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19/01/2023 | FRANCE | N°21/00389

France | France, Cour d'appel de Dijon, Chambre sociale, 19 janvier 2023, 21/00389


DLP/CH













Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante (FIVA)





C/



Société [5]



Caisse Primaire d'Assurance Maladie de [Localité 8] (CPAM)













































Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée



le :



à :



































RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE DIJON



CHAMBRE SOCIALE



ARRÊT DU 19 JANVIER 2023



MINUTE N°



N° RG 21/00389 - N° Portalis DBVF-V-B7F-FWNT



Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de SAONE ET LOIRE, décision attaquée en date du 23 Janvi...

DLP/CH

Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante (FIVA)

C/

Société [5]

Caisse Primaire d'Assurance Maladie de [Localité 8] (CPAM)

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 19 JANVIER 2023

MINUTE N°

N° RG 21/00389 - N° Portalis DBVF-V-B7F-FWNT

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de SAONE ET LOIRE, décision attaquée en date du 23 Janvier 2018, enregistrée sous le n° R16-102

APPELANTE :

Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante (FIVA)

[Adresse 9]

[Adresse 9]

[Adresse 9]

représenté par Me Sabrina BONHOMME, avocat au barreau de METZ

INTIMÉES :

Société [5]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Florent LOYSEAU DE GRANDMAISON de la SELEURL LDG AVOCAT, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Maud RIVOIRE, avocat au barreau de PARIS

Caisse Primaire d'Assurance Maladie de [Localité 8] (CPAM)

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Mme [L] [M] (Chargée d'audience) en vertu d'un pouvoir spécial

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Décembre 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller chargé d'instruire l'affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller, Président,

Olivier MANSION, Président de chambre,

Katherine DIJOUX-GONTHIER, Conseiller,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

M. [E], né le 1er février 1930, a été salarié en qualité d'ouvrier qualifié de la société [5] du 13 mars 1952 au 31 juillet 1965, sur le site de [Localité 10].

Le 22 avril 2014, un cancer broncho-pulmonaire lui a été diagnostiqué, dont il est décédé le 27 mai 2014.

Le 17 juin 2014, les ayants-droit de M. [E] ont transmis à la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 8] (la CPAM) une demande de reconnaissance de maladie professionnelle relevant du tableau n° 30 bis.

Le 23 avril 2015, la CPAM a notifié aux intéressés la prise en charge de cette pathologie au titre de la législation relative aux risques professionnels (tableau n° 30).

Le 29 avril 2015, la caisse leur a également notifié un taux d'incapacité permanente de 100 %, avec versement d'une rente à compter du 23 avril 2014.

Le 27 février 2015, les ayants-droit de M. [E] ont saisi le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (le FIVA) et accepté ses offres d'indemnisation décomposées comme suit :

- indemnisation de M. [C] [E] :

* préjudice d'incapacité fonctionnelle : versement d'un capital de 1 169,86 euros (après déduction de la rente servie par la Caisse) correspondant à un taux d'incapacité permanente de 100 %,

* autres préjudices extra-patrimoniaux (souffrances morales, physiques et d'agrément) d'un montant de 43 700 euros,

- indemnisation des préjudices moraux et d'accompagnement des ayants-droit :

* Mme [I] [E], veuve : 32 600 euros,

* Mme [J] [F], fille : 8 700 euros,

* Mme [Z] [E], épouse [G], fille : 8 700 euros,

* M. [X] [F], petit-fils : 3 300 euros,

* Mme [S] [F], petite-fille : 3 300 euros,

* M. [R] [F], petit-fils : 3 300 euros,

* M. [W] [G], petit-fils : 3 300 euros.

