FV/LL
[W] [P]
C/
SCP BTSG²
expédition et copie exécutoire
délivrées aux avocats le
COUR D'APPEL DE DIJON
2ème Chambre Civile
ARRÊT DU 24 NOVEMBRE 2022
N° RG 20/01366 - N° Portalis DBVF-V-B7E-FSCA
MINUTE N°
Décision déférée à la Cour : au fond du 23 octobre 2020,
rendue par le tribunal de commerce de Mâcon - RG : 2020F218
APPELANT :
Monsieur [W] [P]
né le [Date naissance 1] 1992 à [Localité 5] (71)
domicilié :
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représenté par Me Sarah SUGY, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 6
assistée de Me Rodolphe ROUS, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
SCP BTSG², représentée par Maître [S] [O] ès qualités de liquidateur de la SAS GRAND PRIX AUTO SERVICES
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 126
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 septembre 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Françoise VAUTRAIN, Président de Chambre, chargé du rapport et Leslie CHARBONNIER, Conseiller. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la cour étant alors composée de :
Françoise VAUTRAIN, Président de Chambre,
Michèle BRUGERE, Conseiller,
Leslie CHARBONNIER, Conseiller,
qui en ont délibéré.
MINISTÈRE PUBLIC : l'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Monsieur Philippe Chassaigne, avocat général.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Maud DETANG, Greffier
DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 24 Novembre 2022,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ : par Françoise VAUTRAIN, Président de Chambre, et par Maud DETANG, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société SAS Grand Prix Auto Services, exerçant une activité d'achat, vente de véhicules d'occasion et mécanique générale de véhicules toutes marques à [Localité 4], est immatriculée le 1er mars 2015 au registre du commerce et des sociétés de Mâcon. Monsieur [W] [P] qui en est le fondateur est désigné en qualité de gérant.
Après une année d'exploitation de la société, Monsieur [W] [P] est confronté à des difficultés, et il prend la décision de fermer l'établissement et d'arrêter son activité en mars 2017.
Il dépose une déclaration de cessation des paiements le 3 août 2017.
Par jugement rendu le 4 septembre 2017, le tribunal de commerce de Mâcon place la SAS Grand Prix Auto Services en liquidation judiciaire simplifiée, transformée en liquidation judiciaire ordinaire par jugement du 13 avril 2018.
La date de cessation des paiements est fixée au 1er janvier 2017.
Par acte d'huissier du 17 juin 2020, la SCP BTSG² représentée par Maître [S] [O], es qualité de liquidateur, assigne Monsieur [P] devant le tribunal de commerce de Mâcon aux fins de voir prononcer à son encontre une mesure d'interdiction de gérer.
Elle précise que le passif définitif s'élève à 37 568,26 euros, et reproche au gérant d'avoir omis de faire la déclaration de cessation des paiements dans le délai de 45 jours alors au surplus que des créances n'étaient pas réglées depuis 2016, un défaut de coopération avec les organes de la procédure collective et notamment avec le commissaire-priseur qui a dressé un procès-verbal de difficultés, et de ne pas avoir tenu de comptabilité ou d'avoir fait disparaître des éléments comptables, le chiffre d'affaires pour les années 2016 et 2017 étant inconnu.
Monsieur [P] met en avant sa jeunesse lors de la création de l'activité et son inexpérience dans la gestion d'une entreprise.
Par jugement du 23 octobre 2020, le tribunal de commerce de Mâcon, retenant à l'encontre de Monsieur [P] l'ensemble des manquements reprochés par le liquidateur, prononce à son encontre une interdiction de gérer pour une durée de 7 ans.
* * * * *
Monsieur [W] [P] fait appel par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel le 18 novembre 2020.
