VCF/IC
Caisse ONIAM
C/
[P] [F]
S.A. HOPITAL PRIVE [11] [Localité 8]
S.A. AXA FRANCE IARD
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE COTE D'OR
Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le
COUR D'APPEL DE DIJON
1ère chambre civile
ARRÊT DU 03 JANVIER 2023
N° RG 21/00364 - N° Portalis DBVF-V-B7F-FU2A
MINUTE N°
Décision déférée à la Cour : jugement du 09 février 2021,
rendu par le tribunal judiciaire de Chalon sur Saône - RG : 16/00791
APPELANT :
OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX DES AFFECTIONS IATROGENES ET DES INFECTIONS NOSOCOMIALES (ONIAM),
représenté par son Directeur en exercice domicilié au siège :
[Adresse 12]
[Localité 7]
assisté de Me Sylvie WELSCH, membre de la SCP UGGC Avocats, avocat au barreau de PARIS, plaidant, et représenté par Me Anne-Line CUNIN, membre de la SCP du PARC - CURTIL - HUGUENIN - DECAUX - GESLAIN - CUNIN - CUISINIER - BECHE - GARINOT, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 91
INTIMÉS :
Monsieur [P] [F]
né le [Date naissance 3] 1955 à [Localité 10] (Portugal)
[Adresse 1]
[Localité 8]
représenté par Me Sonia HALVOET, membre de la SCP NAIME-HALVOET- MORTIER KRASNICK, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE
S.A. HOPITAL PRIVE [11] [Localité 8] agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié es qualités au siège :
[Adresse 5]
[Localité 8]
S.A. AXA FRANCE IARD agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié ès qualités au siège :
[Adresse 4]
[Localité 6]
représentées par Me Fabrice CHARLEMAGNE, membre de la SCP BEZIZ-CLEON - CHARLEMAGNE-CREUSVAUX, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 17
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE COTE D'OR
[Adresse 2]
[Localité 9]
non représentée
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 25 octobre 2022 en audience publique devant la cour composée de :
Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre, ayant fait le rapport,
Sophie BAILLY, Conseiller,
Leslie CHARBONNIER, Conseiller,
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Aurore VUILLEMOT, Greffier
DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 03 Janvier 2023,
ARRÊT : réputé contradictoire,
PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ : par Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre, et par Aurore VUILLEMOT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
I. Le parcours médical de M. [P] [F], né en [Date naissance 3] 1955
Souffrant de douleurs à la hanche gauche causées par une ostéonécrose aseptique de la tête fémorale, M. [F] s'est vu poser une prothèse totale lors d'une opération réalisée le 25 juin 2007 à la clinique [11] de [Localité 8], par le docteur [I], chirurgien orthopédique.
Les suites de l'intervention ont été favorables mais M. [F] a souffert de douleurs persistantes malgré de multiples examens destinés à en comprendre les causes, parmi lesquels en dernier lieu des examens bactériologiques effectués après une ponction de la hanche réalisée le 12 mars 2008 au CHU de [Localité 9] par le docteur [Z].
L'état de M. [F] ne s'améliorant pas et les analyses sanguines révélant une CRP élevée, il a été réopéré le 25 juin 2008, par le docteur [Z] au CHU de [Localité 9]. La prothèse a été enlevée et le tableau de l'état local a conduit à effectuer de nombreux prélèvements et à ne pas installer une nouvelle prothèse, dans l'attente de leur analyse.
Il a été mis en évidence un staphylocoque Dnase négative, sensible à la méthicilline.
Après 7 mois de traitement antibiotique et 3 mois de fenêtre thérapeutique, il a été constaté un retour à la normale de tous les critères cliniques, bactériologiques, radiologiques et scintigraphiques.
Dans ces circonstances, une nouvelle prothèse de hanche a été posée le 20 mai 2009 au CHU de [Localité 9] par le docteur [Z], avec un ciment aux antibiotiques.
Tous les prélèvements per-opératoires sont revenus négatifs, à l'exception toutefois d'une culture de redon positive à staphylocoque Dnase négative. Aucun antibiogramme n'a été réalisé. Une antibiothérapie a été instaurée.