Par requête du 15 février 2016, le FIVA a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société [5] et a notamment sollicité de voir fixer l'indemnisation des préjudices personnels de M. [E] à la somme de 43 700 euros, se décomposant de la façon suivante :

* souffrances morales : 26 500 euros,

* souffrances physiques : 8 600 euros,

* préjudice d'agrément : 8 600 euros,

- l'indemnisation des préjudices moraux de ses ayants droit à la somme totale de 66 500 euros, se décomposant comme suit :

* Mme [I] [E], veuve : 32 600 euros,

* Mme [J] [F], fille : 8 700 euros,

* Mme [Z] [E], épouse [G], fille : 8 700 euros,

* M. [X] [F], petit-fils : 3 300 euros,

* Mme [S] [F], petite-fille : 3 300 euros,

* M. [R] [F], petit-fils : 3 300 euros,

* M. [W] [G], petit-fils : 3 300 euros.

Par jugement du 23 janvier 2018, le tribunal a débouté la société [5] de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable, dit que le caractère professionnel de la maladie déclarée par les ayants droit de M. [E] le 17 juin 2014 n'était pas établi et débouté le FIVA de l'ensemble de ses demandes.

Par déclaration enregistrée le 30 janvier 2018, le FIVA a relevé appel de cette décision.

Par un arrêt du 16 mai 2019, la cour de céans :

- infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a déclaré recevable la demande présentée par le FIVA à l'encontre de la société [5],

Statuant à nouveau et ajoutant,

- dit recevable l'appel formé par le FIVA à l'encontre du jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale de [Localité 8] le 23 janvier 2018,

- désigne le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 6] aux fins de donner son avis sur l'existence d'un lien de causalité entre la pathologie déclarée de M. [E] puis son décès constitutif et les fonctions qu'il a exercées au sein de la société [5],

- rappelle que l'avis devra être motivé conformément au guide applicable en la matière en faisant figurer :

* l'activité professionnelle exercée,

* la description des tâches,

* l'ancienneté dans le poste,

* la durée du temps de travail exposant au risque,

* le motif de la cessation d'exposition au risque,

* la présence ou l'absence de contrainte de temps ou de répétitivité,

* l'ampleur du dépassement du délai de prise en charge ou de l'insuffisance de la durée d'exposition,

* les caractéristiques de la maladie sur laquelle le CRRMP est invité à se prononcer,

- dit qu'il appartiendra au CRRMP désigné d'entendre les parties le cas échéant et de répondre à leurs observations dans le respect du contradictoire,

- invite la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 8] à adresser au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles désigné l'ensemble des pièces visées à l'article D 461-29 du code de la sécurité sociale,

- dit que les pièces de M. [E] versées aux débats par le FIVA seront transmises à la CPAM pour communication avec l'entier dossier au CRRMP,

- dit que l'avis du CRRMP sera transmis par les soins de la CPAM au FIVA, à la société [5] et à la cour,

- sursoit à statuer sur la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur dans l'attente de l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 6],

- ordonne la radiation administrative de l'affaire et dit qu'il appartiendra aux parties d'en solliciter le ré-enrôlement en cas de difficultés et en tous les cas, à réception de l'avis du comité régional de reconnaissance de maladies professionnelles nouvellement désigné,

- rappelle que la présente procédure est gratuite et sans frais, et dit n'y avoir lieu à paiement du droit prévu à l'article R. 144-10 alinéa 2 du code de la sécurité sociale.

Le CRRMP a rendu son avis le 9 juin 2021.

[I] [E], conjoint survivant la victime, est elle-même décédée le 23 juillet 2022.

Par ses dernières écritures reçues et reprises à l'audience sans ajout ni retrait au cours des débats, le FIVA demande à la cour de :

- réformer le jugement entrepris et, statuant à nouveau,

- dire que le caractère professionnel de la maladie de M. [E] est établi,

- dire que la maladie professionnelle de M. [E] est la conséquence de la faute inexcusable de la société [5],

- fixer à son maximum l'indemnité forfaitaire visée à l'article L. 452-3 alinéa 1 du code de la sécurité sociale, soit un montant de 18 263,54 euros, et juger que cette indemnité lui sera versée par la CPAM de [Localité 7] à hauteur de 1 169,86 euros et à la succession de M. [E], à hauteur de 17 093,68 euros,

- fixer à son maximum la majoration de la rente servie à [I], conjoint survivant de la victime, en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, et juger que cette majoration sera directement versée aux héritiers de Mme [E] par l'organisme de sécurité sociale,

