27 juin 2014, la cour a invalidé le congé pour reprise faute pour le repreneur d'avoir obtenu une autorisation d'exploiter les biens dont la reprise est poursuivie, en violation des dispositions de l'article L 331-2 4° du code rural et de la pêche maritime.

Elle a rejeté la demande de dommages-intérêts formée par l'appelant au motif que le document écrit émanant du cabinet FDSEA qu'il produisait, non signé et tenant tout entier sur le recto d'une seule page, qui n'était par ailleurs pas étayé par les états financiers de M. [T] [P], ses déclarations de récoltes ou les justificatifs de ses frais, était insuffisant à établir le préjudice dont il se prévalait.

Statuant sur le pourvoi formé par Mme [I] [E] veuve [P] et M. [L] [P], et le pourvoi incident de M. [T] [P], la troisième chambre civile de la Cour de cassation a, par un arrêt rendu le 4 mars 2021, cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de dommages-intérêts de M. [T] [P], l'arrêt de la Cour d'appel d'Amiens, et remis, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt, et les a renvoyées devant la Cour d'appel de Dijon, en condamnant Mme [P] aux dépens et en rejetant les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

La Cour de cassation a considéré que l'arrêt qui, pour déduire que M. [P] ne justifiait pas de son préjudice, a retenu qu'il produisait un document émanant d'un cabinet comptable, non signé et tenant sur le recto d'une page, sans examiner l'étude complète visée par un conseil en gestion, produite dans le bordereau annexé aux dernières conclusions de M. [P], n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile imposant aux juges d'examiner, même sommairement, les pièces versées aux débats par les parties à l'appui de leurs prétentions.

Par déclaration reçue au greffe le 20 mai 2021, M. [T] [P] a saisi la cour d'appel sur renvoi de cassation.

Par jugement rendu le 11 août 2022, le juge des contentieux de la protection de Chalons en Champagne a ouvert une mesure de curatelle renforcée au profit de Mme [I] [P] et désigné M. [C] [M] en qualité de curateur aux biens et M. [L] [P] en qualité de curateur à la personne.

M. [T] [P] a assigné M. [M], ès-qualités, en intervention forcée, par acte du 26 septembre 2022.

Par conclusions n°3 notifiées le 29 novembre 2022 et soutenues oralement à l'audience, M. [T] [P] demande à la Cour de :

Vu l'arrêt de la Cour d'appel d'Amiens du 24 octobre 2019,

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 4 mars 2021,

Vu l'article 1134 et 1147 ancien du code civil,

Vu l'article L 111-[XXXXXXXX02] et L 111'11 du code des procédures civiles d'exécution,

Réformant le jugement rendu le 26.04.2017 [ en réalité 22 février 2016 ] par le Tribunal paritaire des baux ruraux de Châlons en Champagne,

- le déclarer recevable et bien fondé en sa demande d'intervention forcée de M. [C] [M], ès-qualités de curateur aux biens de Mme [E] [I],

- condamner Mme [E] [I] à lui payer la somme de 195 555 euros au titre du préjudice subi sur la période 2016 à 2024,

- ordonner sa réintégration et l'expulsion de M. [P] [L] de toutes les parcelles pour lesquelles congé a été donné à savoir :

[Localité 18]

ZR [Cadastre 9] pour 18 ha 19 a 91 ca

ZR [Cadastre 7] pour 10 ha 40 a 83 ca

ZP [XXXXXXXX02] pour 24 ha 35 a 58 ca

[Localité 23]

ZL [Cadastre 12] pour 11 ha 66 a 86 ca,

A titre subsidiaire,

- ordonner une expertise judiciaire afin de déterminer le préjudice financier qu'il subit sur les parcelles objet du congé entre l'année 2016 et l'année 2024,

- condamner Mme [E] [I] à lui payer la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées le 25 novembre 2022 et soutenues oralement à l'audience, Mme [I] [P], M. [C] [M], ès-qualités de curateur de Mme [P], et M. [L] [P] demandent à la Cour de :

Vu les articles 111-[XXXXXXXX02] et 111-11 du code des procédures civiles d'exécution,

Vu l'arrêt de la Cour d'appel d'Amiens du 24 octobre 2019,

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 4 mars 2021,

- déclarer M. [T] [P] irrecevable et mal fondé en son appel,

- confirmer la décision entreprise en ce qu'il n'a pas été prononcé à l'encontre de :

