OM/CH
[I] [M]
C/
S.A.R.L. GHA TRANSPORT
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 24 NOVEMBRE 2022
MINUTE N°
N° RG 21/00111 - N° Portalis DBVF-V-B7F-FUAS
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DIJON, section Commerce, décision attaquée en date du 12 Janvier 2021, enregistrée sous le n° 19/00209
APPELANTE :
[I] [M]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Ahmet COSKUN, avocat au barreau de DIJON
INTIMÉE :
S.A.R.L. GHA TRANSPORT
[Adresse 4]
[Adresse 5]
[Localité 2]
représentée par Me Angelique PLOUARD, avocat au barreau de DIJON
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 18 Octobre 2022 en audience publique devant la Cour composée de :
Olivier MANSION, Président de chambre, Président,
Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,
Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,
qui en ont délibéré,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,
ARRÊT rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Mme [M] (la salariée) a été engagée le 19 juillet 2017 par contrat à durée indéterminée en qualité de chauffeur livreur par la société Gha transport (l'employeur).
Elle a été licenciée le 22 mars 2018 pour faute grave.
Estimant ce licenciement nul, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes qui, par jugement du 12 janvier 2021, a dit ce licenciement sans cause réelle et sérieuse et a condamné l'employeur au paiement de diverses sommes, une partie des demandes étant rejetée.
La salariée a interjeté appel le 11 février 2021.
Elle demande l'infirmation partielle du jugement et le paiement des sommes de :
- 1 083,54 euros de rappel de salaires pour la période de mise à pied,
- 108,35 euros de congés payés afférents,
- 284,50 euros de rappel de salaire pour la période du 4 au 10 novembre 2017 ou, à titre subsidiaire, 184,75 euros,
- 28,45 euros de congés payés afférents,
- 141,47 euros de reliquat d'indemnité compensatrice de congés payés,
- 750 euros au titre des amendes contraventionnelles,
- 9 112,26 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul et, à titre subsidiaire, 1 518,71 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 2 544,83 euros d'indemnité forfaitaire pour violation de la clause de garantie d'emploi conventionnelle,
- 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
L'employeur conclut à l'infirmation du jugement, à sa confirmation sur le rejet des demandes et sollicite le paiement des sommes de 127,03 euros à titre de répétition d'un indu de congés payés et 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il sera renvoyé pour un plus ample exposé du litige aux conclusions des parties échangées par RPVA les 11 mai et 13 juillet 2021.
MOTIFS :
Sur les demandes en paiement :
1°) La salariée demande un rappel de salaire pour la période du 4 au 10 novembre 2017 en indiquant que cette période ne correspond pas à une demande de congés payés mais à une dispense d'activité accordée par l'employeur et qui devait être rémunérée.
L'employeur s'oppose à cette demande en indiquant que la salariée a demandé une prise de congés qui lui a été accordée et figure comme telle sur le bulletin de paie de ce mois (pièce n° 7).
En application des dispositions de l'article 1353 du code civil, il appartient, d'abord, à la salariée, demanderesse, de démontrer que cette absence correspond à une dispense de travail qui lui a été accordée, puis, à l'employeur qui conteste cette demande de prouver que la salariée a demandé des congés payés.
La salariée n'apporte aucun élément de preuve établissant qu'elle a demandé une dispense d'activité et que celle-ci lui a été accordée.
Il en résulte que la demande sera rejetée et le jugement confirmé.
2°) La salariée réclame le paiement d'un reliquat d'indemnité compensatrice de congés payés en soulignant qu'elle a reçu un paiement de 58,70 euros en exécution du solde de tout compte alors que l'attestation Pôle emploi indique un acquis, à ce titre, de 8,41 jours ouvrables.
Elle conteste ce décompte au regard des jours acquis entre juillet et novembre 2017, soit 1,08, 2,50, 2,50, 2,50 et 0,83 jours pour un total de 9,41 jours. Déduction de 7 jours pris en octobre, il en résulte un reliquat de 2,41 jours, soit la somme de 141,47 euros.
L'employeur répond que l'attestation Pôle emploi comporte une erreur matérielle manifeste et que le nombre de jours figurant sur les bulletins de paie correspond à ceux acquis selon le code du travail, la convention collective applicable (convention collective nationale des transports routiers et auxiliaires du transport) n'étant pas plus favorable.
Pendant la période travaillée du 19 juillet au 4 novembre 2017, le nombre acquis de jours de congés s'élève à 8,58 jours, selon le solde figurant sur le bulletin d'octobre 2017.