- fixer l'indemnisation des préjudices personnels de M. [E] à la somme totale de 43 700 euros, se décomposant de la façon suivante :

* souffrances morales : 26 500 euros,

* souffrances physiques : 8 600 euros,

* préjudice d'agrément : 8 600 euros,

- fixer l'indemnisation des préjudices moraux de ses ayants-droit, à la somme totale de 66 500 euros, se décomposant comme suit :

* Mme [I] [E], veuve : 32 600 euros,

* Mme [J] [F], fille : 8 700 euros,

* Mme [Z] [E], épouse [G], fille : 8 700 euros,

* M. [X] [F], petit-fils : 3 300 euros,

* Mme [S] [F], petite-fille : 3 300 euros,

* M. [R] [F], petit-fils : 3 300 euros,

* M. [W] [G], petit-fils : 3 300 euros,

- juger que la CPAM de [Localité 7] devra lui verser ces sommes, soit un total de 110 200 euros,

- condamner la société [5] à lui payer une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la partie succombante aux dépens, en application des articles 695 et suivants du code de procédure civile.

Dans le dernier état de ses conclusions reçues le 12 décembre 2022 et reprises à l'audience sans ajout ni retrait au cours des débats, la société [5] demande à la cour de :

A titre principal,

- débouter le FIVA de sa demande relative à la reconnaissance de la faute inexcusable, ainsi que celles relatives à l'ensemble des demandes financières et indemnitaires,

A titre subsidiaire,

- débouter le FIVA de l'ensemble de ses demandes,

En tout état de cause,

- ordonner l'inscription au compte spécial de l'ensemble des dépenses relatives au

dossier de M. [E],

- réduire les montants sollicités par le FIVA,

- condamner la CPAM et le FIVA au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières écritures reçues le 2 décembre 2022, la CPAM demande à la cour de :

- prendre acte de ce qu'elle s'en remet à sagesse pour ce qui concerne la demande de reconnaissance de faute inexcusable et la fixation des préjudices,

- juger ce que de droit sur la reconnaissance de la faute inexcusable et les divers préjudices alloués selon les dispositions légales et la position du Conseil constitutionnel du 18/06/2010 et l'ensemble de ses conséquences,

- dire que les dispositions de l'article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale s'appliquent au litige pour ce qui concerne les sommes liées à la reconnaissance de la faute inexcusable commise par l'employeur de M. [E],

- dire qu'elle exercera son action récursoire selon les dispositions des articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale à l'égard de la société employeur présente au litige,

- rejeter la demande d'inopposabilité formulée par la société [5],

- dire n'y avoir lieu à versement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

SUR LE CARACTÈRE PROFESSIONNEL DE LA MALADIE

La société [5] conteste, en premier lieu, le caractère professionnel de la maladie déclarée par M. [E] et, plus précisément, la primitivité de la pathologie, ajoutant que la cour n'est pas liée par les avis des CRRMP.

Or, la nature de la maladie dont est décédé l'intéressé est bien inscrite au tableau n° 30 bis des maladies professionnelles au regard des éléments médicaux produits (notamment pièce 18 du FIVA) et de l'absence d'avis médical contraire. Ainsi, le certificat du docteur [A] mentionne une « localisation bronchique de carcinomie épidermoide », ce qui implique que la tumeur (unique et volumineuse) est primitive comme prenant sa source aux poumons sans que l'existence de métastase ne soit démontrée. Aucune difficulté d'ordre médical ne saurait être invoquée à ce titre. Par ailleurs, le salarié a effectué des travaux de déchargement d'amiante en vrac pendant 13 ans, de 1952 à 1965, ce qui corrobore encore la nature de la maladie de l'assuré.

Les deux CRRMP intervenus ([Localité 4] puis [Localité 6]) s'accordent également pour dire que la durée écoulée entre la fin de l'exposition et la date de constatation de la maladie est physiologiquement compatible avec l'étiologie professionnelle.