« Madame [E] [I] de condamnation à payer à M. [P] [T] la somme de 195 555 euros au titre du préjudice subi sur la période 2016 à 2024,

Monsieur [P] [L] l'expulsion de toutes les parcelles pour lesquelles congé a été donné à savoir :

[Localité 18], ZR [Cadastre 9] pour 18 ha 19 a 91 ca, ZR 2 pour [XXXXXXXX02] lia 40 a 83 ca, ZP [XXXXXXXX02] pour [Cadastre 10] lia 35 a 58 ca,

[Localité 23], ZL [Cadastre 12] pour 11 ha 66 a 86 ca,

De condamner Mme [E] [I] à payer à M. [P] [T] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens »,

- déclarer M. [T] [P] irrecevable et mal fondé en sa demande d'expulsion à l'encontre de M. [L] [P],

- débouter M. [T] [P] de l'ensemble de ses demandes tant à l'encontre de Mme [I] [R] que de M. [L] [P],

- condamner M. [T] [P] à verser à Mme [I] [R] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.  

''

SUR CE

Sur la demande d'expulsion de M. [L] [P]

Les intimés, arguant des dispositions des articles 624 et 638 du code de procédure civile, affirment que la cour de renvoi ne peut statuer sur les chefs non atteints par la cassation qui bénéficient de l'autorité de chose jugée.

Ils rappellent, qu'à la suite du jugement du 22 février 2016, assorti de l'exécution provisoire, Mme [P] a, en application des articles L 111-11 du code des procédures civiles d'exécution et L 411-66 du code rural et de la pêche maritime, consenti deux baux au bénéficiaire du congé, [L] [P], lequel exploite les parcelles dans le respect du contrôle des structures, et ils relèvent que la Cour d'appel d'Amiens n'a pas fait droit à la demande d'expulsion présentée par [T] [P] et n'a jamais ordonné l'expulsion d'[L] [P], pas plus qu'elle n'a déclaré nuls et non avenus les baux consentis à ce dernier en 2016 et 2017.Ils en déduisent que la cour de renvoi n'a vocation à connaître que de la demande de dommages-intérêts formée devant la Cour d'appel d'Amiens par l'appelant à l'encontre Mme [P], ce dernier étant irrecevable à former devant la cour de renvoi une demande qui n'est pas visée par le dispositif de l'arrêt de cassation du 4 mars 2021, la demande de dommages-intérêts ne présentant aucun lien avec une demande d'expulsion.

Ils relèvent enfin que M. [T] [P] a saisi le Tribunal paritaire des baux ruraux de Châlons-en-Champagne d'une demande tendant à l'annulation du bail consenti à son frère par leur mère le 1er juin 2017, portant sur la parcelle ZL [Cadastre 12].

L'appelant objecte que si l'article 624 du code de procédure civile prévoit que la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce, l'article 632 du même code précise que les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux à l'appui de leurs prétentions et l'article 639 que l'affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation.

Il fait valoir, qu'en exécution du jugement rendu le 22 février 2016, il a restitué les parcelles louées le 23 mars 2016 et, qu'en application des articles L 111-[XXXXXXXX02] et L 111-11 du code des procédures civiles d'exécution, il doit être restitué dans ses droits, en nature ou par équivalent.

Il prétend qu'il convient de lui permettre de reprendre les parcelles pour les exploiter à l'issue de la décision à venir et de procéder à l'expulsion de M. [L] [P].

En réponse à l'intimé qui prétend que la Cour d'appel d'Amiens n'a pas fait droit à sa demande d'expulsion, il objecte que la cour ne s'est pas prononcée sur ce chef de demande et qu'elle a limité sa décision à la nullité du congé bien que saisie d'une demande d'expulsion d'[L] [P].

Il explique que son préjudice consiste non seulement dans le défaut d'exploitation calculé jusqu'en 2024 mais également dans l'impossibilité d'exploiter les parcelles du fait de leur exploitation actuelle par son frère qui se maintient dans les lieux, alors qu'il est en droit d'exiger sa réintégration à la suite de la nullité du congé.

Il estime, qu'à défaut de réintégration, son préjudice ne sera pas totalement indemnisé par l'allocation d'une indemnité pour défaut d'exploitation limitée à l'année 2024 et que l'expulsion de son frère est nécessaire pour remettre les parties dans l'état ou elles se trouvaient avant les effets du congé.