Les suites de l'intervention ont été favorables mais la CRP a été anormalement élevée dès le 11 juin 2009 et M. [F] a ressenti à nouveau des douleurs à compter de la fin juillet.
Le 23 septembre 2009, le docteur [Z] a procèdé au CHU de [Localité 9] à une nouvelle ponction de hanche dont l'analyse a montré la présence d'un staphylocoque Dnase négative, résistant à la méticilline, germe phénotypiquement totalement différent du premier.
Malgré la mise en oeuvre d'une antibiothérapie, il a été procédé le 2 février 2010 à l'ablation de la prothèse, toujours au CHU de [Localité 9] par le docteur [Z].
Ce n'est que le 1er mars 2011 qu'une nouvelle prothèse de hanche a été reposée, l'examen des prélèvements per-opératoires révélant la présence d'un micrococcus, justifiant de la mise en oeuvre d'une nouvelle antibiothérapie jusqu'au 1er juillet 2011.
II. La procédure devant la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales de Bourgogne
M. [F] a saisi cette commission le 23 avril 2009 d'une demande d'indemnisation des préjudices subis suite à l'intervention pratiquée le 25 juin 2007 à la clinique [11], par le docteur [I].
Le 28 avril 2009, cette commission a confié une expertise médicale aux docteurs [X] et [H], respectivement chirurgien orthopédique et chef de service de biologie médicale.
Dans leurs rapports du 15 septembre 2010 et du 29 octobre 2010, ils ont conclu qu'il convenait de distinguer les deux infections nosocomiales.
S'agissant de la première infection, ils ont fixé la date de consolidation de M. [F] au 19 mai 2009, veille de la pose de la deuxième prothèse et ont évalué ses préjudices. S'agissant de la deuxième infection, ils n'ont pas fixé de date de consolidation, ont évalué les préjudices temporaires de M. [F] jusqu'au jour de leur expertise, et ont indiqué que le déficit fonctionnel permanent envisageable serait de l'ordre de 30 %.
Dans son avis du 6 décembre 2010, la commission a notamment considéré que :
- les infections présentaient un caractère nosocomial, aucune faute ne pouvant être imputée aux établissements de santé et aux médecins
- il fallait prendre en compte le fait que l'intervention du 20 mai 2009 au CHU de [Localité 9], de pose d'une nouvelle prothèse, s'inscrit dans les suites directes de la première infection dès lors qu'il n'y a eu lieu à pose d'une nouvelle prothèse que parce que la précédente avait dû être enlevée par suite de cette infection, et que l'on ne pouvait dissocier ses conséquences de celles immédiates de cette première infection ; il y aurait donc lieu de faire masse de ces conséquences
- M. [F] n'était pas consolidé
- il n'était pas établi en l'état que M. [F] souffrirait d'un déficit fonctionnel permanent de plus de 25 % si bien que les conséquences de l'infection devaient être prises en charge par l'assureur de la clinique [11], la société Axa, 'sauf, après consolidation, la charge de sa réparation à être supportée, à titre rétroactif, par la solidarité nationale si les conditions de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique se trouvaient réunies'.
Selon protocole d'indemnisation transactionnelle provisionnelle du 12 septembre 2011, l'ONIAM, substitué à l'assureur de la clinique [11], a servi à M. [F] la somme de 11 396,25 euros.
Le 5 février 2013, la commission a confié une expertise médicale aux docteurs [C] et [T], respectivement spécialiste en hygiène et épidémiologie et chirurgien orthopédique.
Dans leur rapport du 22 avril 2013, ils ont fixé la date de consolidation de M. [F] au 1er juillet 2011 et ont évalué ses préjudices dont un DFP de 38 %, imputable aux infections à hauteur de 28 %.
Dans son avis du 3 juin 2013, la commission a estimé qu'il appartenait à l'ONIAM, en application de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique, d'assumer la réparation intégrale du préjudice de M. [F] et de lui faire une offre d'indemnisation.
Par courrier du 3 août 2013, l'ONIAM a informé M. [F] qu'il ne partageait pas l'analyse de la commission et qu'en conséquence, il ne lui serait adressé aucune offre d'indemnisation.
