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02/02/2023 | FRANCE | N°21/00205

France | France, Cour d'appel de Dijon, Chambre sociale, 02 février 2023, 21/00205


RUL/CH













[S] [N]





C/



S.A.S. LA CONSEILLERIE DES TONNELIERS prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité au siège social

































Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée



le :



à :



































RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE DIJON



CHAMBRE SOCIALE



ARRÊT DU 02 FEVRIER 2023



MINUTE N°



N° RG 21/00205 - N° Portalis DBVF-V-B7F-FU2M



Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DIJON, section Commerce, décision attaqu...

RUL/CH

[S] [N]

C/

S.A.S. LA CONSEILLERIE DES TONNELIERS prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité au siège social

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 02 FEVRIER 2023

MINUTE N°

N° RG 21/00205 - N° Portalis DBVF-V-B7F-FU2M

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DIJON, section Commerce, décision attaquée en date du 04 Mars 2021, enregistrée sous le n° 19/00079

APPELANTE :

[S] [N]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Sandrine ANNE, avocat au barreau de DIJON

INTIMÉE :

S.A.S. LA CONSEILLERIE DES TONNELIERS prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité au siège social

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par Me Laurent ASTRUC de la SELARL ALCYACONSEIL, avocat au barreau de LYON, et Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON substituée par Me Harmonie TROESTER, avocat au barreau de DIJON

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Décembre 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller chargé d'instruire l'affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :

Olivier MANSION, Président de chambre,

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,

Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE :

Mme [S] [N] a été embauchée par la société LA CONSEILLERIE DES TONNELIERS à compter du 7 décembre 2011 en qualité de comptable, niveau II, échelon A, de la convention collective des vins, cidres, jus de fruits, spiritueux et liqueurs de France.

Le 18 décembre 2017, elle a fait un malaise sur son lieu de travail.

Les 22 novembre 2017 et 13 février 2018, deux avertissements lui ont été notifiés consécutivement à des erreurs commises dans son travail et la destruction d'un dossier.

Le 24 septembre 2018, au terme de la visite médicale de reprise, le médecin du travail déclarait la salariée inapte.

Le 8 octobre 2018, elle a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 18 suivant.

Le 23 octobre 2018 elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par requête du 6 février 2019, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Dijon afin de contester son licenciement et faire condamner son employeur aux conséquences indemnitaires afférentes, outre l'annulation des avertissements infligés.

Par jugement du 4 mars 2021, le conseil de prud'hommes l'a déboutée de sa demande de requalification de son licenciement pour inaptitude en licenciement sans cause réelle et sérieuse et de ses demandes indemnitaires afférentes, ainsi que de sa demande d'annulation de l'avertissement du 22 novembre 2017. Il a en revanche annulé l'avertissement du 13 février 2018 et condamné l'employeur à lui payer la somme de 1 400 euros à titre de dommages-intérêts.

Par déclaration du 16 mars 2021, la salariée a relevé appel de cette décision.

Aux termes de ses écritures du 15 juin 2021, l'appelante sollicite de :

- infirmer partiellement le jugement déféré,

- juger que son inaptitude a pour seule origine le comportement fautif à son égard de l'employeur, lequel s'analyse à titre principal en un harcèlement moral, et subsidiairement, en une exécution déloyale du contrat de travail,

- annuler l'avertissement du 22 novembre 2017,

- condamner la société LA CONSEILLERIE DES TONNELIERS à lui payer les sommes suivantes :

* 1 500 euros en réparation du préjudice moral en lien avec la mise en 'uvre d'un avertissement le 22 novembre 2017 injustifié,

* 10 500 euros au titre du licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,

* 2 685,94 euros à titre de complément d'indemnité de licenciement, ayant tous égards pour l'origine professionnelle de l'inaptitude,

* 3 034,96 euros à titre d'indemnité équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis,

* 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société LA CONSEILLERIE DES TONNELIERS aux dépens de la présente instance.