Selon les articles 624 et 625 du code de procédure civile, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce et elle s'étend également à l'ensemble des dispositions de la décision cassée ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

L'article 638 du même code énonce que l'affaire est à nouveau jugée, en fait et en droit, par la cour d'appel de renvoi, à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation.

En l'espèce, la Cour de cassation, dans son arrêt du 4 mars 2021, a cassé le chef de dispositif de l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens qui a rejeté la demande de dommages-intérêts de M. [T] [P].

Or la demande présentée par l'appelant, visant à voir ordonner l'expulsion de M. [L] [P], déjà formée devant la cour d'appel d'Amiens, se rapporte à la nullité du congé prononcée par la cour qui n'est pas visée par la cassation.

Contrairement à ce que sous entend M. [T] [P], cette conséquence de la nullité du congé n'a aucun lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire avec le chef de dispositif de l'arrêt qui a rejeté sa demande de dommages-intérêts.

En conséquence, la demande de l'appelant aux fins de réintégration et d'expulsion de M. [P] [L] de toutes les parcelles pour lesquelles le congé a été donné sera déclarée irrecevable.

''

Sur la demande indemnitaire de M. [T] [P]

L'article L 111-[XXXXXXXX02] du code des procédures civiles d'exécution énonce que, sous réserve des dispositions de l'article L 311-4, l'exécution forcée peut être poursuivie jusqu'à son terme en vertu d'un titre exécutoire à titre provisoire.

L'exécution est poursuivie aux risques du créancier. Celui-ci rétablit le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent si le titre est ultérieurement modifié.

L'article L 111-11 du même code prévoit que, sauf dispositions contraires, le pourvoi en cassation en matière civile n'empêche pas l'exécution de la décision attaquée.

Cette exécution ne peut donner lieu qu'à restitution ; elle ne peut en aucun cas être imputée à faute.

En application de ces dispositions légales, M. [T] [P] prétend que l'indemnisation constitue une restitution et que les juges du fond ne peuvent pas refuser d'indemniser le preneur de la privation de jouissance consécutive à l'exécution d'une décision réformée ou cassée, ajoutant que le montant de l'indemnisation correspond au préjudice résultant de l'éviction.

Il expose, qu'en l'espèce, il est titulaire d'un bail verbal sur les parcelles ZL [Cadastre 12] située à [Localité 23] et ZR [Cadastre 9] située à [Localité 18] qu'il n'exploite plus depuis le 23 mars 2016, qu'il apporte la preuve qu'il a parfaitement entretenu ces parcelles, lesquelles sont actuellement exploitées par son frère au titre d'un bail du 1er mars 2016.

Il demande en conséquence sa réintégration par équivalent à compter de l'année 2016 et jusqu'à l'année 2024, date de fin du bail renouvelé, faisant valoir que son comptable a procédé à un calcul du préjudice durant cette période sur la marge semi-nette par hectare sur la base des données issues des moyennes FDSEA Conseil, qui ressort à 195 555 euros, ce préjudice consistant à ne pas avoir pu exploiter les parcelles objet du congé depuis la reprise effectuée par Me [O] le 23 mars 2016.

En réponse aux intimés qui contestent le mode de calcul de l'indemnité réclamée, il réplique que ces derniers ne proposent aucune autre méthode de calcul de son préjudice, alors que la méthode utilisée par la FDSEA Conseil qui consiste à estimer la perte de revenus sur la base d'une analyse de groupe par année a été validée à plusieurs reprises par les juridictions.

Les intimés prétendent, en premier lieu, que M. [P] ne peut pas réclamer une indemnisation à compter du 23 mars 2016, date de la reprise des parcelles, alors que ce n'est que le 24 janvier 2019 que la Cour de cassation a cassé l'arrêt confirmatif de la Cour d'appel de Reims validant le congé, et ils affirment que c'est à partir de cette date qu'[T] [P] pouvait être rétabli dans ses droits et qu'il aurait dû solliciter la restitution des parcelles, sans pouvoir solliciter la réparation d'un préjudice pour perte de jouissance pour la période antérieure, l'exécution du jugement ne pouvant donner lieu qu'à restitution et non à des dommages-intérêts.