De plus, le CRRMP de [Localité 6] conclut de façon claire et précise à l'existence d'un lien de causalité entre la maladie déclarée (cancer broncho-pulmonaire primitif) et l'activité professionnelle de M. [E]. Il précise avoir rendu son avis après avoir pris connaissance de l'avis de l'employeur, du médecin-conseil, du médecin du travail et après avoir entendu l'ingénieur du service de prévention.

Il convient, dès lors, même si la cour n'est pas tenue par les avis rendus par les CRRMP, de reconnaître, en l'absence de tout justificatif contraire, le caractère professionnel de la maladie déclarée par M. [E].

SUR LA FAUTE INEXCUSABLE

Le FIVA soutient que M. [E] manipulait, pour les besoins de son travail, des matériaux contenant de l'amiante et qu'il n'a bénéficié d'aucune protection respiratoire particulière contre ses effets néfastes pour la santé, comme en témoigneraient ses collègues de travail. Il précise que l'intimée ne justifie pas de la mise en 'uvre des mesures de protection (masques) dont elle se prévaut.

La société [5] réplique qu'elle n'a commis aucune faute inexcusable, les conditions d'une telle faute n'étant pas réunies. Elle prétend n'avoir pas eu une connaissance réelle du danger encouru par M. [E] en l'absence, à l'époque, de connaissance des risques. Elle ajoute avoir mis en oeuvre des mesures de protection au sein de l'usine de [Localité 10].

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité. Selon l'article L. 4121-1 du code du travail, dans sa version applicable au présent litige, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels,

2° Des actions d'information et de formation,

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés ;

Il appartient à l'employeur de veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Le manquement à cette obligation présente le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il revient à la victime d'apporter la preuve de l'existence de cette conscience du danger qu'avait ou aurait dû avoir l'employeur auquel il exposait son salarié et, dans ce cas, l'absence de mesures de prévention et de protection. Il lui revient également d'établir précisément les circonstances de l'accident lorsqu'elle invoque l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur, la recherche d'une telle faute étant, de surcroît, limitée aux circonstances dans lesquelles s'est produit l'accident en cause.

Par ailleurs, l'opposabilité à l'employeur de la décision de prise en charge de l'accident au titre de la législation professionnelle ne prive pas celui-ci de la possibilité de contester le caractère professionnel de l'événement à l'occasion de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable engagée à son encontre par la victime.

La cour rappelle que le tableau n° 30 bis des affections respiratoires liées à l'amiante a été créé dès 1945 et complété à plusieurs reprises. Tout employeur était donc tenu, dès cette date, à une attitude de vigilance et de prudence dans l'usage, alors encore licite, de l'amiante. La conscience du danger de l'amiante résultait par ailleurs des connaissances scientifiques disponibles dès les années 30, de la réglementation préventive contre les affections respiratoires existant déjà à l'époque des faits litigieux et d'une reconnaissance officielle du risque depuis une ordonnance du 2 août 1945, puis un décret du 31 août 1950. Il est en outre acquis, dès le décret du 13 septembre 1955 précisant à titre indicatif la liste des travaux mentionnés dans le tableau n° 30 bis, que toute exposition à l'inhalation de poussières d'amiante était potentiellement dangereuse, étant précisé que la conscience du danger d'une exposition à l'amiante n'est pas liée à la date d'inscription au tableau de telle ou telle affection et que les travaux figurant au tableau n'y sont mentionnés qu'à titre indicatif.

En l'occurrence, la société [5], à l'époque principale société française d'extraction puis de transformation de l'amiante en amiante-ciment, faisait incorporer par ses ouvriers, dont M. [E], de l'amiante en vrac dans les produits qu'elle fabriquait, puis commercialisait. Elle ne pouvait, au vu des précédentes énonciations, ignorer le danger que représentait, pour son personnel, l'inhalation de poussière d'amiante et se devait donc de prendre les mesures nécessaires pour les en préserver.