III. La procédure judiciaire
Par actes des 15 et 18 avril et 4 mai 2016, M. [F] a attrait devant le tribunal de grande instance de Chalon sur Saône la clinique [11] et son assureur, la société Axa, l'ONIAM et la CPAM de la Côte d'Or, aux fins d'obtenir la réparation de ses préjudices.
Par ordonnance du 3 avril 2017, le juge de la mise en état a confié une nouvelle expertise au docteur [V], chargé notamment d'évaluer le taux de déficit fonctionnel permanent strictement imputable à chacune des deux infections contractées par M. [F].
Par ordonnance du 27 octobre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Dijon, saisi par la clinique [11], a rendu les opérations d'expertise du docteur [V] communes au CHU de [Localité 9].
Le docteur [V] a déposé son rapport le 8 février 2018. Il a fixé la date de consolidation de M. [F] au 1er juillet 2012, soit une année après l'arrêt du traitement antibiotique, et a notamment évalué le déficit fonctionnel permanent imputable à la première infection à 5 % et celui imputable à la seconde infection à 28 %, ce dernier taux étant contesté par l'ONIAM.
Par jugement du 9 février 2021, le tribunal judiciaire de Chalon sur Saône a :
- dit que l'infection nosocomiale contractée à l'Hôpital privé [11] [Localité 8] le 25 juin 2007 est a l'origine de l'intervention pratiquée au CHU de [Localité 9] et de la seconde infection nosocomiale du 20 mai 2009,
- condamné l'ONIAM à indemniser l'intégralité des préjudices subis par M. [F] suite aux deux infections nosocomiales contractées les 25 juin 2007 et 20 mai 2009 ayant entraîné un déficit fonctionnel permanent supérieur à 25 %,
- en conséquence, dit que l'Hôpital privé [11] [Localité 8] et son assureur la société Axa, ne seront tenus à aucune somme,
- fixé les préjudices patrimoniaux de M. [F] à zéro et ses préjudices extrapatrimoniaux à la somme de 84 863,75 euros,
- condamné en conséquence l'ONIAM à payer à M. [F] la somme de 73 467,50 euros en réparation de son préjudice, déduction faite de la provision de 11 396,25 euros déjà versée,
- débouté l'ONIAM de son recours subrogatoire et de toute demandes à l'encontre de l'Hôpital privé [11] [Localité 8],
- débouté l'Hôpital privé [11] [Localité 8] et son assureur Axa de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné l'ONIAM :
. aux dépens comprenant les frais d'expertise, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile
. à payer à M. [F] la somme de 1 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- déclaré le jugement commun à la CPAM de la Côte d'Or,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes.
L'ONIAM a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 16 mars 2021.
Aux termes du dispositif de ses conclusions notifiées le 1er décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens développés au soutien des prétentions, l'ONIAM demande à la cour, au visa des articles L. 1142-1 et L. 1142-1-1 et L. 1142-17 du code de la santé publique, d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, de :
' à titre principal,
- dire et juger que les préjudices de M. [F] sont la conséquence de deux infections nosocomiales distinctes contractées dans différents établissements,
- dire et juger que le régime d'indemnisation des conséquences de ces deux infections doit être déterminé au regard des conséquences entraînées par chacune d'elles,
- dire et juger que les préjudices de M. [F] sont la conséquence d'une infection nosocomiale ayant entraîné un déficit fonctionnel permanent de 5 %,
- dire et juger que les conditions d'ouverture d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale sur le fondement de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique ne peuvent être considérées comme réunies,
- en conséquence, rejeter les demandes indemnitaires de M. [F] en ce qu'elles sont formulées à son encontre,
' à titre subsidiaire,
- dire et juger qu'y compris en l'absence de complications infectieuses, M. [F] aurait souffert d'une limitation fonctionnelle imputable tant à son état antérieur qu'à la pose d'une prothèse,
- dire et juger que les infections nosocomiales contractées par M. [F] dans les suites des interventions de 25 juin 2007 et du 20 mai 2009 n'ont pas entraîné de déficit fonctionnel permanent strictement imputables à ces infections supérieur à 25 %,
- dire et juger que les conditions d'intervention de la solidarité nationale ne sont pas réunies au sens de l'article L. 1141-1-1 du code de la santé publique,