Par conclusions déposées le 17 février 2021, il demande à la cour d'appel de :
' Vu l'article L653-8 du code de commerce,
Vu l'article L653-5 du code de commerce,
Vu l'article L653-5 et L654-2 du code de commerce,
- Constater qu'il n'est pas établi que la déclaration de cessation des paiements, retenue antérieure de 45 jours au jugement d'ouverture, n'est pas établie, (sic),
- Constater que l'absence de coopération de Monsieur [W] [P], n'est pas établie,
- Constater que l'absence de comptabilité imputée à Monsieur [W] [P], n'est pas étayée par les pièces de la procédure,
- Dire et juger que les griefs retenus par le tribunal de commerce de Mâcon ne sont pas établis.
En conséquence,
- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé à l'encontre de Monsieur [W] [P] une interdiction de gérer de sept ans,
- Relever Monsieur [W] [P] de toute interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôle toute entreprise commerciale, artisanale et toute personne morale.' (sic)
Par conclusions déposées le 23 avril 2021, la SCP BTSG² représentée par Maître [S] [O] es qualité demande à la cour de :
'Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Mâcon le 23 octobre 2020.
- Condamner Monsieur [W] [P] à payer à Maître [S] [O] ès qualités de liquidateur de la société Grand Prix Auto Services une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC.
- Condamner Monsieur [W] [P] aux dépens d'appel.'
Suivant avis du 29 juin 2022, le Ministère Public demande la confirmation du jugement.
L'ordonnance de clôture est rendue le 19 juillet 2022.
En application des articles 455 et 634 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.
MOTIVATION
La cour ne peut que relever liminairement le caractère pour le moins sibyllin de la motivation du jugement dont appel, lequel se contente de lister les manquements invoqués par le liquidateur sans préciser sur quel élément du dossier le tribunal s'est appuyé pour retenir le bien fondé des reproches ainsi faits.
Aux termes de l'article L 653-8 du code de commerce :
'Dans les cas prévus aux articles L 653-3 à L 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.
L'interdiction mentionnée au premier alinéa peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L 653-1 qui, de mauvaise foi, n'aura pas remis au mandataire judiciaire, à l'administrateur ou au liquidateur les renseignements qu'il est tenu de lui communiquer en application de l'article L 622-6 dans le mois suivant le jugement d'ouverture ou qui aura, sciemment, manqué à l'obligation d'information prévue par le second alinéa de l'article L 622-22.
Elle peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.'
Aux termes de l'article L 653-5 du code de commerce :
' Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L 653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits suivants : (...)
- 6° avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.'
- Sur l'absence de coopération avec les organes de la procédure
Monsieur [P] conteste ce manquement en relevant que le liquidateur faisait état à ce titre d'un procès-verbal de difficultés établi par Maître [R], commissaire-priseur, alors que la vente aux enchères publiques du mobilier de la société a été régularisée selon lui sans difficulté majeure, ainsi qu'en atteste le bordereau établi par le-dit commissaire-priseur le 27 mars 2018.
Le liquidateur maintient pour sa part à hauteur d'appel l'existence d'un tel manquement en exposant que l'appelant n'a pas répondu à la convocation du mandataire, et que la liste des créances qu'il a déclarées laissait apparaître un écart important avec le passif réel qui s'établit à 37 568 euros. Il ajoute que la lettre de convocation sollicite la transmission des trois derniers bilans, et que le seul bilan transmis par Monsieur [P] concerne la période du 01/01/2015 au 30 juin 2016.
Il expose également que Monsieur [P] n'a pas coopéré pour libérer les lieux des épaves et encombrants laissés sur place, et ajoute que la vente aux enchères des actifs a permis au mandataire de poursuivre sa mission en passant outre le défaut de coopération du débiteur.
La cour observe que le liquidateur ne fait plus mention du procès-verbal de difficulté dressé par Maître [R] invoqué en première instance, et que ce procès-verbal ne figure pas dans les pièces produites à hauteur d'appel, ce qui ne permet pas de confirmer la réalité ni la nature exacte de la prétendue difficulté.
Aucune pièce n'est produite au soutien de l'accusation selon laquelle l'appelant n'aurait pas coopéré pour libérer les lieux des épaves et encombrants.