Aux termes de ses dernières écritures du 1er septembre 2021, la société LA CONSEILLERIE DES TONNELIERS demande de :

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [N] de :

* sa demande de requalification de son licenciement pour inaptitude en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* sa demande d'annulation de l'avertissement du 22 novembre 2017,

* sa demande d'indemnité à titre de complément d'indemnité de licenciement d'origine professionnelle, de sa demande d'indemnité au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, de sa demande de transmission de documents légaux rectifiés,

- l'infirmer en ce qu'il a :

* annulé l'avertissement du 13 février 2018 et l'a condamnée à verser à Mme [N] la somme de 1 400 euros à titre de dommages-intérêts,

* condamné la société LA CONSEILLERIE DES TONNELIERS à verser à la salariée la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* dit que les dépens de l'instance seront supportés par la société LA CONSEILLERIE DES TONNELIERS,

- débouter Mme [N] de l'intégralité de ses demandes,

- la condamner à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance.

Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I - Sur le bien fondé des avertissements des 22 novembre 2017 et 13 février 2018 :

a - Sur l'avertissement du 22 novembre 2017 :

A titre liminaire, la cour relève que dans le corps de ses écritures, Mme [N] sollicite que la lettre du 22 novembre 2019 soit considérée comme une sanction, ce qui est effectivement discuté par l'employeur.

Il ressort toutefois de la lecture de ladite lettre que si elle ne fait pas mention des termes "avertissement" ou "sanction", il y est fait état d'une longue liste de manquements précisément définis et se termine par "nous vous précisons que ces erreurs ne nous paraissent pas acceptables et ne seront plus tolérées. Nous attendons par conséquence de votre part une réaction rapide, et une amélioration significative de la qualité de vos travaux" (pièce n° 9).

Dans ces conditions, la formulation par l'employeur, à l'issue de reproches précisément décrits comme inacceptables et ne pouvant être tolérés, d'une demande d'amélioration "significative" de la qualité du travail de la salariée s'analyse d'évidence comme un avertissement.

Aux termes de l'article L. 1333-1 du code du travail, en cas de litige le juge apprécie la régularité de la procédure et si les faits sont de nature à justifier une sanction. L'employeur fournit les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le juge forme sa conviction après avoir ordonné en cas de besoin une mesure d'instruction. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Il est constant que la faute du salarié, qui peut donner lieu à sanction disciplinaire de l'employeur, ne peut résulter que d'un fait avéré, acte positif ou abstention, mais alors dans ce dernier cas de nature volontaire, fait imputable au salarié et constituant de sa part une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail.

En l'espèce, il ressort des pièces produites que de nombreuses erreurs d'écritures ont été constatées par l'employeur lorsque celui-ci a poursuivi le travail de la salariée en son absence, durant son arrêt de travail (pièces n° 10 à 18), outre des erreurs comptables relevées par le cabinet comptable de la société (pièces n° 20 et 21).

Ces erreurs sont celles visées dans la lettre d'avertissement du 22 novembre 2017.

Tout en admettant dans ses écritures ne pas avoir contesté ces reproches, la salariée oppose qu'elle a été embauchée pour occuper un emploi de comptable, niveau III, échelon B, mais qu'elle n'avait pas les compétences requises faute de formation en adéquation avec la spécificité de l'activité, de sorte que des erreurs étaient possibles et c'était à l'employeur d'en accepter l'augure.

La cour relève néanmoins qu'il ressort des bulletins de paye produits que Mme [N] a été embauchée en qualité de comptable, niveau III, échelon A puis qu'elle a été promue à l'échelon B (pièces n° 1 et 2).

Or il ressort de l'annexe III : Ouvriers - Accord du 11 décembre 1969 relatif à la classification des emplois des ouvriers et employés que s'agissant des personnels dit "comptable", ce niveau de qualification s'applique à un "employé hautement qualifié traduisant en comptabilité des opérations commerciales, industrielles ou financières, les compose et les assemble pour que l'on puisse en tirer : prix de revient, balance, bilan, statistiques, prévisions de trésorerie, etc. Il est capable de justifier en permanence les soldes des comptes dont il a la charge. Il établit soit le prix de revient industriel, soit le prix de revient commercial d'un produit manufacturé en collationnant tous les éléments utiles"

En outre, il n'est prévu pour ce type d'emploi aucun pré-requis en termes de diplôme ni aucune exigence de formation spécifiques, qu'elle soit préalable ou non.