- en conséquence, rejeter les demandes indemnitaires de M. [F] en ce qu'elles sont formulées à son encontre,
' à titre infiniment subsidiaire,
- dire et juger qu'une indemnisation par l'ONIAM s'entend sous déduction des prestations des organismes sociaux et de tout autre organisme auquel M. [F] serait affilié,
- déduire de toute indemnisation allouée à M. [F] la somme de 11 396,25 euros qui lui a déjà été versée dans le cadre amiable,
- réduire à de plus justes proportions les indemnisations allouées en première instance sans qu'elles n'excèdent les montants suivants :
. 3 975 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,
. 7 000 euros au titre des souffrances endurées,
. 1 850 euros au titre du préjudice esthétique temporaire,
. 40 997 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,
. 3 200 euros au titre du préjudice esthétique permanent,
- rejeter en l'état et à défaut de justificatif, toute demande qui serait formulée au titre des frais divers et des pertes de gains professionnels actuels,
- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes d'indemnisation formulées au titre de l'assistance par une tierce personne et du préjudice sexuel,
' déclarer M. [F] mal fondé en son appel incident et le débouter de l'ensemble de ses demandes faites à ce titre,
' en tout état de cause,
- dire et juger que le protocole transactionnel conclu le 12 septembre 2011 porte sur le déficit fonctionnel temporaire et les souffrances endurées avant l'intervention de reprise au sein du CHU de [Localité 9] au décours de laquelle est survenue la seconde infection nosocomiale,
- dire et juger que l'expert [V] a retenu un taux de déficit fonctionnel permanent imputable à l'infection nosocomiale survenue au sein de la clinique [11] de 5 %,
- dire et juger que la charge indemnitaire des préjudices couverts par le protocole transactionnel incombe à la clinique [11],
- dire et juger qu'il est subrogé dans les droits de M. [F] à concurrence des sommes qu'il a versées au lieu et place de l'assureur de la clinique [11], la société Axa, aux termes du protocole du 12 septembre 2011,
En conséquence,
- juger qu'il est bien fondé à exercer son recours subrogatoire en vertu de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, à l'encontre de la clinique [11],
- condamner la clinique [11] in solidum avec Axa à lui verser les sommes suivantes :
. 11 396,25 euros
. 1 400 euros (sauf mémoire) au titre des frais d'expertise,
. 1 919,43 euros au titre de la pénalité de 15 % prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, en cas de refus explicite de l'assureur,
- condamner M. [F] ou à défaut la clinique [11] in solidum avec la société Axa :
. aux entiers dépens de première instance et d'appel
. à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes du dispositif de ses conclusions notifiées le 13 septembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens développés au soutien des prétentions, M. [F] demande à la cour au visa des articles L. 1142-1-I et L. 1142-1-1 du code de la santé publique, de :
' dire et juger l'ONIAM mal fondé en son appel et en conséquence le débouter de toutes ses demandes, fins et prétentions,
' confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
- dit que l'infection nosocomiale contractée à l'Hôpital privé [11] [Localité 8] le 25 juin 2007 est a l'origine de l'intervention pratiquée au CHU de [Localité 9] et de la seconde infection nosocomiale du 20 mai 2009,
- condamné l'ONIAM à l'indemniser de l'intégralité de ses préjudices subis suite aux deux infections nosocomiales contractées les 25 juin 2007 et 20 mai 2009 ayant entraîné un déficit fonctionnel permanent supérieur à 25 %,
' réformer le jugement déféré en ce qu'il a :
- fixé ses préjudices patrimoniaux à zéro et ses préjudices extrapatrimoniaux à la somme de 84 863,75 euros,
- condamné en conséquence l'ONIAM à lui payer la somme de 73 467,50 euros en réparation de son préjudice, déduction faite de la provision de 11 396,25 euros déjà versée,
' statuant à nouveau,
- condamner l'ONIAM à l'indemniser de son préjudice par l'allocation d'une somme de 136 558,36 euros de laquelle sera déduite la provision de 11 396,25 euros déjà versée,
- subsidiairement, condamner l'hôpital privé [11] [Localité 8], in solidum avec son assureur, la société Axa, à l'indemniser de son préjudice par l'allocation d'une somme de 136 558,36 euros de laquelle sera déduite la provision de 11 396,25 euros déjà versée,