Il ressort des pièces produites par l'employeur que le port de gants et de protecteurs d'oreilles figuraient certes au nombre des consignes données au personnel mais que le port de masques n'y figurait pas. Il verse aux débats des pièces relatives à la recommandation de port des masques de protection mais ne justifie d'aucune facture ni d'aucun état des stocks permettant d'établir leur mise en 'uvre effective. Il admet par ailleurs que les masques anti-poussière ont été mis en place à compter du mois de septembre 1977 (page 34 de ses conclusions) et que les consignes en matière de port des protections individuelles ont existé à partir de 1977.

De même, s'agissant des relevés d'empoussièrement, ils ont à l'époque été établis par l'employeur lui-même et non pas par un organisme indépendant, et un écart a été constaté entre les relevés transmis par la société [5] et ceux du laboratoire extérieur. Les prélèvements visés en page 37 de ses écritures sont par ailleurs postérieurs à la période d'emploi de M. [E], au même titre que les autres mesures de protection mises en oeuvre (prélèvements de contrôle du LHCF, intervention de la DRIRE, surveillance du service prévention de la CRAM de [Localité 3], action médicale de la commission amiante santé...).

De plus, s'il existait une machine à aspirer les poussières, les collègues de M. [E] témoignent de la nécessité de balayer malgré tout les ateliers. En outre, la pièce 46 de la société [5] mentionne, en sus des prélèvements amiante, la nécessité de traiter les sols et les postes de déchargement, ce que l'employeur n'établit pas avoir effectivement réalisé, qui plus est durant toute la période d'exposition de M. [E].

La société [5] ne peut s'affranchir de son obligation de sécurité en excipant de l'absence d'observations des institutions de contrôle (l'inspecteur du travail, le service prévention de la CRAM) alors qu'il lui appartenait, seule, de s'assurer de la mise en 'uvre de mesures de sécurité efficaces et de veiller à leur bonne application.

Il en résulte que la faute inexcusable de l'employeur est établie.

SUR L'INDEMNISATION DES PRÉJUDICES

1) Il convient de rappeler que le taux d'incapacité de M. [E] a été fixé à 100%. Dès lors, ses héritiers sont fondés à solliciter l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale qui sera égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation, soit 18 263,34 euros, dont à déduire la somme de 1 169,86 euros versée par le FIVA au titre du préjudice fonctionnel de M. [E]. La succession ne peut donc prétendre à ce titre qu'à la somme résiduelle de 17 093,86 euros tandis que la caisse devra verser au FIVA celle de 1 169,86 euros.

2) Mme [I] [E], peut également prétendre, en vertu de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, à la majoration au maximum de la rente de conjoint survivant, cette majoration devant être versée aux ayants-droit compte tenu du décès de cette dernière.

3) S'agissant de la réparation des préjudices visés à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, il convient d'indemniser le FIVA comme subrogé dans les droits de la victime et de ses ayants-droit.

a) La cour observe que les souffrances physiques et morales subies par le salarié avant la consolidation de son état, soit du 21 mars au 23 avril 2014, n'ont pas été indemnisées.

Il convient de réparer la souffrance morale de M. [E] générée par l'apparition des premiers symptômes et l'annonce du diagnostic. Il sera alloué de ce chef la somme de 26 500 euros.

b) S'agissant du préjudice physique, il résulte des différents traitements administrés, de ses hospitalisations nombreuses et de la perte de capacité respiratoire irrémédiable et irréversible de M. [E]. Les proches de la victime attestent de ces souffrances. Il sera alloué de ce chef la somme de 8 600 euros.

c) S'agissant du préjudice d'agrément, il appartient au FIVA d'en rapporter la preuve par l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs. Ce préjudice est distinct de la simple réduction du potentiel physique, psycho-sensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité corporelle qui est indemnisée au titre du préjudice fonctionnel. Il doit s'apprécier in concreto.

En l'espèce, le FIVA évoque l'impossibilité pour le salarié de se livrer à ses activités favorites, à savoir le bricolage, le jardinage et ses activités avec ses petits-enfants. Or, il ne démontre pas le préjudice d'agrément réellement subi par M. [E], les attestations de ses proches étant insuffisantes à l'établir et faisant davantage référence à une réduction du potentiel physique (respiratoire) de l'intéressé.