En conséquence, l'argument de Mme [N] est inopérant, ce d'autant que les erreurs techniques et comptables qui lui sont reprochées relèvent d'erreurs de calcul simples (additions erronées) ou d'un défaut d'actualisation des déclarations par rapport au mois précédent, ce qui ne relève en tout état de cause pas d'un défaut de formation. Il y a donc lieu de considérer, par confirmation du jugement déféré, que l'employeur justifie du bien fondé de l'avertissement délivré, lequel ne caractérise pas un usage disproportionné de son pouvoir disciplinaire.

b - Sur l'avertissement du 13 février 2018 :

Le 13 février 2018, un avertissement a été notifié à Mme [N] pour avoir détruit le dossier d'un fournisseur le 14 décembre précédent (pièce n° 34).

A l'appui, il produit :

- des attestations de salariés présents à cette date indiquant avoir constaté et/ou entendu Mme [N] passer des documents au broyeur vers 8h30, (pièces n° 35 à 38)

- un procès-verbal de constatation d'un huissier de Justice (pièce n° 39) dressé après découverte du dossier recherché dans la broyeuse.

Pour sa part, la salariée oppose que :

- elle n'a pas commis les faits qui lui sont reprochés,

- la mise en scène par l'employeur de la faute qui lui est imputée donne le ton du climat dans lequel celle-ci travaillait depuis le 13 novembre 2017, faisant l'objet d'une surveillance rapprochée de la part de l'ensemble du personnel, d'une fouille de ses affaires en son absence le 17 décembre 2017, étant victime d'une ambiance d'hostilité affichée à son égard,

- lorsque l'huissier de Justice s'est présenté à 18h00, les photos prises démontrent que les documents se trouvaient encore dans le broyeur alors que les témoins indiquent que les pièces qui figuraient dans le broyeur à 18 heures avaient déjà été retirées par les salariés dans la journée et reconstitués hors la présence de l'huissier.

Il ressort du procès-verbal de constatation dressé le 14 décembre 2017 à 18 heures que les restes d'un dossier au nom de la société PERROT contenant un chèque d'un montant de 604,80 euros et la facture correspondante, un "historique article" (pièces commerciales), un "détail des mouvements" et un document intitulé "consultation - 401 PERROT PERROT", ce qui correspondait aux termes de la lettre d'avertissement, ont été retrouvés dans le bac du broyeur, à l'exclusion de tout autre document.

Il ressort également des attestations produites que Mme [N] a été vue par plusieurs salariée, le jour même autour de 8h 30, en train d'utiliser le broyeur.

Néanmoins, nonobstant le fait qu'une partie du contenu du broyeur a été manipulé par Mme [T], laquelle indique avoir reconstitué un chèque détruit (pièce n° 37), avant l'arrivée de l'huissier, la cour relève qu'aucun témoin n'est en mesure d'affirmer qu'il a vu la salariée détruire elle-même le dossier litigieux. Or il ressort des pièces produites que plusieurs heures se sont écoulées entre le moment où elle a utilisé le broyeur, le moment où la disparition du dossier a été constatée, le moment où celui où il a été retrouvé et enfin l'arrivée de l'huissier, de sorte que si aucun des témoins n'a vu quelqu'un d'autre utiliser le broyeur ou le vider de son contenu préalable, il ne s'en déduit pas avec certitude que seule Mme [N] a utilisé le broyeur durant les 11h30 ainsi écoulées.

Dans ces conditions, un doute subsiste qui doit profiter à la salariée et l'avertissement du 13 février 2018 doit être annulé par confirmation du jugement déféré.

Au titre de cette annulation, Mme [N] sollicite dans le corps de ses écritures la confirmation du jugement en ce qu'il lui a alloué la somme de 1 000 euros bien qu'en réalité la somme allouée soit de 1 400 euros, la confirmation du jugement à cet égard n'étant pas demandée dans le dispositif de ses conclusions.

En tout état de cause, il ne peut y avoir de réparation sans preuve du préjudice subi, l'existence et l'évaluation de celui-ci relevant de l'appréciation souveraine des juges du fond sur la base des justificatifs produits aux débats.