' en toute hypothèse,
- déclarer l'arrêt à intervenir commun à la CPAM,
- le déclarer opposable à l'ONIAM,
- condamner solidairement l'ONIAM, la clinique [11] de [Localité 8] et la société Axa :
. aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise, dont distraction au profit de la SCP Naime - Halvoet - Mortier-Krasnicki, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
. à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes du dispositif de leurs conclusions notifiées le 3 décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens développés au soutien des prétentions, l'hôpital privé [11] [Localité 8] et la société Axa demandent à la cour au visa de l'article L. 1142-17 du code de la santé publique, de :
' à titre principal,
- confirmer le jugement déféré dans toutes ses dispositions,
- juger que l'indemnisation des préjudices subis par M. [F] doit être prise en charge par l'ONIAM,
- les mettre hors de cause,
- débouter l'ONIAM de l'ensemble de ses demandes,
- débouter M. [F] de l'ensemble des demandes qu'il a dirigées à leur encontre,
' à titre subsidiaire, débouter l'ONIAM de sa demande de pénalités de 15 % et de remboursement des frais d'expertise,
' condamner l'ONIAM :
- aux entiers dépens,
- à leur payer la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ONIAM a signifié sa déclaration d'appel et ses conclusions du 1er décembre 2021 à la CPAM de la Côte d'Or par actes du 14 juin et du 3 décembre 2021, remis à une personne habilitée à les recevoir.
M. [F] d'une part et l'hôpital privé [11] [Localité 8] et Axa d'autre part ont signifié leur conclusions à la CPAM de la Côte d'Or par actes du 24 septembre 2021 et du 6 décembre 2021, remis à une personne habilitée à les recevoir.
La CPAM de la Côte d'Or n'a pas constitué avocat.
La clôture est intervenue le 8 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, la cour rappelle que l'article L. 1142-1 du code de la santé publique pose en son I, le principe selon lequel la responsabilité des professionnels de santé n'est engagée qu'en cas de faute de leur part. Il est toutefois dérogé à ce principe, notamment en cas d'infections nosocomiales, les établissements de santé étant responsables de plein droit des dommages causés par de telles infections, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère.
Par ailleurs, selon le II du même article et selon l'article L. 1142-1-1 du même code, si l'infection nosocomiale a provoqué le décès du patient ou un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 %, les préjudices des ayants-droit ou du patient sont réparés au titre de la solidarité nationale.
En l'espèce, il est établi par les pièces du dossier, et il n'est d'ailleurs pas contesté, que les établissements et professionnels de santé n'ont commis aucune faute dans la prise en charge de M. [F] et que celui-ci a contracté deux infections nosocomiales au décours des opérations pratiquées le 25 juin 2007 à la clinique [11] et le 20 mai 2009 au CHU de [Localité 9].
' Sur la détermination de la personne tenue à réparation des dommages subis par M. [F]
L'ONIAM expose que M. [F] a contracté à deux ans de distance, dans deux établissements différents, deux infections nosocomiales provoquées par des germes distincts. Il soutient que ces circonstances suffisent à considérer de manière isolée les deux infections, et donc de manière distincte les dommages provoqués par chacune d'entre elles, dès lors que 'la solidarité nationale n'a vocation à intervenir que si le déficit fonctionnel permanent' supérieur à 25 % 'est imputable à un seul et même épisode infectieux'.
L'ONIAM reproche ainsi au tribunal d'avoir retenu, à l'instar d'ailleurs de la commission régionale avant lui, qu'il convenait de globaliser les dommages causés par les deux infections.
Sur ce point, l'ONIAM ne peut tirer argument de la mission d'expertise confiée le 27 octobre 2017, au docteur [V] par le juge de la mise en état, ce magistrat ayant, comme son nom l'indique, pour rôle de mettre un dossier en l'état d'être jugé par le tribunal et ordonnant à cet effet toutes les mesures d'instruction qui lui paraissent utiles. S'il a été demandé à l'expert d'évaluer le taux de déficit fonctionnel permanent strictement imputable à chacune des deux infections nosocomiales, c'est à seule fin d'éclairer, en tant que de besoin, le tribunal, et non pour le lier. Aucune contradiction n'existe donc entre la décision du juge de la mise en état et celle déférée à la cour.