Ils ajoutent que l'appelant n'a jamais sollicité la restitution des parcelles reprises et qu'il s'est cantonné à réclamer des dommages-intérêts en modifiant sans cesse le quantum de ses demandes et soulignent qu'il a spontanément exécuté le jugement du Tribunal paritaire des baux ruraux, la bailleresse n'ayant pas poursuivi cette exécution.

Ils précisent qu'il n'exploitait d'ailleurs plus les parcelles, ce qu'a pu constater l'huissier qui a procédé à la reprise, et relèvent que M. [P] ne démontre pas l'existence d'une faute qui pourrait être imputée à la bailleresse après l'arrêt infirmatif rendu par la Cour d'appel d'Amiens, laquelle a demandé au preneur de quitter les lieux, ce qu'il a refusé de faire.

En second lieu les intimés considèrent que l'appelant ne justifie pas d'un préjudice réel et certain jusqu'en 2024 dès lors que rien ne permet de dire qu'il n'aura pas repris possession des parcelles avant cette date ni de considérer qu'il sera encore exploitant alors qu'il va prendre sa retraite en 2023.

Ils ajoutent que M. [T] [P] a radié son entreprise individuelle en avril 1993 et qu'il exploite dans le cadre de la société [D], de sorte que seule cette société pourrait prétendre subir un préjudice.

Enfin, ils relèvent que la somme réclamée n'est pas fondée sur les résultats de M. [T] [P] ou de sa société d'exploitation mais sur des références de la FDSEA tirées des résultats moyens de ses adhérents qui ne peuvent pas être représentatives de sa propre situation.

Ils font valoir qu'aucun document comptable concernant ses bénéfices agricoles et ses résultats n'est produit sur la période concernée, en précisant avoir soumis l'étude de la FDSEA à un expert foncier et agricole qui indique clairement que cette étude ne saurait refléter le préjudice de l'appelant.

En application de l'article L 110-1 du code des procédures civiles d'exécution, l'exécution d'une décision de justice exécutoire à titre provisoire n'a lieu qu'aux risques de celui qui la poursuit, à charge pour lui, si le titre est ultérieurement modifié, d'en réparer les conséquences dommageables.

Si, en l'espèce, il résulte des débats que M. [T] [P] a restitué les parcelles louées en exécution du jugement rendu le 22 février 2016 par le tribunal partiaire des baux ruraux, assorti de l'exécution provisoire et signifié à l'initiative des bailleurs, il est cependant fondé à se prévaloir des dispositions légales susvisées, étant tenu d'exécuter la décision qui lui avait été notifiée, et ce d'autant qu'il en avait interjeté appel.

Cependant, ainsi que le relèvent les intimés, M. [T] [P] sollicite l'indemnisation de la perte d'exploitation résultant de la reprise des terres par les bailleurs alors que les parcelles étaient exploitées par l'EARL [D] depuis au moins le 1er janvier 2015, ce qui ressort du relevé d'exploitation établi par la MSA constituant la pièce 21 de l'appelant, puis par le GAEC [D] au moins depuis le 1er juin 2015, comme en atteste le courrier adressé à cette date par le preneur à sa mère, puis par la SCEA [D] à compter du 1er juillet 2021.

Comme le confirme le projet de détermination du préjudice établi le 12 avril 2021 par la FDSEA Conseil au nom du GAEC [D], la perte invoquée, telle que calculée par cet organisme, n'a donc pas été subie par M. [T] [P] qui ne pourra dès lors qu'être débouté de sa demande de dommages-intérêts, ajoutant au jugement entrepris.

L'appelant qui succombe supportera la charge des dépens de la procédure d'appel.

L'équité commande de laisser à chacune des parties la charge des frais de procédure qu'elle a exposés devant la cour de renvoi et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant dans les limites de la cassation,

Déclare irrecevable la demande de M. [T] [P] tendant à voir ordonner sa réintégration et l'expulsion de M. [P] [L] de toutes les parcelles pour lesquelles le congé a été donné,

Ajoutant au jugement rendu le 22 février 2016 par le Tribunal paritaire des baux ruraux de Châlons en Champagne,

Déboute M. [T] [P] de sa demande de dommages-intérêts,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit des intimés devant la cour de renvoi,

Condamne M. [T] [P] aux dépens de la procédure d'appel, à l'exclusion des dépens de l'arrêt cassé.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Dijon
Formation : 2 e chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/00777
Date de la décision : 02/02/2023
Sens de l'arrêt : Irrecevabilité

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-02;21.00777 ?
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