En l'espèce, Mme [N] n'apporte aucun élément permettant de justifier de la réalité d'un préjudice résultant de l'avertissement annulé. La demande à ce titre sera donc rejetée, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.

II - Sur le bien fondé du licenciement pour inaptitude :

Mme [N] soutient pèle-mêle :

- d'une part qu'elle a été licenciée pour inaptitude d'origine non professionnelle malgré la décision de la CPAM 21 du 23 mai 2018 (pièces n° 23 à 27) dont l'employeur était informé puisqu'il justifie avoir exercé de nombreux recours pour contester la reconnaissance de l'origine professionnelle du malaise survenu le 18 décembre 2017,

- la dégradation de ses conditions de travail, laquelle date de son premier arrêt maladie et de son cancer soigné en 2012, se caractérise par le fait que :

* à son retour en mars 2013 elle n'a pas retrouvé son poste de comptable avant le départ fin 2014 du salarié qui avait été recruté sur son emploi,

* elle était censée travailler à temps partiel, ce qui n'a jamais été le cas,

* elle a assumé de nombreuses missions qui n'entraient pas dans la définition de son emploi initial au mépris de sa santé de sorte qu'elle sera victime de deux accidents du travail au cours de l'année 2015,

* elle a vécu dans la peur de perdre son emploi à cause de son état de santé,

* en avril 2017 un contrôle inopiné de l'inspection du travail a constaté diverses anomalies, en particulier la concernant, et son employeur est persuadé qu'elle est à l'origine de ce contrôle,

* lorsqu'elle a repris son poste en 2017 après une opération de la cheville, la salariée recrutée pour la remplacer est maintenue sur son poste informatique et c'est elle qui doit se déplacer sur un autre bureau, sans travail particulier à faire et certainement pas en lien avec ses fonctions antérieures,

* son déclassement s'inscrit dans la logique des griefs qui figurent dans le courrier du 22 novembre 2017,

* sa charge de travail était trop importante,

* la détermination de l'employeur à se séparer d'elle est caractérisée par l'avertissement du 13 février 2018,

et conclut avoir été victime de discrimination en lien avec son état de santé et en particulier son dernier arrêt maladie, et d'un harcèlement moral ou d'une exécution déloyale du contrat de travail.

a - sur l'origine professionnelle de l'inaptitude :

Le régime protecteur applicable au salarié inapte, victime d'accident du travail ou de maladie professionnelle, s'applique dans tous les cas où l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a au moins partiellement un lien avec l'exécution du contrat de travail.

Si le salarié a été déclaré inapte à son poste de travail et que l'employeur ne pouvait pas ignorer le lien potentiel entre les faits et l'inaptitude du salarié, les dispositions de l'article L 1226-14 du code du travail doivent être respectées, et il ressort de la compétence du juge de rechercher le lien de causalité qui peut n'être que partiel.

En l'espèce, Mme [N] fonde sa demande de requalification professionnelle de son inaptitude sur une décision de la CPAM de Côte d'Or du 23 mai 2018 admettant la prise en charge de son arrêt de travail au titre des accidents d'origine professionnelle (pièces n° 12, 13, 14, 17, 23 à 27), ce dont l'employeur était, selon elle, informé.

La cour rappelle néanmoins qu'en raison du principe d'indépendance des règles du droit du travail par rapport à celles du droit de la sécurité sociale, une telle décision n'est pas de nature à établir un lien avec l'exécution du contrat de travail.

Par ailleurs, l'avis d'inaptitude émis le 29 septembre 2018 par le médecin du travail indique "inaptitude médicale à son poste de travail de comptable et à tout poste dans son entreprise. Resterait apte à un poste équivalent, mais dans un contexte de travail différent [...]", ce qui ne suffit pas à établir le lien allégué, ce d'autant qu'il ressort des écritures des parties comme des pièces produites que le parcours professionnel de la salariée est ponctué de multiples arrêts de travail pour la plupart sans lien avec son activité professionnelle.