Se fondant sur la lettre et l'esprit des dispositions législatives rappelées ci-dessus, l'ONIAM affirme qu'il serait 'choquant de considérer que la multiplicité des infections nosocomiales contractées dans différents établissements et les graves conséquences qu'elles ont entraînées aboutissent à une exonération de responsabilité des établissements qui, en l'absence d'infections successives, auraient été responsables sur le fondement de l'article L. 1142-1, I, alinéa 2.
La cour observe que ces textes figurent dans le premier livre de la première partie du code de la santé publique, consacré à la protection des personnes en matière de santé, plus précisément dans un chapitre traitant de la réparation des conséquences des risques sanitaires résultant du fonctionnement du système de santé.
En conséquence, pour déterminer quelle est la personne tenue à réparer les dommages subis par le patient ayant contracté plusieurs maladies nosocomiales successives, il importe, quels que soient le nombre ou l'origine des infections, l'époque ou le lieu où elles ont été contractées, d'examiner, ainsi que l'ont d'ailleurs explicitement fait la commission régionale puis le tribunal, le lien de causalité existant ou non entre les différentes infections.
En l'espèce, il est exact que M. [F] aurait pu ne pas contracter d'infection nosocomiale au décours de l'opération du 20 mai 2009 au CHU de [Localité 9]. Ceci ne suffit toutefois pas à exclure tout lien de causalité entre les deux infections dès lors que sans la première infection survenue après l'opération du 25 juin 2007, M. [F] n'aurait pas été réopéré et n'aurait ainsi encouru aucun risque d'une nouvelle infection, risque qui s'est réalisé et qui n'est imputable à aucune faute.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a estimé qu'en raison du lien de causalité existant entre les deux infections contractées par M. [F], seul le taux de déficit fonctionnel permanent (DFP) dont il souffrait au terme de son parcours médical devait être pris en considération pour savoir si l'ONIAM était ou non tenu à la réparation de ses préjudices.
L'ONIAM discute le taux de DFP retenu par les différents experts dans leurs conclusions, qui ne lient certes pas la cour.
Il reproche notamment aux experts de ne pas avoir tenu compte de l'état antérieur d'ostéonécrose aseptique ayant conduit à l'indication d'une pose de prothèse de hanche. Toutefois, lors de l'appréciation du taux d'atteinte permanente lié à une infection nosocomiale, il ne peut pas être tenu compte du taux de déficit préexistant à l'acte médical au décours duquel a été contractée cette infection, lorsque cet acte était destiné à remédier à ce déficit : cf notamment Civ 1ère 15 juin 2022 n°21-12.742
La cour observe qu'en l'espèce, tous les experts médicaux intervenus dans ce dossier concluent à un taux final de DFP supérieur à 25 %.
En effet, les docteurs [X] et [H], qui distinguaient les deux infections, fixaient au 19 mai 2009 la consolidation de M. [F] consécutivement à la première infection en retenant un DFP de 5 %, et envisageaient au jour de la consolidation à intervenir consécutivement à la deuxième infection un DFP de l'ordre de 30 %.
Pour leur part, les docteurs [C] et [T] ont évalué le DFP de M. [F] à 38 % dont 10 % inhérents au matériel implanté, soit 28 % imputables aux infections.
Enfin, le docteur [V] a évalué les DFT strictement imputables aux infections à 33 %.
En conséquence, il peut être aisément retenu que le taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique de M. [F] est au jour de sa consolidation supérieur à 25 %. Le jugement déféré doit donc être confirmé en ce qu'il a condamné l'ONIAM à réparer les préjudices subis par M. [F].
' Sur l'indemnisation des préjudices de M. [F]
A titre liminaire, la cour constate que M. [F] ne présente aucune demande indemnitaire au titre de postes de préjudices pour lesquelles la CPAM aurait pu lui verser des prestations ou exposé des débours.
Par ailleurs, il n'est pas établi qu'il aurait reçu la moindre indemnité de quelque nature que ce soit, en réparation des préjudices pour lesquels il présente une demande indemnitaire.