Il n'y a pas lieu de déduire les 5 jours litigieux en novembre dès lors que l'employeur ne démontre pas que la salariée a demandé à bénéficier de congés payés sur cette période et qu'il les lui a accordés, la seule production du bulletin de paie de novembre (pièce n° 7) établi de façon unilatérale par l'employeur ne valant pas preuve suffisante.
La salariée déduisant la prise de 7 jours de congés sur le total réclamé, le reliquat sera chiffré à 1,58 jours, soit la somme de 92,75 euros.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
3°) La salariée soutient que l'employeur a accepté de prendre en charge les amendes à payer au titre des contraventions et qu'il n'a pas respecté son engagement d'où la demande en paiement de la somme de 750 euros telle que figurant sur le commandement de payer produit (pièce n° 10).
Il incombe à la salariée de démontrer l'engagement de l'employeur à ce titre lequel ne peut résulter du silence opposé à la lettre du 20 mai 2018 (pièce n° 20).
La demande sera écartée et le jugement confirmé.
4°) L'employeur réclame le paiement d'un indu versé au titre des congés payés.
Mais au regard de la motivation qui précède, cette demande ne peut prospérer.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur le licenciement :
Le licenciement a été prononcé pour faute grave.
La salariée invoque la prescription et la nullité de ce licenciement motif pris de ce que le licenciement est intervenu en réaction de son état de santé.
1°) L'article L. 1332-4 du code du travail dispose que : "Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales".
La connaissance par l'employeur se comprend comme une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits.
En l'espèce, la salariée indique que les faits reprochés datent des 13 septembre et 28 octobre 2017 et que l'employeur en a eu connaissance dès leur survenance et non le 26 février 2018.
La procédure de licenciement a été initiée le 27 février 2018 par l'envoi de la convocation à l'entretien préalable à un éventuel licenciement.
La lettre de licenciement reproche à la salariée des manquements dans la livraison de colis effectuée les 13 septembre et 28 octobre 2017.
L'employeur indique qu'il n'a eu connaissance des faits que le 26 février 2018 en raison des mails adressés par les sociétés TNT et Chronopost qui ont indiqué ne plus vouloir travailler avec la salariée en raison de la disparition de marchandises.
Si la lettre de licenciement indique que l'employeur a échangé avec ces sociétés, en amont, dans la perspective du retour de la salariée à son poste de travail, la réponse est datée du 26 février 2018, et concerne le refus de ces sociétés de travailler avec la salariée.
La disparition des colis n'a donc été connue avec certitude qu'à la date de réclamation des sociétés clientes.
En conséquence, la fin de non-recevoir liée à la prescription ne peut prospérer.
2°) L'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 dispose : "Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son origine, de son sexe, de sa situation de famille, de sa grossesse, de son apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son patronyme, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, de son état de santé, de sa perte d'autonomie, de son handicap, de ses caractéristiques génétiques, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable".
En application des articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail, pour se prononcer sur l'existence d'une discrimination, il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une telle discrimination et à l'employeur de prouver, au vu de ces éléments, que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
En l'espèce, la salariée indique que son licenciement résulte de son absence pour cause de maladie car l'employeur ne supportait pas qu'elle soit en arrêt de travail depuis deux mois et n'envisageait pas son retour au sein de l'entreprise. Elle affirme que l'employeur prétend de façon mensongère que c'est uniquement à l'annonce de son retour d'arrêt de travail que les sociétés clientes se sont manifestées auprès du gérant pour lui faire part des faits qu'elles ont constatés, antérieurement à l'arrêt de travail.
Cependant, la salariée procède par affirmation et n'apporte aucun éléments de fait qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une telle discrimination.
La demande de nullité du licenciement sera rejetée et le jugement confirmé.
3°) Il appartient à l'employeur qui s'en prévaut à l'appui du licenciement, de démontrer la faute grave alléguée.
La lettre de licenciement indique également que la salariée ne portait pas ses équipements de protection individuelle fournis par la société TNT et n'utilisait pas le téléphone fourni par cette société permettant de disposer d'une traçabilité des envois et une saisie de livraison des colis ainsi que la mise à jour de ces informations.
Elle reproche, également, à la salariée une faute consistant en l'absence de livraison de trois colis confiés par la société TNT et d'un colis confié par la société Chronopost correspondant à un ordinateur portable.
Sur ce dernier point, la société précise que le colis a été retrouvé dans le camion confié à la salariée, deux jours après.
La lettre note aussi que la société TNT a fait part à l'employeur de son doute sérieux concernant les signatures sur les bons de livraison qui ne correspondent pas à celle de la cliente et ne portent pas son cachet.