Enfin, s'il est établi que le 18 décembre 2018 elle a été victime d'un malaise sur son lieu de travail, il résulte des circonstances de celui-ci qu'il est intervenu un lundi, quatre jours après la découverte du dossier dont la destruction lui est attribuée par son employeur, que cette découverte et l'intervention de l'huissier ont été faites le jeudi précédent, hors sa présence, de sorte que rien n'établit qu'elle en était informée, ce d'autant que le vendredi 18 elle ne travaillait pas.

Par ailleurs, dans le questionnaire adressé à la CPAM, l'employeur indique que si Mme [N] a indiqué à ses collègues le lundi matin "qu'elle s'était sentie mal tout le week-end, qu'elle avait la poitrine qui la "serrait" et le coeur qui battait très vite, qu'elle ressentait comme des palpitations", il n'est fait aucun lien avec son travail ou l'incident survenu quatre jours auparavant. (pièce n° 23)

Il s'en déduit que son ressenti d'un "climat hostile sur le lieu de travail à son retour le lundi matin" résulte d'une interprétation personnelle, de sorte qu'il n'est pas établi un lien, même partiel, entre sa pathologie et son inaptitude.

b - Sur la discrimination :

L'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 dispose que "Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son origine, de son sexe, de sa situation de famille, de sa grossesse, de son apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son patronyme, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, de son état de santé, de sa perte d'autonomie, de son handicap, de ses caractéristiques génétiques, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable".

En application des articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail, pour se prononcer sur l'existence d'une discrimination, il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une telle discrimination et à l'employeur de prouver, au vu de ces éléments, que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Mme [N] soutient dans le corps de ses conclusions avoir été victime de discrimination en lien avec son état de santé et en particulier son dernier arrêt maladie.

La cour relève néanmoins qu'au titre des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une telle discrimination dont la charge lui incombe, elle ne produit aucun élément, se bornant à alléguer d'une modification de ses fonctions, par ailleurs soutenue au titre du harcèlement moral, et à contester les pièces produites par l'employeur aux fins de démontrer que ses attributions n'avaient en réalité aucunement changé.

Il s'en déduit que ces éléments, pris dans leur ensemble, ne permettent pas de supposer l'existence d'une telle discrimination et à l'employeur de prouver, au vu de ces éléments, que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le moyen n'est donc pas fondé.

c - Sur le harcèlement moral :

Il résulte des dispositions de l'article L.1152-1 du code du travail qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1154-1 précise à sa suite qu'en cas de litige relatif à l'application notamment de l'article L.1152-1 précité, le salarié présente des éléments de fait qui permettent de laisser supposer l'existence d'un harcèlement.

Ainsi lorsque le salarié présente des faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement

Mme [N] soutient à cet égard que la dégradation de ses conditions de travail depuis 2012 est consécutive à un harcèlement moral caractérisé par le fait que :

* à son retour en mars 2013 elle n'a pas retrouvé son poste de comptable avant le départ fin 2014 du salarié qui avait été recruté sur son emploi,

* elle était censée travailler à temps partiel à la suite des préconisations du médecin du travail du 13 novembre 2017, ce qui n'a jamais été le cas,

* elle a assumé de nombreuses missions qui n'entraient pas dans la définition de son emploi initial au mépris de sa santé de sorte qu'elle sera victime de deux accidents du travail au cours de l'année 2015,

* elle a vécu dans la peur de perdre son emploi à cause de son état de santé,

* en avril 2017 un contrôle inopiné de l'inspection du travail a constaté diverses anomalies, en particulier la concernant, et son employeur est persuadé qu'elle est à l'origine de ce contrôle,

* lorsqu'elle a repris son poste en 2017 après une opération de la cheville, la salariée recrutée pour la remplacer est maintenue sur son poste informatique et c'est elle qui doit se déplacer sur un autre bureau, sans travail particulier à faire et certainement pas en lien avec ses fonctions antérieures,

* son déclassement s'inscrit dans la logique des griefs qui figurent dans le courrier du 22 novembre 2017,

* sa charge de travail était trop importante,

* le lundi 18 décembre 2017 à 08h15, elle a découvert que ses affaires avait été déplacées et manifestement fouillées, et tout le monde l'a ignorée ostensiblement,

* la détermination de l'employeur à se séparer d'elle est caractérisée par l'avertissement du 13 février 2018.