Enfin, ainsi que l'admet l'ONIAM qui ne soulève aucune fin de non-recevoir des demandes indemnitaires présentées au titre du déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées, le protocole d'indemnisation transactionnelle provisionnelle du 12 septembre 2011, en exécution duquel il a versé à M. [F] la somme de 11 396,25 euros, ne peut pas lui être opposé si ce n'est afin de déduire cette somme du montant global lui revenant.
' Sur les préjudices extra-patrimoniaux
' Sur les préjudices extra-patrimoniaux temporaires, c'est-à-dire ceux subis avant la consolidation.
' le déficit fonctionnel temporaire (DFT)
Deux périodes doivent être considérées : celle postérieure à l'opération du 25 juin 2007 et celle postérieure à l'opération du 20 mai 2009, avec pour chacune d'entre elles neutralisation du temps correspondant aux suites habituelles d'une pose de prothèse totale de hanche, sans complications.
Ainsi que l'a justement retenu le premier juge, au regard des pièces notamment médicales du dossier et du protocole du 12 septembre 2011, au titre de la première période, occultée par l'ONIAM, le DFT a été :
- total du 11 au 13 mars 2008 et du 24 juin au 10 juillet 2008, soit durant 20 jours
- partiel à 75 % du 11 juillet 2008 au 19 mai 2009, soit durant 313 jours
- partiel à 50 % du 26 décembre 2007 au 10 mars 2008 puis du 14 mars au 23 juin 2008 soit durant 178 jours.
Au titre de la seconde période, eu égard au parcours médical de M. [F] tel que retranscrit notamment par le docteur [V], le DFT a été :
- total le 23 septembre 2009, du 1er au 16 février 2010, puis du 28 février au 25 mai 2011, soit durant 104 jours
- partiel à 25 % du 24 septembre 2009 au 31 janvier 2010, du 17 février 2010 au 27 février 2011 et du 8 mars au 1er juillet 2011, M. [F] ne demandant rien au-delà de cette date, soit durant 622 jours.
Eu égard aux troubles dans les conditions d'existence subis par M. [F] durant ces périodes, il convient de réparer ce poste de préjudice sur la base de 23 euros par jour de DFT total, base justement retenue par le tribunal.
En conséquence, il est alloué la somme globale de 13 874,75 euros.
' les souffrances endurées.
Compte tenu notamment de la multiplicité des interventions et de la durée des traitements antibiotiques, ce poste de préjudice justifie l'allocation d'une indemnité de 16 000 euros.
' le préjudice esthétique temporaire
Au regard de sa durée et de ses composantes (hanche ballante, déplacement en fauteuil puis béquilles), ce poste de préjudice a été justement et intégralement réparé par le premier juge à hauteur de 3 500 euros.
' Sur les préjudices extra-patrimoniaux permanents
' le déficit fonctionnel permanent (DFP)
Qu'il soit de 28 % comme le prétend l'ONIAM ou de 33 % comme l'allègue M. [F] et l'a retenu le premier juge, eu égard à ses composantes et aux troubles qu'il génère dans les conditions d'existence de M. [F], âgé de seulement 57 ans au jour de sa consolidation, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a indemnisé ce poste de préjudice à hauteur de 47 850 euros.
' le préjudice esthétique permanent
Evalué à 2 / 7, il est caractérisé par une boiterie modérée et l'utilisation d'une canne pour se déplacer.
Il a été justement et intégralement réparé par le premier juge à hauteur de 3 500 euros.
' le préjudice sexuel
Si M. [F] se plaint d'une absence d'érection depuis l'intervention du 25 juin 2007, aucun des experts n'a retenu un lien de causalité entre ce trouble et les infections nosocomiales.
Le jugement déféré doit donc être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire présentée au titre de ce poste de préjudice.
' Sur les préjudices patrimoniaux
M. [F] expose avoir eu besoin avant sa consolidation et avoir toujours besoin de l'assistance d'une tierce-personne pour s'habiller et se déshabiller, à raison de 15 minutes par jour.
Il se réfère au rapport des docteurs [C] et [T] en date du 22 avril 2013 qui ont retenu la nécessité de cette aide dans la fiche récapitulative de leurs conclusions mais ne l'ont évoquée nulle part ailleurs dans leur rapport.