Concernant une convocation du mandataire à laquelle Monsieur [P] n'aurait pas répondu, la seule production de la copie d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception de convocation pour le 11 septembre 2017 est insuffisante pour établir qu'il n'y aurait pas été donné suite.
La société ayant été immatriculée le 1er mars 2015 et placée en liquidation judiciaire le 4 septembre 2017, il ne peut pas sérieusement être reproché à Monsieur [P] de ne pas avoir remis au liquidateur les 'trois derniers bilans'. Au surplus, le liquidateur indique lui même que le bilan afférent à la période du 1er janvier 2015 au 30 juin 2016 lui a été remis, et produit à son dossier la déclaration de cessation des paiements déposée le 3 août 2017 à laquelle est annexée le bilan simplifié de l'exercice clos le 30 juin 2017.
Concernant enfin l'écart entre les créances déclarées et le passif réel, si sur sa pièce n°2 le liquidateur mentionne 'liste débiteur 9 263,36 euros', ce dont il se déduit qu'il a reçu une telle liste, ce document n'est pas produit, et il convient de relever que la créance fiscale initialement déclarée pour 86 398 euros a finalement été réduite à 5 836 euros, ramenant le passif total à 37 568,26 euros au lieu des 118 130,26 euros.
Les pièces produites par le liquidateur sont insuffisantes pour établir le manque de coopération invoqué.
- Sur l'absence de comptabilité professionnelle
Selon le liquidateur, la seule comptabilité produite a été celle du 1er janvier 2015 au 30 juin 2016.
Monsieur [P] pour sa part affirme que les pièces comptables ont été communiquées aux organes de la procédure dès le 18 septembre 2017.
Or, ainsi que relevé plus haut, le bilan de l'exercice clos le 30 juin 2017 a été produit par le liquidateur lui même dans son dossier de plaidoirie.
Ce manquement n'est pas établi.
- Sur le défaut de déclaration de cessation des paiements dans un délai de 45 jours
Il est établi que la déclaration de cessation des paiements a été déposée le 3 août 2017.
La date de cessation des paiements a été fixée, conformément aux propres déclarations du débiteur, au 1er janvier 2017, soit 7 mois avant la déclaration de cessation des paiements. Cette date, fixée provisoirement par le jugement du 4 septembre 2017, n'est plus susceptible d'être remise en cause, faute d'action en ce sens dans l'année suivant cette décision.
Ce manquement est en conséquence établi.
- Sur la sanction applicable
Monsieur [W] [P] expose qu'il est aujourd'hui salarié d'une entreprise actuellement confrontée à de graves difficultés, et craint de perdre son emploi à très court terme ; que devant un marché du travail très dégradé dans son domaine d'activité, il prépare une reconversion ; qu'il a un projet de création d'une nouvelle société dans le domaine du bâtiment et qu'il a suivi une formation nécessaire à sa nouvelle activité projetée ; que la décision prise par le tribunal de commerce risque de mettre un terme définitif à ce projet, et obère grandement toute possibilité de reconversion professionnelle.
Au regard des éléments ci-dessus retenus dont il ressort que le seul manquement établi à l'encontre de Monsieur [P], qui lors de l'audience du tribunal de commerce a reconnu son inexpérience dans la gestion d'une entreprise, il convient de réduire la sanction prononcée en première instance et de fixer à 2 années la durée de l'interdiction de gérer.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Mâcon en ce qu'il a prononcé à l'encontre de Monsieur [W] [P] une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.
L'infirme sur la durée de cette interdiction,
Statuant à nouveau,
Fixe à deux ans la durée de l'interdiction de gérer,
Ordonne la publication du présent arrêt conformément aux dispositions légales,
Confirme le jugement en ce qu'il a dit que les dépens seraient pris en frais de liquidation judiciaire,
Dit que les dépens de la procédure d'appel seront pris en frais privilégiés de la procédure collective,
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la SCP BTSG² représentée par Maître [S] [O] es qualité de sa demande de ce chef.
Le Greffier, Le Président,