Ce poste de préjudice ne sera donc pas réparé comme insuffisamment justifié.

d) S'agissant de la souffrance morale des ayants-droit de M. [E], il convient de tenir compte de la nature et de l'importance des liens familiaux qui les unissaient à la victime, étant précisé que M. [E] est décédé à l'âge de 84 ans, qu'il était marié, avait 2 enfants et 5 petits-enfants.

Ainsi, il convient de fixer l'indemnisation des préjudices moraux de ses ayants-droit, à la somme totale de 50 600 euros, se décomposant comme suit :

* Mme [I] [E], veuve : 20 000 euros, * Mme [J] [F], fille : 8 700 euros,

* Mme [Z] [E], épouse [G], fille : 8 700 euros,

* M. [X] [F], petit-fils : 3 300 euros, * Mme [S] [F], petite-fille : 3 300 euros,

* M. [R] [F], petit-fils : 3 300 euros,

* M. [W] [G], petit-fils : 3 300 euros,

SUR L'INSCRIPTION AU COMPTE SPÉCIAL

La société [5] demande que les dépenses relatives au présent dossier soient inscrites au compte spécial.

Vu l'article 2 .2o de l'arrêté interministériel du 16 octobre 1995, pris pour l'application de l'article D. 242-6-5 du code de la sécurité sociale ;

Il sera fait droit à la demande de la société [5], M. [E] ayant exercé ses fonctions sur le site de [Localité 10] jusqu'au 31 juillet 1965, soit antérieurement à l'inscription au au tableau des maladies professionnelles du cancer broncho-pulmonaire primitif par décret du 19 juin 1985.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

La décision attaquée sera confirmée en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Il n'y a pas lieu de statuer sur les dépens d'appel.

La société [5], qui succombe, supportera une indemnité au visa de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Infirme le jugement entrepris, sauf en ses dispositions relatives à la recevabilité des demandes du FIVA ainsi qu'en celles relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

Statuant à nouveau dans cette limite,

Dit que le caractère professionnel de la maladie déclarée par M. [E] est établi,

Dit que la société [5] a commis une faute inexcusable,

Fixe à son maximum l'indemnité forfaitaire visée à l'article L. 452-3 alinéa 1 du code de la sécurité sociale, soit un montant de 18 263,54 euros, et dit que cette indemnité sera versée au FIVA par la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 7] à hauteur de 1 169,86 euros et à la succession de M. [E] à hauteur de 17 093,68 euros,

Fixe à son maximum la majoration de la rente servie au conjoint survivant de la victime, en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, et dit que cette majoration sera directement versée aux héritiers de Mme [E] par l'organisme de sécurité sociale,

Fixe l'indemnisation des préjudices personnels de M. [E] à la somme totale de 35 100 euros, se décomposant de la façon suivante :

* souffrances morales : 26 500 euros,

* souffrances physiques : 8 600 euros,

Rejette la demande d'indemnisation du préjudice d'agrément de M. [E],

Fixe l'indemnisation des préjudices moraux des ayants-droit de M. [E], à la somme totale de 50 600 euros, se décomposant comme suit :

* Mme [I] [E], veuve : 20 000 euros,

* Mme [J] [F], fille : 8 700 euros,

* Mme [Z] [E], épouse [G], fille : 8 700 euros,

* M. [X] [F], petit-fils : 3 300 euros,

* Mme [S] [F], petite-fille : 3 300 euros,

* M. [R] [F], petit-fils : 3 300 euros,

* M. [W] [G], petit-fils : 3 300 euros,

Dit que la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 7] devra verser l'ensemble de ces sommes au FIVA,

Ordonne l'inscription au compte spécial de l'ensemble des dépenses relatives au dossier de M. [E],

Y ajoutant,

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société [5] et la condamne à payer en cause d'appel au FIVA la somme de 1 500 euros,

Dit n'y avoir lieu à condamnation aux dépens d'appel.

Le greffier Le président

Frédérique FLORENTIN Delphine LAVERGNE-PILLOT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Dijon
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00389
Date de la décision : 19/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-19;21.00389 ?
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