Il produit par ailleurs une attestation de son épouse et une attestation de leur fille témoignant de l'aide qui lui est effectivement apportée.
En l'état de ces éléments corrélés notamment avec le taux et les composantes de son DFP et les conclusions du docteur [V], la cour confirme le jugement déféré en ce qu'il a considéré que les besoins d'assistance d'une tierce personne post-consolidation ne sont pas établis.
En revanche, pour les périodes du 11 juillet 2008 au 19 mai 2009 et du 17 février 2010 au 27 février 2011, soit 689 jours, le fait que M. [F] avait une hanche ballante rendait évidemment nécessaire une aide pour les actes personnels à hauteur de 15 minutes par jour.
En conséquence, sur la base du taux horaire de 15 euros sur lequel il fonde légitimement sa demande indemnitaire, la cour lui alloue une indemnité de 2 583,75 euros.
Globalement, il revient donc à M. [F] la somme de 87 308,50 euros dont il convient de déduire la provision de 11 396,25 euros. Le solde restant à percevoir de l'ONIAM s'élève donc à 75 912,25 euros.
' Sur le recours subrogatoire de l'ONIAM à l'encontre de la clinique [11] et de son assureur la société Axa
L'ONIAM fait valoir qu'un établissement de santé ne saurait être déchargé de sa responsabilité au motif que l'infection nosocomiale contractée en son sein, et qui à elle seule, n'a pas entraîné un déficit fonctionnel permanent supérieur à 25 %, a été suivie d'autres infections nosocomiales.
Toutefois, quand bien même l'infection contractée par M. [F] au décours de l'opération pratiquée le 25 juin 2007 au sein de la clinique [11] est, à elle seule, à l'origine d'un DFP inférieur à 25 %, les dispositions du dernier alinéa de l'article 1142-17 du code de la santé publique excluent un recours de l'ONIAM à l'encontre de cet établissement, sauf à établir qu'il a commis une faute.
Or, en l'espèce aucune faute ne peut être imputée à la clinique [11].
Il convient donc de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté le recours de l'ONIAM.
' Sur les frais de procès
Conformément à l'article 696 du code de procédure civile,
- le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a condamné l'ONIAM aux dépens de première instance comprenant les frais d'expertise et prévu qu'ils pourraient être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du même code,
- les dépens d'appel doivent être mis à la charge de l'ONIAM, avec application de l'article 699 du code de procédure civile au profit du conseil de M. [F].
Les conditions d'application de l'article 700 du code de procédure civile ne sont réunies qu'en faveur d'une part de M. [F] et d'autre part de la clinique [11] et de son assureur.
Dans les circonstances particulières de l'espèce, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a débouté la clinique [11] et la société Axa de la demande qu'elles avaient présentée sur le fondement de ce texte et elles conserveront à leur charge les frais non compris dans les dépens qu'elles ont exposés en cause d'appel.
Le jugement déféré doit également être confirmé en ce qu'il a accordé à M. [F] la somme de 1 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et la cour lui alloue au titre des frais non compris dans les dépens exposés en cause d'appel, la somme complémentaire de 2 000 euros.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a :
- fixé les préjudices patrimoniaux de M. [F] à zéro et ses préjudices extra-patrimoniaux à la somme de 84 863,75 euros,
- condamné en conséquence l'ONIAM à payer à M. [F] la somme de 73 467,50 euros en réparation de son préjudice, déduction faite de la provision de 11 396,25 euros déjà versée,
Statuant à nouveau sur ces points et ajoutant,
Fixe les préjudices patrimoniaux de M. [P] [F] à la somme de 2 583,75 euros et ses préjudices extra-patrimoniaux à la somme de 84 724,75 euros,
En conséquence, déduction faite de la provision de 11 396,25 euros déjà versée, condamne l'ONIAM à payer à M. [P] [F] la somme de 75 912,25 euros,
Déclare le présent arrêt commun à la CPAM de la Côte d'Or,
Condamne l'ONIAM :
- aux dépens d'appel, la SCP Naime - Halvoet - Mortier-Krasnicki étant autorisée à recouvrer directement à son encontre ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision,
- à payer à M. [P] [F] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Déboute les parties de toutes leurs autres demandes.
Le Greffier, Le Président,