Cependant, les doutes exprimés par les clients ou le fait de retrouver un des colis dans le camion de la salariée deux jours après la date de la livraison ne permettent pas de rattacher, avec certitude, ces disparitions au comportement de la salariée.
Il en va de même pour la livraison du colis au profit de M. [F] en point relais : si l'employeur indique que la signature apposée sur le bon de livraison n'est pas celle de la personne gérant ce point relais, il ne le démontre pas.
Le mail de plainte de la société TNT ne vaut pas preuve de manquements imputables à la salariée.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a indemnisé la salariée au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents et à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
4°) Dès lors que le licenciement ne repose ni sur une faute grave ni sur une cause réelle et sérieuse, la demande en paiement de rappel de salaire pour la période de mise à pied sera accueillie ainsi que celle portant sur les congés payés afférents, peu important que la salariée ait été en arrêt de travail pendant cette période dès lors que cette mesure est liée au licenciement pour faute grave et a entraîné une retenue sur la rémunération.
5°) La salariée indique que la convention collective applicable prévoit une garantie d'emploi en cas de maladie, pendant 6 mois.
L'arrêt de travail ayant débuté le 14 novembre 2017 et le licenciement étant intervenu le 22 mars 2018, la garantie d'emploi arrivait à échéance le 13 mai 2018.
Elle demande donc le paiement des salaires sur la période du 22 au 30 mars puis du 1er au 13 mai, soit la somme de 2 544,83 euros.
L'article 16 de la convention collective précitée stipule que : "1. Absence d'une durée au plus égale à 6 mois.
L'absence d'une durée au plus égale à six mois, justifiée par l'incapacité résultant de maladie ou d'accident autre qu'accident du travail, ne constitue pas une rupture du contrat de travail. Elle doit être notifiée à l'employeur le plus rapidement possible et au plus tard dans un délai de 2 jours francs, sauf cas de force majeure.
La durée maximale de 6 mois visée à l'alinéa précédent est portée à 12 mois pour les salariés justifiant, au moment de l'arrêt de travail, être âgés d'au moins 50 ans et avoir acquis une ancienneté minimale de 15 ans dans l'entreprise.
Lorsque l'absence impose le remplacement effectif de l'intéressé, le nouvel embauché doit être informé du caractère provisoire de l'emploi. Si l'absence est d'une durée supérieure à celle de la période d'essai, le travailleur absent doit informer la direction de son retour suffisamment à l'avance pour permettre de donner au remplaçant le préavis auquel il a droit.
Toutefois, le travailleur absent pour maladie ou accident autre qu'accident du travail et remplacé effectivement par un nouvel embauché ne pourra se prévaloir des dispositions précédentes, à partir du moment où le remplaçant aura une ancienneté dans l'entreprise supérieure à celle qu'avait acquise, au moment de sa maladie ou de son accident autre qu'accident du travail, le travailleur remplacé".
Cette stipulation vaut garantie d'emploi et interdit le licenciement du salarié pendant les six premiers mois de son absence pour cause de maladie ainsi que son remplacement définitif avant l'expiration de ce délai.
Tel est le cas en l'espèce, dès lors que la salariée a été licenciée pour faute grave pendant les six premiers mois de son absence pour cause de maladie.
La somme demandée sera accordée et le jugement infirmé.
Sur les autres demandes :
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l'employeur et le condamne à payer à la salariée la somme de 1 200 euros.
L'employeur supportera les dépens d'appel, lesquels comprennent par définition les émoluments des officiers publics et ministériels.
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant publiquement, par décision contradictoire :
- Infirme le jugement du 12 janvier 2021 uniquement en ce qu'il rejette les demandes de Mme [M] en paiement d'un rappel de salaire pour la période de mise à pied, d'un reliquat d'indemnité compensatrice de congés payés et d'une indemnité pour violation de la clause de garantie d'emploi ;
- Le confirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés :
- Condamne la société Gha transport à payer à Mme [M] les sommes de :
* 1 083,54 euros de rappel de salaires pour la période de mise à pied,
* 108,35 euros de congés payés afférents,
* 95,75 euros de reliquat d'indemnité compensatrice de congés payés,
* 2 544,83 euros d'indemnité pour violation de la clause conventionnelle de garantie d'emploi ;
Y ajoutant :
- Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Gha transport et la condamne à payer à Mme [M] la somme de 1 200 euros ;
- Condamne la société Gha transport aux dépens d'appel tels que définis à l'article 695 du code de procédure civile.
Le greffier Le président
Frédérique FLORENTIN Olivier MANSION