Au titre des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral dont la charge lui incombe, elle produit diverses pièces médicales (pièces n° 29 à 35), outre la notification de prise en charge par la CPAM de Côte d'Or 21 du 10 août 2018 ainsi que l'avertissement du 13 février 2018 (pièce n° 18).

Néanmoins, la cour relève que les certificats médicaux produits affirmant l'existence d'un lien entre la pathologie de la salariée et son activité professionnelle, en particulier "les conduites de ses supérieurs dans son cadre professionnel" ne reposent que sur les déclarations de la salariée elle-même, à l'exclusion de toute constatation effectuée par le praticien.

En outre, l'avis d'inaptitude du 24 septembre 2018 ne fait aucunement mention d'un quelconque harcèlement moral, l'assertion "resterait inapte à un poste équivalent mais dans un contexte de travail différent" pouvant revêtir de multiples significations, pas plus que la réponse du médecin du travail du 3 octobre 2018 à la demande de précisions de l'employeur (pièces n° 2 et 3).

Par ailleurs, le fait qu'un des deux avertissements notifiés à la salariée a été annulé ne permet pas à lui seul de supposer l'existence d'un harcèlement.

Il s'en déduit que ces éléments, pris dans leur ensemble, ne permettent pas de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Le moyen n'est donc pas fondé.

Il en est de même de l'exécution fautive du contrat de travail alléguée, sur le fondement des mêmes faits, par la salariée.

d - Sur le bien fondé du licenciement :

L'article L1226-2 du code du travail dans sa version applicable au 1er janvier 2018, dispose que "Lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu'il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail".

L'article L.1226-2-1 du même code, dans sa version applicable au 1er janvier 2017, énonce notamment que "L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi".

Ainsi définie, l'obligation de reclassement des salariés physiquement inaptes mise à la charge de l'employeur s'analyse en une obligation de moyen renforcée, dont le périmètre s'étend à l'ensemble des sociétés du même secteur d'activité avec lesquelles l'entreprise entretient des liens ou compose un groupe, dont la localisation et l'organisation permettent la permutation de tout ou partie du personnel, et il appartient à l'employeur, débiteur de cette obligation, de démontrer par des éléments objectifs qu'il y a satisfait et que le reclassement du salarié par le biais de l'une des mesures prévues par la loi s'est avéré impossible, soit en raison du refus d'acceptation par le salarié d'un poste de reclassement adapté à ses capacités et conforme aux prescriptions du médecin du travail, soit en considération de l'impossibilité de reclassement à laquelle il se serait trouvé confronté.

En l'espèce, nonobstant les développements de la société LA CONSEILLERIE DES TONNELIERS dans ses écritures relatifs au respect de son obligation de recherche d'un reclassement, la cour relève que Mme [N] ne conteste pas les modalités de son licenciement pour inaptitude avec impossibilité de reclassement, mais soutient uniquement que cette inaptitude serait imputable aux manquements de l'employeur en termes de discrimination, harcèlement moral ou exécution fautive du contrat de travail.

Or, il résulte des développements qui précèdent que ces moyens ne sont pas fondés, de sorte que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de requalification du licenciement pour inaptitude en licenciement sans cause réelle et sérieuse et les demandes afférentes.

III - Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Le jugement déféré sera infirmé sur ces points.

Les demandes des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

Mme [N] succombant, elle supportera les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement rendu le 4 mars 2021 par le conseil de prud'hommes de Dijon sauf en ce qu'il a alloué à Mme [S] [N] des sommes suivantes :

* 1 400 euros à titre de dommages-intérêts pour annulation de l'avertissement du 13 février 2018,

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

REJETTE la demande de Mme [S] [N] à titre de dommages-intérêts pour annulation de l'avertissement du 13 février 2018,

REJETTE les demandes des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Mme [S] [N] aux dépens de première instance et d'appel.

Le greffier Le président

Frédérique FLORENTIN Olivier MANSION


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Dijon
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00205
Date de la décision : 02/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-02;21.00205 ?
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